Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > L’arbre à parole > Lessives étendues : une anthologie proposée par Roselyne Sibille

Lessives étendues : une anthologie proposée par Roselyne Sibille

dimanche 15 janvier 2017, par Roselyne Sibille

La lessive, une action banale, partagée partout dans le monde (au fait comment font les peuples arctiques ?)

Les lessives étendues, toujours différentes, modulent à l’infini un quotidien commun aux humains. Les observer éveille notre regard amusé et révèle le labeur des femmes d’autrefois, le soin du linge et la nécessité des gestes utiles.

(Textes et poèmes de 45 auteurs, rassemblés par Roselyne Sibille et publiés ici à peu près dans leur ordre d’arrivée)

(Photos de Constance Hesse-Asplanato et Roselyne Sibille)

« Le linge au vent -et aussi son souvenir- provisoires pétales, enchante nos jours singuliers et collectifs, d’une manière étonnante, un peu « magique », mais sans magie, juste avec nos forces humaines. »
Françoise Delorme

Grand spectacle sur un fil….

Approchez, mesdames et messieurs…
Voici le Théâtre du Grand Vent qui vous propose sa lessive !
Rideau ! Grands draps ouverts sur le spectacle claquent au souffle des rafales !
Vous y trouverez la robe de princesse et ses dentelles amidonnées frissonnant frileusement contre la chemise rouge du garde-chasse ou du bûcheron… Du rêve et de l’amour garantis !
De grandes chaussettes de sept lieues légèrement dépareillées appellent les pantalons de velours à une gigue endiablée ! Mouvement ! Farandoles !
Un pull de jacquard rouge et blanc calme dans ses bras vides une chemisette agitée tout en lorgnant sur le fil d’à côté trois petites culottes timides ! De l’aventure, de l’érotisme !
Dansez torchons, dansez serviettes…..
Vaste pèlerine de sorcière et petits pyjamas des sept nains, il y en aura pour tous les goûts !
Du rire, de l’émotion et quand retombe le rideau, douze mouchoirs trempés de larmes s’agitent au salut final !!!
Bravo !

Renée Doumergue

Ta robe de coton fin est suspendue à la fenêtre
Elle se soulève, voile léger
la lumière blanche coule à travers les volets, cascade sur les carreaux
un ruban blanc tissé de bleu
on entend monter le gargouillis de l’abreuvoir.
Les mufles sombres se pressent contre la fraîcheur de la pierre,
les queues fouettent les mouches, l’air en feu,
les cils battent pour protéger les yeux d’or du troupeau.
Les pins sont coupés de la veille, un parfum de mûres, de résine, de sarriette.
Tu es assise sur les troncs encore pleins de larmes rouges.
Sur tes genoux serrés égratignés de ronces, tu as posé ton livre,
le regard baissé, les doigts lissent des pages où les mots se dissolvent.
Je te prends par la main,
nous traversons le jour trop clair, l’abreuvoir, les volets de bois, la robe de fillette
et tu redeviens qui je suis.

Cécile A. Holdban

MATRIOCHKAS

Miroir, devant toi je me déplie
cherchant l’image de celle que je fus
Il n’y a rien
qu’un reflet d’eau et quelques traces
de pas luisants dans la pluie.

La robe bleue pendue au fil
sur le bois flottent ses volants
vagues vagues. Nuit d’hiver
où l’océan grondait, riait
emplissant mes joues de fillette.

Cécile A. Holdban

Sur les terrasses mutines
roucoulent les filles
Au-dessus le ciel frivole rit
Dansent les murs
Les bassine chantent
arrosent les cheveux qui ondulent
Légers les draps blancs collent
aux corps mouillés quasi nus
Le soleil épie nus les seins indomptés
Le vent dans le linge sec crie
de joie les terrasses dansent
de plaisir les terrasses voluptueuses
sont toujours en haut

Saïd Sayagh
Extrait de Nom ou lumière (Editions Souffles)

Sagesse du vent

Au matin naisse le brûlé du temps ! Il est blanc.
Désordre apparent, couleurs vives ?
Au milieu le vent.
Sur les fils tendus le chagrin nu, pris dans le cercle de nuit :
chaque pièce sèche (unanime),
chaque silence la traverse.
Fibre de lavande, miel de traversée subite,
le parfum l’instant laissés sur l’été : grand air et vivant.
En libre envol le drap couvre l’horizon qui tremble,
rythme sage du vent. Promesse au léger hiver de tenir

et blanc sur neige autrement.

Isabelle Lévesque

En fin de semaine
la valise est pleine
de slips et de chaussettes
des t-shirts quelques chemises
deux serviettes un pyjama
fripés et sales
le corps est poisseux de fatigue et de petites souillures accumulées au fil des jours
ce qu’on vend à des gens qui n’en ont pas besoin
ce qu’on tait pour ne pas faire d’histoire
les fausses promesses d’un air sincère
les désirs sans consistance
les questions sans réponse
un sourire une poignée de main à des amis qui n’en sont pas
et ne pas savoir comment faire autrement
d’avoir un peu menti un peu trahi avoir fait semblant
on se sent avili et sale
le samedi on jette son baluchon dans la machine à laver
et si on pouvait on s’y jetterait aussi
se nettoyer à grandes eaux 30° 1200 tours/mn
passer l’après midi suspendu à un fil
sentir la douceur du soleil le frais du vent
et la bonne odeur de propre

Pierre Rosin

Grand-mère Florine

Ses mains
lignes creusées
toujours actives
linge
sale
frotté brossé
et cette « baille »
remplie de bulles qui chantent

Tu brasses
tu tournes
et tes mains toujours
frottent raclent
nettoient ce linge
ces draps qui dansent sur le fil
entre chaussettes et culottes
ballet du temps

Campagne où le chai enferme ses odeurs de cognac

Mémoire…

Josyane De Jesus-Bergey

Voiles claquant dans le vent, la prairie navigue dans le premier soleil.
Sur la Marie-Céleste, torchons et chemises voyagent dans des cabines séparées.
Au pied du noyer, un canot de sauvetage, le panier à linge,
pourra transporter au sec les vêtements des fantômes menacés par la pluie.

