20 juin, 17h13 / […] poser une solitude sur une autre solitude, les superposer / les confondre jusqu’à ce qu’elles deviennent / oui un soleil, un soleil intime / […] 30 juin / […] aussi c’est une voie possible, le, les silences veinés ainsi / veinés de salives. / Elever la chair lui faire entendre Ciel, lui faire crier Ciel / […] 22h34 / là pluie un peu, il a plu - il pleut /
/ […] juillet / […]c’est un journal d’extrémités / […] toujours c’est du parce que / […] se rendre / […] par le nous, à un Soleil intime / le 07 juillet, […] / hier j’étais dans un autre là-bas : un lieu au milieu de l’océan, un temps, ai marché, ai marché / j’engrangeais / sur cette île ai marché beaucoup / en long en large et en travers / du Nord au Sud, me suis imprégné de ses criques, de ses chemins, de ses falaises, de sa Lumière / […] / désormais je n’ai plus vraiment besoin de bouger / c’est en corps / c’est enregistré en ce corps / genêts, ajoncs, chèvrefeuilles sauvages, ail monté, les sphères d’ail / la loi belle des herbes et plantes marines, la Lumière / là, ai juste à fermer les yeux et je vois / tout est là à l’intérieur, les sentiers en bordure des plages, les chemins / l’ail sauvage / qu’on trouve et qu’on arrache, un ail doux […] /des vibrations, des choses / / […] des grandes et des petites, une chapelle dans laquelle je clame silence, c’est un lieu, St Amant / un peu plus loin il y a un dolmen, dolmen de La Puare, il est face à l’Océan, il m’arrive d’y entrer, de m’y accroupir / ensuite en longeant la côte on arrive à une veine de quartz / un bloc de quartz énorme, on l’appelle ici / le caillou blanc […] si tu le voyais / […] au sud de l’île / à partir de la Pointe des Corbeaux on peut marcher nu / étreindre Blancheur,
une blancheur où / le où / en marchant c’est possible trouver du rien, le trouver beau / trouver matière à s’émouvoir, à étendre son corps - son âme ainsi dans toujours plus de sensibilité / oui t’écrivais : nous rendre, nous abandonner à Lumière / rencontre après rencontre, trouver Joie pure […]enrouler mots et silence avec la langue / […] 18h49, c’est un chant à […] / des aimantations répétées / là, pluie fine, c’est / grâce / se sentir aimé par une faible pluie venue se poser sur la peau / se sentir aimé par un petit vent comme cet après-midi / sentir signe là et là10 juillet, 07h31 / […] là ni sang, ni souffle ne font de bruit / là suis ainsi les yeux fermés, (j’) entends / s’entendent quelques cris de mouettes […] / sommes de passage n’est-ce-pas amie / alors offrons nous, que ce passage soit à la fois le plus vibrant et le plus doux possible / je sais, ce sont des phrases tellement banales, pourtant nous les rappeler, se les répéter, se les tendre ces ondes-là / se tendre vers la grande Âme / celle qui dehors nous offre Corps / celle qui dedans nous offre Ciel celle qui lie nos salives, nos jus / celle qui aimante / qui aime et hante
12 juillet, 06h42 / […] c’est à ces heures que la Lumière est bonne, qu’il fait bon être. Goûter et la Lumière / et cela, être en elle / la sentir en nous. / […] Hier te l’écrivais cela, nourrir lien, là ces lignes venues :
Ô le socle invisible / ô le Ciel à même le sol, l’effleurant / ô l’aile / de l’Ainsi : là romarin dans un petit matin / matin en lui / ailleurs pavot sur la dune / et de nuit / Lune en lui / là, tout est là chargé de plein d’ailleurs et de plein d’ici / comme lorsque main, une main se pose sur un ventre, ton[…] et qu’elle s’aimante à chair, à une chair /
tout est là dans une présence au M /monde répétée, tout s’habite, tout s’entend dans une forme d’invisibilité / tout se voit, tout s’enseigne jour, le jour […] / à un moment on se lie à une nudité de passage, on tisse conscience / on veille sur un lien […] / un lien si doux qu’on dirait un petit pays en soi / […] tu vois Tout est là dans un /
tout se répète enrichi de rien / […] tout peut s’entendre, cohabiter dans une forme où les contours n’en sont plus vraiment, une forme où ils respirent / où elles respirent les choses comme elles vont / les événements comme ils vont / aimant, s’aimantant, chargés d’une danse cosmique en eux / tout va se répétant, se communiquant un, cet / aller vers
/ […] / 16h27 / c’est corps Cela / […] c’est une lettre à une Âme qui Danse / à la tienne, la mienne dansant / dansantes, hantées de quelque chose en elles / de quelque chose en voie / on ne sait pas quoi vraiment de quoi il s’agit véritablement pourtant on lui donne sa chance à ce quelque chose en nous, des fois qu’il nous apprendrait quelque chose de, d’un / nous, véritable / un nous qui nous amènerait par la petite porte d’un, de deux corps / à cette Âme justement / cette Âme en Ciel, en matière de Ciel, de Vide / en matière de Danse. / Par l’intime entrer en Cela / entrer en douce harmonie avec Tout qui vibre beau et bon, avec ce qui fait sens. Cela, sourire à la Vie. J’écris d’un / notre corps qui est ce jour, c’est une lettre à une jeune Lumière, c’est une lettre à une jeune Lumière en nous /14 juillet, 8h16 / […] me suis levé avec le jour, / là, Lumière
la lumière entière tiendrait dans une pomme / là elle tient dans le romarin, un romarin / […]tu vois encore cette fois j’amorce jour ainsi, en écrivant quoi / en t’écrivant quoi, un peu de lui le romarin / de ce qu’il montre / c’est déjà beaucoup ce qu’il nous montre / la Lumière, les choses / la Lumière qui se tient dans les choses et hors […] / la Lumière entre / et parfois nous y parvenons à entrer dans cet entre […]
/
26 juillet, 9h21 […] / à un moment au plus profond de soi, enfin on commence à regarder ce qu’il y a d’aimanté vraiment, on se dénude de plus en plus souvent, on sait que la nudité est une voie / à un moment au plus profond de soi enfin on sourit à sa chair avec son âme, à son âme avec sa chair, on sourit au Souffle / même on sourit à rien et ses demoiselles d’honneur, parfois à des petites fleurs rouges ou bleues, à des petites fleurs rencontrées / bref, on a moins peur
/ […] un (je) s’entrelace avec quoi / ce 30 juillet, il note : / mieux et plus, te regarderai être / plus en cime de ton être, encore je t’entendrai t’étendre / et ce (je) ajoute : et si tout cela n’avait qu’un seul but / tout faire tenir dans […] / et là il s’interrompt, avant de reprendre : […] / si tout cela pouvait à un moment loger un sourire dans la matière en voie / loger un sourire dans / le parce que / dans le vertige, dans le Vide / ce serait bien, n’est-ce pas / avancer ainsi, en souriant devenir du respirable / du souffle / devenir Souffle /
/ […] parfois il faut être un temps sans lecture autre que celle des heures, des jours / afin d’accueillir quelque chose de rare, il faut de la place, de l’espace en soi pour un livre autre qui s’avance vers vous
Le livre du large et du long. Laura Vazquez. Editions du sous-sol, collection / feuilleton fiction, 2023.
