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Quand j’ouvre Femme(s) passagère(s) de l’est par Serge Prioul

dimanche 15 janvier 2017, par Cécile Guivarch

Quand j’ouvre Femme(s) passagère(s) de l’est
sous l’abribus où j’attends le car,
il y a sur le banc voisin deux femmes Rom et leurs enfants.

Ciel d’ouest, langue de l’est.
_____ Des nuages passent.

Le ventre aussi est un pays.
/.../
Possédant une langue intérieure et vécue au sang.

Mon ventre frémit
Ventre déviant de lui-même.
âge venant.
De bon vivant.
Embonpoint d’un rire qui vient du ventre.

Je me demande ce que sera sa réponse
quand elle lui demandera pourquoi.

Pourquoi donc aimer particulièrement ces deux vers
et aussi croire que je pourrais les avoir écrits ?
Toujours m’accordent tes questions.

Lecture émotion.

Terrasses. Terrasses d’une autre ville.
Une église ici porte le nom de Saint Sulpice.
C’est le quartier bas, ancien, populaire
_____ vieilles maisons serrées contre l’immense château.
Est né là, après guerre
L’ami photographe du Barroso.

Ta vieille femme pleure en russe,
Ma veuve portugaise pleure en français .
Des ponts se font, comme cela, entre pays et poèmes.

Nuages passant.

J’écris une lettre que je n’enverrai pas.
N’ai pas de vélo non plus pour descendre
à Marseille.
Juste les yeux descendent
Sur la carte
Pas les cyclistes.

Prendre un train, alors. Vite !
Etre ce soir devant les livres. Les amis.
Pourtant n’aimer partir que comme part un Cendrars.

J’ai écrit tout à l’heure
Une moquerie gentille
Évoquant cette place et les poètes
Comme prière, disais-je !
Et je noyais ma rancœur d’un demi-siècle de non-écrit,
ma peur aussi.

Il y a là une amie de ma femme.
Elle me regarde lire, écrire.
Ne pas déranger songe-t-elle !
Lorgnant le moins.

Que crois-tu donc, jolie dame ?
Je n’écris qu’effleure du regard.
Ne pas tout voir
Ne pas tout regarder
Des gens
L’infime seulement a quelque importance.

L’été, la ville a d’autres bruits, d’autres résonances
Me dit la pharmacienne
Tandis que me retournant
Je prends pour un cheval
Une femme en talons, courant !

La femme en talons, courant
Comme le titre d’un recueil
A écrire,
Déjà écrit
_____ me souffle un livre qui va se faire.

Lire, continuer. Comme ombres de nuages sur la steppe.
Ou plaine d’Alentejo. Nuages, nuages.

Cette mère russe frappe à la porte
_____ de ma vieille maison.
Pas de neige ici, mais le temps,
_____ les pierres aussi sans doute.
Elles sont de partout, plus dures encore sous le froid.
La pierre gèle
_____ disent ici les tailleurs de pierre.

Ma mère est née dans cette maison
Un jour des premières gelées de novembre
Entre deux passages de bécasses
Belles mordorées
Reines qui viennent de l’est aussi
Signe de froid quand elles arrivent tôt.

Ma mère est née là
Et je viens d’écrire un poème. Nascimento.
Un sujet pour deux
Pour deux voix
Parce que deux mères / deux voies
Deux amis peuvent aussi écrire un poème
Comme une lettre s’allonge
Comme s’offre et se prolonge ce qu’il faut d’amitié.
Pour vivre.

En écritriturant .
Hier aussi, j’ai écrit les trois syllabes du mot triturer
Mon poème encore évoquait deux amies poètes
Toutes
Toujours écritorturées .

Advient fin et ruine
Jamais vers ne se termine.

******

dessiner lettres et petits bedons bedaines
chantonner rigodon dondaine fil de laine
toutes les lettres de feuilles et de plumes
enclosure volière pitres et tire-bouchons...

Pas de rimes imposait une revue

les mots interdits et les permis

Je n’écrit pas de rimes
Seulement celles qui s’imposent
Suffirait d’une pour m’écrire.

(fous rires dévalant hors de l’école
Glissades roulades et débandades)

******

J’aimerais voler tes mots
M’envoler avec des majuscules.

Un feu illumine mes matins,
Départs
Aux cloches de bois des chandelles.

A cinq heures mots s’enflamment
A six encore...
Puis traîne
Tous les matins de mes soixante ans.

va les aimer
en compagnie
dans la sibérie

toute la vie ?

Me laisserais bien voler
Toute la cendre souffler
Rien en dépôt
Vent
Vent toujours dans les passages.
Harmonie de tes textes
Trouver un mot qui dit
Mais pas comme harmonie
Trop vif
Trop musical...

Ensemble, me souffle
Sonne mieux résonne avec
Une femme se penche en cendres.
Pas facile d’écrire
Tout en lisant le poème
Poursuivant
Qui poursuit ?
Froid de Sibérie
Tiédeur d’une terrasse fougeraise
Mots anglais de passage
Petit train passe aussi sono.

Toujours ton texte
Où je joue les voleurs
Moins que d’autres
Accompagne
Tout autant que nombre de poètes.

On n’en parle pas de ça

Comme les choses vont ensemble
Non ne se mélangent pas
Vont chantant //harmonie, oui !

Cette voleuse aux yeux verts
Est belle autant que ma serveuse
J’ignore comment sont ses yeux
Il faut le soleil
A l’émeraude pour briller.
Soleil aussi fait les yeux brider
Et comme ton livre
Me parlent d’un ailleurs,
Venus de l’est.

D’où suis-je moi
De l’ouest
De quel sud aussi // de quel granit ?
Au bord
Des pluies venues de l’océan

Ta Sibérie est de plaintes
De plaines d’où s’envoler.
Deux hommes pour survivre
Partaient à trois pour manger
Et la neige là ne rime
Efface

Pas p.i.sage où sang se mêle.

Pleurer en lisant Pouchkine
Parce que la Russie
De beauté
Un pays
Fait pleurer

Taïga glacée
Où je voyageais adolescent.
Troïka et fourrure blanche
Le héros dont on avait brûlé les yeux
Pleurait sa mère
Les larmes sauvent.

Petite mère, disais-tu.

Ma mère est d’ouest
Passage de nuages,
_____ de tant d’ajoncs portés,
Vers la terre se courbe
Que range-t-elle sans fin
En rouge en neige
Dans ses armoires ?

Je pose aussi deux doigts sur ma bouche
Comme ne rien dire
Comme écouter
Un rien tombe
Inéluctable est un mot de fin de vers.

Elle s’appelle Victorine
Un peu de la Victoire
_____ un peu de la rime et du rire
Du père revenu
Cet enfer-là aussi était à l’est.

A l’ouest, la terre brune et lourde
Mais les bras ardents de si loin.

Femmes de l’est
Passages

Il nous faut bien laisser
Entre nos vies
Aller
Voler
Venus de l’ouest
Volant vers
Ces nuages clairs.

Fougères 12 juin 2016


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