Lucien Suel
d’après une photographie de Josiane Suel
Extrait de La Poussière (Editions Publie.net)

aujourd’hui grand vent
on entend claquer le linge

on pense rien d’autre
juste aux draps qui s’emmêlent

une chaussette est tombée

*

c’est une caresse
ce tant de soleil
sur nos visages
les tomates
la lessive

en une heure
tout est sec
et le linge
et la terre
et les larmes

*

un moment cela tremble
vite dans la serviette de bain
il ne reste qu’un brin de vent
la tempête a survolé le ciel

le linge n’est pas mouillé

Cécile Guivarch

UN MARDI EN AVRIL

Un bonheur naïf est ici
dans la petite sourdine qu’a posée la campagne :
chiens au loin, tourterelles, cheval,
l’air...
quand on rentre le linge seul
au retour de la ville, du travail et du bruit
les pieds dans l’herbe du grand pré
les mains lentes décrochant une à une
des pièces de couleurs
dans la dernière heure du jour
un mardi en avril.

Bernard Bretonnière
Extrait de Ce qu’il faut de patience (Le dé bleu)

Le blanc n’est pas blanc
Plutôt fenêtre ouverte sur le lait
Sur l’infini dimanche dans les jours
Sur la couleur envolée dans la couleur

Sur la jeune conversation qui s’éternise
Entre le blanc et le blanc
A peine répétée vibrante et juste

Pépiée par les invisibles oiseaux d’hiver
Deux draps sèchent sur un fil
Balancent au-dessus de la neige
Leur fraîcheur

Françoise Delorme
Entrevu, extrait de Vies du sel (Æditions l’amble, Suisse)

Le songe de Gabriele

Sur la terrasse
Antonietta suspend son linge
fil du regard
douceur du soleil
odeur de lessive
d’un coup, bercé par le vent
le drap glisse sur le sol
comme le peintre emplit sa toile
s’ouvre la porte du rêve
la femme apparaît nue belle
telle nos désirs les plus secrets

Pierre Rosin

Les draps séchés
au soleil d’automne
détiennent les rires
des enfants qui se sont jetés
dans l’écran blanc
dont on dépliera
les pans de clarté.

Aucune lessive
n’efface leurs visages
que le temps a essorés.

A grand bruit,
le rouleau de l’énigme
dévide les chemins empruntés.

Danièle Corre
Extrait de La parole s’étonne (Editions Aspect)

Le soir
il faudrait tirer le ciel
comme une nappe

le laver le plier
le serrer dans l’armoire
avec son soleil ses oiseaux
ses feuilles de lumière

le garder bien à soi
comme un lac de silence

et quand viendrait le jour
s’en faire un vêtement
pour grandir

Jean-Pierre Siméon
Extrait de A l’aube du buisson (Cheyne)

Matin d’hiver

Nos petits sabots de bois claquaient sur les pavés de la cour. Le soleil n’avait pas encore salué la lune. Elle éclairait nos châles noués à la taille et la porte sombre du lavoir. A l’intérieur ma mère courbée, chargeait le bois qui crépitait sous l’énorme bassine d’eau. Tout n’était qu’ombres sous la lumière jaune de l’unique ampoule pendue au plafond. Les murs pleuraient le temps passé sans chaleur.

La tine métallique posée sur deux chaises, qui se regardaient, attendaient le linge à rincer. Avec ma sœur, nous savions où était notre place. De part et d’autre de la tine, à la limite du territoire de la mère qui tenant avec force une pince en bois, remuait le linge. Pas un mot, seulement le bruit de l’eau frappée par les tissus. L’attente vigilante du moment où tel un maître d’hôtel, juste d’un signe de la tête, ma mère donnait l’ordre à nos mains enfantines de saisir les draps brûlants pour les plonger dans l’eau froide. Le chaud, le froid, nos mains rougissaient et suivaient le rythme soutenu de la baguette soulevant les draps qui ressemblaient à des fantômes perdus dans le brouillard. Quand la fatigue gagnait l’une, l‘autre de son regard soutenu et brillant lui insufflait la flamme d’un courage que nos petits bras saisissaient.

Quand les draps immaculés, pliés, reposaient dans la manne en osier, venait le moment de franchir la porte et de prendre le chemin de la prairie. Les arbres comme des géants tendaient les bras dans la nuit finissante. Perchées sur la pointe de nos pieds, on étirait les grands tissus blancs sur les fils tendus entre eux.

Tout à coup, l’Angélus sonnait au clocher du village. Un genou en terre, les mains jointes et le cœur frissonnant, nous récitions la prière qui ouvrait la porte d’un jour.

