APPARAÎTRE
Dans les développements qu’il consacre à sa propre pratique, Roger Munier définit la poésie comme un double saisissement : dès qu’une réalité, quelle qu’elle soit, s’impose au poète en sa puissante nouveauté, à lui de la capter, de saisir à son tour ce qui l’a saisi. Perception inédite, évidence subite et percutante parfois, émotion inattendue, rencontre éblouissante : tout ce qui nous apparaît et qui, après nous avoir figés un instant, nous met en route plus vivement – nous porte à faire effort de langue pour transcrire au mieux ce qui s’est soudainement manifesté. Pour caractériser ce moment, ce mouvement propres au dévoilement, Munier écrit : « Que le monde se rende visible est la merveille. Qu’il recule dans l’invisible n’est pas si troublant, n’est en somme qu’un retour à son état premier » (Eaux profondes, Arfuyen, 2007). Décrivant ainsi le territoire de la poésie (des frontières toujours franchies pour un objet qui échappe sans cesse), et nous plaçant là où visiblement quelque chose d’important se passe, Munier inscrit ontologie et phénoménologie dans le même flux prodigieux. Vite surclassées les bénignes apparences : voici l’instante apparition.
Proposer une anthologie consacrée à « l’apparaître » revenait à mettre les poètes face à l’immensément possible – jaillissement ou fulgurance, pulsation sidérante au cœur de toute vie. Grâce ou chance, hasard qui appelle et bouleverse, rend plus vivant souvent, plus heureux parfois… Il s’agissait, surtout, de mettre des mots sur ces instants, de les empêcher de retourner à « l’état premier » décrit par Munier. D’en transmettre l’enchantement.
À « l’apparaître », les poètes ont répondu largement « présents » - une grosse quarantaine de contributeurs se rassemblent ici, avec, à chaque fois, un poème inédit. Je remercie chacune et chacun de sa confiance et de sa générosité, de sa patience aussi, car pourvoir au grand nombre prend du temps. Pour organiser cette publication, il m’a fallu repérer quelques constantes, faire entendre des échos ou au contraire souligner la richesse des variations, ménager des équilibres, être synthétique sans pour autant être systématique – en un mot, faire en sorte que la « parution » ne soit pas trop en retrait de l’apparition… Six moments se déroulent ci-après, sachant que de nombreux textes, tant ils sont libres et puissants, vite sautent les barrières et dépassent les bornes – n’est-ce pas là, précisément, ce que nous attendons de la poésie ?
Bonne découverte, et bonne lecture à tous,
Florence Saint-Roch
I
INSTANTANÉS
RAPHAËL MONTICELLI
Tout
je tends la main et tout
j’ouvre les yeux et tout
oreilles narines peau même
et en dedans de moi viscères poumons sang et os
tout
le moindre vent un cri soudain une goutte un
bruit une
vibration tout
la mouche la fourmi l’abeille
un perce-oreille un pétale qui
s’ouvre une feuille qui
tombe
tout
un rideau de lumière dans un entrebâillement jeu de poussière
ou d’ombres
tout ce qui m’apparaît
disparaît
tout ce qui passe m’est
apparition
tout est donné à mes sens
et aussitôt
me manque
FABRICE FARRE, Apparition.
On est là, où l’on ne peut être sans disparaître.
H. Michaux, Coups d’arrêt.1
On soulève la nappe d’eau
les têtes roulent de l’autre côtéon en oublierait la présence
mais on va chercher, bredouille,
ce que l’on ignore par le regard
et que l’on sait par impatience.2
Tu surgiras du tronc
nous te verrons un jour en été.
Par nos mains, le nom sera donné ;
emportés, nous renaîtrons avec toi.3
Je passe dans un autre lieu, poussé
par la joie ponce dont la pierre ricoche
jusqu’aux côtes lointaines. Là-bas
ce sont des mains qui s’agitent, puis des pêcheurs
nets prompts à se saisir de mon embarcation
de fortune. Je serai, pauvre enfin, arrivé au port.4
Le panier descend, il s’accroche au mur par défaite,
la corde s’épuise une fois la terre touchée.
Lui se remplit de couleurs aux noms éclatants, il
se hisse alors jardin suspendu, paradis pour personne.
Là-haut une silhouette attachée, prisonnière du cadre,
s’incline et remercie l’air où transparaît le donateur.5
Au fond du puits les choses nous observent
en brillant, comme issues de la gangue. Surprises,
elles nous surprennent étonnés de n’avoir pu trouver
que nous-mêmes. La victoire semble proche
sous la gloire ternie du miroir d’eau.6
Dans le camion lancé vers les Alpes,
cueilleur de Génépi et de toute ivresse utile,
gît une noire obscurité enveloppant marchandises
et denrées périssables, cahin-caha au bord du gouffre,
vie de transport et de contrebande.7
L’or clair borde le talus, embrase enfin
l’aire rase des labours où la tâche retient
les premiers hommes en bleu de travail.La sentinelle de bois noirs ouvre la route
jusqu’au hameau aérien. Les mains
touchent la couture des poches.
JEAN-PIERRE CHAMBON
Bavée d’un ciel écailleux
une lueur rosâtre éclaire
les étendues stupéfiées par la neige
que le train étire à perte de vue
le long de l’horizon où pivotent
des bosquets aux rameaux filiformes
accablés de volées de corbeaux
puis soudain le train qui a ralenti son allure
laisse entrevoir au milieu d’un jardin engourdi
un bonhomme de neige coiffé d’un vieux chapeau
glissant une note de gaieté enfantine
entre la monotonie du voyage
et la mélancolie du jour
CÉCILE A. HOLDBAN, Le fil.
Une pavane de rosiers éclate
hors de la ruche des paupières
les oiseaux balaient l’air de leurs nets coup d’ailes
les voix montent, chacune se place dans la nef
(un ciel s’ouvre)
les rues glissent sous le ventre noir des autos
comme un nœud de serpents engourdis,
les herbes se dressent brin par brin
le vent sépare l’écheveau de ses courants
les bêtes petites et grandes éveillent leur peau
exosquelette, ailes, carapace,
ramilles et pampres ondoient au flux des couleurs,
laissent entrer l’horizon, respirent,
tout s’ébranle en un sens, en un autre
laboure l’espaceChacun est mû par le fil qui lui est propre
Un coléoptère sorti des pages de mon livre
bouge ses antennes menues
je suis l’ombre de son ombre
il escalade ma main puis tombe vers l’abîme
il aura l’obscurité, encore à écorcer
la profondeur des mondes, dans tant de clarté.