D’emblée je l’ai senti ainsi, en ouvrant et parcourant rapidement Le Livre du large et du long / un vers là, deux lignes là et en exergue les deux citations choisies, (l’une d’Homère : « De ses deux mains, il prit de la cendre poussiéreuse, / Qu’il versa sur sa tête grise en sanglotant très fort. » / l’autre de Monique Wittig : « Il nous faut dans un monde où nous existons que passés sous silence, au propre dans la réalité, au figuré dans les livres, nous faut donc […] êtres nos propres légendes […] devenir héroïques dans la réalité, épiques dans les livres. » ) n’ont fait que confirmer un pressentiment. Là, sommes dans / quelque chose / dans du vibrant, dans de l’appel, un appel : Autrefois, la voix de l’épopée s’adressait aux personnes présentes, assises, elles respiraient, se levaient, écoutaient, toussaient, soupiraient, mais ici la voix sera seule / Rencontrer un livre c’est parfois hisser des solitudes / celles d’une, d’un auteur (e) et d’un lecteur, là, c’est le cas / si on veut entrer dans l’univers particulier de Laura Vazquez. Hisser solitude, l’exposer au Souffle, au feu d’un Souffle en elle, et voir ce qu’il en restera. Je le sens, c’est vers cela qu’elle tend ses pages, cette femme. Avec sa Vie l’écrire le Vivant, le chanter le Vivant / dans sa diversité, tenter de l’unir avec sa propre voix - tenter de l’unir à sa propre voix. Confondre sa petite existence à toutes celles qui l’entourent,
entendre le Monde dans sa chair, souffrir, haïr / entendre le Monde aimer, jouir, et cela par la petite porte d’une âme simple, d’une âme pure. Je la lis et le sens ainsi, Laura Vazquez, écrire pour elle : est-ce à la fois appartenir à la communauté des femmes et des hommes sur cette Terre, quelque soient leurs trajectoires et le raconter / et est-ce aussi l’inscrire cela, dans un monde parallèle où l’invisible a toute sa place, je le crois. Superposer des natures, des plans d’existence, faire corps avec, faire lien. Entrer en contact avec quelque chose autre, par la petite porte de sa propre nudité chercher et parfois trouver un point immuable, une onde mère et nourricière à tout ce qui est et devient / Je vous raconterai ce que j’ai vu et deviné du monde et des signaux qui nous entourent. Des êtres à corps féconds se répandent sur terre, versés dans le grand récipient des formes[…] on pense à une chair ainsi / à une Matière en voie vers plus de conscience, vers plus d’être en elle / et pour ce faire, à des sons, à des mots qui le traduiraient ce lent et long processus, cette transformation jusqu’à atteindre quoi / une Blancheur peut-être… La force et le pouvoir du, d’un Feu en elle, de flammes / d’une lucidité en elles léchant le Mystère. Je vous raconte la brûlure. Les veines humaines jugulaires situées de chaque côté des parties latérales du cou mesurent de 9 à 15 millimètres de diamètre sur une longueur de 12 à 15 centimètres. C’est la taille de certains serpents ou de certaines tiges, celle du ciste pourpre ou de la fougère, de la joubarbe, comme de certaines anguilles, les jeunes, dans le fond, les lacs, dans les viscosités, ou de certaines lianes dans les forêts, [...] Elle va faire ça, Laura Vazquez, brandir une épopée / avec sa peau, nous raconter des histoires, les unir, nous raconter une Histoire :
Elle se séquence en six chapitres : une ouverture et à suivre le premier livre du large et du long, le second, le troisième, le quatrième et le cinquième. Elle va utiliser l’imparfait, pour le conter le vécu d’un corps et d’un autre, le vécu d’un corps dans un autre / Je ne voulais pas avoir de nom, je voulais dire la vie humaine. / Elle ne va pas le cloisonner le Temps, juste elle va être, être avec. Elle va l’incorporer, se laisser habiter. Parfois on le dirait, c’est plus fort qu’elle, le présent d’une Présence, alors elle l’accouche, le couche sur papier :
Parfois je me dis, lorsque j’écris je pèle. Pèle une grande forme circulaire transparente, c’est une goutte sans limite, elle flotte dans mon esprit et j’en pèle des couche / Le mentionner le côté chamanique de cet ouvrage : Nous sommes les êtres sur la terre / […] Pendant les guerres, la terre boit le sang, mais elle ne pense pas à mal. Il ne faut pas lui en vouloir, car elle s’en bat la race à mort. […]
/ aussi elle va l’utiliser le futur parfois pour tenter non pas de le conjurer le sort de la nature humaine, au moins de l’accompagner
Je deviendrai les personnes blessées pour comprendre les personnes blessées. J’aurai toutes sortes de blessures.
Est-ce là un clin d’œil à Pérec, à La disparition / faut-il tout savoir / à un moment, dans le premier Livre du long et du large / elle abandonne parfois le e / parfois dans ses mots il manque, il y a sa trace manquante. Elle écrit :
pour comprendr ainsi, elle l’écrit ainsi : Je n connaissais pas ma taille car je n connaissais ni bien ni mal ni choses ni rien / puis il revient le e / il est possible que les voyelles parfois ont de bonnes raisons de s’absenter, que les voyelles en nous, elles aussi peuvent avoir une vie secrète. Ses aventures, comme elle les nomme, les lui ouvrent grandes « les Portes de la perception » cher à William Blake. Elle voit. Elle boit avec les yeux. Ses incantations lui amènent expériences, apparitions : Je me demandais d’arrêter de prier / Je me disais OK et je me faisais boire / de la lumière fine et chaude / par les cils / […] elle annonce au début de ce livre : Il va falloir me croire /
Pour ma part je la crois, je les vis ces, ses visions, elle invente une vérité / et si tout cela n’est qu’un rêve éveillé, peu importe, elle y trouve en elle une manière de penser autrement, d’aimer autrement. Elle lie des faits avec une marche en elle. Elle apprend le Feu, l’absence de contour du, d’un Feu, elle apprend une Danse, l’absence de contour d’une Danse / elle apprend la Vie, elle se brûle, elle est en mouvement, elle écrit / elle apprend une transe, l’équilibre est possible s’il y a mouvement, s’il y a ressac(s) / Là, il est souffle en elle / elle est au corps-au monde ainsi. Elle donne une bouche au silence.
Est-ce un récit-est-ce un roman / je ne sais pas et probablement elle-même l’ignore / tantôt elle calque son corps sur ceux de quelques autres, sa présence sur celles d’une entité, d’une autre, elle partage bout de chemin avec tel ou tel événement, elle /
Quand j’écris elle / est-ce elle cette narratrice – Quand j’écris elle / elle est cette narratrice / j’abolis une limite / car ce livre demande à notre cœur, à nos sens d’être souple / nous réclame à notre tour d’enjamber nos propres limites / de ne pas nous empêcher d’être / de ne pas nous empêcher de le mâcher le Mystère. Avec tout notre corps d’élargir corps :
Soudain mon enfant pleure je le gifl / Je remets ses larmes dans son visage […] Souvent je suis foll je pense aux animaux du monde / Dans ma pensée un petit morceau de cartilage d’oiseau / dans la bouche d’une personne humaine / Ou le cartilage d’un agneau dans la bouche d’un enfant[…] / Mes ancêtres moururent et me léguèrent une loupe /
elle se noce avec quelque chose en elle : Qu / Quelle est donc cette histoire / Je suis à la recherche des lois de l’univers comm / une idiote / Voulant changer / Je bougeais pour comprendr / […] c’est pourquoi / Par hasard et par gestes / Soudain j’arrive chez le dentiste /[…] Soudain je trempe un pied dans la rivièr / et je me jette / Je vois des scènes car je vis /
Veille en elle, une Onde fidèle, une ombre fidèle. Sa présence va, grandissante… une Onde semble la guider, l’orienter / […] Je comparais mes veines avec les sentiers / les chemins / Je disais au sentier SENTIER mais c’était moi / […]
Lorsqu’on a en soi une telle sensibilité à ce qui vous entoure / écrire, écarter ses rives jusqu’à les faire disparaitre est une nécessité si on ne veut pas se noyer dans un corps qui ne peut plus la contenir. Aussi / ouvrir les mots, les sons / y faire entrer l’Eros / les charger de Ciel, les charger de saillies jusqu’à ce que : Ciel enfante / à un moment jusqu’à ce que Vide advienne : Imagine un cheval jeune et blanc / maigre si blanc / qu’on ne plus le voir / c’est un poulain / il se confond avec une lumière / si maigre qu’il fait partie de tout suivi d’un […]Je suis si maigr je fais partie de la science / Je suis si maigr je fais partie d’une tige / Je fonds dans la prairie la plaine[…]
Le Vide dans ce qui se perçoit / Le, ce qui se perçoit dans le Vide / à un moment juste cela : être là sur le bord / sur le bord de quoi
une présence au monde de plus en plus aigüe. Noircir, noircir du papier / écrire des textes pour la conter cette présence forte tout en lui offrant du respirable à cette présence forte. Un peu comme si, elle avait une dette, elle écrit les corps, tous les corps, elle veut ça, elle peut ça : Plus tard / A force de cheminer par l’intérieur et l’extérieur / j’ai formé les catalogues de ce qui nous entour / Le catalogue des visages celui des animaux / les blancs poissons mammifères insectes / blancs et rouges bleus et gris funebr et toutes / pièces vues de la naissance à ce jour […] Je travaille sur ce catalogue ne me tuez pas /. Laura Vazquez hisse une panique, l’expose. On le dirait, c’est une course contre la montre, contre la mort / et qui vit, qui demeure sinon l’Amour : / […] et j’ai forcé mon cœur à sentir les générosités / Je marchais dans la générosité […] j’avais trop de sensations pour comprendre / le monde[…] / Elle marche dans quoi / Mais revenons à l’aventure […] Je lisais les journaux follement follement / dans les bibliothèques / à la recherche d’un indice et j’apprends / que ci que là / Il y a quelques jours les scientifiqu / ont découvert des tunnels dans l’air / […] Elle oscille entre une santé et quelque chose, autre
/ On me conduit à l’hôpital car il se peut que / j’aille mal / Peut-être en elle, il y a quelque chose qui cherche à user égo, qui le capte cela, dans sa chair cette transformation de la, (des) Matière(s) en voie et, peut-être oui est-ce là son rôle, le raconter. / A la folie, à la folie, la Vie, elle lui arrive ainsi, elle écrit-prie de cette façon : Je récitais mes phrases à telle ou telle plaie / Une présence forte / parfois lui laisse entrevoir une possible issue, un possible apaisement / Une biche boit dans une flaque / Ceci peut-être mon cœur / c’est un flot ce livre, il charrie tout ce qu’il trouve dans son sang, ce que voit son sang / là il s’agit d’une femme : elle s’adresse à une femme qui l’a blessée / elle dit je / je te tuerai pour que tu ressembles à un tissu / je casserai tes paroles / c’est une présence autre / une présence entre.