Mahé Gérome

Le jour suivant

Prépare le matin pendant que dort le ciel du bocage, au-dessus des hêtres ébouriffés. Dehors encore est petit comme un mouchoir de poche. Laisse entrer dans tes mains les mains précédentes. Les gestes durent, après ceux des mères incalculables, ainsi jusqu’au monde inhabité. Le blanc s’étale alors dans la vapeur du souffle, comme l’hiver en une saison chaude. Les haies s’amenuisent, laissant entrer le chemin vicinal : la prairie voisine se remplit de maisons. Le blanc suinte, s’agrège, coule et saute, poussé par l’effort. Il a l’odeur de la joie, la largeur du travail par la longueur du rire des ombres légères. Sur le fil courent les draps. L’aube, à cette heure, s’éteint comme une lampe molle. Le ciel se déleste et claque. L’ordre tacite du devoir est une injonction à la vie : le matin se déclare. Quelle est donc cette vision. Un linceul ébloui ou un visage simple. Mère, ma mère, laver et blanchir ont tout du premier langage.

Fabrice Farre

Tissus de peau

À l’origine, on marche sur un fil tendu entre nos paysages. D’abord tout ruisselle, la source, les couleurs, le linge qui sèche sur l’herbe. C’est la fête, l’odeur des lavandes est entêtante. Mais avec le temps, les draps qui nous ont couverts et enlacés ensemble cessent de danser dans le vent, en séchant.

Et la mémoire de nos corps dans les tissus, la trace et les couleurs de notre peau, l’odeur propre du bloc de savon, l’été, au lavoir, tout s’échappe là où plus personne n’a accès. Tout est lessivé. Alors nous glissons. Et s’épuise notre jeunesse de soie froissée par les machines.

Lourd, hagard, empesé ou amidonné, chacun se détache du fil. Rien ne nous retient plus. Et tout autour, des tissus de souvenirs discutent avec le vent, avant de se laisser emporter par un soir de mistral qui donne des ailes à la mort des amants.

Mireille Disdero

Drap de lin dans le vent

Drap de lin dans le vent comme une respiration du ciel.
J’aime le contact de la toile entre mes mains, à la fois rêche et lustrée par le passage du temps. Combien de corps rompus par le labeur se sont abandonnés à sa fraîcheur ? Combien de soupirs de détente, de plaisir, a-t-elle recueilli ? Combien d’endormissements a-t-elle abrité ? Combien d’enfants a-t-elle protégé du loup ? Combien de cœurs brisés y ont cherché refuge ? Combien d’amants s’y sont enlacés, déchirés, réconciliés, endormis l’un dans l’autre, éveillés d’un sourire ou d’un effleurement ?
Manipulant l’étoffe je découvre, délicatement brodé sur le pourtour du drap un mince liseré, foncé peut-être à l’époque, presque effacé aujourd’hui. Remonté de mémoire comme une patience muette il rehausse, inlassable, l’éclat opalescent du tissu ondulant. Et j’affectionne cette idée qu’il y a bien longtemps, des mains aimantes et attentionnées se sont appliquées à broder le tissu comme on borde un enfant.

Isabelle Alentour

Lavandière

La lumière claque sur la toile

Le soleil captivé par les écla-
boussures se brise
à chaque retombée du bras

Le drap ouvre un abîme ruisselant de blancheur
au flanc de la rivière

Et tous mes souvenirs me prennent à la gorge
épanchent sur la page où palpite la lampe
leur voix de cendre

en longs plis frissonnants sous le linceul des mots

Marilyne Bertoncini

Sens dessus dessous

Sur des cordes au soleil, sur des étendoirs trop hauts ou près des radiateurs, à la vue de tout le monde, au premier regard intimidé de toi qui découvres, qui entrevois inédites ces lingeries maternelles, ces lignes de dessous chics insoupçonnés.
L’imagination enfantine part en vrille, secoue ta gêne face à maman jamais vue ainsi sous-vêtue. Les amis autour pouffent, escamotent un rire sur l’évocation du corps qui accueille les effets exposés. La petite culotte et le soutien-gorge font autant rougir qu’ils intriguent et excitent. Sens dessus dessous. Comment ne pas imaginer la tension des seins enrobés sous les bonnets, ne pas voir cette poitrine nourricière devenir par la dentelle un sujet sexuel, et comment ne pas lier la rondeur maternelle, où se lovaient jadis tes joues de bébé, à la poitrine naissante de la jeune fille que tu espères. Alors en rire, de peur de trop en découvrir. Il est trop tôt pour le corps, pour en débusquer l’essence, il vaut mieux t’en amuser, décrocher et tendre le soutien-gorge pour en faire un lance-pierres. Innocent garnement, à quelques jets de cailloux du plaisir, il sera bien temps de connaître tes premiers émois, au moment voulu, lorsque ton regard troublé se posera sur l’immaculé des déshabillés.

Christophe Sanchez

Lessive

Notre intimité
Visible au balcon, bercée
Par le léger vent.

Christelle Dumarchat

Le gros caillou

Il est l’heure quand le tambour s’arrête. Il est vraiment l’heure quand le voyant rouge s’éclaire, puis clignote quelques secondes pour laisser le hublot lâcher son clap de fin. La lessive est terminée. Il faut désormais l’étendre. Le linge forme encore un amas compact, une sphère qui a épousé les contours du tambour. Je peux presque le saisir à pleines mains comme on saisirait un gros caillou volcanique, mais je m’aperçois qu’il se dépiaute très vite éjectant chemises, pantalons et chaussettes dans une coulée de lave fraîche et odorante. Notre odeur.

