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Marie, un texte de Nicolas Jaen

dimanche 7 janvier 2018, par Cécile Guivarch

APPARITIONS

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La dame était belle. Blanche et bleue. Elle m’a regardé de tout son cœur qui était un royaume. Quand j’ai quitté ce regard, dix ans plus tard, je suis tombé en la folie, à l’âge où d’autres tombent en amour. Un soir, je racontai l’histoire à mes parents parce que je me souvins enfin de la dame. De sa rose à jupe plissée. De son sourire. Parce qu’elle avait léché mes larmes à même mes joues, pour voir si ça avait le goût de la rosée. Parce que c’était comme si je revenais dans la lumière bleue de la chambre de la maison de Saint-Jean voir l’enfant que j’étais s’éveiller dans cet arc : le sourire. Je suis cet enfant, ne les crois pas, mes yeux, mais peu importe mes yeux, ce que je vois, c’est ma croix s’éloigner, ma peur quitter la maison – mon lit est du bois flotté, il va sur l’eau du rêve qui est la réalité, au sortir du lit l’escalier est descendu tout seul, le salon traversé tout seul, voici la cuisine, papa, maman, il fait doux et il neige, c’est du lait, je suis ébloui, j’oublie, nous sommes en la saison unique, celle de toutes les saisons et d’aucune, le début a été un immense désert, voici l’obole, la monnaie par le souffle de vie, le baiser sur le front – la Maison-l’éternel. Je répète : la dame – le sourire – l’obole – la Maison-l’éternel, et j’ajoute : un enfant que je croyais mort et qui devient ma lanterne. Pour continuer à avancer. Même dans une nuit de bêtes venimeuses. Et d’y voir une pluie de vif-argent soudain. La porte et le passage. Comme celui de ton prénom lorsqu’il est sorti pour la première fois de ta bouche en entier et en harmonie. Qu’en dis-tu ?

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Entre mon mal et moi il est une montagne. Écrire ces mots, c’est déjà l’enjamber – c’est passer ma jambe par-dessus elle, déjà. Je me demande, à cause de lui, mon mal, si je n’ai pas rêvé la dame, or c’est sans aucun doute grâce à lui que je l’ai vue, elle, comme sublime barrage, et, grâce à sa grâce, emprunté le chemin frontalier entre un désert de tristesse et les vallons verts de la plus haute joie, sans pouvoir savoir à l’avance où le chemin me mènera, et en ayant oublié d’où je viens vraiment. Là où le vrai ment, c’est quand il ne se défait pas des oripeaux du mauvais désir – y a-t-il un mauvais désir ? ne serait-ce pas plutôt le versant ombragé, ombrageux de l’amour, est-on seul, là où je m’en vais ? Non. Le verre de lait qui se remplit, c’est le jour qui monte, c’est La femme, passant une robe blanche, deux perles ivoirines à ses oreilles, la ville se peuplant, le midi et le quatre heures. La nuit qui arrive dans deux heures, c’est la fin de la journée, c’est tout. Non, ce n’est pas tout : la nuit, dans deux heures, c’est l’école des mystères, le O de couronne – le o de halo et d’auréole. Sept baisers de miel.

2

On dit qu’un prisonnier
a libéré un oiseau

messager

que par là il put périr

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Et si l’oiseau était le prisonnier ? Et si le prisonnier était l’oiseau ? Petite eau de rien, qui fera du gel. Petit feu lorsqu’elle fut pleurée. Voyageur, remonte le chemin vers le seul larmier, et vois. Contemple la larme de joie. J’ai entendu ce soir les poètes, sortis de la bouche d’un seul : l’homme était l’ami : il disait : « L’osier pleure des larmes tressées en corbeilles. Rond est le temps du cercle du soupir. Comme d’une bulle d’air entre deux silences. Rouge le temps du cœur. Je n’ai plus de peine ni de peur. Mon avenir est loin derrière moi. Comme les saumons reviennent à la source. Ou comme deux êtres s’échangent leurs rousseurs. Le temps a épousé l’amour en secondes noces. » L’ami devint l’homme ; l’homme devint Le poète ; et, abandonnant là mon fagot d’abandons négatifs, je m’abandonnai au sourire qui affirme, et fus, au moins pour le reste de ma vie, le malheur du malheur. Celui qui ne veut pas comprendre ne comprendra pas – qu’il ne se méfie pas, ce sourire n’est pas le tranchant de la faux, c’est la clé pour aller plus avant... c’est la clé pour ouvrir l’Ouvert... et fermer ce livre qui ne parlait que de toi. Petit gel, de rien, qui fera de l’eau.

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Dans des nuits de satin noir, le balai de blanche neige travaille à recouvrir – à ouvrir le cœur et à opérer par les pattes de fourmis du temps d’écrire, si ce n’était pas crier, si ce n’était pas appeler – mais qui ou quoi ? Toi. Toi, que supposait l’ombre de ta main peut-être de dimanche, te couchant à même le sol – oui, ta main, qui saura se résoudre en copeaux puis en sciures d’os travaillés par le temps – quand ton cœur sortira de ta bouche et passera l’horizon en solitaire, sans ta mort – et que tu seras voix fleur lumière écho – voix ouvreuse d’un cinéma à ciel ouvert – fleur lumineuse sœur de la voie – lumière infinie de la ROSE – écho, par-dessus tout, écho d’échos de toutes ces choses dites plus haut, moins fort, comme un piano qui ne dit rien que sa simple voix d’être ici. Une nuit, je remâcherai ton prénom comme on mâche un secret – mais seulement en mon for, ma demeure que j’aurai bâtie sur la défaite de la mort – loin dans le ciel – une nuit, je saurai que c’était toi que je ne connais pas encore et qui dors à l’heure qu’il est... je saurai que Toi, c’était moi... alors, tu me le rendras : mon si beau visage penché sur mes châteaux-forts noirs... avec de la neige comme du vide autour. Oui, de la neige.

5

Au premier jour du printemps
elle est revenue comme la vague

dans mon cœur d’abricot sec
elle a soulevé une pierre

pour laisser entrer lumière
l’hirondelle a traversé l’allée

l’ombre s’est envolée avec elle

*

Elle que l’on disait statue
posait ses oiseaux dans le ciel

en me fixant intensément.
Je décollai de mes semelles

sur le chemin du retour
comme un retour à moi-même

un grand et long battement d’aile


Nicolas Jaen est né le 2 février 1981 dans le Sud-Est de la France.

Il écrit depuis toujours.

Derniers textes parus :

  • Livre noir, Atelier des grames.
  • L’angeresse, éd. O. Fix.
  • Bestiaire, éd. du frau (poèmes accompagnés de dessins de Thomas Pesle).
  • Les Céphéides, Clapàs.

A venir : des poèmes dans les revues Traversées, Nu(e), Décharge, Triages entre autres, ainsi qu’une traduction à quatre mains des Quatrains de ’Attar pour le compte de la maison d’édition Lettres persanes.


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