LYDIA PADELLEC
Cela débute par un geste
Un simple regard
Un sourire
- La merveille –
Quelque chose là
Devant soi
Qui nous apparaît
Comme une évidence
Qui nous parle
De notre âme
À notre âme
Qui secoue notre cœur
Et nous émerveille
Et nous reconnaît
Là devant soi
Un brin d’herbe
Qui ploie
Sans se casser
Une étoile filante
Qui meurt
Dans l’océan
Ou peut-être
Encore
Le rire d’un gamin
En écho à celui
De notre enfance
Pataugeant
Dans le bleu de l’aube
JACQUES MOULIN
Elle n’est pas venue du bois chenu
Elle a surgi d’un coin de haieMarguerite règne
En son instantRien ne se froisse
La haie rend l’hôte
À son passageC’est par la brèche
Qu’on ouvre champEt l’on regarde
Marguerite hausse
La grâce d’être*
La mer est glauque
La forêt là
Calcaire partout
Ça sourd d’un coup
Face à du vertMouette dans l’air
Rengaine au bec
Écume le cielL’ardeur est blanche
Dessus la merAoût 2018
ODILE FIX, Forêt suspendue.
trait fin
entre la lumière
et l’ombrequelqu’un s’y pose
en soupçon d’oiseau de poussièretremble l’herbe longue
un fil de soie
translucide en suspension
pourrait éveiller
des écritures - lignée de lettres claireson ne franchit pas le seuil
d’attendremains qui nouent
la brumeet ce qui frémit
dans la voix
se dévêt des ailes
et des linceuls :chiffons de langues
essuyant la cendre
au pied des arbres grisce qui s’avance
voilé de crépuscule
froisse les feuilles
silencieusementdes pas de loup
foulent un sentier
de mémoire :forêt suspendue comme
un enfant transparentl’ombre
d’apparaître
effleure la terre
et notre regard de cendreselle pose une braise fine
dans la bouche
signant imperceptiblement
un premier motsommeil d’un souffle
en éveil
où erre un peuple
infime
et incertainon voit celui qui porte le sable
celui qui marche
derrière
sur un chemin de blancheur
les pieds rongés par
le selon voit surgir
la vieille harde
des oripeaux…
on balaie la boue séchée
au coin des tables- écrire serait un œil lointain
…
on voit s’ouvrir
une main anciennes’arrondir encore la nuque
d’un enfant perduce qui est
apparu
cascade l’écriture
dans des petits bruits de ferraillealors on reflue sans voir
dans une vague lente
qui nous emmène
sur le bord friable
d’une terre de brume
JACQUES LÈBRE, Chut.
Comment peu à peu les étoiles apparaissent,
lentement, les unes après les autres,
d’abord Véga dans la constellation de la Lyre,
puis Acturus dans la constellation du Bouvier,
puis Altaïr, puis Déneb, puis toutes les innommées,
les constellations, dès lors, perdues dans ce foisonnement,
où repérer l’errance de quelque planète, cousine éloignée
d’une Terre esseulée, perdue dans l’espace sidéral,
avec les grillons qui peut-être répercutent
un grésillement céleste inaudible ici-bas,
avec le hululement lointain d’une hulotte,
ou bien le « Chuu, chuu, chuu » d’une effraie,
auquel il suffit, juste, de rajouter un t.
CAROLE MESROBIAN
Plaine azur
Et les aubes
IndigoN’est plus céleste ailleurs que le poids des volutes
Veloutés de déferles
Presqu’un son de l’acier sur un sable semé d’ardoise et de dentelle
Jusqu’au bleu détrempé d’un ruban clos de perles
Ramasse les cheveux d’un orage cessé
Ses ailes et le naufrage
Rêve chu sous le doute
Aux voiles de brouillard d’un navire oubliéL’épousée clôt le ciel émeraude au rivage
Bleu rivé de sa source
Et tout joue de murmure l’impalpable mesure d’un temps
Sans le décompte
Où termine le vent
ANNY CAT
Arbre d’été au sommet de l’élan,
don de la terre et du temps.
Joie verte.L’oiseau, un et multiple, éclair furtif,
de branche en branche,
d’absences en présences,
révèle l’évidence du lien, creuse.
par les contraires,
creuse le corps, l’âme, l’être,
la pensée et le cœur.Le creux est si profond.
L’absence acceptée, la douceur,
présent incontesté désaltère, ressource les mots,
pleins de la vie qu’ils explorent.À chaque instant, les énergies se déplacent,
croisent les fils, les nouent, les délient,
créent l’inattendu, l’insolite, la beauté.Des mots de conscience neuve, de vérité en devenir,
de forces paradoxales, tourbillonnent.
La libre écoute saisit avant nous la forme
dans l’informe de la matière où se meuvent rêve et pensée.L’écoute particulière
au trouble d’incessants foisonnements,
fait surgir malgré soi,
des mots de chair et d’esprit, au-delà du banal.
Tu t’efforces de les ajuster à chaque parcelle de ta vie,
aux millénaires d’expérience.Sources nouvelles, autres lectures, entrevoient
le mystère…
Tu le sais. L’approchant, il s’enfuit.
Tu imagines l’Humanité – Sisyphe…Poète, ta parole n’a de cesse d’approcher l’indicible.
Tu roules tes mots, les travailles,
les pétris de tes aspirations,
leur donnes force juste et belle.Ainsi s’aiguise le désir d’être,
le désir du partage, le désir
de reculer nos limites et celles de la mort
dans l’illimité de la vie et du temps.
FLORENCE SAINT-ROCH
Au vaste ciel nos maisons
Sur cette terre qui n’en finit pas de tourner
Nos deux jambes pour marcher
La joie qui bat
En nos mouvements familiersQui sait où nous allons
Comme elles nous arrivent
Les questionsAppliqués à mesurer
Nos petits temps de rien
Les jours les nuits
Les marées les saisonsOn va notre orbe
*
On regarde filer les étoiles
Tout ce qu’on croit lire là-haut
Présages et prédictions
De vieux rêves de conjonctionsLes jaunes s’ébrouent
Têtes d’or épervières mimosa
Les rouges fanfarons
Les verts et les bleus plus hésitantsOn se laisse éblouir
*
Elles brillent impassibles
Tranquilles mènent la danseCertains disent la musique des sphères
D’autres l’infini glacéOn ne sait pourquoi ce soir
À des milliards d’années-lumière
On l’aperçoitLa géante a fait son temps
Quand elle entre dans le nôtre
Anéantie déjàElle bouscule notre ciel
Quelque chose de l’immensité s’ouvre
Nous devient transparent*
Dans l’obscurité qui vient
On se dit quelqu’un
Plans sur la comète indicibles raisonsDans la tête
Ça tire ça pulse ça s’accélère
Ils ne vont pas tomber du ciel
Les bons momentsDe toutes nos forces on voudrait rejoindre
On s’épuise en calculs savants*
Le silence s’enroule sur lui-même
Mécanique céleste ou train de nos vies
Tout bouge se déplace ensembleAu fond c’est rassurant
Alors on se rêve solides bolides
Voltes torsades rotations
On s’élance on ose l’attractionVoici franchies les distances les périodes
Tandis qu’à nos pieds
S’allument les luciolesOn sourit d’aise
À chaque fois qu’on marque l’ellipse
On revient plus fortLes Révolutions, extraits.
II
SE SENTIR VIVANT…
JACQUES ROBINET
Vagabond chargé d’orties
Lazare ébloui
tu chancelles à l’orée du jourLe soleil monte à la crête
des arbresRedresse-toi
Dépose tes armes
dans cette lumière
qui excède ton attenteFrotte tes lèvres d’herbe
de vent de rosée
Sous le ciel enflammé
ravive tes braises
Tout s’ouvre commence
Il n’est que partance
du bel aujourd’hui
JEAN-PIERRE CHAMBON
À travers la buée de son haleine
en train de se dissoudre sur le miroir
autour du reflet de sa bouche
il regarde se reconstituer son image
comme si elle remontait
de la profondeur intangible de l’espace
avec ses traits encore cernés d’ombre
bien que la pâleur du néon
en surlignant ses lèvres d’un éclat humide
accroche au bord de ses yeux une écaille de lumière
il passe alors sa main sur ses cheveux en épis
le long de ses joues piquetées de barbe naissante
et réprime au-dessus du lavabo un dernier bâillement
c’est un nouveau matin il est vivant
MYRIAM ECK, Au Qi Gong de Randy Hough.