Les vêtements sont réunis dans la corbeille en osier, les pinces à linge jetées par poignées sur le gros caillou reconstitué et nous sortons dans la rue, ma mère et moi, chacune tenant une anse de notre fardeau.
Il est dix heures, un mercredi comme un autre. Les murs sont gris, le village endormi.La corbeille est lourde d’eau et de tissu mélangés, lourde de nous. Nous sommes seules à parcourir la dizaine de mètres qui nous sépare de l’étendoir. Entre la maison voisine et une autre maison de deux étages, est creusée une impasse de béton qui descend légèrement vers une troisième maison encastrée dans les deux autres. C’est ici que le linge sèche, que les linges des trois familles se fréquentent. C’est ici que va s’écouler un temps trop long durant lequel nous étendrons notre intimité sur des fils de fer, un temps que nous passerons mutiques à tremper nos mains dans nos frusques mouillées, à tendre des reproches parfumés à la lavande, à pincer nos humeurs maussades et à sortir du gros caillou dépiauté les grosses culottes de ma mère, mes collants troués, les slips kangourou et les braies de mon paysan de père, mal lavés et encore tachés de sa souillure intime.

Il est dix heures et des flétrissures étendues. J’ai aidé ma mère pour terminer au plus vite sa corvée de la semaine. Je regarde un instant les autres fils de fer sur lesquels pend l’intimité des autres. Les autres, je les trouve très beaux.

Christophe Sanchez

Lessives d’antan

Odeur de savon
bulles irisées des rires
encordés linge pincé
ce peu de soi
que l’on suspend
que l’on surprend

La main reprend
plie détend
cherche un appui
l’ombre s’installe
au pli du temps
claque le vent

A présent s’envolent
silhouettes froissées
des joies et des regrets
étranges farandoles
décor fleuri fané

On frotte on gratte
On dé tâche on attache

Horloge de lin blanc
ajourée dentelée
Fragments de vie
saisis livrés
sous le feuillage
d’un olivier

Image dérobée
des nuits des corps
liés entrelacés
contre la haie s’envole

Se déploient
des mots des gestes
entre les fils du soleil
tu avances

Au paysage de l’enfance
surgissent ces défilés improvisés
le long des prés

Draps en étendards
coiffures en princesses
volent en éclats
lessives en liesses

Déroule dé plie tend
déjà l’oiseau se pose
au fil des souvenirs

Le geste se suspend

Envolée loin
du panier d’osier
lessive emprisonnée

Désormais
on prend on presse on sèche
on pose tambour d’acier
cliquète souffle sonne

Silence … On tourne

Sabine Péglion

blanc bruissement —
____draps à voix cristalline
____ma mère fait chanter
____une neige d’antan à ses pas —
ma-ma-ma un mât !
____il tangue au vent sur un soupir
____sur une mélopée à elle
ah !
____accordage entre les temps
— ce fil tendu son geste ce bras —
____pourquoi monter
____sa voilure de secours ?
____une mer est alliée au ciel —
Urso le chien emmêle sa queue
(le givre taquine son ombre)
____la cour sautille rigole
____laiteux nos dents
____les premiers s’envolent
à nous les soieries de l’hiver !
— ses ouvrages flottants —

Luminitza C. Tigirlas

Chant 3

Comment porter la vie, la supporter, la faire devenir
en la suspendant, toute propre, frémissante et humide
sur les fils de la mémoire ? Je voudrais laver le linge
du temps à mots nus comme la mère lavait son enfance
et la nôtre à mains nues dans le grand bassin du jardin
avant de la rendre aux herbes,au soleil et au vent.

(Je me souviens)

La jeune laveuse du passé qui combattait la peur
en frottant inlassablement le noir était
la même qui en délivrait les dessous de lumière,
ravivant pour nous les couleurs des jours
que je mets au secret dans le poème
avant que leurs fleurs à jamais ne se ferment.

Dans les profondeurs de sa mort et de ma vie,
tout existe, blanchir, frotter, essorer, épingler
les torchons, les draps et les serviettes,
les vêtements et sa voix dansant sur la corde
des vers, cela ressemble, mère soustraite,
à une aventure finie, et autant infinie.
.
Je continue avec et sans elle à porter la lessive
sous le préau de la maison familiale disparue
où sa tête bouleversée a erré jusqu’à la fin.
Entre les oiseaux du toit et les myosotis de l’encre
claquent nos habits du dimanche, robes jaunes,
pantalons courts, blancs chemisettes et gilets.

Lever les bras, les yeux vers le ciel immense,
se hisser sur la pointe des pieds et des mots
pour sentir la fraîcheur du linge éternel,
le défroisser en tirant chacune d’un côté, c’est
une façon de se glisser entre draps et linceul
au gré changeant de nos rires, de mes pleurs.

L’odorante moisson étendue au plein air du temps
nous donnait matière à vivre et à mourir.
La mère en sa jeune énergie, en sa vieille fatigue
n’a pas failli, elle a ramassé et rangé pour moi
les habits passés de l’enfance, je les repasse
au fer chaud de l’amour et brûlant de la séparation.

(Je me souviens)

En moi sa force sonne et résonne, absolu fragile,
comme les phrases que nous nous lancions
par-dessus le fil tendu entre cerisier et pommier.
elles dessinaient avec le linge une mouvante ligne
d’horizon que traversait de l’aurore au crépuscule
la ronde des hirondelles dans l’essor ou le piqué.

Elles nous apprenaient dans la grâce de la verticale
les choses, l’oiseau et les mots. Les enfants aussi
s’évanouissaient dans un cache-cache entre les draps.
La présence des invisibles, leur trace laissée sur la terre
et au ciel, saurai-je en conserver l’inspiration
pour le doux chant, pour l’improbable résurrection ?

Sylvie Fabre G.

Il y a des linges mouillés, ils sont dans le
vent pendus, ainsi tout d’elle est en vrac,
transparent, sorti, tout d’elle flotte, bat,
presque s’envole, tout dans le vent se plie et
se tord, par moments se déploie et pavoise
quand le vent le lisse. C’est bien elle, ça,
simple, dépouillée, offerte.

