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Notes de Bruno Normand : Chevalier / Montre-moi tes seins !

jeudi 1er avril 2021, par Cécile Guivarch

à Maxime,(1)

Revue Sarrazine n° 19. Thème (n’) importe quoi. 2019. / et n° 20. Thème Juste. 2020. Éditions A.I.C.L.A Lanskine.

Au début de l’année 2020 à réception du numéro 19 de cette revue j’avais bien pensé souligner sa sortie tant le thème et son contenu avait résonné sur le moment avec ce qu’étaient les semaines de cet hiver-là, avec ce que je vivais alors au jour le jour et qui témoignait trop souvent d’un grand n’importe quoi. Cela avait commencé avec la Merco qui subitement présenta différents signes de faiblesse juste après son passage entre les mains d’un type sympa, un marginal qui bricole à la sortie de la ville. Un lascar portant chapeau et malice, bref souvent il avait su me dépanner et jusqu’à présent il avait eu ma confiance. Cette fois-ci un doute me traversa, n’importe quoi me dis-je n’importe quoi / pourtant des bruits m’inquiétaient, la belle Allemande geignait de plus en plus et devant la difficulté à la maintenir en vie ici / dû me résoudre à la laisser rejoindre par ses propres moyens le Mali via le Maroc (s’offrir un pont et une climatisation). Et lors du passage au contrôle technique du fourgon japonais ce fut aussi des misères qu’on nous fit en nous accordant point une nouvelle fois l’autorisation de circuler pour deux années encore… / Puis ce fut la vieille Land, le pick-up, celui-là même acheté pour me consoler de la mort de l’ami Antonello, cela faisait combien maintenant… plus de vingt cinq ans que je le maintenais en état, juste pour enfoncer le bouton rouge et l’entendre, juste pour le laisser se cabrer de temps en temps. Lui aussi dans l’hiver décida de ne plus arquer fierté. Il refusa de démarrer, lui aussi après un passage chez le gars à la sortie de la ville… N’importe quoi / me dis je encore cette fois quand le mécano m’annonçait sur un parking venté et froid, un moteur HS alors qu’il avait à peine commencé sa vie. Dû à nouveau m’amputer d’une monture et la laisser partir sur un plateau, la céder à un homme solide qui a su traverser la France. Il la méritait. Un breton de Pontivy /un gars avec un nom plein de Zède(s) revenant au pays, / Du grand n’importe quoi / quel gâchis mais bon, elle est en bonnes mains… me dis-je en la regardant une dernière fois s’éloigner et disparaître entre les hauts hangars, les halls et le rouge portique des chantiers navals,
puis ce fut Mars et ce que nous avons tous vécu… Et toujours sur la table ce numéro de la revue Sarrazine qui appelle lecture, depuis le temps qu‘il est là en souffrance… Pendant cette période agitée, une fois si je l’ouvrais au hasard et il s’ouvrit en son milieu, je lus par fragments puis en totalité l‘entretien remarquable de Jean-Paul Dumont par Paul de Brancion :
Nous sommes dans une époque où l’argent, le profit, le business règnent en maître absolu, où la notion de gratuité est presque louche. Le don est la figure même de l’impossible, selon Jacques Derrida[…] / c’est de cette manière que PdB amorce l’échange avec le professeur… et à un moment, cela arrive les deux gars, bottes dans le ruisseau tâtant les alluvions, pensant avec leurs chairs, / PdB : Le don a une force de vie, […] le don est un dialogue ? / JPD : Le don est un espoir de dialogue fait de gestes qui engagent. / PdB : Pourrait-on dire que le don est une intuition pure…
alors là il m’a scotché le Paul de Brancion… sa propre interrogation lui répondant avec force je trouve / je prononçais alors tout bas, c’est ça ! Le don aimante quelque chose à venir, qui peine à venir, je crois / il est une main tendue à l’effacement progressif d’un égo en chemin, il a pour lui de deviner dans, par le Geste, un possible Divin, le Divin Possible
Pour Jean-Paul Dumont : [...]Le don ouvre accès à l’au-delà de soi./ Pour Paul de Brancion : […] c’est un sujet qui me touche, dire que le fonctionnement du don est de l’ordre d’un esprit de la vie, d’un élan vital[…] qui va contre la peur / et JPD répond : […] le don est un risque. [...]Le don est une manière de se jeter au fond de l’inconnu. […] c’est l’énigme annonciatrice de l’Énigme.