Des mots qui la traduiraient cette appartenance à toute la Manifestation, dans son entièreté et qui nous rendrait solidaire et du plus vil et du plus beau en Elle / des mots qui n’éviteraient pas la souffrance en ce monde, des mots, des phrases magiques qui l’accompagneraient, ce monde en train de se faire, la Beauté lorsqu’elle s’invite :
Une biche entre dans une église. / Une biche entre dans la maison d’une femme mourante / La femme est seule. / La biche est sans crainte. / La femme tend la main depuis son lit. / La biche passe son nez sur cette main. / Elle colle la partie gauche de son visage dans cette paume. / La femme meurt. La biche dort.
Lignes d’une grande pureté, elles ne peuvent qu’émaner d’une présence aimante. Parfois une Licorne se cache dans la clairière d’un livre entre des textes formant bois profonds, en leurs cœurs, parfois cela arrive une Licorne source sa grâce / parfois cela : au sein d’un livre, veille une Licorne… Laura Vazquez prie quelque chose / quelque chose en elle, prie. Elle habite le Mystère, le Mystère l’habite. N’interrogeons pas le Souffle, laissons-le plutôt instruire la chair, laissons-le nous parler, nous souffler : va ! / Nous souffler :
d’être pareil aux joubarbes, aux anguilles, aux lianes / à Tout. C’est tout cela que m’inspire Le livre du large et du long / Laura Vazquez hisse solitude, l’expose / hisse nudité, l’expose. Laura Vazquez écoute ce qu’elle écrit, écrit ce qu’elle entend. Elle entend des livres.
/ […] un monde sans présences sensibles, que serait-il / je crois tout simplement il ne serait pas / s’il tient, si tout cela tient, c’est parce que des âmes le tissent, le hissent / des âmes s’enchantent. Parfois un livre étrange, on l’accepte, on le prend comme il est / car la Vie, ce livre lui, il la prend comme elle est. Et si elle y parvient, Laura Vazquez, ce n’est pas pour autant sans risque de naviguer dans ces eaux-là, le courant est tel parfois, la force narrative d’une fiction peut être telle qu’elle emporte avec elle / et la réalité, qu’elle souhaitait chanter / et l’incendie des jours qu’elle pensait traduire au plus près. Tout devient accueil d’une transformation en cours, une mémoire sans cesse actualisée, Tout s’invite, des voix s’entendent. Vivre s’apprend, écrire s’apprend. / (délirer s’apprend, s’apprivoise), on marche dans un / On sait qu’à un moment, on sera prêt / à terme d’accepter les mille et mille silences n’en formant qu’un Seul / les mille et mille sons n’en formant qu’Un / à terme d’entendre, de voir les mille et mille événements, les mille et mille choses dans un seul Vide / en soi, cela, pacifié. / […] Un monde sans l’idée d’un / nous au M /monde, d’un / nous en voie, que serait-il, un monde sans ce qui lie ce qui va / […] Un monde sans l’Autre, pour l’aimer autre, pour l’aimer autrement, que serait-il :
juste une capacité à recevoir des infos et les corréler ? / ce serait oublier ce que portent de magie, nos peurs, nos pleurs, nos angoisses, nos Joies, nos jouissances / ce qu’elles charrient d’inattendu, de limon / ce serait ignorer la force d’un courant en nos vies, en nos corps / la force pour quelques-unes et quelques-uns d’entre nous, la force d’un aller vers, d’un appel.
Que cherchons nous trop souvent / ne pas laisser le temps au Temps / allez plus vite que le mouvement, c’est ça ! Alors qu’il nous faudrait juste l’accompagner le mouvement, juste faire les choses, dans le geste / dans le Souffle. Heureusement parfois l’étrangeté d’un livre, sa singularité nous protège, nous préserve du pire, aussi Merci à Laura Vazquez et ses grosses et son elle s’en bat la race à mort […] comme elle l’écrit / Merci pour ses gros mots et ses phrases qui échappent à la nasse.
Surement on ignore beaucoup et c’est tant mieux, c’est très bien ainsi / les zones d’ombres nous les imaginons nous les habitons parfois avec nos mains en rapprochant nos corps, nous effleurons ce qui devrait être contours et cela arrive parfois nous n’en trouvons pas / juste l’infini d’être bien avec cela, d’être là avec l’autre. On apprend petit à petit à être / à être petit, on sait qu’à nos extrémités débute Ciel / Un (je) ment peut-être en écrivant ce genre de phrases / il est également possible qu’il énonce là, ce que devient à terme un corps : du Ciel dans du Ciel, de l’invisible Ciel dans un invisible Corps / […] /
sommes un 6 aout, l’été est. Un (je) envoie des signes d’être à un autre (je) / un lien fort les unit, une histoire de rivière, d’eau, de Ciel / quelque chose genré ainsi : dans, avec le yin et le yang / quelque chose de rare aussi ces deux-là le savent et veillent à le nourrir, l’entretenir / puis […] oh ce 9 aout, quelque chose le peine, ce (je) / alors alors / il conjure la chose avec un sourire doux, il l’envoie à / […] et je crois ce sourire Yin-Yang conjure la chose, lève une inquiétude / […]
un 10 aout maintenant / hier l’été a été / et ce jour l’été à nouveau est, la chaleur est là comme lorsque des corps parfois s’invitent à oublier ce qui les abime, les chagrine au quotidien, lorsqu’ ils s’offrent à être, à partager juste ce qu’ils sont : des corps nus de passage / […] / là sur une table un livre n’attend pas d’être lu avec l’attention qu’il mérite, un livre n’attend pas / le Geste. Juste il est là / il y a bien un bon mois qu’il murit ainsi, qu’il s’affine au soleil d’un romarin et d’un autre, d’un jour et d’un autre. / Fin juin je crois, à la librairie l’Embarcadère nous nous sommes re-trouvés, j’ai dit tout bas :
- tiens hélène ! ai lu sur la couverture Hélène Dorion / en passant à la caisse, j’ai commenté : - c’est pas cher ! / - oui c’est parce que, elle est au programme du bac, c’est pour ça ! / - ah c’est pour ça / - oui, a ajouté la libraire / c’est parce que l’éditeur du coup l’a sorti en poche ! […] /
Mes forêts. Hélène Dorion. Edition Bruno Doucey, 2021, édition originale / en édition de poche, coll. Sacoche, 2023.