Philippe Longchamp
Extrait de Des pas de crabe sur du jaune (Cheyne)

Le jour de la lessive

Quand on fait la lessive, c’est toute une affaire. Dans la buanderie, il y a plein de vapeur, les draps trempent dans l’eau bleue du bassin recouvert d’une grosse couverture sur laquelle on verse de la cendre. Il y a une femme qui vient du douar pour aider toute la journée. Elle porte un foulard et marche pieds nus. Elle a des tatouages sur le front.

Chez nous à la ferme en Algérie, quand on faisait la lessive, une fois par mois, c’était toute une affaire. On y pensait depuis la veille. D’abord il avait fallu tout l’après-midi allumer dans la cheminée de la buanderie au garage un grand feu, et c’était nous, les enfants, qui étions chargés de l’alimenter. On pouvait jouer dans le jardin mais il fallait surveiller les grandes bassines d’eau posées sur un trépied. Dès que ça bouillait à petits bouillons, on courait au premier étage chercher Mimi qui aidée de Laziz sortaient les bassines du feu et balançaient l’eau sur les draps de lin qui attendaient dans l’un des deux grands bassins en ciment. Il y avait tout de suite plein de vapeur. Par-dessus le bassin, il fallait disposer une grosse couverture de toile épaisse sur laquelle on mettait de la cendre de bois. On appelait ça « le cendrier ». Je me souviens de l’odeur.
Et ça restait tremper toute la nuit dans cette eau bouillante, jusqu’au lendemain où la fatma viendrait du douar pour aider à manipuler, savonner, battre toute la journée ces tissus alourdis par l’eau. La fatma porte un foulard et marche pieds nus. Elle a des tatouages sur le front. A midi elle mange avec nous.

L’étendage aussi c’était toute une affaire. Une affaire en duo. Une grande personne, un enfant. Chacun des deux tenait le drap par un bout. Surtout ne pas le laisser tomber. On s’éloignait l’un de l’autre et il fallait tordre chacun dans un sens pour faire une grosse corde et l’eau vous aspergeait les pieds, et on riait, et c’était lourd et c’était gai. Après on couchait le drap dans de grandes panières. C’est qu’il y en avait des lits à garnir : celui de la mémé, celui de Mimi, celui des parents, celui du bébé, et nos trois lits d’enfants de huit à douze ans. J’avais oublié tout ça qui pourtant faisait le tissu de nos jours.

Nicole Voltz

Aujourd’hui autrefois
les draps dansent aux fenêtres

draps d’hier vibrants de lumière
draps tendus face à la mer
draps qui battent
pavillon fier

draps ailés
pareils aux voiles des marins
vastes oiseaux du ciel
amarrés aux étoiles

le long des murs
les poulies crissent
les mains font coulisser les cordes
agiles à cueillir au passage
le linge qui leur revient

les cordages se croisent
les voix se hèlent
attentives dans l’air du soir

on échange au balcon
les dernières nouvelles

la fillette aux aguets
compte les caleçons
les jupons de grands-mères
lavés de leurs secrets

et l’enfant imagine

la lessive des grands
cette étrange effusion
qui se joue en alcôve

ailleurs sous d’autres cieux
elle revoit les grands draps
leurs senteurs de montagne

lavande buis mélèze
odeurs de vaches passagères
fraîcheur de l’air

et le torrent
au bas du pré où se rendaient
les lavandières

la lessive aujourd’hui
se fait dans le ronron
de la buanderie et les draps
tout fleuris se défripent au soleil
avec les bleus de chauffe les denims
les cotons délavés
à défaut de dentelles

nulle voix ne vient plus
par-dessus le balcon tendre
une main amie ou prendre
des nouvelles
la lessive
d’ici a perdu ses saveurs
ses rires ses froufrous et son doux
grincement de poulies accroché
aux dérives du soir

la fillette a grandi
les grands draps de l’enfance
ont déserté l’espace
quelques lavoirs encore
chantent dans les hameaux
gardiens des jours perdus
où dialoguent sans fin
les habitants du lieu
grenouilles crapauds têtards

et

enroulés aux herbes folles
quelques dytiques
acrobates silencieux

restent dans la mémoire
fourbus sous le soleil
les grands draps des terrasses
où jouer à colin-maillard
cris rires et jupes cotons et lins
course effrénée

dans les froissements d’ailes

Angèle Paoli

Tous les draps des lits
Passés à la machine
Le même jour
Séchés puis remis le soir même
Pour s’endormir au jardin
Sur un oreiller de plumes d’oiseaux

*

Aux abords du petit village
De pêcheurs à l’étang
Des fils à linge sur le quai
Parallèles aux bateaux
Les draps sèchent au-dessus de l’eau
Le vent claque dans les plis de la nuit
Les cordages et les mâts
Prolongent les étendoirs

Amandine Marembert
Extraits de Les gestes du linge, accompagnés de dessins de Valérie Linder (Edition Esperluète)

Parfois je me dilue dans les eaux de lessive.
Transparente dans le paysage.

Devant la glace c’est tout mon corps qui recule. Je ne me ressemble plus. Détourne les yeux. Cherche un rivage où les poser pour exister.

Enfants rentrent de l’école. Portée heureuse - sautillante. Bouche débordant de fruits, jus sucré au menton.

De leurs griffes de chatons ou des framboisiers du jardin je ne sais ce qui accroche mes jupons.

Je suis mère.
Leur joie vraie de m’étreindre me replace au centre de moi-même.