Pardon lecteurs pour ce long préambule, il me fallait replacer l’atmosphère étrange de ces mois ou pour un temps quelques-uns d’entre nous ont retenu certains de leurs élans.
Et un autre son, s’est invité le Kairos, cela s’est passé cette nuit, je ne dormais pas et j‘ai à nouveau ouvert ce numéro de Sarrazine / thème (N’) importe quoi, j’ai relevé dans l’Édito / Nous avions décidé pour ce numéro de choisir un « mothème » très ouvert. Saisi par le sentiment du monde errant se dirigeant sans grâce vers des avenirs bouchés dans un grand n’importe quoi généralisé. /[…] puis au fil du temps[…] / le N se mettait lui même en parenthèse. Il ne s’agit plus de perdre le nord mais de le retrouver. […]soudain ce qui comptait l’élan de la création, le don, la liberté, l’échange… /
j’ai tourné les pages, ai parcouru les textes des invités /
DANS LA NUIT de Wim Hofman / En l’an 53 / Année pleine de malheurs, / Notre pauvre Martin / perdit sa petite sœur / [...] Autre chose se brisa
MIGRATION-QUAND de Donatella Saulnier / [...]on naissait en silence et grandissait dans cette idée. Un peu partout apparaissaient des êtres, puis ils disparaissaient. [...]le temps n ‘était pas favorable. / [...]Dans l’opacité de ce vide, on se prenait pour un géant , ou pour un phare, ou pour un paon, / c’était des joies désespérées / […] oh j’avoue ai erré même dans ces pages, cette nuit là après mal rêvé, / pour faire court / me suis battu avec une onde, une forme invisible / m’épuisant dans la lutte ai même convoqué forces protectrices et amies, secoué, cela m’a réveillé ai pris les allées proposées par ce livre, j’ai relevé in TRUCS de Dominique Quelen / […]bref renard qui couru en dedans / tes oreilles au loin débordent / tout le temps est en carton / ou la difficile nuit on dirait / une proie transparente […] ai même donné écho à / […] vrai de vrai le récit / de ou sous d’autres / formes d’histoires / ou aucune véritable / vraie vérité établie / vraiment sortie mon / […]
non vie sortant / vraiment une fois / la véritable histoire / ai marché à côté de leurs maux / (mots) qui pleurent   le trahissent silence ai pensé / non-œuvre n’est pas permise à tout le monde   l’effort se voit /   oh c’est le thème   c’est n’importe quoi
n’ai ni jugé, ni jaugé et arriva ce qui arriva 04 LES NUITS, Elke de Rijke / [...]Où te tiens-tu et qui es-tu ? […] c’est là ou tu es / Pour mieux voir ton dos musclé / dans le nulle part aux fesses prononcées / sa brillante beauté-
à ce moment de Nuit, dans toutes ses allées / heureusement la chair pour direction j‘ai marché en vous lisant suis arrivé là à ces mots    / prière :
efface / efface / efface / efface / efface / efface / efface / efface
[…] la parole comme seul filet[…] j’essaie de sourire en direction de l’eau, il y a du vent

ai pensé, là je suis At home /   car je l’ai vécu cela votre prière, chère Elke de Rijke, dans mes plus jeunes années, les mots ailes repliées,   le verbe rare   à certains moments de la marche, (quand la mue me faisait préférer les marais, les hérons et leurs « arcs de sagesse guerrière ») / la digue fragile d’une présence débutante   face à quoi,   l’Absurde dans quoi, la Beauté dans quoi /
vous ferez d’autres découvertes dans ce Sarrazine : Thomasz Bak, Claude Naud, et page 85 Vanda Miksic / le 20 octobre 2014 :    T’as pas ta pomme / demande une ève rouge / [...] une phrase magique, d’autres, vous en trouverez chez Paco Friez / [...]contre la présence imaginée de celles-là nouvelles et tues / que j’aime / aux noms parfumés de collines / Impossible géographie, tendre géographie[…]