Merci Bruno Doucey / après avoir publié dans cette collection Sacoche / un « Rimbaud vagabond », un « Eluard amoureux » / il publie Hélène Dorion Mes forêts . Oh, ce ne sont pas les présentations qui lui manquent à cette écrivaine, (radio, T.V, revues) elle n’est pas avare de ses entretiens et révélations sur son vécu si bien que chacun peut s’il le souhaite trouver ici et là, les sources de son œuvre / De mon côté, il y a longtemps que je souhaite rendre hommage à cette auteure, l’occasion m’est donnée et peut-être comprendra t’elle mieux le choc que j’avais reçu en la découvrant. Il était à la hauteur d’une vie alors bouleversée par la lecture de ses premiers recueils parus en France. / Cela s’est passé ainsi, les années 90, de passage à Chaillé chez Louis Dubost qui a été dans les premiers à remarquer son écriture et à la publier au Dé Bleu. M’en souviens, dans son antre entre un fauteuil de voiture en cuir noir, un carton de noix à sécher et un / Nietzche sent bon le coing / lui me tendant La vie, ses fragiles passages ainsi que Un visage appuyé contre le monde / la pipe serrée entre les dents, me lançant avec l’accent de chez lui : - tiens, lis ça ! / je l’ai lu et j’ai pleuré, me revois assis sur le bord du lit, déversant larmes venues d’où… et lesquelles, les miennes, celles de l’auteure / encore je n’ai pas la réponse. Une seule fois cela m’est arrivé d’être ainsi submergé par l’émotion, je n’ai pas compris ce qui arrivait, l’intensité de ces livres était telle qu’ils me cueillaient là où j’en étais à ce moment de la marche. M’en souviens, j’avais eu peur pour elle, je sentais ces textes traversés d’une angoisse (d’une panique ?) qu’elle apprivoisait au jour le jour grâce aux mots, ne négligeant aucun signe d’où qu’il vienne et pouvant l’apaiser : / […] si l’on meurt de ne jamais faire un avec le visible / s’il y a quelqu’un au bord des jours fragiles / qui trace quelques limite au chaos, à l’usure du monde / à l’ombre qui nous survit ; / Je ne sais pas encore / voyager dans l’étrangeté / d’un paysage, d’une rue, d’un continent / ou celle d’un visage dessiné par l’amour / et sa disparition / Je ne sais pas encore passer / A travers une ombre / comme on passe / dans une chambre d’hôtel, une salle d’attente / […]
Je ne sais pas encor me perdre / dans ce qui vient […] aller parmi les jours sans nom, ces heures / où l’on ne trouve rien / […] Je ne sais pas encore donner / ni recevoir cette beauté / qui reparait en nous, pour un instant / […] Aurons-nous le temps d’aller très loin, de traverser les carrefours, les mers, les nuages / d habiter ce monde qui va parmi nos pas […] aurons-nous le temps de tout nous dire et d’arrêter d’être effrayés / par nos tendresses, nos chutes communes ; / pourrons-nous tout écrire /d’un passage de vent sur nos visages […] aurons-nous le temps de trouver / un mètre carré de terre et d’y vivre / ce qui nous échappe / je ne sais pas encore
Derrière ces lignes qui aujourd’hui peuvent sembler celles d’une présence sensible s’interrogeant sur sa vie, pourtant à l’époque, j’y lisais une âme face à l’effroi. Le cri était celui d’une jeune femme qui appelait à l’aide, il m’avait semblé cela, qu’elle attendait une main pour l’éloigner du vertige. Chacun de ses textes, poèmes m’ouvrait le corps, j’étais troublé par cette écriture portant cri, de cette écriture rayant la lisse et triste indifférence du monde face au tragique de certaines situations. Elle me parlait, j’entendais cette violence dans ses mots, j’entendais l’Amour dans ses mots. J’entendais une intimité, j’entendais une quête. J’entendais une guerrière, la lance était son sang dans son souffle, la lance était son souffle dans son sang. Je recevais. / Très vite je la rencontrais et je l’engueulais de me foutre dans un était pareil. Maladroit je le fus et je le fus, c’est vrai. Dans Mes Forêts aucune trace de cette période tourmentée, sans pour autant occulter les soubresauts et troubles de ce monde, elle les entrelace maintenant de ses marches et méditations :
/ Il fait un temps de bourrasques et de cicatrices / un temps de séisme et de chute // Les promesses tombent / comme des vagues / sur aucune rive / les oiseaux demandent refuge / à la terre ravagée […] / Cela pourrait ressembler à des signes d’apocalypse, cette prose autre, ces constats. Cela / nos jardins éteints / entre l’odeur de rose et de lavande / Entrelacé : il fait un temps de verre éclaté / d’écrans morts / de nord perdu / un temps de pourquoi / de comment // tout un siècle à défaire le paysage /[…]. Des années et des années de silence, d’écriture, Hélène Dorion, le vertige, l’a-t-elle apprivoisé, je le pense. / Les questionnements ont laissé place à une sorte de contemplation / le Temps a fait son travail, elle semble bien avoir trouvé un espace en elle pour y loger pertes et deuils, un passé / désormais joie d’être, même une espérance je crois, un vif présent éclaire ses textes. Les arbres semblent lui offrir une verticalité. Elle a trouvé lieu, embarcation, elle y trouve mats dans ces (ses) forets pour le continuer ce voyage intérieur. En parcourant Mes Forêts, ai pensé à Sibelius, ai pensé que les silences qui entourent ces lignes sont des âmes / des âmes qui ont rejoint une Âme et que peut-être comme lui à la fin de sa vie au fond de sa Finlande, elle aussi les entend, les voit ces âmes, la voit cette Âme Une, qu’elle le voit l’invisible.
Puisse chacune des vies accomplir sa traversée, trouver en elle le secret de sa présence au monde / je pense à cela en la lisant, à ce que des présences peuvent s’apporter. A un moment l’intime lorsqu’il se dresse ainsi, il s’adresse à une communauté / celle des marcheurs, des aimantés / des aimantés au sacré, au Mystère. / mon chant soulève la poussière / de spectacles muets / comme un trou béant / dans la maison noire des mots / / il fait un temps jamais assez / un temps plus encore / et encore / plus encore / plus / on ne pourra pas toujours / tout refaire / / dans ce temps de bile et d’éboulis / les forêts tremblent / sous nos pas / la nuit approche […].
Avec Le paysage, l’intime, la poésie / outre nous présenter ce livre et son auteure, l’éditeur nous signe un très beau texte. Il est poète aussi il sait nous restituer la musique des heures, par exemple ce moment ou par satellite / elle et lui, chacun dans un lieu se ravit de la nouvelle, de cet « événement d’une ampleur considérable » : Mes forêts au programme du baccalauréat de français. Livre d’un lieu, d’un Je certes, lui l’en-globe, l’inscrit dans un nous, dans une actualité de plus en plus préoccupante « des feux hors normes, qui nous invitent à repenser nos relations avec la nature » / Bruno Doucey connait bien l’auteure et parvient à nous communiquer son enthousiasme, c’est un compagnonnage précieux aussi après son attentive lecture, je me garderai cette fois de résonner trop à ce livre tant il réussit parfaitement à dégager l’essentiel de l’œuvre d’Hélène Dorion, à la parfumer même de ce qu’il est, au quotidien, un homme aimant les livres, leur offrant bon voisinage. Il cite les titres de quelques ouvrages / dont Walden ou la vie dans les bois de Thoreau. Bien que les natures et les quotidiens de ces écrivains ne se ressemblent pas vraiment, ils partagent une sensibilité et cela / d’être interrogé par l’existence, d’y répondre par le seul fait de vivre, d’appartenir à un même souffle, de l’entendre, l’Immense en eux : Entre mes doigts / le nom de l’arbre / le nom de la chair / ce peu d’écorce qu’est ma vie // une forêt d’édifices / l’éternité / bâtie sur un nuage / un gouffre sous la terre / remords / ténèbres / débris / se transforme en rêve – c’est beau, n’est-ce pas / ou en ruines qui nous dévorent / - peut-être / on a tout raté[…]. Même si dans Mes forets, le corps (la chair gorgée d’une angoisse existentielle) a laissé place à plus de Ciel en lui, (à plus d’espace et de souplesse en elle), on retrouve la voix ténue de cette femme dressée, on l’accompagne en ce qu’elle est et devient.
Le miracle d’une écriture parfois tient dans pas grand-chose, on ne sait pas trop pourquoi, une trajectoire nous touche, le tremblé d’une existence nous rencontre. Dans le poème / Avant la nuit / en forme de chant, les traces d’une femme touchante, d’une femme se souvenant, l’enfance : […] la maternité / la rue Summerside / […] les étés à la mer […] la solitude et les cris des parents / les goélands au-dessus des marées / […] le premier jour d’école / l’étui à crayons le cahier rose / la vague qui me renverse / et la main de ma sœur qui me rattrape / l’adolescence : la bouche du garçon sur ma bouche / jusqu’à ce que / à un moment puisse s’entendre : le bruit continu d’un océan / au creux de l’oreille / Cela :
Poésie en forme de prose – prose en forme de poésie / Des voix pour les porter les existences, il en faut / des voix à la portée du plus grand monde, d’autres plus hermétiques, rencontrant, trouvant elles aussi, leurs lecteurs. Avec Mes forêts de jeunes gens vont découvrir Hélène Dorion / probablement que quelques-uns auront envie de remonter ce travail d’écriture jusqu’à sa source, de découvrir les livres de ses débuts, ses commencements, je les encourage à avoir cette curiosité. /
L’acte d’écrire n’est pas anodin, celui de lire ne l’est pas moins, parfois il arrive qu’une auteure et qu’un lecteur portent en eux quelque chose de sacré, une même incandescence. La vibration est telle que seuls / silence et éloignement / leur offrent la possibilité d’une réelle communication : celle-là d’un autre ordre, elle fibre les corps et infuse une manière d’être au M / monde, de le regarder l’existant. Être là alors semble être un au-delà. Eau de là, à un moment cela, les corps deviennent un même là / un même Océan. Chaque acte, geste en porte la signature, la vie entière devient une sorte de méditation quoique vous fassiez. Il arrive qu’un lecteur l’écrive le Silence, tout au moins tente de l’écrire. Il arrive que quelqu’un (qu’une présence) l’entende, que le Temps accorde le discordant. /
A un degré de communication, les (je) s’entendent / entendent : qu’ils sont les mêmes, qu’ils partagent un seul Grand Corps, quelque chose d’indéfinissable et d’intime, une seule Nudité et qu’elle est porte, une porte vers / Alors, alors Tout Est bien /
[…] un 12 aout […] elle demande : cela te vient d’où /
- d’où quoi / - bien cela, ce que tu me lis là / - je ne sais pas trop, c’est là / […] – raconte, j’ai envie de savoir / - tu as envie de savoir / - oui ! / - marrante ta phrase, elle peut s’entendre de deux façons / - oui, raconte, après… la suite ! / un (je) sourit et reprend : - alors la satisfaire ta soif de savoir / un peu, juste un peu d’accord […] / pour ce faire je vais te parler d’un (je), te le raconter : / […] durant cette période un (je) perdit son père, elle ne le sut pas, un temps ce (je) fut sans sommeil presque /
[…] le jour de la cérémonie, au cimetière, bien qu’elle fut physiquement absente / au moment où / chacun jetait dans la fosse, fleurs d’immortelle sur le cercueil / alors que d’un radio cassette s’échappaient The Trees des pièces pour piano seul, ce (je) reçut une grande force, une sorte de joie, en lui, l’absente dont il aimait les mots était là, en même temps qu’une musique composée de silence / alors ce lui fut supportable à ce (je) ce moment / même il fut beau ce moment, très beau /
l’air versait ce qu’il savait des sols et des cieux, l’air était bon / ce (je) tenait la petite main de son jeune enfant / une grâce, à ce (je) il lui fut donné de recevoir Joie dans une peine, de recevoir force, une force venue d’où
ensuite souvent, à son tour, à ce (je) il fut donné de verser et de verser du regard dans un corps / plusieurs fois ce lui fut donné de vivre des choses comme ça, là de serrer dans ses bras une fragilité, là d’étreindre une force, de recevoir présence […] tu vois / c’est ça parfois aussi une existence rencontrée, c’est se rencontrer Soi / cela laisse dans le tamis d’un corps, d’une chair, Lumière / ce qui est l’Or / alors, alors ce qui t’a été confié / tu en prends soin, parfois tu parviens à le partager, ai eu cette chance de (le) verser dans un visage, un corps, ai cette chance […] il / m’a été, m’est donné d’habiter une fidélité à / quelque chose d’interrompu, de le nourrir de multiples façons ce lien. En tenue de voyou parfois de voyager incognito, de créer incognito, lorsque dans mes collages, mes textes, je dissimulais, j’exposais Feu et dans Feu / ce Feu, chacun n’y voyant que du feu / pourtant une absence veillait et veillait tant / qu’elle criait elle aussi sa fidélité à ce / quelque chose d’interrompu / […] un (je) l’a vécu ainsi la transformation de plomb en Or, cette sublimation / La cible était Lumière. Un corps s’est arqué et c’est fort probable, dans un même apprentissage, deux corps surement ce sont arqués vers […] / Le Temps s’habite désormais en des présents renouvelés, l’eau, l’air s’apprennent. Par la Lumière, tout s’approche, les éléments pareillement parés à un moment parlent au(x) corps où qu’ils soient. On le dirait le Temps corrige des situations, les conduit / une absence veille et veille tant / qu’elle crie elle aussi toujours sa fidélité à ce / quelque chose d’interrompu / qu’elle l’écrit […]
un (je) la vit ainsi la transformation d’un corps en Ciel / […] parfois un autre (je) se prête à ce Jeu, devenir Ciel par le corps, par la nudité par le toucher d’un corps cela toucher / Ciel /
[…] / sommes un 15 août / un (je) a un petit moment pour relire dans le dernier Terre à ciel, quelques auteurs / tous ces gens : ô la fraicheur de Judith Chavanne / et cette petite scène touchante, cette petite vieille dans un ephad, in un poème de Mouton / et ô les belles petites lignes d’Ariel Spiegler : Je me souviens de ta chambre au septième étage / De ce café soluble au goût fumé / De la petite lampe sur la table / et la vie chantée par Milène Tournier : Je me suis allongée dans la cuisine, cette nuit. / C’était comme frauder dans le métro. / […] Nanao Sakaki cool ça :
« Quand tu souffres / Ecoute le vent » / […] « Il n’y a / Pas de pays magique / Pas d’Epoque magique / Tu / Es / Magique »
and beau Pedro Salinas je ne connaissais pas « Il ne fallait pas chercher : / ton songe était mon songe. / / [...] C’est pourquoi les amants / se promettent les toujours / avec leurs âmes et leurs bouches. / Ils vivent, roulant / de baiser en baiser, […] » /
[…] / sommes ce jour un 16 août, c’est une Lumière d’aout, c’est un silence d’aout / un sang s’apprête à lever un muscle / […] un avion de tourisme venant de Loudun et se dirigeant vers La Baule s’est écrasé du côté de Lavau sur Loire […] / « […] frappe frappe dans tes mains petit ours brun[…] » elle a terminé son biberon la petiote maintenant elle a exceptionnellement droit à quelques épisodes de son dessin animé favori / […] / cela parle à cette gosse ces images, ces sons […] / il y a longtemps qu’un (je) a lâché prise, tout lui semble fort, étonnamment là / les choses légères, les choses graves et l’interroge
ce besoin de narration chez quelques-uns d’entre nous, cette nécessité de[…] il se parle / […] là juste des faits, étrangement liés par la Lumière d’un début de journée, par le simple fait d’être là pour les vivre, / […]
la laisser respirer la Vie, ne pas trop la serrer la Vie / juste apprendre à l’habiter la vacuité / parfois ce (je), il a les mots pour l’écrire autrement, parfois il n’en a pas vraiment envie, il se dit que c’est bien aussi juste l’écrire la Vie comme ça vient / là 10h20, cette fois, il envoie un petit mail tout con mais doux / il s’en fout car il sait bien qu’à un moment on y va dans le trou / alors alors frimer pour qui pour quoi
/ parfois il se dit : lui qu’il n’y ira pas vraiment […]peut-être il sera un rivage, du rivage, c’est pas mal ça / devenir du sable, du sable sec, du sable soulevé par le vent, les vents, du sable mouillé, / une, des dune(s) / des pins / des épines, du sol, des sols / de l’air de l’atmosphère, des cris d’oiseaux de mer, du vivant / de l’immobilité et du mouvement, de l’estran, du ressac, de l’eau de l’océan, de la Lumière
/ […]10h29, le, / « […] au fait je ne te l’ai pas dit Io m’a envoyé un mail, il a failli se virer en moto en voulant éviter un ours / près de chez lui, dans un virage en épingle, heureusement il ne roulait pas vite, il rentrait de nuit […] » / - Anton a dit ça / - sans déconner ! ponctue le (je) / […] puis 14h50 / « […] je vois encore la croix gammée sous son aile » raconte ce vieil américain / cet autre confie « […] on tirait sur des gamins de plus en plus jeunes […] » / une fois, […] une nuit par erreur, il a tué l’un de ses camarades, « le lendemain on a retrouvé le corps[…] / tout a le monde a cru que c’était les allemands […] / toutes ces années à part moi[…] » / deux hommes s’épanchent sur cette guerre[…] c’est un film et ce n’est pas un film, c’est une fiction et ce n’est pas une fiction / […] / 17h20 / - il fait si chaud / - ils annoncent une canicule plus forte dans les jours à venir / parfois ce (je), il se dit que / pour ne pas la trahir dans ce qu’elle est véritablement la vie, il suffit de la laisser dire […]
/ il a des signes que quelque chose existe entre / cela en est même troublant tant une onde en amène une autre la renseignant, souvent ce (je) il joue l’indifférent / […]