Estelle Fenzy

le linge sèche près du poêle
dehors
tes chemises tiennent debout
toutes seules

*

avec la dernière lessive
on joue à faire des statues
après ces drôles de fantômes
dégoulinent
dans la maison

Brigitte Baumié

alors
le linge aux fenêtres
fait lever les yeux
des passants
____qui découvrent
d’autres couleurs
____d’autres gestes
___________d’autres nuages

***

jusque là
la fenêtre était nue
et puis elle est venue avec sa tasse de café
sa cigarette
avant
les draps le soleil le vent

***

ce matin et pour quelques heures encore
les nuages
se drapent
s’enrobent
____de vent

***

il a fallu le vent
a-t-elle dit
dans un demi-sourire
pour redonner de la vie
à ce champ
où fleurissent les nuages

Cédric Merland

LESSIVE D ’AUTOMNE

Entre deux vieux pommiers
une lessive un peu folle
mêle son ivresse
au temps patient des fruits

Quelques enfants de mercredi
leurs balles vives légères
sont entrés dans le verger
et chahutent avec le vent

Assise derrière la vitre
il me manque l’odeur du linge
et les voix des petits
mais l’instant parle si tendre
que le crayon sur la page
connaît le poème à écrire

Marie Desmaretz

Jours de lessive

Je parfume mes yeux
Aux souvenirs d’enfance
Jours de lessive à la maison

Le linge dans le baquet
Frotté au savon de Marseille
Allait blanchir dans la grande lessiveuse

Dessous
On attisait le feu en soufflant
Sur les braises

Dans son noué de gaze fine
On ajoutait le bleu aux senteurs d’outre-mer
Puis il fallait rincer, tordre, étendre au grand soleil
Sécher
Dans la chanson du vent

Tant de peine
De gestes oubliés
Douceur
Maman
Grand-mère

Oh comme j’étais sage
Un verre à la main
Une paille à la bouche
Je faisais des bulles que j’envoyais au ciel !

Arlette Bessede

Haikus de la corde à linge

Averse soudaine
sur chaque pince à linge
ma pensée s’arrête

*

D’une gouttelette
pendue à la corde à linge
le couchant d’automne

*

Trouée de ciel bleu
entre le drap et la robe –
rire d’une mouette

*

Première gelée –
dans le trou de la chaussette
un peu de ciel bleu

*

Gelée du matin
sur le balcon au soleil
le linge fume

*

Fête de fin d’année –
sur la corde à linge danse
la chaussette trouée

Lydia Padellec

j’étends mon linge
je ne suis pas lavandière

je mélange les couleurs
ne sais pas les draps blancs

on me dit qu’avant
chez les voisines
la blancheur des draps
en disait beaucoup

me faudrait apprendre
à battre frotter essorer
étendre le linge sur l’herbe

je ne trouve pas le chemin
comment me rendre au lavoir

ne pas être seule

Cécile Guivarch

La Lessive dit

La Lessive dit
Un homme seul
Vit ici

Linge étendu
Linge biscornu

La Lessive dit
Le gel a sévi

La Lessive dit
Il est grand
Il est blanc

La Lessive dit
Il est minimaliste
Dans le choix de ses vêtements

La Lessive dit
La guerre d’Algérie
A jailli

La tache de sang
Sur le maillot
Etendu sur le fil
Près du point d’eau

Je regarde
Autour de moi

Plus personne ne
Lessive, ni n’étend

Leur maman
Avant
Maintenant
Le super-intendant

Je regarde
Loin des hommes
Avec mes étudiants

Loin, le temps des
Lessives suspendues

Marie-Pierre Ulloa

Elle est la dernière à tremper ici,
Dernier lieu où venir mouiller les récits,
D’une époque jadis contée au bord de la rivière.

Elle vient avec des sacs, des balluchons,
Le savon à l’autre main, elle traverse la rue,
Sans regards ni mots, elle s’installe près du caniveau.

Elle aurait repoussé le moderne d’un temps, à ce qu’il se dit,
Laissant aux yeux du bambin un air de comptine, la voisine,
Avec son foulard, à genoux, elle frotte contre la pierre.

En solitude, elle marmonne mécontente,
Des algues vertes par les pieds des mômes remuées, sans savoir,
Que l’eau est au linge des dimanches ou de la petite semaine.

La dernière à terre passant de l’un à l’autre,
De celui pour laver à celui pour rincer,
Vieux monument proche de celui aux morts.

Elle poussera la porte un soir de grand froid,
Et dans les yeux de la petite fille le tableau vivant de la lingère,
De son prénom, Lilise.

Maintenant les voitures prennent place,
Seaux et lavettes baignent peu importe dans lequel,
Tissu de tôle grisé par la lessive des samedis après-midi.

Qu’a-t-elle laissé à la mémoire de nos fontaines ?
un fin filet d’eau glacial, un linceul.

Delphine Chrétien

La petite lessive dit quelque chose de frais
quand elle vole seule sur le fil___fringante
La grande n’existe plus depuis longtemps
quand elle séchait sur l’herbe courte
couchée nue et vraie dans l’herbe sauve
dans ses beaux draps de trousseau blanc

Le mot lavabo s’endimanche quand il se rêve avec
beau linge mis à tremper –collants et petites culottes-
quand il rime avec beau temps
pour dire quelque chose de neuf
de sauf

La petite est peut-être lessive de solitude
veuve neuve souple lisse
La grande était de draps lourds à tordre rincer frapper
(verbes et gestes) frotter retordre tissus raides rêches
buée__ buanderie__ couleuse__ - le bleu du lissu
comme toujours on oublie le nom des choses les couleurs
on ne sait plus si on invente
à qui demander ?