Le balancement des yeux
Sur l’eauPeser le vent
Dans sa respirationPeser l’ombre du corps
L’eau respire
Dans son épaisseurLe souffle aspire la profondeur du sol
L’espace vivant
Du solUn corps dans l’air repousse
YVES-JACQUES BOUIN, Apparaître.
La vie
Mais qu’un visage sourit au-delà du regardLa vie
Mais qu’un seul pas se pose au-delà du cheminLa vie
Mais qu’un poème surgisse au-delà des parolesLa vie
Mais qu’un désir s’étende au-delà de l’attenteLa vie
Et c’est l’étoile qui brille au-delà de sa fin
Au-delà de l’espace l’amour en expansionOù tu es n’a pas de lieu
Où tu vas n’a pas de but
Où tu passes n’a pas de tempsLà et ailleurs dans l’absolue réalité
Mais quoi vivre
À part
Être
Ici
Dans le poème
CHARLES PENNEQUIN
Je ne suis plus moi. Ou bien je n’y suis plus. Ça me ressemble. De plus être moi c’est tout à fait lui. On n’en sort pas. On sort pas de soi. Que très rarement. Pour faire ses petits. On sort des morts de soi. Puis après on revient. On revient à soi comme on revient de rien. Et c’est là qu’ils disent qu’il est revenu à lui. On a cru le perdre. Ne le laissez jamais seul. Il ferait des bêtises. Déjà il a fait la bêtise de se trouver dedans. On ne sait même pas dans quels dedans il a traîné. Ce fut un dédale de dedans. Avec des détournements de droit à lui-même. Car il n’avait pas tous les crédits pour faire fonctionner le bazar. À moins que ça ne soit des clés. En tout cas il souffrait d’un manque d’autorisation. À qui fallait-il montrer patte blanche dans ce cas précis. C’est ce qu’on s’est tous demandé. Car à ce moment-là on a trouvé qu’ils abusaient. À ce moment précis quelqu’un a lancé C’est fort de café. Et puis il s’est tu. Personne n’a renchéri. Même celui qui se trouvait le plus sur la brèche. On attendait tous le responsable. Qui donc avait la responsabilité des clés. Qui doit éteindre toutes les loupiotes en partant. Il faudrait organiser une réunion pour faire le point. On ne sait pas qui est vraiment responsable là-dedans. Il va falloir faire tomber des têtes mais ça ne sera pas du tout une mince affaire. Il va falloir remonter les manches se dit-il. Ou c’est un autre qui a pris la parole. Peut-être sont-ils maintenant plusieurs à s’insurger. Il a suffit que quelqu’un fasse un bruit. Car c’est ça qui se passe en général. Quelqu’un fait à un moment donné du bruit. Et quelqu’un d’autre l’entend. C’est vraiment une particularité de chez nous ça. Partout où vous pouvez vous promener vous pourrez constater que le monde est bruyant. C’est sa richesse. Il faut que ça croasse ou que ça blablate. Il y aura toujours quelqu’un pour répondre. Et répondre c’est pas forcément parler à l’autre ou lui siffler un certain air. C’est partir en se taisant aussi. Car il n’y a rien de pire que le taiseux dans tout ce monde de bruit. Ce monde de brute de bruit est le pire des mondes de taiseux également. Ça va de pair. Ils vont par deux les taiseux. Ils sont muets à l’unisson. Même s’il y a le taiseux bruyant et le bruyant capable de se taire. Il y a le papotant et il y a le papotaire. Celui qui papote pour qu’au fond tout soit rendu au plus taiseux. Que toute parole soit mise en terre. Qu’on en finisse avec tous les faux bruits. Car au fond il a toujours été seul. Le reste du monde étant une sorte de gargouillement de lui-même. C’est ce qu’il se dit parfois. Pour ne pas tourner bourrique.
SERGE RITMAN, En vifs saisissements.
J’ai vu s’allumer et mourir des étoiles,
(D’où pareille tendresse ?)
J’ai vu s’allumer et mourir des prunelles
Au seuil de mes prunelles.
Marina Tsvetaïevapourquoi dater quand
le noir tient le ciel
et pas à pas elle
tourne comme une orange
son pouce
tout humide le monde
tient à l’instant ses naissances
voguent entre deux flèchesnos resserrements dans, les plis baroques
des nuageux corps
mais la peau lisse des roches
maçonne un premier plan
lumineux d’ardoise je t’écris
sans attendre pour effacer
la pluie et la plage
que font-ils en foule
quand seule en chemintous les pas les passages
bloqués comme au fond des mers
des décrets et des refus
nos solidarités comme
la pastèque
fondante tu erres
pour passer la frontière
ma sœur la vie ma fraternelletu dis je viens aussi, vite qu’une insurrection
elle apparaît comme
cette poupée merveilleuse
dans tes yeux d’enfant tu m’égares
à rougir dans les ors
de toutes les misères
tu portes le seau avec
l’eau inépuisable de mes pleurs
jusqu’à vivre toute en ta vieNous voyons en rêve un jardin – c’est merveille !
Où planent des colombes dans le brûlant azur.
Là une nonne entonne des refrains orthodoxes :
Tendre Dormition – c’est Florence à Moscou.
Ossip Mandelstam
ANNE-MARIE SOULIER
Novice nouvelle-morte
du lit de fer au lit de chêne
je m’étonne du lit
je m’étonne du linsur ma langue l’obole
du dernier bord à bord
elle a le goût cendré des hosties de l’enfanceSaule solide en son miroir
présence des oiseaux de dialogue et d’ailesau cœur de la voix le silence
le chant vient s’y coucher
comme une sphinge mortela porte est grande ouverte sur le Styx intérieur
nul Orphée n’est en routeIllico l’absence
ses répons de misère
ses sentiers ocelés
par des ombres errantesla barque funéraire est mince
on pourrait traverser entre deux nénupharsQue vaut ma vie que ce pesant de rien
et cette compassion pour qui a renoncé
à tout
sauf à sa soifgoutte à goutte
les heures
goutte à goutte
les nuits
goutte à goutte
tu priesElle est revenue la lampe des soirs
son halo de bonté qui déjà hèle l’aubedans l’effarouche où se froissent les ombres
l’archange des fenêtres
a retrouvé sa placeLà-bas entre les lignes
grelottent des brebis
on n’est pas sûr de vivre
mais il y a poème
CLARA REGY
les nuages entortillent
leurs cheveuxce ne sont pas des arbres
ni des chemins de boue
-l’asphalte-
sur ton esquif pâle
tu dépasses l’aube
avec des inconnustes mains dessinent des courbes
savantes mesurées
pour rester dans la course
il faut aller
-rejoindre-la pluie se mouche
sur la vitre tachée
éclabousse
ta jouete dépassent soudain
de grandes ailes blanches
- à leurs bras des épines de nacre-
guidées par des camions
de foirela route ne bouge plus
seules les ailes
progressentle monde s’articule
des bras d’hommes surgissent
pour tracer le chemin
c’est si beau au-dessus
de tes yeux
-immobile-un ciel pour toi
où s’accroche l’avion
dont tu sais la naissancel’avion où tu voudrais
griffer ses phalanges
que le sang de la vie
-un tout petit filet-dans le désordre de l’aube cachée derrière ses ailes
- tu es revenue-blesser les épines de nacre-
et j’ai su te guérir
enfin
III
RENCONTRES
PATRICK LE DIVENAH, Transmutation.
sur page vierge d’azur impavide
à la cime de la portée
doubles croches en posture
l’hirondelle
accroche mes yeux
fige mon passagej’attends captivé
un envol qui m’attendabolir l’écart qui nous isole
ne pas ciller
bander le fil du regard
pénétrer
fixerle décor entier s’est dissous
absentébrusque fulgurance :
l’oiseau m’absorbe et me transmue
dés/intégré
fusionnéen un soupçon d’éternité
mon corps
a cessé
de battre
FRANCOISE DELORME
Dans la clairière.sans horizon
en quelques bondsun jeune chevreuil
a fendu la distancepur regard
je devienssilence suspendu
*
Une sorte de beauté ?