cela lui arrive de se dire / quand même… ce, quelque chose, il semble tenir à ce que je rapproche des formes narratives […] une main invisible semble guider[…] / alors cela lui arrive avec sa propre main d’aimanter corps d‘une femme, de rapprocher souffles jusqu’à ce qu’ils se condensent en quelques cris et un cri en cimes d’eux, un plus fort que les autres, c’est art cela, c’est une performance / […] /
ce 17 août / […] il y a encore beaucoup de monde sur la plage, sur le remblai / une petite fait ses premiers pas, sur des bancs, des personnes la regardent, c’est là, à ce moment qu’un (je) apprend la mort de Kenneth White, cela l’affecte. Il s’en souvient ce (je) / il était un jeune homme alors, Lettres de Gourgounel, ce journal de bord, ces lignes simples l’avaient trouvé / A une période par lui, ce (je) / il a appris, ses livres ont été des cours, il lui doit d’avoir survécu / […] / grâce à lui / il apprit à respirer autrement l’espace, le Vaste, il s’en souvient[…] même une séquence lui revient […] / ce n’est pas d’aujourd’hui, ce (je) fuyait tout ce qui pouvait l’éloigner, le détourner d’une vibration en lui / de quelque chose en lui d’indéfinissable. Mais cette fois-là, pour Kenneth White un soir il avait fait le déplacement, lui c’était différent / il avait eu cet élan et dans le geste, en semaine, un soir de pluie, en Ford 12m il avait pris la route pour Nantes pour aller l’écouter / il était l’invité de la L.P.O et là / il y avait des lectrices, des lecteurs qui se pressaient autour de l’auteur […] ce (je) avait préféré s’installer un peu à l’écart / pourtant lorsqu’il dût trouver une place afin de se poser avant sa lecture, Kenneth White les laissa pour aller vers lui, l’interpelant d’un / « ça va ! » lui tendant main avant de s’assoir à ses côtés / ce (je) en fut touché, très /
[…] en ce mois d’aout ce passé lui revenait […] lui revient / silencieusement il le remercie, là sur un banc au milieu de quoi / là devant les premiers pas d’une gosse qui apprend à marcher,
puis 19h28 / […] /BFM soir / le bandeau, La ruée pour fuir les flammes / « on craint que les vents n’attisent[…]à quelques km de la ville[…] début d’évacuation, les gens qui ont roulé toute la nuit[…]les gens qui prennent la route maintenant où vont-ils aller[…] »
puis ce 18 août / […] parfois des solitaires s’aimantent, c’est ainsi, c’est une histoire de complicité, je crois / ils portent en eux des vols, des observations, des marches, des immobilités, des contemplations, ils partagent un quelque chose indéfinissable / un jour a passé et un (je) apprivoise l’annonce de la disparition de Kenneth white / […] / 23h47 / Cnews / le bandeau, CANADA : l’équivalent de la Grèce a brulé / feux de forêts / 168000 canadiens évacués
[…]TENERIFE / FACE A UN INCENDIE HISTORIQUE / […] Fusillades Marseille déjà […] les bandeaux se suivent et aucun ne sauve l’autre / […] / un jour encore a passé un (je) pense à Kenneth White, c’est un beau nom de famille / White / se dit-il / également cela le traverse / les titres de ses bouquins, Dérives / Les limbes incandescents […] La route bleue / des essais, récits de voyages / là il se lève, cherche un peu et trouve en poche La figure du Dehors, il sourit, l’ouvre… il est là
La Figure du dehors. Kenneth White. Eds Grasset, 1982, édition originale / Le Livre de Poche coll. Biblio / essais, 1989.
Le nom de « celte » ne désigne pas seulement quelques enclaves périphériques de notre culture, mais concerne toute une partie, niée et refoulée, du fonds européen en général. L’intérêt du celtisme, c’est sa force fertilisante, et non pas une quelconque « celtitude ». [… ] / Il s’agira donc[…], à travers des paysages mentaux d’Occident et d’Orient, et quelques figures exceptionnelles, de la recherche d’un archipel de pensée qui dépasse l’opposition de l’Orient et de l’Occident, et qui puisse être reconnu et partagé par tous.[…] / s’universaliser /[…] En procédant ainsi, on retrouve les énergies qui furent à l’origine de notre culture, « ces oiseaux criards d’Ionie » évoqués par Platon […] / « Aux modèles s’opposent les voies, dit Henri Lefebvre (Au-delà du structuralisme). Il y a une idée nouvelle, la Voie, qui affine la notion de “praxis” et rend concrète les idées de trajet et de parcours. La notion de voie interdit de séparer le style de vie et la méthode de pensée, la présence à soi et la présence au monde. » / […] / Dans son roman Highland River (La Rivière des Hautes Terres), qui date de 1937, l’écrivain écossais Neil Gunn raconte l’histoire d’un certain Kenn, plus particulièrement la recherche qu’entreprend cet homme pour retrouver la source d’une rivière. / / Pour Kenn, retrouver cette source, ce serait retrouver la source première de sa propre vie, qu’il est en train de perdre : « Il voulait arrêter le processus d’épaississement de son esprit, il voulait suivre les pistes de ce pays perdu […] Ce pays était intensément réel. Kenn sentait que s’il réussissait à capter cette réalité, il retrouverait non seulement la saveur primordiale de la vie, mais ses moments d’extase absolue, une extase si différente de ce que l’on entend d’ordinaire par ce mot que son œil, si elle en avait un, serait aussi sauvage, aussi froid, aussi vigilant que l’œil du goéland sur la falaise. » […] Il y a ça dans La Figure du Dehors , et dans tous ses livres, une envie de partage / et partager, Kenneth White sait très bien le faire, transmettre ce qu’il a reçu, les raconter ses enchantements :
[…] à quelque trois kilomètres du village que j’habitais sur la côte, et quand j’ai commencé à m’intéresser aux langues, vers l’âge de douze ans, il m’était facile d’imaginer que la mer et les rochers sur le rivage, surtout par les jours de grande tempête, parlaient l’ancien norvégien : tha foru menn milli theira melholm skotakunungs ok gredu their sett milli sin skyldi magnus konungr eignask eyjar allar their er liggja fyrir vestan skotland… Je lisais les poèmes de skalds tels que Harold Hardradi, Ingimar, Rognvald Kali : « Détruites les fermes elles brûlent en Écosse chaumes qui fument, rouge flamme » /J’aimais les sonorités gutturales de ces textes, et les images extravagantes, les kenningr, qu’on y trouve. Dans cette poésie-là, la mer est « la route des goélands » et un serpent est « le saumon des landes »… J’avais pu mettre la main aussi sur de vieilles archives, et j’y trouvai mention d’une broche nordique découverte, au xixe siècle, enfouie dans la terre à deux kilomètres au sud du village. Elle portait des runes (caractères de l’écriture nordique) de l’époque viking qui indiquaient le nom du propriétaire et le lieu où il habitait : malbri-tha a talk thaele i lari. Ce furent les premières runes que j’aie eues sous les yeux[…]le texte runique qui m’a le plus impressionné est celui […] gravé sur les parois du tombeau de Maeshowe, aux Orcades. On y lit, entre autres choses, cette phrase splendide : « Ces runes furent écrites avec une hache islandaise par le plus grand poète à l’ouest de l’océan ! » Si les runes étaient bien faites, elles étaient censées, du moins aux premiers temps, être porteuses de puissance. Chacune portait le nom d’un dieu. / C’est ainsi que la rune t (écrite ainsi :) était associée au dieu Tyr. J’ai vu, dans le Gotland, une pierre sur laquelle l’écrivain a inscrit la rune t, mais voulant peut-être renforcer sa puissance, il a ajouté des branches au signe de sorte que celui-ci a fini par prendre la forme d’un sapin. Dans ce cas précis, la ressemblance entre le signe et l’arbre est sans doute pure coïncidence. Mais dans l’écriture ogam des Celtes de telles correspondances ne sont pas du tout fortuites. Chaque signe de l’alphabet ogam correspond à un arbre. Ainsi, la première lettre de l’alphabet […] correspond au bouleau. Et les trois premières lettres (bouleau, sorbier, frêne) épellent le nom du grand dieu solaire : Belenos (le brillant). […] Nous nous trouvons ici dans un espace mental où l’écriture est une puissance liée aux phénomènes naturels. Frithjof Schuon (Images de l’esprit) parle du « naturalisme nordique » et d’un « transcendantalisme immanent ». J’y situe mon point de départ. […] » / Non pas les textes pour la recouvrir la Vie, bien au contraire les mots, les sonorités pour la révéler dans ce qu’elle a de plus vif en elle / on le voit bien dans ses lignes, ce qui lui plaisait : unir des voies, approcher / rapprocher des sources / chercher et trouver de La Blancheur / offrir à l’égo étriqué la possibilité d’entrevoir une énergie commune à tous le parcourant, une énergie même / je crois, il tentait d’enseigner ce qui est pourtant le plus difficile d’enseigner / être simplement là et s’en ravir. Lui ainsi, goûtant tout ce qu’il y avait à goûter de son vivant, respirant là et là des corps en Marche, les célébrant /
corps ainsi, une manière bien à lui de lier chacun de ses pas à ceux pourtant effacés de ces prédécesseurs […] lui savait souffler sur ces marches d’hier, leur redonner éclat, Présence / nous les rappeler ces soifs / toutes ces incandescences de par le Monde, les époques / […] il les revivait, les ravivait ces existences, ces trajectoires. Une essence poétique en, entre tout cela, chacun de ses ouvrages en témoigne, là dans « un pèlerinage européen » il chante L’Histoire, la Géographie, (La carte de Guido. 2011) / là dans « une cavalcade sauvage » il applaudit quelques itinéraires, quelques braqueurs du Réel / Williams, Snyder, Jeffers, Ginsberg (Le Gang du Kosmos. 2015). Nous donner à partager ses enthousiasmes, lecteur passionné avant tout, il était curieux de vies singulières. L’errance d‘un Bashô, la sédentarité et les observations, les notes des pérégrinations, aventures de plein d’autres, Han-Shan, Stevenson, Segalen, il aimait les lier dans son travail et trinquer ses propres lignes avec les leurs, marcher avec eux. Dans son atelier de Trébeurden, il a œuvré. Avec sa vie il n’a eu de cesse de le chanter, de l’habiter, de le parcourir Gwenved, ce Monde Blanc qui lui était si cher. Certes parfois caché, un peu enfoui par le, les quotidiens des uns et des autres, par de tristes et poussives réalités / pourtant en nous, un recours à la finitude, la possibilité d’un ultime contour les embrasant tous / une Conscience ainsi / dressée, dans et par la Matière,