Claire Krähenbühl

Je traverse ma forêt pour aller pendre
la lessive___odeur de terre – de flaques
il y a un petit bois devant ma porte
brouette debout bassin d’eau croupie
et celle qui tombe fraîche en jet qui claque

J’étends la lessive contre le bleu
j’allonge mes bras vers
la corde trop haute où suspendre
le linge à contre ciel___ surprise
la jupe à carreaux d’Henrika
a de l’or à l’ourlet

Qui a dit qu’une robe éclaire
tout le poème ?

Claire Krähenbühl
Tiré de La Bague de Lumni (livre d’artiste avec Gisèle Poncet) - (Editions Samizdat 2015) (épuisé)

Je rentre le linge qui a battu bleu sur le fil, séché dans les vents de l’automne, les bleus de travail, une dernière fois, l’usine ferme. La campagne s’apaise dans le beau couchant du soir, avec les odeurs de terre, de fouillis de feuilles de champignons presque, et les vaches encore, et dans mes bras le tissu épais, bleu, qui fait la tenue de l’ouvrier, avec l’odeur restée dedans, de l’usine, graisses, cambouis, solvants mêlés et les taches encore dans le tissu malgré la lessive, je, dans les couleurs du soir, l’air maintenant immobile, le linge bleu dans les bras, je m’arrête, regarde tout, et les taches, quelque chose peut-être s’ouvre.

Patricia Cottron-Daubigné
Extrait de Croquis démolition (Editions de la Différence)

 ???? Rêves de draps ??????

Etendus face au ciel
les draps des dhobis
rêvent à un autre monde
aux abords de la rivière
où s’alignent d’étranges nuages
tissés de clarté
à même les pierres
chaque jour sans se lasser
ils adressent au soleil
leur message d’espoir

côte à côte
ils échangent dans un souffle
murmures et chuchotements
entendus la nuit dans les maisons
de toute une ville

étourdis d’air et de blancheur
ils laissent partir
secrets et paroles volées
dans la brise du matin
et les coucous koël
s’égosillent en vain
depuis les banyans
épris d’envol et de sagesse
où ils ont
élu domicile
dans l’attente des pluies

Cécile Oumhani

le linge blanc
balance
des caresses
dans le jardin

sauvages
les fraises
et les liserons

l’odeur du sarrau
tissé de chagrin

et la chair molle
des bras
tombant comme cadeau
sur tes nattes
en
désordre

Clara Regy
Extrait de Chair (inédit)

SURSAUTS

I
Fatigués de vivre
Tout net et tout plat
On est parfois tentés
De prendre le large

Le vent est déjà là
Dans les grands arbres

Le linge étendu
Toutes voiles dehors
Claque avec vigueur

La haute mer
Surgit au fond du jardin
On se demande toujours
Comment elle fait
Pour venir jusqu’à nous
Si vite

Son élan ignore nos brisants
L’étagement des briques
Franchi d’un bond
Conjuré d’un souffle

L’insolente
Elle est tout entière dans l’air

Ses sautes d’humeur
Mettent la lessive à sac
Décharges et flibustes
Manœuvres de forbans

Les rafales affolent les toiles
Boursouflent nos espoirs

On est vraiment dans de beaux draps

Impossible de rester plus longtemps
Entre les murs de ce jardin

Devant tant d’urgence
Le seringat on le sent bien
S’efforce de nous retenir
Ses promesses odorantes
Diffusées au plus loin

Sucre contre sel
Entêtement contre fièvre

Un délire joyeux brasse le linge

Comme ces marins pris de calenture
On s’en remet au vent

En hâte on rapièce les voiles
Si contents de ce fil d’or
Dans la trame de nos jours

L’occasion enfin
De mettre nos désirs à flot

Légers à notre tour
Aussi déliés que ces linges battus de vent
On attendait ce prodige
Qui nous descellerait
D’un coup

La corde à linge
Comme un hauban dressé
Et toutes nos peurs évaporées

Dans l’enthousiasme
On donnerait jusqu’à notre chemise
Qui sèche là

II

Pour peu que le vent tombe
Le linge pend
Droit comme un rappel à l’ordre

Nous aurions pu deviner
Que toute cette agitation
Ne nous mènerait
Pas loin

On s’est laissé piéger
Comme ces gros oiseaux naïfs
Leurrés par les cris d’un appelant

Si l’on pouvait s’essorer
D’un battement d’ailes
Ça se saurait

Comment faire dépendre nos vies
De ce seul souffle venu du large

On devrait se faire une raison
Les pulsations de la mer en travail
Nous concernent à peine

Illusions de caboteurs
Qui se rêvent cap-horniers

Le linge à tout prendre
S’en sort mieux que nous

C’est plutôt froissant

Alors le soir venu
Pour la lessive
Comme pour le reste
On décroche

Nos rêves pliés rangés
Capitulation de petit joueur
Porté au reversis

Dans le jardin
L’infusion de vert
Apaise les ardeurs

Sous les grands arbres
Les berces frémissantes
S’immobilisent

La mer s’est retirée
Le seringat rétabli dans ses droits
Donne congé au vent

On se laisse endormir
Nos espoirs devenus flottants
Remis au lendemain

III

Les cordes à linge désœuvrées
Tendues pour rien

La pluie tasse le vent
Ferme le jardin

L’écume blanche du seringat
Gît au sol

Son parfum réduit au silence

Rien à hisser aujourd’hui

Les drisses inutiles
Plombées dans une attente vague

Le jardin soupire de ce mouillage forcé

L’eau dégoutte le long des murs
Tout s’écoule retourne nous dit-on
À la mer lointaine