L’éditorial de PdB nous proposait de retrouver le Nord… Les dernières pages sont offertes à quelques poètes norvégiens et danois, pour ma part j’ai été touché par la force des lignes simples de Ruth Lilagraven où dans un va et vient de regard, la lune devient serpe, la serpe devient lune / celles de Theis Orntoft « cernant l’essentiel », se cognant au Réel où les actes s’entendent / ça sent la menthe dans Norregade /un artisan vend un soda frais / j‘entre dans la boutique / me cogne contre la porte / le caissier dit attention la tête […] / tout est authentique, qu’est-ce que ça pourrait être d’autre putain...
Photographes et plasticiens dans chaque livraison (Gérard Zlotykamien, Jean de Breyne, cette fois) et ce sont souvent lumières et ombres remuées, saluées.
Puissent ces extraits déjà vous laisser entrevoir le ton de cet ensemble où la disparité des textes se veut chant d’être(s), je crois.

 

Chant(s) de l’ Autre, d’Être qui d’un numéro au suivant se transmet(tent) bâton de pèlerin / j’ai reçu le dernier numéro, cette fois le son annoncé est le mot Juste / il serait question là de corriger l’injustice de ce monde avec des mots choisis,   ce qui donne à ce petit opus   un petit air politique / un peu comme si on écrivait un petit air de campagne /   par l’écrit cela La Justesse comme Voie presque, comme Voie vers… semant là   et là ses petits… dans une telle et un tel s’offrant grappes, constellations, avançant Présence(s) ainsi
ô les rapprocher les bribes de Mythologies personnelles / Le Feu n’en sera que plus fort et les cendres que plus fécondes, l’Herbe Blanche à un moment finira bien par s’écrire l’Herbe Juste
de Sophie Coffier / […] A bien y réfléchir une biographie semble devoir accomplir la même opération de rapiéçages et de reprises invisibles, jusqu’à ce que le tissu des faits ressemble à s’y méprendre à une nappe de repas de noces
sauf pour cette auteure, elle l’avoue / Ma vie est inracontable pourtant elle le raconte bien son projet de disparition / on comprend tout de suite chez elle ce qui à un moment fera noce, et feu d’elle Juste cela l’écrire ce qui la traverse elle, l’Énergie venue la visiter, éclairer là et là ce qui forme trame d’elle aussi : cela, je crois / dans sa petite présence ce désir de disparition, ce désir d’apparaître nue
Lumière, chacune, chacun de nous en faisons l’expérience Juste silence parfois effraie / la tentation d’y échapper de faire flap / flap / [...]si je retiens je ne sais plus trier / les mots de l’ivraie / ma langue se défait défaille me dédit / m’encombre s’affole se fige / […] se débraille inconvenante / on me dit méchante je me nulle / me désolidarise de moi-même / [ …] faut me cacher / me sorte tatouées les émotions maltraitées / […] j’ai un corps qui s’exclame / ( et je lis : […] faut me montrer / [...]qui sexe clame),   l’Éros est partout, à chaque coin de la sphère Présence / oh si vous le savez le racontez l’inracontable chère Silvia Marsocchi   L’amour qui manque là, la place de ce qui manque, vous le savez être Juste à votre manière, l’être- vous,
et ô se confondre se fondre dans une photo prolonger corps dans arbuste voir buste
et ô les phrases justes de Patrick Beurard-Valdoye l’épousant au plus prés son contour là qui se découpe colline de Vérita dans le dos sur fond de Vérité, de Beauté les choses comme elles ont été comme elles ne sont plus comme elles se révèlent Danse pour mémoire
dans le paysage choix d’un arbre pour corps et demeure pour sang possible / la sève sonore du tremble    pour la rencontrer nue en cambrure la droiture d’un tremble, la souple écriture pour le visiter lieu où une icône oubliée à peine révélée se buste en tremble se BUSTE D’ARBRE PLUS / JUSTE QUE MARBRE
ô   page 29, l’auteur cite Rainer M. Rilke « Car nous sommes seulement écorce et feuille / La grande faucheuse, que chacun a en son giron / c’est le fruit, autour de quoi tout se tourne. »
voilà je vous tends des arbres semble nous dire Patrick Beurard-Valdoye / le banyan de la rivière Tungabhadra / le marronnier des filles / la pinède d’Artaud / la chênaie de Lipica,   j’y entends c’est un chemin que j’indique ce sont des arbres justes là à portées de Nous c’est une voie que je borne en mêlant la matière des Elégies de Duino à celles de / fumerolles à ras d’herbe / une daine et son daim[...]
Dard est la voix qui a porté arme ne serait-ce qu’une seule fois, la licorne est Esprit, est corde / [...]immobiles de profil à / quelques pas du poème / me priant se poursuivre / je retiens mon souffle [...]mais / lorsque sont prononcés les mots / […] « d’un grand regard animal » ils s’enfuient[…]
il fallait s’y attendre / s’approcher c’est s’apprendre   c’est dans la Distance, s’offrir Extrémité(s)   s’élargir corps encore et encore c’est se toucher, c’est parfois même s’étreindre sans ne rien prendre   ô combien de choses tues de femmes nues pareilles à Daine et Daim de Dames dévêtues sans prononcer leurs noms
Merci à cet auteur qui m’inspire ces lignes, peut-être sont elles de cette fuite / Signe(s), signées d’elle
et l’on arrive page 35 aux Réponses de Prigent à la question / La poésie devrait-elle être l’expression d’une collectivité ou d’un collectif ?   / Quid de la tension entre le « je » et le « nous »[…] ouf ! du sérieux broussailleux, de l’épineux, la Licorne va pouvoir s’y planquer / il n’a même pas peur le gars Prigent, il répond /   à la question 6 / La poésie est-elle irréductiblement et profondément inutile ?
C.P / [...]La langue c’est ce qui pour les parlants, forme le « monde » : l’entre-nous qu’on appelle ainsi [...]un façonnement du monde [...]Rien de plus utile que cette fiction[...]ces fictions[…] parfois quelques unes dessinent des écarts violents et ouvrent du même coup le « monde » : indiquent qu’il existe d’autres possibilités de monde[...]
page 43, aux mêmes questions, les réponses de Béatrice Maury dont les photos jalonnent ce numéro 20 / entre ses lignes, cela nous renvoyant au manifesté lorsqu’il montre l’invisible, le fait flotter et là elle souligne l’œuvre de Tinguely, celle de Calder :
B.M / […] ne servant fondamentalement à rien elles imposent cependant l’utilité du rêve de la pensée de la rencontre – comme Calder et ses Mobiles qui aèrent l’espace [...]
page 48 / Docteur Apert gifle à tout va / son tout-moi déclare / […] les hommes naissent libre et ego – en moi / cela m’est venu en le lisant / se sent-il seul survivant dans un monde sans âme, erre-t’il souvent ainsi dans un monde sans personne… est-il las d’un niaisage médiatique, probablement un peu tout cela, avec dérision l’homme se rassure, il fait du bruit. Ça éclabousse un peu au passage, envoie de / la pluie ça mouille / l’humour quitte maquis, jantes larges châssis rehaussé lorsqu’il passe exprès dans les flaques des phrases toutes faites… Si s’acheminer c’est faire acte de Soi,   Olivier Apert use égo il y va /
page 56 / pareillement Pierre Drogi s’offre présence, le(s) bord(s) n’est (ne sont) pas frontière(s), il(s) sont seuil(s), là il semble peser paysage, le grand champ détrempé, les peupliers, les vaches. un rossignol / quelques vies sur l’un des plateaux, sur l’autre quelques phrases, il tente l’équilibre / [...]à six heures au matin la chauve souris blottie sous le volet se détache / les étoiles oursines persuasives au ciel que fixent les reflets / [...]même ce que vous ne savez pas / vous sera repris Cela, l’avouer pas trop fort, qu’entre quelques moulures baroques, au fond on ne sait rien / chacun faisant ce qu’il peut avec ce qu‘il a reçu, ce qu’il est / le Soi, (se) laisse écrire parfois corde d’une nudité, d’une écriture le fait vibrer, le donne à entendre
et je l’entends l’intime pépite chez Maud Thiria / - la la la pose ta peine en moi / dirait une voix de mère en toi- / c’est peut-être cela une image / une voix de mère en soi / une parole du Soi / [...]et tu boirais cet air / juste et doux comme du lait et tu resterais nue / sous les grands pins / déployés / - leurs mains d’ombres tendre juste l’amour pour membres pour corps /
et je l’entends aussi le BARBARE ORGUE de Laurent Colomb dressé sur ses ergots, son argot / j’apprends Cimer c’est Remercier, et chance pour ma part j’ai le / Merci facile la Cime je la vois déjà dans la plaine, je n’attends rien et vous nous enrichissez de votre vécu, ami / page 86 / […] Faites de moi votre son, votre double sonore… Faites en sorte que j’existe musicalement dans votre bouche Oh si vous saviez frère là comme dans une bouche, dans une autre et dans une autre et…   combien j’ai existé en bouche, combien de fois me suis entendu   mâle, souffle et sang /   dans la bouche d’une femme, souffle et sang / prononcer, exister en sonorité   et vous me le rappeler
comment rendre hommage à toutes ces présences…   Jacqueline Merville / ce qu’elle retient avec ce qui fait corps en elle, s’il fallait qu’une trace d’elle soit viatique / […] Il fait jour, une odeur salée, celle de l’océan ou celle du sang / […]
/ dans CONTEMPLATIO, Catherine Rodière Rein chante, se chante se rêve et le rêve le M /monde, elle aussi n’est dupe de rien je crois un jour elle s’est décidée, elle a sauté dans une écriture de survie / l’océan elle le contient et il l’a contient l’écrire cela / suspens
page 103 in GLYPOSATE FOR EVER / Paul de Brancion cette fois prêtant plume se faisant porte voix lui agriculteur bio, là se définissant ainsi, s’indéfinissant ainsi   sol-idaire des sols, des hommes sous le ciel / des hommes se réfléchissant sur les ronds points /   lui PdB, il envoie slam ou rap /   quelque chose dans le genre quelque chose d’articulé sur ce mouvement de gilets jaunes / de désarticulé aussi /   de quelque chose qui ne va pas   qui ne circule plus / l’énergie
tout cela qui fait vie, qui fait corps et qui allie d’habitude les angoisses et les joies / là que dalle / nada, alors lui tente un truc prêter la sienne, l’énergie, la voie qui le traverse, cela donne / […] comme y z’ont / rien à dire / car c’est trop / les casseurs / ben y cassent / les voleurs / ben ils volent    ai eu envie de prolonger / là aussi il faudrait   que le juste soit loi,   que la justesse passe / et payer correctement ceux et celles qui donnent sang, corps, vies, / que les terres épuisées retrouvent trous de vers / [...]assassins / des lombrics / producti- /- vistes à mort / que les corps retrouvent chacun énergie(s) de la Source / Océan, lien avec sa vraie nature oh encore des vies / oh encore des écritures / Jean-Luc Lavrillé, Alexis Pelletier le chantent aussi l’Etre-là, Jean-Paul Dumont l’explique un peu / Chacun dispose d’une expérience qui a sa force et dont il faut tenir compte / lui Jérémie Vidal écrit : Soyez un arc en ciel des possibles
(1) et oh page 116 cet hommage poignant à ce jeune Maxime à qui je dédie ces notes de lectures, cela me touche terriblement que quelqu’un mette un terme à sa vie / sa sexualité dérangeait qui, quelques riquiquis…