Je ramasse des fraises des bois. Dans une clairière verte où vibre la lumière, nez au sol, yeux suivant les nombreuses taches minuscules, rouges et brillantes, toute attentive à mes gestes menus, je remplis un petit panier, enfant venue d’un conte ancien intitulé Les douze mois, je crois à l’abondance inépuisable et délicieuse des forêts, j’y crois comme si c’était une réponse à une question jamais posée, qui me brûle.
Alertée par un froissement, sûrement, dont je ne me souviens pas, et ne pourrais me souvenir, je lève la tête. À peine à un mètre de moi, dérangé tard par mon avance discrète, un chevreuil surgit d’un buisson, En trois bonds, disparaissant il dessine la forêt tout entière. En trois courbes dansées, une image se forme, à la fois immobile et pur mouvement, vision de quelque dimension toujours inaperçue, à la fois sans épaisseur et substance sans reste ; je ne ramasse plus de fraises.
Debout, je me tiens là, longtemps.Quand je vais dans cette image, elle éveille en moi une merveille : un silence sans bords.
Quand je risque de tomber, je cherche à nouveau l’image du chevreuil (elle me structure depuis un an déjà : ouverture parmi les feuillages, elle revient. Elle revient même si je ne la cherche pas). Elle continue de sourdre, de devenir une source.
Je sens à nouveau mes yeux s’écarquiller : ce qui me sépare d’un dehors qui m’enferme se distend jusqu’à devenir si évident qu’il disparaît et m’invite à entrer.
Je viens, dans ce qui monte, dans ce qui se répand et pourtant se rassemble.Saisissement.
Jeune joie.
Sans ailleurs pour troubler ou trahir.Seul ici, fendu.
CÉCILE OUMHANI, Écarlate.
« ... guère plus gros qu’un moineau, mais un peu plus long, qui a
les plumes entièrement rouges ou incarnates, on le prendrait pour
un petit perroquet, s’il en avait le bec... »
(Sagard, Histoire du Canada et voyages que les Frères Récollets y
ont faits, 1636)« Cardinalis. L. rubra, facie nigra.
Habitat in America septentrionali. »
(Caroli Linnaei Systema naturae, 1758)Vision tremblée à la vitre
embrunie par un reste de pluie
l’oeil cède à l’invite des arbres
l’ombre sent l’humus et la mousse
les feuillages ploient alourdis
de toutes ces vies qui les ont nourris
passantes obstinées d’envols encore à venirécarlate l’oiseau traverse le silence
la rivière au fond du jardin
a forcé les portes du rêve
balayé le choc du jour
tintement mat de tasses au fond de l’évier
fadeur du café refroidi
miettes de pain sur le comptoirécarlate l’oiseau tournoie à la fenêtre
trêve du temps
pour célébrer l’instant
qui vole d’une branche à l’autretu regardes loin devant toi
où s’ouvrent les paupières du monde
ton bras frémit
des ailes se froissent en toi
ton souffle s’emballe
et tu sursautes dans la lumièretant de légèreté
pour défaire l’ordinaireécarlate l’oiseau revient tournoyer
cherche ton regard
trace les brefs contours
de ce qui est et que tu ne vois pasBangall, New York, Août 2018.
ARIANE DREYFUS, Un objet qui fait tout.
Sophie se lève tout de suite
Car voilà la nuit est passée
Et elle veut aller voir
Tout ce qui pourrait être coupéAvec son cher petit et vrai couteau
Partout dans le parc des feuilles
Mais où sont les fruits ? La chair
Des fruits ?Le lion de pierre offre son dos
Sophie monte sur lui
Pour être plus près des cerises,
Trois, pas plus pour sa main
Saute avecUne par une les respire fort
La branche plus légère reprend du soleilBon, comme elles ne sentent rien
Mais que leur chair est dodue
Sophie les pose sur le large front de l’animal
Leur queue coincée dans la crinière
Elles ne tomberont pasD’ailleurs, le lion ne veut pas bouger
Il préfère attendre, la gueule entrouverte,
Laisser Sophie faire les chosesSans un bruit la lame
Parfois elle oublie de respirer
Tellement c’est intéressant
Elle voit et regarde tellement
La fine peau s’ouvrir
Qu’elle se penche comme pour protéger
La cerise silencieuse qui est là
Elle voit des fibres comme des veines
Roses dans le rouge clairCe n’est pas fini, Sophie met ses ongles
Pour desserrer ce qui tient au noyau
Pendant que ça coule sur ses doigts
Doucement lui vient une idée
Qu’elle ne savait pasElle a déjà réussi à faire
Des demi-cerisesElle peut lui faire des yeux
Elle gratte autour des noyaux
Sans les faire tomberUn, et deux
C’est fait
*
Le lion soudain réveillé
Ouvre des yeux vraiment humidesExtrait de Sophie ou la vie élastique.
ALAIN FREIXE, Entre deux silences.
Derrière la maison, un corbeau crie.
Je l’entends et je vois l’air s’éclaircir et ouvrir en moi un paysage désolé, un chantier de fouilles, sens dessus dessous, où tout semble perdu, abandonné.
Reviendrait un souvenir, pas grand-chose, presque rien, un souvenir en tesselles abimées, échancrées, couleurs éteintes. Regarder me sauverait.
Mais le vent referme l’apparu. Le ciel s’est fait plus bas comme si ses souffles s’étaient pris dans les ailes de l’oiseau noir qu’on imagine enfui.Valberg, juillet 2018.
ROSELYNE SIBILLE
Un pont sur le torrent
arcboutéJe suis
immobile
bulles et tourbillons
matière vive de la fluiditéSur le versant
un bruissement
roulis de cailloux
choc matÉclair brun entre les troncs
un chevreuil
a sauté
là
aussi étonné que moiSon regard d’éternité
un instantJe suis restée
immobile
inspirant
sauvage
sa liberté
sa lumière
RENCONTRES, ENCORE…
DOMINIQUE SORRENTE, L’advenue.
Au commencement est le silence de l’épaule
et l’ombre du cou plane sur elle.
Puis vient le sein à la fleur d’amandier pour y boire
et le creux du nombril pour y dormir.Au commencement est la hanche
qui sait faire balancer les regards
et encore le genou
au rêve danseur, et la plante du pied docile
pour éprouver les massages du temps.Puis un sourire invente les lèvres
à peine ouvertes, et la courbure du dos,
vêtue d’onguents et d’aromates, s’allonge
contre la terre ferme, et les mains
se nouent lentement
devant le pli obscur du sexe.Et la nuit diamantine
descend en signe de promesse
tout au bord
du premier corps de l’aimée,
quand le commencement
à peine
se retire.Extrait de Poèmes des Occasions gagnées (inédit).
JEAN PALOMBA, Ballade alerte rouge.
Je ne veux pas que mon regard possède,
dit la voix.
C’est la radio dans la voiture.
J’ai fait les courses.
Je ne passe pas par le centre-ville
à cause du marché.
Ni par la rocade à cause du rush des vacances.
Je fais un détour par B.
pour me retrouver sur la route de F.
(Elle mène aussi chez moi).Il y a sur le bord un radar de zone.
Il se peut que son regard possède,
je me dis
en lorgnant vers son gros œil serti dans le métal.
La route est en fusion.
Le regard se brouille
dans le désert noir de goudron,
je circule sans hâte.
Je laisse mes yeux frôler le paysage.
Sur la droite, des horizons de tournesols,
d’herbes coupées, déjà roussies.C’est alors que mon regard possède,
avale un amas de couleurs,
monticule d’étoffes sur tapis vert jaune enluminé de soleil.
Je poursuis ma route ou peut-être que c’est elle,
la route, qui me poursuit ?La radio diffuse une chanson :
La Complainte de mon imagination.
Je ne veux pas que mon regard possède
mais c’est lui qui est possédé
par ce petit tas coloré entr’aperçu à la lisière du pré coupé.
Lire des choses qui n’ont pas été écrites, grésille la radio.J’ai fait demi-tour.
Qu’est-ce qui n’était pas écrit que j’ai lu,
sans pouvoir tourner la page ?
Mes jambes traversent la route brûlante,
franchissent avec difficulté la ravine au bord du pré incandescent.
J’approche, la mort en tête.
J’ai encore l’espoir d’un mirage, un vrai.
J’arrive, là, tout près.Sa silhouette est rétractée sous le soleil
et sur l’étendue d’herbes.
La tête tombée du sac,
Je vois son profil.
Visage rougi, perlé.
Le corps, le crâne : ils gisent,
sous le haut, le grave, le plein cagnard.
J’écoute, perçois le faible roulis d’une respiration.
Monsieur, Monsieur... que je m’entends dire,
(la complainte de son imagination ?)...
Il bouge pas.
Je touche son flanc.Sursaut. Réveil.
La peur, la surprise et l’écarquillement.
Paupières ouvertes sur le bleu
des yeux presque transparents.
Il a mon âge vieilli par la route.
- Ça va ?
- Ça va.
La voix est basse, douce incroyablement avec un accent.
(Europe centrale, Balkans..., tu connais rien à rien, souffle mon imagination)
- Sûr ?
- Oui, ça va. Sûr.
Son calme me calme.
Où est-ce qu’on flotte ?Envoi (en forme de demandes qui n’ont pas été écrites)
Je lui dis qu’il vaut mieux pas rester à dormir au soleil en pleine canicule. Il acquiesce. Je lui demande où il va. Montélimar. Je lui demande s’il veut que je l’amène quelque part, s’il veut un peu d’argent. Non. Je lui dis : sûr, vraiment... il me dit avec une douceur sidérante, oui ça ira. Je vais pour caleter, finalement il me dit qu’un peu d’eau ferait l’affaire. Je viens de faire des courses, le coffiot est plein de victuailles pour l’anniv de ma belle sœur, lundi. Je lui demande si le jus d’un fruit ferait l’affaire. Cela lui convient. Je passe le fossé comme je peux, vais à la voiture et lui dégote du multifruits, un litre à peu près frais. Je lui touche la main, il me remercie. Quand je redémarre, assis, le goulot proche des lèvres, il me salue depuis son côté du chemin.
Putain, j’ai l’impression d’avoir abandonné une espèce d’ange sur la route.Arles, le 18 juillet 2018.
IAN MONK, Apparemment.
Apparemment on s’aime un peu pas du tout peu importe
Apparemment il ne se passe que dalle à la téloche ce soir
Apparemment il faut mettre les vieux à la cave au frais ce matin
Apparemment il y a du vindigo maintenant ainsi on peut maintenant boire
Apparemment bleu blanc rouge puis ça va virer le rosé du marché tant mieux car il
Apparemment fait plus pédé que ça tu meurs non mais ridicule
Apparemment les gros ne prennent pas assez d’aspirine tous les jours
Apparemment j’en suis allergique vue la couleur bordeaux de ma peau
Apparemment l’adrénaline te nique le cerveau après une crise cardiaque
Apparemment sans adrénaline tu crèves suite à une crise cardiaque
Apparemment en gros tu as le choix : légume ou macchabée ?
Apparemment les vieux stockés à la cave s’agitent on les entend râler
Apparemment ces futurs légumes ou macchabés ne sont pas contents
Apparemment ils n’ont toujours pas compris que c’est moi qui paie leur retraite
Apparemment la clim fait monter la température globale plus qu’elle ne la fait baisser chez toi
Apparemment certains rappeurs sont encore plus cons que leurs textes
Apparemment les pilotes d’hélicoptère russes sont souvent plus pétés que moi
Apparemment les ‘gay games’ à Paris sont ouverts à tous sans preuve de ses penchants
Apparemment on met plus que trois heures entre Lyon et Orange ce matin hahaha !
Apparemment c’est la 28e nuit des étoiles – il n’y en avait pas avant ?
Apparemment l’Italie vire vraiment plus con qu’une botte en croco
Apparemment l’Angleterre vire vraiment plus con qu’un rosbif cramé
Apparemment alors que les fidèles se retrouvent à Lourdes on révèle aux USA qu’
Apparemment 300 prêtres organisaient un cercle de pédophiles qui parmi autre chose
Apparemment publiaient des photos de garçons faisant semblant d’être Jésus crucifié puis
Apparemment par la suite on aidait certains de ces prêtres à trouver un boulot à Disneyworld
Apparemment il y a un lac d’eau sous la glace recouvrant le pôle nord de Mars
Apparemment une nuit sans sommeil vous rend plus gros et moins musclé
Apparemment le mouvement pour démontrer que la terre est plate reprend du poil de la bête
Apparemment la sitelle à tête brune n’est éteinte (mais presque)
Apparemment on est en train de produire des repas entiers qui restent frais pendant trois ans
Apparemment on est en train de faire pousser du blé entièrement en six semaines
Apparemment plus on vieillit le monde reste toujours plus bizarre que ça tu meurs et puis
Apparemment on ne s’aime plus trop plus autant que ça plus du tout enfin
IV
VISAGES DU PASSÉ
MARILYNE BERTONCINI
Voici venir des îles
flottant au large des rêves
mon fiancé d’étoiles
mon amant de la nuitTa voix de fourrure
de violette mûre
et la piqûre des abeilles
sous le miel des souvenirs
DIANE RÉGIMBALD, Nudité de l’absence (le nord du poème).
Je dirai ma nuit nue
depuis ta disparition
tes yeux ressurgissent
ouverts à la lumière
happée à ton dernier souffle
revoir ainsi la
vie
avant la fin
de toi&
De ma langue se manifeste
le trouble noir des mots
qui révèlent
l’angle du feu
yeux encore
dirigés
vers la lumière lue
du temps à refaire dirais-tu&
De ce qui s’écrit seul le poème m’enseigne à faire
les gestes des mots – pénètre mes organes
relève le silence – des doigts des doigts –
prolonge toute figure – unis dans la main
tenue à la tienne&
La pluie sur le toit s’essouffle – je plonge
dans l’eau – me vois liée à elle et aux rayons
tout est là – je glisse
j’apparais de l’absence&
Le jour annonce un ciel venteux – craindre le pire
craindre le meilleur – ne pas savoir là le monde
la mémoire en pièces yeux penchés sur l’attente
voilà apparaît comme un rendez-vous miroir
une amie de longue date
voilà s’offre à moi je l’accueille – la fête se produit
le jour trouve sa lumière et tu marches sur l’horizon
vêts ciel montagne et histoire
contenue dans le vent – pousse le nord à franchir
ses murs de glace – reviens
JEAN-FRANCOIS MATHE
Soudain m’effraient tes songes
que seul voit le regard
de tes beaux yeux fermés.Tu permets que je longe
(mais c’est déjà trop tard)
ce pays enferméoù l’ombre se prolonge
plus qu’à colin-maillard
et jusqu’à t’effacer.Tu dors ? C’est un mensonge,
ton sommeil n’est qu’un fard
sur de la mort posé.
HÉLÈNE SANGUINETTI, « Nuit du 11 ».
Nuit d’août
sauvage et douce avec grillons
fête Celle l’aimée disparue matin de mars
Couchés regardent
depuis l’herbe
à leur façonSauvage étoile file hors des yeux
on crie !
Une autre ! pour Apollonie qui fut fille, mère,
veuve, Frappée de sang
et qui sourit douce de profil avec ses yeux
de paix, longs doigts posés sur sa jupe
là-hautNuit du 11
Apparaître et Disparaître sont dans le ciel
Lune avalée pour que Brillantes
Brillent mieux (peut-être)Mars dérape
et glisse
à l’autre bout
de la carte, tout éraflé, saignant
frôle croupe de Chèvre endormie frissonne,
si loin que silence tombe jusqu’aux pieds
et le Muet
si loin et seul revient : que veut-il
le fourbe, sabot planté ?Apparaître et Disparaître sont
en haut d’un mât,
en haut d’une colline blanche,
en haut d’un toit de ville blanche
en haut d’un cœur fille atteint de nuitCiel ! quelle pluie soudaine il tonne sur le rebord
de la fenêtre foudre fait éclater tête et maison
quelle chaleur d’un coup pour ces deux,
et puis d’un coup quel froid,
Misère en autre monde s’agrippe au grillageMorveux, Rapiécés, branlants.
Tous là malgré décombres, incendies, déluges,
Tenir tient bon tenir
de si petites mains en gobelet, force de bœufFourmi par terre va droit
Vent pousse rideau hors du temps !
C’est apparu
la nuit de Celle douce
disparue aube de mars sans pleurer
CHRISTIAN DEGOUTTE
(trois martinets)
trois martinets dans le soir – buveurs de jazz
celle qui dort au plus profond des photos
comment toucher sa peau durcie de nageuse
dans la glauque transparence des années
traversées – saisir sa taille ruisselante –
hisser contre soi ses paroles essoufflées
son cœur inquiet de voyageuse perdue
parmi les vivants – cousus dans leur imagetrois martinets dans le soir – buveurs de jazz
MARC-HENRI ARFEUX
Et te voilà, sans nul des mots
Qu’ont déposés les hommes
Sur les parois des vases et des maisons.Te voilà seul,
Ainsi que le vent pur
Entre les pierres,
Là où la nuit
Devient une aube,En cet ailleurs sans paysage
Où tremble comme une herbe
Etoilée par le vide,
Le lent pressentiment d’un horizon.Et toi,
Simple rameau de lampe,
Tu te confonds avec le fleurissement de l’air,
Entre blancheur
Et bleu de l’invisible.
JAMES SACRÉ, Paradis, les mots qu’on écrit.
C’est toute la vie passée qui est apparue. Ça continue.
Mais dans un présent désormais blessé parce qu’un jour on a su
Que tout disparaît.Parfois des poèmes ont cru voir briller leurs mots
À cause de moments qu’on a pensé voir s’ouvrir
En paradis :Les couleurs d’un plafond peint soudain
Comme un grenadier fleuri et l’orge d’un été marocain,
Un pied de chicorée sauvage pas loin du Rio Grande,
Le cheval qui boit longuement, c’est le soir, à la ferme de Cougou.Ainsi dans le présent du poème
Comme une apparition seconde
De ce passé qui s’en va, on le voit qui s’en va.Le poème aussi va s’en aller, déjà
On ne sait plus ce qu’il a dit, on entend
Que disparaître c’est vivre
Autant que mourir.Peut-être qu’on pourra sans regret quitter
Ces moments de paradis, les mots qu’on écrit
JEANINE SALESSE, Vendredi 13.
Encore une fois
Il sort du calendrier bombant le torse
Comme un clou dans le plancher.
Très ordinaire ?
Je n’effacerai pas ce jour :
Celui de janvier
Où ma mère perdit pied dans l’hiver
Par tout son souffle fauché.
La machine fatiguait à remonter
L’air dans les poumons, pauvres
Oiseaux.Entre les deux fenêtres
L’été passe avec des nuages
Qu’on voit à gauche et le noyer qui s’étale
À droite comme une grosse dinde aux œufs verts.
Tacheront les doigts, les noix.
Pas tant que la mémoire qui tire encore le charreton
Où l’herbe pour les lapins
Couve les fruits à l’écale dure.
La Beauce
Orgères Patay La Connie mystérieuse
En plus des chevauchées de la Jeanne d’Arc
Chère aux leçons d’histoire
A détenu les restes
D’un grand-père inconnu.
Aucune épitaphe :
La terre a mangé les os. Mémoire
Noyée sous les jamais dits.
Un pendu !
Dans sa forge peut-être car il était
Maréchal-ferrant.
L’œil globuleux d’un cheval
Le fixe en moi, médusée, cet homme dont ne parlait pas
Ma grand-mère mal remariée à un autre
Boit-sans-soif.
N’insultait pas ses époux
Qui la firent veuve et montrée du doigt.Elle, fleur vivace ressurgie
Au sein de ses campanules ne cesse de déborder sur ma vie.
Après chaque désastre elle crie :Dépends le mort et vis !
SOPHIE DESSEIGNE
L’âme serpente dans les rues
elle suit les filets d’eau qui ruissellent
le long des trottoirs
elle se frotte à la mousse qui épouse
le bas des murs
elle s’imprègne de l’histoire des pierres
au plus profond de leur mémoire
dans cette nécropole au maquillage de façade
les morts-vivants accomplissent leurs tâches quotidiennes
toi tu marches dans les mots de ton père
ou tu tiens, désemparée, la main de ta mère
l’âme remarque un portail blanc
une maison dont les fenêtres plongent sur la vallée
au balcon de vent se tient une autre âme
venez, chère âme, boire le thé et parler
à livre ouvert
de choses nouvelles et anciennes.
SYLVIE DURBEC, Carré 81.
D’abord voix rauques des sirènes qui éraillent le tympan de la petite ulysse puis un zézaiement venu de plus profond encore ce passage si court dans les récits où abonde violence et rôde omniprésente la catastrophe où chantent les oiselles mortelles soleil revenu après tempête je m’assois au seuil de la maison à remplir mon carré comme d’autres leur tombe je repense à ce carnet rempli jour après jour de ce qui faisait la vie de celle à qui il appartenait listes de courses de choses faites et à faire de rendez-vous médicaux d’obligations de toute sorte menus quotidiens coûts des achats divers autant de listes que de jours pas de pause dans le cours de l’année 1932 pour cette inconnue à qui on avait offert l’almanach félix pottin et qu’elle avait consciencieusement rempli comme sans doute l’année précédente et la suivante la petite ulysse s’en fichait bien de tout ça et pourtant chaque jour était rempli d’actions guerrières maritimes amoureuses ne s’arrêtant guère même quand ses compagnons réclamaient une halte qui trop de fois si elle la leur accordait virait au cauchemar sachant combien tout ritorno in patria douloureusement s’accomplit Mais savons-nous où se trouve exactement notre patrie est-ce la petite qui ordonna ensuite le massacre ou pénélope qui le lui souffla étonnante violence que le conte exalte et dont le lecteur se sent vivement impressionné lui qui ose croire encore même mort à un peu d’espoir et de paix comme lorsque le soleil vif enfin y fait briller l’herbe après la pluie et innerve de vert le carré
(5 mai, sebald)
V
APPARAÎTRE, TOUT UN ART…
SABINE PÉGLION
Le ressac t’a portée
au-delà des rochers
Parfum de sel au sable
entrelacéPlonger au plus profond
de la toile
S’en aller vers cette aube
à la brisure des motsLà dans l’obscurité des failles
là où s’enlacent
les mailles d’un filet
rassembler ces étincelles
surgies du fond des astres
parmi les algues déposées
et sur la vague neuve
du jour savoir
les déployerDans le cœur de la nuit
sous le poids
des souvenirs enfouis
la falaise se tord
s’effriteLes laisser en poussière
se fondre entre les arches
là où la mer attache
sans relâche
l’eau à la terreDescendre
par le chemin de craiecrissent ses pas aux crêtes
des cristaux déposés
Blêmes lueurs
à l’horizon perdu
Sillages lacérés
de l’enfance où la barque
dérive se suspendVoir le vert se confondre
et se mêler à l’ombre
Guetter au loin
ce que le jour devientDescendre vers la mer
nulle trace dépose
devant elle grain à grain
le sablier du temps
Dans la douceur des vagues
elle déploie la soie froissée
de l’aube au creux des algues
pluie d’étoiles dispersées
si profond que la main
hésite à s’en saisir
juste s’en éclaircirQu’importe si la courbe
des ronces ici s’obstine
à écorcher le ciel
Va où la pierre se brise
se couvre d’étincelles
Tu verras
dans l’indigo obscur
échancrure de la nuit
un espace
libre de vent et d’écumeS’il fallait à présent
se fondre
dans cette ombre
plonger au plus profond
sphère flottante
où gît
la ligne brûlante
d’un temps insaisissable …
Tu trébuches poursuis
Tes pas acceptent sur
le sable la fuite le silenceUne fenêtre s’est ouverte
Peut-être était-ce avant
Avant la nuit
avant de clore les voletsinterroger le jour
surprendre les dernières lueurs
saisir les premières couleursTerme ou départ qu’importe
s’il nous reste
la clarté du bleuEn hommage à Bang Hai Ja.
MICHÈLE FINK, Apparition musicale.
(À l’écoute de Tres Cantos de Gualtiero Dazzi, sur un thème de Roberto Juarroz)
« Mientras duermes
Tu mano me trasmite imprevistamente una caricia.
Y quisiera irme contigo
Al lugar donde nacio esa caricia. »
« Pendant ton sommeil
Ta main m’a transmis une caresse imprévue.
J’aimerais m’en aller avec toi
À l’endroit où naît cette caresse. »Opéra intérieur cosmique galactique :
Voyager avec l’autre au lieu nu obscur
Où est née la caresse imprévue qu’il donne en dormant.
Spirale de caresse dans la nuit du monde. Donnée
Songée. Donnée saignée par la voix de femme.
Mystique de la caresse dans l’infini astral.
Sons sang et songe coulent de la harpe
Stellaire qui tremble jusqu’aux racines.
Constellations translucides de la harpe unissent voix
Au quatuor à cordes. Mais chacun est seul
Dans le noir du corps. Seul.
Caresse la plus douce donnée en dormant
N’est-elle pas caresse de la musique à la poésie
Ou de la poésie à la musique ?
Ne se caressent –elles pas en dormant
Somnambules qui se frôlent et boivent
Leurs yeux sonores jusqu’à la lie ?
Caresse de la poésie et de la musique
Est toujours caresse en signe d’adieu.
Par ceux qui savent. Harpe voix quatuor
À cordes savent. Âpres. Chantent sur le fil
Outrenoir de l’adieu. Haut lyrisme ultime :
Faire chatoyer la caresse et l’adieu.
Lieu où est née la caresse :
Nicht mehr bewohnbar. Inhabitable désormais.
Harpe voix et quatuor saignent pour nous tous.
Singbarer Rest. Reste chantable. Tranchant.- Mais Gualtiero caresse donnée en signe
D’adieu n’est-elle pas l’apparition la plus intense ?Gualtiero Dazzi est un compositeur italien contemporain. Le poème de Roberto Juarroz est extrait de la Huitième poésie verticale.
SYLVIE-E. SALICETI
And I say Hello Satan
I believe it’s time to go
Me and the Devil
Walking side by side
Robert JohnsonJe le vois apparaître le diable
Me and the devil
nous marchons côte à côte
il m’escorte le long d’un sillon ancien et profond dans le désert
ici où jadis coulait le fleuvele diable muet comme le roc et l’homme mort
le diable fait jaillir le vin de ses montagnes d’ébène
le diable mon serviteur me sert à boire
de sa bouche de ténèbres il m’abreuve d’une autre lumière
alors j’invente le rythme de la tristesse et de la force
j’invente le blues en chantant d’une voix éraillée
je frappe avec mes mains noires qui brûlent la blancheur du coton
je chante comme un dieu ou un animalMoi le nègre, je deviens la poussière du jour qui contient les étoiles : me voilà l’homme hors du temps, à la fois vainqueur et vaincu, poète et tyran, avec mes joies et mes chaînes dessinées au front de l’esclave splendide ― mon fleuve est si vieux qu’à lui seul il contient le bien et le mal.
Je suis le nègre qui parle de l’or.
*
Tout commence par une apparition.
Par un soir sans étoiles à Clarksdale un adolescent sans père, jeune musicien perdu à la croisée des chemins, s’endort.Il dort quand soudain le frémissement d’une ombre au-dessus de sa tête, le réveille ; une silhouette immense avec un chapeau.
Tétanisé, il ne parvient pas à dévisager cette apparition.
Silencieuse, l’apparition se penche, saisit sa guitare, l’accorde, et au cœur de la nuit joue quelques notes fiévreuses, irréelles.
Puis elle lui rend son instrument.
Pour finir, l’ombre s’enfuit sans un mot, disparue aussi mystérieusement qu’elle est apparue, évanouie dans les brumes du Mississippi.
Me and the devil : des mains noires viennent de donner naissance à la première musique afro-américaine, fondatrice d’autres musiques à venir.
Cette apparition dira plus tard Robert Johnson ― un père du Delta blues ― cette apparition fut le diable en personne. Il prétendra que l’art du blues est né d’un pacte passé avec le démon cette nuit où il troqua son âme pour gagner sa virtuosité.
*
Il se peut qu’une vie entière ne suffise pas à briser les chaînes invisibles.
À Memphis, à Saint Louis, partout sur la terre des solitudes et des étoiles mortes ― chaque soir un enfant du blues joue seul dans les rues jusqu’au bout de la nuit, il appelle les forces maléfiques, rejoignant par ce voyage mental l’histoire de ses ancêtres dont l’essentielle liberté jadis se gagna dans les allées de coton, en dansant au rythme des percussions de bambou, ne rêvant que de s’enfuir malgré les entraves qui battaient leurs pieds.
Pour ce descendant d’esclave, chanter ouvre la prison.
Chanter accomplit le dénouement impossible : casser les barreaux et rentrer chez soi.Ce joueur de blues inconnu, on le croise à l’angle des deux avenues qui joue sur les cordes de fortune d’une blues cigar box bricolée avec une boîte de bois vide, un manche à balai et trois ficelles arrachées d’une moustiquaire, cordes sur lesquelles il glisse un bottleneck au son métallique, d’une voix endolorie par des siècles de labeur puis bercée sur un rocking-chair, enfin brûlée au crépuscule.
Sa voix rocailleuse détient le pouvoir d’accomplir la traversée du temps de l’esclavage ; le voilà tapant les coups de pioche en rythme dans le champ des négriers, pliant le dos sous le zénith le long de la rivière à la sourde cadence ; là les planteurs aux mains d’ombre et de soleil caressent les femmes esclaves ruisselantes dans cet instant de trêve où elles coiffent leurs cheveux avec des peignes d’étoiles devant les minuscules miroirs perlés de leur sueur.
*
Le nègre parle de liberté comme l’assoiffé parle de l’eau, mû par quel mirage ?
Il cherche le fleuve d’or, là où scintille la boue sous le couchant.Barrettali, août 2018. Extrait de « Le nègre parle de l’or » (Naissance du blues).
LUCE GUILBAUD, La peinture traverse.
À San Marco les murs se rapprochent
le silence est posé sur l’ombre
des pas dans l’escalier les couloirs
désir de voir
une scène est là
que je ne peux toucher
on regarde pour voir et le mur avance
bruit d’ailes formes émergées
c’est le ciel qui envahit
si la peinture traverse
la cellule s’agrandit et s’éclaire
conscience de voir si proche
le blanc d’une aile
pour l’Annonce bleue et or
dans l’espace illimité du cadre
la peinture est venue
la peinture traverseon apprend le regard au milieu de l’absence
lignes couleurs et sens jusqu’à l’aveuglement
de leur apparition.
VI
LA VENUE DU POÈME
LOUIS DUBOST
Un premier silence
s’installe entre
le monde et moi
la voie se rétrécit
la voix s’essouffle
la nuit tout autouraprès la première mort
il n’y en a pas d’autre (*)sitôt que
j’y pense
c’est fini
je cesse de
me défendre contre
le bruit du mondeje n’ai plus
peur de la nuit
je porte en moi
toute la nuit
dont j’ai besoinpour le mot juste
d’un poème
qui sait
se taire.(*) Dylan Thomas
ISABELLE ALENTOUR, Comme une aspérité.
Ça ne peut venir que comme une aspérité, immensité après immensité
ré-enchaîner les syllabes
quelque chose de dire
quelque chose d’indocileLes choses ne reprennent pas facilement leur place
ça cogne aux extrémités, ça plie aux genoux
ça n’annule pas
ça envahitÉcrire ne doit pas seulement écrire
non, cela ne suffit pasIl faudrait faire pivoter les mots
qu’ils cambrent leur axe vers un ailleurs
du sable noir jusqu’à la frange de l’écumeTenter d’approcher la nuit pour exténuer la nuit.
On n’écrit pas à l’avance
Ce n’est pas comme mettre la clé dans la serrure et rentrer chez soi
Il n’y a plus de chez soi, tout brûle entre les mainsNe me laissez pas seule
Je ne sais pas qui vous êtes mais restez avec mes yeux cette nuit, je ne veux pas finir violée dans un cauchemarJ’écris, vous lisez, les lettres s’écrasent sur le plancher mais toutes les portes restent fermées.
Cela n’ouvre rien d’écrire.
Dites-le encore une fois : Rien d’écrire.Je ne sais pas qui vous êtes.
Mais je vous écris.
Extrait de « Ainsi ne tombe pas la nuit », inédit.
SYLVIE FABRE G., L’arc-en-ciel.
À l’abri d’un temps qui borde l’oubli, j’esquisse pour toi l’espace du sensible, envers et endroit d’une même attente où brûlent les choses vécues, toujours à naître.
Ciel de vertige, m’as-tu dit, et de passage, oui. Rappelle-toi ce jour en juillet sur l’autoroute, le sillon imprévisible qui fuyait derrière nous, et devant, indéfiniment. Eclairs sur nos lèvres, les mots saignaient. J’essayais de te dire le bleu que l’orage déjà touchait. Tu as retourné la parole, inscrit un mot dans un regard : arc-en-ciel. Et j’ai vu sur l’atelier du soir l’arche offerte à notre inconnaissance.
Sait-on jamais ce qu’est la lumière, cette étrangère liant ses gerbes jour et nuit dans la langue originelle. Surgissant tel un territoire où délestés de vent, de nuages, les mots espèrent l’apparition. Et nous, par eux, apprenant l’apparition ? Souviens-toi, elle irisait la plaine sous l’orage, le fleuve et nos voix, le grand vol des oiseaux. Arc-en-ciel, une même levée de syllabes pour baigner le Tout frissonnant sous les paupières du poème. L’accueil natif à la vie, au langage, renouvelait en nous sa promesse, nous l’éprouvions dans la royauté de cette lumière qui ne nous appartenait que dans l’intervalle : de l’ici au maintenant.
Petite chose, me diras-tu, que ce souvenir, balance entre notre regard et le monde, entre les mots et les cœurs, l’instant et l’éternité mais il nous rend un paysage, inaugural, une traversée et sa mémoire ininterrompue.
CLAUDINE BOHI, Des bulles dans la neige.
voici que vient la neige
dans sa grande solitudece qui s’apaise
prend forme
d’ouverturele blanc recule
vers sa propre lumièreles mots
sont des bulles
dans la neigeune à une éclatées
et venues de si loin
pour habiter le signearracher le silence
à son obscuritéles mots
creusant le blancrecommençant la chair
habitant
déployant
son domainela neige se déplie
comme un éventaille jour est à son comble
une trace scintille
dans la poitrinele lent voyage
au chemin s’enroule
s’efface et se perpétuetu ouvres tes yeux larges
vers ce centre au-delà de toi-même
éloigné perdu mais qui t’appartientet c’est toujours en deçà
tu creuses cet espace
en avant de toicet espace loin vers tes rives
cet espace d’où tu viens
qui te protège et te déchirequi t’empêche toujours
et te délivre encore
ISABELLE LÉVESQUE
Plus à perdre qu’une fleur.
Elle a franchi le jour, sa frontière d’étoffe.
Une souple essence en ligne murmure
tout est percé.
À deux voix l’été clôt le ciel.Où tu es nous sommes.
L’ordre, sa révolution.
Les heures sitôt, les nuages silencieux.
L’écriture souffle. Pleuvoir. Sur l’onde,
la fleur vit ses mots (syllabe seule où apparaître).La disparition. Se souvenir :
tenir le cœur minuscule, l’union.
Nommer.
Tout pourrait se perdre
Anthologie « Apparaître », proposée par Florence Saint-Roch
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