On peut toujours fermer les yeux
Faire un effort d’imagination

L’air bleu facile
Le seringat vite refleuri
La lessive étendue bien en place

Mais le vent manque à l’appel

Au grenier enfermé comme nous
Le linge défie la poussière

Il se fige

Tandis que par la fenêtre
On regarde le jardin
On se dit c’est l’occasion peut-être
De faire le clair

Comme une lessive intérieure
Frotter brosser détacher
Et laisser s’égoutter

Vérifier ces cordes d’arrimage
Où nos désirs sont suspendus

Une fois assurées les manœuvres courantes
Nous voici prêts à reprendre le fil
De nos lessives ordinaires
De nos émerveillements quotidiens

Au fond du jardin
Des toiles fraîches
S’ébattent gaîment

La mer la haute mer
Avec son vent salin
Est revenue jusqu’à nous

Florence Saint-Roch
Une première version de Sursauts est parue dans Triages (Editions Tarabuste - Juin 2013)

vague murmure
bruit d’eau
doucement lessive

une vie
si on veut
rincée

et la tête tente
de s’essorer

Antoine Emaz
Extrait de Limites - 13.11.2013 - (Editions Tarabuste)

cela rend une eau grise
comme en fin de semaine
quand on passe au savon
la tête le corps le linge
pour repartir
tête baissée propre
dans le sale

Antoine Emaz
Extrait de Limites - 13.11.2013 - (Editions Tarabuste)

Ruelle de Sicile,
Des pinces, des fils.
Madras indiens,
Cotons de rien.
Taffetas de soie,
Velours génois.
Une brise mutine,
En version latine.
Draps et dentelles,
Unis en tarentelle.

Véronique Fond

Ma chemise
Sur la corde à linge
Légère et libérée
De la prison du corps

Abbas Kiarostami
Extrait de Un loup aux aguets

Lessivée

Lessivée la lessive
rincée
trempée jusqu’aux os des fibres
dégoulinante ivre de la sueur du bac
tendue tordue lourde folle et molle

pincée
accrochée
épinglée pendue sur la corde raide

Essorée la lessive
secouée agitée remuée
malmenée par le vent mauvais
clouée à l’étendoir par un soleil plombé

Battue et rebattue
tambour battant
retournée
fatiguée comme une salade la lessive

Épandue
en deuil de toutes ses tâches
écrasée contre elle-même
dépliée
menotté aux montants métalliques
d’un séchoir

Mais quand
la lessive
vidée de sa crasse
à passé la mauvaise passe
elle se saisit soudain de l’air qui respire
et de la chaleur tournante du ciel

Là la lessive se redresse se repasse se débarrasse d’hier
se reprend se détend se remet - fière

Alors
blanchie pliée à quatre épingles
la lessive se fait belle
elle laisse sécher le passé
propre comme un dessous neuf pour un corps nouveau
fin prête à se rhabiller - renouvelée.

Anne Rapp-Lutzernoff

Ecrire autour de ces linges c’est comme un vrai travail de lessive à faire. Forcé d’y revenir à la fin, mais le poème réduit tout à presque rien. Que de petits gestes ; au fond, j’ai jamais fait de lavage en grand. Courtes lessives dans les lavabos d’une école ou à la caserne, bassines qu’on laissait tremper dedans longtemps comme si ça allait se laver tout seul. On finissait par avoir de quoi tendre un fil. des poèmes pas bien conséquents. Qu’est-ce que ma mère aurait arrangé tout ça ! Violence maîtrisée des draps dans le vent, le gros bleu ramassé le bras haut - Aurais-tu peur d’y toucher ? (…)

James Sacré (Extrait de Un baquet de linge)

Une robe pour Charlotte Delbo

"Le froid nous dévêt.
La peau cesse d’être cette enveloppe protectrice [...]
Les poumons claquent dans le vent de glace.
Du linge sur la corde."

Charlotte Delbo / Aucun de nous ne reviendra (Auschwitz et après)

Dans ta robe rouge et légère tu t’habilles
de soie, de peu. Tu marches et tu chantes en dansant.
Tu cours. Tu te jetteras dans l’herbe en riant.
Tu te souviens des mots d’un poème, entier.

La sueur de la mort, et puis celle de la fête,
tu laves à grande eau la robe et l’encre du mot
rouge revient dans aujourd’hui. Et tu l’attaches
avec des pinces à linge dans le vent qui sait

La vérité des hommes : danser avec ta robe
qui sèche pour à nouveau t’entourer de douceur
colore le monde d’une autre couleur que celle
mortelle des peaux équarries, des corps sans mot.

Les mots, dans le vent frais robes et chemises,
nous habillent de peu, de soi. Salis, tués,
déchirés. Tu les raccommodes, tu les rinces
de mémoire et d’oubli, les rapprochant de l’air.

Tu les répètes, tu les tisses, les détisses,
les tisses à nouveau, robe à nouveau dans le vent
claque, ce n’est pas le bruit du fouet. La peur,
peut-on la laver, retrouver l’autre couleur ?

Parmi les pinces des souvenirs et celles des amnésies.

Les cordes ne sont pas toujours faites pour
pendre les hommes pas seulement tordues
pour étendre le linge au jour du soleil.

Parmi les mots rêvés ta robe de vie au vent
propreté qui recommence dans la fraîcheur
du souffle pas toujours
pas tout le temps.

Mais lessive à ramasser.

Je viens t’aider
vite vite
dépêchons-nous
vite vite
avant l’orage.

Françoise Delorme


Bookmark and Share


5 Messages

Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés