LE ROUGE-GORGE
Difficile, rouge-gorge, de t’appeler mon ami, toi, l’inconditionnel ami, déjà, des jardiniers, du labeur paisible et sans arrière-pensée, des semaisons heureuses.
Mais comment fais-tu, toi qui les survoles par petits sauts furtifs, pour accepter aussi nos turpitudes, mesquines et parfois franchement plus repoussantes ?
Rouge-gorge, grand intendant des miettes de la huche, fidèle compagnon, du matin au soir, de nos binages, sarclages, graines et oignons plantés, fatigues et reins cassés, fleurs écloses et fruits vermeils… peut-être récoltes-tu quelques-unes de nos pensées et de nos mots confiés au vent, si tant est qu’ils en vaillent la peine, pour les disséminer, pour qu’ils fécondent chez les autres.
Peut-être en rapportes-tu à nos oreilles avides, riches de tes rencontres et de ta familiarité bon enfant, pour qu’ils nous ensemencent d’attentes et de pousses nouvelles.
Toujours, au voisinage de l’oiseau, la graine sème la beauté et son ivresse diffuse.
Comme si les trilles que tu siffles à notre cœur reconnaissant étaient l’or butiné de tes incessants allers-retours.
LES ÉTOURNEAUX
On a envie de crier. On en crie encore, de retour à la table du soir, harassés, autour de la soupe fumante. Ils bouffent tout, vident une vigne, un verger, en moins de temps qu’il n’en faut pour aller les chasser. Et ces piaillements à vous mettre les tympans en charpie, à déchirer vos nuits.
Nuages de malheur lorsqu’ils abattent en vrille leur furie noire, imprévisible, compacte, indénombrable ! Tourbillons d’angoisse à effacer d’un coup d’ailes le cahier des promesses et sa rude année d’efforts après tant de zigzags moqueurs entre les clochers tourneboulés !
Les fous de village ne sont plus si fous, ou le sont autrement mais ils ont déserté la campagne. Les épouvantails n’épouvantent que leur ombre et l’assourdissant bruissement d’ailes de la nuée couvre les pétarades variées qui trouent en vain le silence. Sombre l’avenir lorsqu’ils le picorent sans retenue, jusqu’à en épuiser la sève.
INSTANTANÉS
L’appel de la mésange suffit à mettre en chemin. Son charme ouvre les portes du matin calme.
Qu’est-ce qui peut bien déclencher de tels chahuts, à matines, dans les saules frémissants de la berge ?
Moineaux crieurs, vous êtes les hérauts du jour naissant.Courlis et vanneaux - brindilles en nichoirs -, et hoche-queue - si véloces les pieds dans l’eau -, vos gazouillis et figures gonflent le vélin du fleuve.
Brusque naissance d’une constellation de sternes à même l’ennui des sables : chamailleries, déchirure en pépiements.
Et ces dindons de pavane qui gonflent leurs jabots de grands écoliers à chaque nouvel hochet de leur tant prestigieuse et néanmoins futile carrière !
Que cherchez-vous, martins-pêcheurs en vos panaches d’ambassadeurs si près des barques à moteur ?
Trente perdrix fusèrent lorsqu’il stoppa : à quoi bon, il n’était pas chasseur mais ce feu d’artifice l’enchanta.
Sur le squelette du pin, le corbeau, trivial sans la foudre, piaffe, même levée l’impatience de la curée.
Sur la mare, mère canard approuve notre silence précautionneux en ne rassemblant pas dare-dare sa petite suite obéissante à notre approche comme elle vient de le faire au passage des promeneurs précédents.
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Juché sur un tronc d’arbre, un héron descend le courant, raide, à fière allure.Devant la femelle sage et blanche, le paon déploie sa panoplie de séductions. Elle ou lui ? Qui justifie cette hystérie vibrionnante ?
Jours de bascule entre chiens et rires fous.
Geais, corbeaux, pies funèbres, cormorans charognards à bec d’acier, se pavanent sur le bleu ardoise lasse du ciel dans le ricanement ostentatoire des mouettes.
Voisin de rive, le busard des roseaux, lui, ne bronche pas.Un couple de goélands balaie l’avenue déserte de la mer. Dans leur sillage, la proue file de l’avant.
Des éperviers guetteurs déchiffrent les hauteurs, peu complices des buses assoupies sur les rocs en saillie.
Repère d’éperviers tant la paroi recèle d’antres et de crimes.Au retour du Mont Ararat, l’Ache de Noë fit escale à Scandola, petite crique corse de fin du monde : les balbuzards s’y implantèrent, séduits.
Cristallins, vos arpèges fusent, s’évanouissent sous l’effet du vent coulis. Oiseaux d’ici, tant de trilles colorent le vent, les pensées du cœur !
Et vous, oiseaux de passage, semez votre butin : graines de poudre verte, aloès, aralias, asters, iris, orchidées, fougères, graminées d’aquarelles…
L’auteur :
Né en 1943 en Anjou où il réside. Ex-professeur de lettres, chargé de mission Poésie au Rectorat de Nantes ; ex-président-fondateur du Chant des mots (saison poétique et littéraire d’Angers), ex-responsable de publication de N 4728, Revue de poésie.
Anime un atelier d’écriture poétique dans sa commune.
1970-74, découverte de la poésie de René Char, premiers poèmes. 1978-88 : rencontres avec le poète aux Busclats, (cf. supra).
Paul BADIN, une vingtaine de livres de poésie, dont :
- Les plis du temps, éd. Caractères, 1995, 12 €
- Ricercar, éd. L’Amourier, 2000, 1° et 4° de couverture : Daniel Biga, 132 p, 19 €
- Loire, éd. Tarabuste, 2005, rééd. 2009, peinture de couverture : Martin Miguel, 92 p, 12 €
- Chantier mobile/Bewegliche Baustelle, Verlag Im Wald, 2006, trad. Rüdiger -*
- Fischer, gravures : G. Houver, 72 p, 10 €
- Jardin secret, L’Aile éd., 2007, 30 gravures couleurs et noir et blanc : Gérard Houver, 80 p, 25 €
- Fragments des Busclats (Rencontres avec René Char), éd. Poiêtês, 2008, préface : René Welter, 94 p, 17 €
- Aspects riants, éd. de l’Atlantique, 2009, encre : Silvaine Arabo, 102 p, 19 €
- Loire, Lumière, éd. de L’Atlantique, 2011, gouache : Martin Miguel, 80 p, 18 € et 35 €
- Post it, éd Rougier V, coll. Ficelle, gravures de Consuelo de Mont Marin, 2012, 40 p, 9 € et 60 €
- Voici l’homme, éd. Le Tourneciel, 15 peintures de Gérard Houver, textes : Paul Badin et Albert Strickler, 2014, 72 p. 15 €
- Loire sauvage, éd. Poiêtês, peinture hors-texte de Martin Miguel, 90 p, 15 €, 2015
Aux éditions Encres Vives, coll. Lieux :
Petites impressions de Galice (Espagne) ; Gouttes d’Afrique (Burkina Faso) ; La montée au coteau (Anjou) ; Pins dévers (littoral vendéen) ; Sur les routes du Rajasthan (Inde) ; L’Angle et le Zénith (chapelle à Beaumont-en-Vaucluse) ; Au gré des scilles (Algérie) ; …de sel et de pain (Russie) ; Patmos (Grèce) ; Glanes ibériques (Espagne) ; La flânerie aux Alyscamps (Arles) ; Le komboloï (Grèce) ; Entre Syr et Amou Darya (Ouzbékistan) ; Au pied de la montagne (Irlande) ; Instants-paysages (fusains : Paysages d’ici et là) ; Suite nordique (Norvège)…
Collection Encres vives : Poèmes à l’étroit ; Paul Badin et la poésie des lieux (témoignages de lecteurs).
Nombreux textes en revues et anthologies de poésie.
Oiseaux, le texte, intégral sera publié l’an prochain par Vincent Rougier dans sa collection Ficelle
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