constamment l’Esprit d’un aller vers. S’offre, la possibilité d’un au-delà du corps embrassant tout le vivant. Si entrevoir-percevoir en soi ce tréfonds lumineux est loin d’être une évidence pour tout le monde, la lecture des multiples voies empruntées par K .W et ses comparses peuvent aider à s’en rapprocher. Ses livres existent, demeurent. /
Corps en mouvement-mouvement en corps, corps en Cela / […] sans doute il n’est pas le seul à avoir été, à être au monde ainsi, il y en a d’autres, Nicolas Bouvier, Bruce Chatwin, Sylvain Tesson, Jacques Lacarrière, Michel Jourdan, Paolo Cognetti (Le Garçon sauvage / carnets de montagne, chez Zoé) et j’en passe / Chacun à leur façon vivant leur vie, la vivant la Vie. Sans oublier ces poètes sans lignes, sans mots, sans poème / ils existent, j’en ai rencontré / je pense par exemple à un gars du Croisic, un tailleur de pierres, maçon il l’était à sa façon, ce qu’il touchait chiait la force, avait une âme. Un jour, il frappait burin, l’autre il accueillait dans son jardin des / Rimpoché / un autre il jouait à la trompette les feuilles mortes entre les falaises en bas de chez lui, un autre encore il me préparait la lotte qu’un pécheur lui avait donnée le matin sur les quais / […] nous regardions l’Océan, nous regardions des petits chats jouer, il arrivait que je lui dise un haiku, alors il lançait un / « oh c’est bon ! » suivi d’un autre « oh c’est bon ! » / Je crois, le monde tient parce qu’il y a en différents endroits des aimantés, des veilleurs, des porteurs d’ondes belles. Des bienveillants, Gary Snyder est également l’un d’entre eux. Et oh, lien encore cela, j’ignorais que Kenneth White avait écrit tout un ouvrage sur ce dernier (Biographie poétique, Editions wordproject 2019) / (A noter : dans le dernier Terre à ciel, le bel entretien de Cécile Guivarch avec la traductrice Marie-Christine Masset à propos de Poème pour les oiseaux de G.S ) /
/ Tisser des présences, j’aime également le faire / là, n’est-ce pas beau cela, il se trouve que j’ai dans les mains / -
Le sens des Lieux. Gary Snyder. (Ethique, esthétique et bassins-versants). Eds wildproject, Coll. Domaine sauvage 2019. / Traduit de l’anglais par Christophe Roncato Tounsi
/ les signes font bien les choses, ravi de prolonger l’hommage à K.W avec la présentation de ce livre de Gary Snyder. Outre être l’une des figures du célèbre roman de Kerouac, in Les clochards célestes, il est le Japhy Ryder / il fut, dans les années soixante, soixante-dix, le pivot d’un courant écologiste replaçant et la nature dans l’homme et l’homme dans la nature, pour aller vite on peut dire cela… Probablement le jeune Kenneth de Fairlie aura eu vent de cet engagement au sein de ce mouvement « qui comporte pêle-mêle des éléments de primitivisme, d’orientalisme et d’utopisme » puisque ce seront ses propres mots plus tard pour le désigner / et qu’en 1990 il sortira le numéro 1 des Cahiers de Géopoétique avec un édito y résonnant fortement, je trouve. Le parallèle est permis tant la vie et le travail de ces deux-là ont une forte parenté. Après un séjour au Japon, Gary Snyder s’ouvre à un /dedans et à un / dehors : « Le mouvement en Occident s’appelle révolution sociale ; le mouvement en Orient s’appelle pénétration individuelle dans le vide fondamental du soi. Nous avons besoin des deux. » / L’influence de l’Asie à cette période n’est pas mince, des maitres font entrer le bouddhisme dans une Amérique corsetée qui en a bien besoin (à noter qu’en France un certain Benson (Le Livre de la Paix) lui accueille dans son château en Dordogne, des moines tibétains en exil, en 1976 le centre Dhagpo Kagyu Ling voit le jour, il en est un fruit). Quelque chose se passe donc… / Des ondes parlent, agissent dans des lieux. Gary Snyder, lui, là où il est, continue d’entrer dans une vie totale qui mêle les activités et les méditations, il s’en approche. La poésie a, prend sa place aussi bien dans les actes du quotidien que parfois dans quelques écrits, elle se vit, s’incarne. Des livres : Myths & Texts, New York : Totem Press / Corinth Books, 1960 – Regarding Wave, Iowa City : Windhover Press, 1969 ; New York – Axe Handles, San Francisco : North Point Press, 1983 / dans lesquels seront soutirés et traduits des extraits dans / Premier chant du chaman et autres aux Éditions de la Différence, coll. Orphée, en 1992. / Cela peut nous parler son entrée dans la vie active, puisqu’il commencera par guetter les incendies, posté à proximité de la chaine des Cascades, guetteur il l’est encore puisque là où il habite, il est ceinturé d’arbres, bien conscient de ce qu’il risque / un article de Médiatpart rappelle qu’il se tient toujours prêt à décamper s’il le fallait, aussi il explique : l’art des feux volontaires, préventifs, destinés à libérer les sous-bois et pérenniser la forêt dans son ensemble. Les Indiens connaissaient cela / Eteindre le feu par le feu, c’est une technique, il l’explique d’ailleurs dans l’un de ses poèmes : / Ce que les Indiens / ici / avaient coutume de faire / brûler les buissons chaque année. / dans les bois, le long des gorges, /pour garder les sites du chêne et du pin / nets et dégagés / avec de l’herbe / et quelques broussailles au-dessous, / mais jamais assez de combustible / pour qu’un feu puisse s’étendre. / Maintenant le manzanita, / (un buisson splendide en vérité) / abonde sous les jeunes arbres, / mêlé aux déchets des bûcherons, / et un incendie peut tout dévaster. / Le feu est une vieille histoire. / Respectueux des coutumes utiles et / des lois / de la nature, / J’aimerais aider mon pays / avec un incendie — un incendie violent / et salutaire. / (les graines de manzanita ne s’ouvrent / qu’après le passage du feu / ou après avoir traversé un ours) / Et puis cela / rappellerait / l’époque où / il appartenait aux Indiens / Avant /. Dans Le Sens des lieux , Veiller la foret - être veillé par elle / à un moment, c’est une seule et même veille, les corps, les matières, les atomes. C’est un Tout, exister, c’est être avec. Il sera
aussi bucheron, il entretiendra des chemins / sa vie durant il habitera, habite des cabanes. C’est un esprit libre Gary Snyder, avant de trouver espace, lieu en corps / adepte d’un / tiens, je vais aller voir là-bas si j’y suis / plusieurs fois il renouvellera l’expérience jusqu’à se poser à un moment à San Juan Ridge. Digne héritier d’une manière d’habiter le monde (Han-Shan, Allan Watts) / à son tour avec une grande simplicité il prêche notre appartenance à la nature, invite à la respecter, à nous respecter / dans sa note de présentation, il précise : […] Ces essais sont des appels bouddhistes, poétiques et écologistes à une pensée et à une action morales, complexes, métaphoriques, obliques et mythopoétique, mais je l’espère aussi pratiques. L’éthique et l’esthétique sont profondément entrelacées. L’art, la beauté et l’artisanat se sont toujours nourris de la partie sauvage et auto-organisatrices du langage et de l’esprit[…] / La poésie renforce la communauté honore la vie de l’esprit. […] Nous savons que les arts nous donnent à voir et à entendre le non-humain, qu’ils font signe en directions d’autres biologies, d’autres domaines […] Mais aujourd’hui […] la plupart des sociétés dysfonctionnent. Que peut la poésie dans ce contexte ? / […] exprimer nos rêves et les archétypes profonds. La poésie ne servira pas uniquement à intégrer et à stabiliser, elle ouvrira des chemins qui changeront les habitudes de perception et permettra à chacun d’explorer différentes possibilités […] et certaines seront susceptibles de donner naissances à de nouveaux points de vue. […] / Être dans l’accueil / à travers une population, les Aïnous, il nous chante l’Autre :
[…] La forêt, pour les peuples de chasseurs-cueilleurs doit être embrassée et visualisée comme un champ[…] Le terme aïnou iworu, « champ de force », veut simplement dire biome ou territoire mais il a aussi une dimension spirituelle. Révéler ce qui est là /
il y a de temps à autre des femmes des hommes qui semblent avoir pour fonction d’inlassablement rappeler ce que nous sommes et lorsque que pour ce faire, les mots s’accordent et deviennent musique alors tout est bien / la Vie peut aller son train / la Parole descend dans les actes, les actes se dressent en Elle / Tout est Energie, les choses, les êtres, les éléments, Tout se tient. Une vie à contempler, à méditer / cela peut contribuer à rétablir une harmonie là où elle manque. Gary Snyder, je crois ne fait pas autre chose que calquer son pouls sur celui d’un Souffle aimant, d’un Souffle invisible et là. Il l’écrit / je lui laisse le mot de la fin ou plutôt ce qui pourrait être un commencement (des commencements) pour les générations futures : / […] soyez économes, compatissants et vertueusement féroces, vivez dans l’élégance autodisciplinée de « l’esprit sauvage ».
Aussi il faut savoir s’offrir les conditions favorables pour que cela advienne, ouvrir son corps, son cœur à Cela / aimanter main parfois à ce qui est l’eau, à ce qui est l’air / effleurer et le contour d’un corps et celui d’un Ciel, c’est le même / s’offrir aimant / […] tenter de co-habiter avec ce qui est Mystère encore dans nos corps. Des écrits / même si souvent ils restent à la porte de ce Mystère / racontent ce qui se trame dans des corps, en leur corps… en cela, ils (s’) encouragent à vivre encore, à continuer / on ne sait quoi / et surtout ils s’offrent à la partager cette aventure-là / […] Pour un (je), entendre dans les marais, les estrans, les sifflements des Tadornes, les chants des canards Souchet, les cris des Bernaches, aux périodes de migration / comme s’ils étaient enseignements, un Enseignement pareil à celui des grands maitres, des grands textes […] et en témoigner
ce 27 aout / suis dans la baie, suis venu trouver l’eau, l’air / la compagnie d’une fine mouette, elle est un peu grise, elle est un peu blanche, elle est un peu de la couleur de l’eau et des coques vides sur le sable […].
Avec ce livre reçu ce jour et que je viens de parcourir, il va également être question / de liaison(s) avec des paysages, de se rallier avec la Nature en différents endroits, surtout l’un d’entre eux, les unissant et accordant à l’auteure d’y répondre avec ce qu’elle est, femme.
Partir. Cécile Guivarch. Editions l’Atelier des Noyers / Collection Carnets de voyages. 2023.
C’est un livre court / et même si seule une fois dans ces pages, est consigné une heure précise, ce sont quelques lignes qui semblent flotter hors d’un temps mesurable. Là il s’agit plutôt d’un Temps s’offrant tous les possibles, s’octroyant tous les droits / s’offrant allées et venues au gré de caresses en appelant d’autres, on le dirait / quelques dates quand même :
un / dix avril, un / dix et un / onze septembre, semblant leur offrir quelques ancrages, à ces caresses.
Quelques lignes échappées d’un journal intime qui aurait ses propres codes, / quelques lignes le racontant un peu le Temps / par l’intime / le Temps quand on s’y trempe corps et âme / un temps éprouvé, le Temps en soi, le corps en lui, s’y confondant / se confondant avec quelques heures, avec quelques jours. Un corps retrouvé, retrouvant sens. / Ce sont des mots venus d’un, du cœur / il est question de lieux, de leurs génies
/ à un moment de quitter torrent, un torrent / elle ne le quittera pas, elle l’emmènera avec elle, le mouvant, l’énergie / l’eau / De la rivière à l’océan […] l’eau, en mémoire, sa force / ce mouvement de Vie, désormais en elle, ce jaillissement /
Instruite ainsi par une rivière et il semblerait par un ciel même, instruite par l’Ainsi / Cécile Guivarch avec pudeur pose sur ce, son chemin des petites confidences / La blancheur d’une main / me soulève / vient du ciel […] / une montée, une main elle s’aventure en quelque chose qui est en elle / en lui / l’autre / en quelque chose qui devient lieu avec le, les corps, avec son âme, avec leurs âmes. C’est un petit livre qui le dit / l’héritage de ce qui va et aime / le lien complice et tendre qui tantôt est ondes ou bien présence et qui nourrit le chant en silence / le traduit en chant, le silence / elle écrit, Le possible désir
/ la vie de partout / j’entends / La vie possible / le désir de partout / provenant de partout / le chantant / l’aller, l’allant d’une Vie / en une autre / les cheminements, les chemins / d’une seule Chair : de deux mains croisant doigts / croisant voies et silences, une fois, deux fois et encore et encore s’aimantant jusqu’à ce que / en elle / la réalité s’augmente d’un songe / et qu’un songe s’incarne Ailes / battements de paupières / entre. Cécile Guivarch simplement nous tend des moments de vies, / les siens deviennent les nôtres. / En quelques lignes elle lie ce qu’il y a sous tissu, sous robe à / ce que seul un Ciel peut offrir de liberté, d’audace à un corps qui aime autant la Vie de tout son corps
« Instruits en amour [...] Nous entrâmes dans des espaces enchantés / et éclairâmes l’obscur / du bout de nos doigts[...] », nous confiait Ingeborg Bachmann, et je crois bien, c’est en cela, dans ses contrées-là que nous emmène Cécile Guivarch, ses lignes entre âmes et corps / ses lignes les éclairants ces moments d’une âme et d’une autre, d’un corps et d’un autre, ces moments avec la Nudité. / Le Partir / là est mouvement vers quelque chose et ce / quelque chose / en corps trouve échos :
l’eau dans l’eau / le temps dans le temps souffle-t-elle / quelques lignes en suspens / bouche, oiseau, coquelicot elle habite / quelque chose de vivant / Chant d’un rouge-gorge ce matin / je lève les yeux il me regarde / J’habite ce rêve ou un chant / quelque chose appelant / elle semble en voie / tout veut bien tout /
tout est simple / tout est à vivre puisqu’un jour il nous faut, il faut Partir / alors alors / juste elle effleure ce qui se donne, ce qui donne corps, un corps à ce mouvement vers / Dans ce songe / nous n’en finissons pas de faire l’amour / Une fleur une robe se soulève […] / elle se découvre chemin, rivière / nue / en extrémité(s), elle se découvre commencement(s) /
elle chante : La Lumière / sans en couper les tiges / La rendre au ciel / La restituer /
elle se rend au ciel, à sa vitesse, à la vitesse des fleurs elle en revient, elle y retourne / des cosmos, des jonquilles, elle sème, / plante Ciel, du Ciel encore et encore elle tend visage, elle tend nudité, elle reçoit Nudité, c’est Audace, écrire le Nu passage / l’écrire le partage avec quelqu’un, ce corps de passage / les corps n’en finissant pas de se commencer, de faire Lumière en eux et autour
Cécile Guivarch cette fois nous chante ce qui l’enchante, ce qui la rend plus vibrante : la Nature en elle / elle avec les mots. Son Corps l’écrire avec les éléments, le mêler à ce qui l’effleure, / cela, être / à même la Vie, à même la peau / en partance vers toujours plus de Chant en elle / […]
/ juste en regardant La Lumière / la Lumière dans, sur les choses, / elle ainsi, vêtue d’un peu, de beaucoup d’audace / elle ainsi femme toute, je crois / juste se dévoilant, elle ainsi en main, sous une main / s’offrant de voler nue /
peu à peu se restituant à Nature en elle / autour d’elle, se rendant / corps en flammes à / hirondelles / à fleurs, à eau /
Pluie, nuages, collines / et branches et tiges et pétales, et main même une main / accompagnent ses lignes sur le désir. ce sont les encres de Chine d’Alexia Atmouni / « à l’image du champ lexical / mouillé / du texte de Cécile Guivarch [...] », note t’elle et cela est dit / sous une main dessinée, il y aurait chair d’une main /
Chair(s) et encre(s) donc, Laissez-vous embarquer, laissez-vous toucher / c’est une publication de L’Atelier des Noyers
Bruno Normand
Vignette : B.N / techniques mixtes. 2023