 

Un petit peu d’herbes et des bruits d’amour. Cécile Guivarch. L’Arbre à paroles. Amay. Belgique. 2013.

Sans en trahir le contenu, le titre aurait pu être / Un petit peu d‘amour et des bruits d’herbe / car dans ce livre dès le premier poème les choses sont dites en quatre vers, la femme, l’homme : avant naître sommes /graine ou petits pois // nos mères nos pères / l’ont été aussi /
sous la terre, sur la terre,   sous les pluies, le vent, le soleil   sous le Ciel   l’ont été cela corps avec les éléments, dans l’Elémental et ils le sont encore d’ailleurs après s’être posés, après avoir séjourné un temps là, maintenant qu‘on ne les voit plus / autrement là remuant, binant l’invisible : dans une femme   graine a remué son presque rien / / sa mère en a pleuré / son père n’y a pas cru // s’en ai envolé ailleurs /
après être nés, séjour là, leurs existences, l’existence où   dans le où du M /monde désormais / à l’état de graine à peine, de quête à peine,   les transmettant les énergies, la transmettant l’Énergie qui les ont traversés,   la transmettant la quête / La Marche.

Et à nouveau c’est :    chair et os / cri de nouveau-né    c’est attirance, c’est Désir d’unir leurs désirs   c’est grand Désir cela / celui du Cosmos en deux chairs, c’est rapprochement et /à un moment c’est là, à nouveau le non-né / la quête.   La Nature là, mêlée à la dureté d’une époque, d’une Espagne, celle de sa mère, d’une partie de sa chair. Cécile Guivarch le conte cela,   ce qu’ont dû endurer certaines femmes, certains enfants dans leurs corps, la violence de leurs pairs, cela être séparés du Ciel en eux, cela, n’être qu’une moitié d’être,

dans les champs // elle ramasse les patates / les femmes chuchotent // les hommes la regardent / sa sueur sur le front ses yeux / qu’elle est belle

elle souhaite récolter son fruit / [...]sa mère voudrait lui donner / le lait des premiers jours // [...]le regard des autres / personne ne lui permet / ce qu’il lui faut pour être // cette mère là /
elle pleure /
plus tard le qu’en dira-t’on soufflera qu’elle a un trou dans la poitrine
car dans ce passé récent il n’est pas rare que les poitrines morflent, que les souffles, le Souffle morfle(nt), à cette époque que les balles sifflent. C’est un récit, c’est de la poésie posée sur des petites / grandes présences / sur beaucoup de souffrance. Pourtant Elle et il elle et Lui venaient du Ciel   ils en portaient les signes

elle avait dans le cœur / autre chose que la guerre / (des oiseaux peut-être) // autre chose tant ses yeux brillaient
[...]ses yeux débordent des rivières

Cécile Guivarch la raconte la Beauté légère se frottant aux présences épaisses lorsqu’elles s’y mettent les présences épaisses à la prendre pour cible, la présence légère / alors il ne lui reste plus qu‘à la rêver sa vie des fois qu‘ailleurs / le Monde se balancerait plus léger, serait sur tiges,

s’il y avait des fleurs / marguerites et coquelicots / […] les cueillir dans le talus / ne pas savoir jusqu’où peut aller // le chemin
Se l’imaginer l’Ailleurs, elle n’est pas la seule ainsi
les uns s’en vont / à Cuba en Argentine / le rêve de quoi au juste / les autres restent / ne savent pas / partir
Elle,   saura le faire le pas vers /   un billet de mille pesetas en poche /ce qu’elle fera avec ça / sa valise sa vie dedans // de l’autre côté / les montagnes […] sur la route vers l’ailleurs / L’exil pour se trouver, pour l’aimer d’ici le là-bas, son là-bas
De la distance, de la pudeur pour l’aimer le sol, le ciel d’où l’on vient /
d’où elle vient.

 

Cent ans au printemps. Cécile Guivarch. Les Lieux-Dits (coll. Cahiers du Loup Bleu) / Strasbourg. 2021.

Écrire sur le passé, le Temps, l’Autre, les autres en soi, certes Cécile Guivarch n’est pas la première à le faire, les auteur(e)(s), les textes sont nombreux et c’est bien ainsi car chacun d’eux témoigne d’un lieu précis, d’une époque, d’un ou de plusieurs personnages les réfléchissant.
Et cette mosaïque de souvenirs relevant ici la solidité et le courage de ce qu’ont été souvent nos anciens, mérite bien évidemment qu’on la revisite et la célèbre cette mémoire. C’est du petit patrimoine, au même titre que les pierres d’un lavoir oublié où le linge sale se lavait en famille (en tribu) ;
qu’une fontaine noyée sous les ronces dans un chemin creux et dans laquelle sans regarder la femme ou l’homme souffrant d’un mal jetait une poignée de haricots ;
ou bien encore qu’une roche phallique recevant les hommages des mariées en mal d’enfant. / (la croyance est ancrée si profondément que la pratique demeure de nos jours au point que la roche en brille par endroits).

Fallait-il que les gens s’écoutent, s’entendent pour que ces lieux, ces gestes se reproduisent au fil des générations et qu’aujourd’hui encore on les souligne. Cécile Guivarch est dans cette transmission, sa nature sensible la porte à privilégier les émotions partagées, les atmosphères qui les veinent. Applaudir avec des mots ceux qui nous ont amenés jusque là, c’est entretenir la Marche, une marche en nous, c’est aussi accorder l’invisible avec le Manifesté. C’est le chanter le lien. Elle le sait cela, la connaît l’importance de nous les donner à respirer ces belles présences rencontrées ou imaginées. Ces belles présences souvent pour qui vivre, seulement ça, vivre / revenait à se prolonger dans une progéniture   et cela parfois dans l’adversité.   Assurer une lignée donnait sens à une, à la Vie.
Et quelle joie cela aurait été pour quelques uns d’entre eux, s’ils avaient seulement pu entrevoir qu’ils feraient mieux que cela, puisqu’ils inspireraient plus tard des lignes.
Lignée et lignes c’est là.

Cécile Guivarch lui a tenu la main à ce grand-père et avec ce livre elle continue à le faire, rien n’a disparu et surtout pas la chaleur et la confiance qu’elle ressentait alors petite. C’est en cela que l‘écriture de Cécile Guivarch se reconnaît, c’est qu’elle a su la protéger, la garder en elle cette petite l’observant cette mémoire en train de se faire. Déjà, je crois elle s’en doutait que c’était fort, ressentir le monde avec intensité sans encore trop le comprendre cela, qu’il était de passage ce grand-père, qu’elle était de passage et tout autour le contour des corps, des bras, des épaules / les arbres, les feuilles, les troncs, le vent, la pluie les éléments pareils aux corps   que   tout cela n’était là que pour un moment et un moment encore et que le seul moyen de durer était de la regarder la Vie avant qu’elle ne nous quitte la Vie… que le seul moyen de durer, d’exister toujours, serait encore,
de se refléter dans corps, de s’offrir chambre d’échos et de le chanter par l’écrit / de laisser empreintes d’une main dans une autre, d’une étreinte, d’une présence en une autre, d’une âme dans une autre… elle y parvient à cela, en quelques lignes, à le loger ce qu’a été le lien entre un vieux loup de mer et une gamine curieuse de tout. Des extraits /

[...]je suis si petite et lui déjà vieux / […] marcher la main dans la sienne
Ses mots au quotidien / très peu de choses / le blaireau sur le lavabo, le tabac à rouler / l’ancre sur sa casquette / son bleu, ses bottes /
   dans / je caresse ses médailles / j’y entends / je caresse sa force morale et c’est santé et source en moi m’en souvenir
Cécile Guivarch a cette grâce d’écrire simplement comme seuls les enfants pourraient le faire s’ils le pouvaient… j’ai déjà relevé ce paradoxe, il faut en soi une certaine maturité pour l’atteindre cette simplicité nécessaire, pour la retrouver et la restituer cette innocence des premières années où tout se découvre au jour le jour. Cette innocence chère à nos anciens qui parfois en portait l’odeur jusqu’à ce qu’ils meurent, cette odeur de fleur même parfois jusque dans les prénoms, certains s’appelaient Ange, Elie /   certains d’entre-eux y croyaient fort aux anges, leurs prenaient mains, le Dédé était de cette espèce là, il aurait donné souffle et son sang pour la sauver la prairie des femmes et des hommes ensemble,
beaucoup l’ont fait
Sont morts milliers de grands pères / ce n’était pas le mien / […] Elle leur rend hommage à travers lui, elle lui rend hommage à travers eux / cet entrelacement est amour

maintenant qu’il habite le silence, le sol, les sols le Soleil
il habite désormais des milliers de grands-pères

Écrire ses yeux pour retrouver leur couleur / [...]

pas facile à le rendre visible le bleu de ses yeux   / ni n’était un bleu de ciel ni ce bleu de son bleu de travail, non plus celui de la jacinthe, ni même l’iris ni le bleuet ni la menthe glaciale
une certaine transparence / dans laquelle se perdre/ […]

pas facile à le rendre invisible le bleu de ses yeux
maintenant qu’il les contient tous   les bleus
de celui du Ciel à celui de l‘ Océan   à ceux de ces bleus sur tiges / la jacinthe l’iris le bleuet,   / jusqu’à celui inaccessible des profonds glaciers
et vous l’appelez menthe chère Cécile je vois   l’Inaccessible Bleu vous l’appelez / transparence   l’endroit où se perd le corps en chemin
/   l’infini bleu en vous

le Dédé était de cette espèce d’homme,
il aurait donné sa gorge et son sang pour la sauver la prairie des bleus ensembles /   pour le transmettre / le dressé qu’il portait en lui et il y est parvenu car vous le racontez bien ce qui fût et demeure en vous / le chemin interdit sauf riverains / nous y allions main dans la main / [...]le vieux poirier / devenu sauvage / […] / vous le racontez bien le Temps enfoui, le / [...] pendant la seconde guerre /   le carillon de leur mariage / enterré là sous le vieux poirier

et désormais là chez vous, sur la table de votre salon, le Temps retrouvé
et les lapins, les clapiers vous les contez bien / [...] leurs grandes oreilles et leur petit nez remuant / avant de les voir dans la cuisine [..]
et vous précisez quelques minutes avant, ils vivaient encore (c’est rapide de mourir)

vous savez l’écrire chère Cécile Le Temps avec ce poème le, les racontant ce, ces jour(s) de pluie les herbes mouillées sur le chemin interdit sauf riverains / des centaines de coquilles / les escargots déposés un à un dans un seau / pas pour une course de lenteur /   non / [...] pour les faire dégorger à l’ail et au beurre

et puis à un moment arrive cela, où se perd en chemin le corps, un corps / le sien
celui du grand-père, du repère
à un moment arrive cela, où se trouve en chemin l’infini / le sien, le votre même et cela n’a de cesse depuis de vous le rappeler, de renaître chaque seconde, de le revivre l’amour

un désir peut en cacher un autre /   et il semblerait bien qu’amorcer un souvenir ait réveillé une source en elle / là, le ruisseau d’une casquette de marin / ruisseau encore se rappeler des cousines et cousins, de jeux dans le foin / ruisseau d’un été au pays et d’un autre au pays / ruisseau d’un exil /   ruisseaux répétés et force en elle de les recevoir ces énergies   de les contenir un moment jusqu’à ce qu’elles débordent d’elle   lui laissent voir, entrevoir Élargissement / Livre
un vrai Désir   une noyade certes mais pas sans eux ces, ses ruisseaux pas sans elles toutes ces, ses énergies la traversant   / Cent ans au printemps,
c’est gorgée d’émotions accumulées que ses lignes vont vers le lecteur, c’est Amour l’énergie
pour le, les rejoindre les ondes   quelque part en elles n’en formant plus qu’ Une

 

C’est tout pour aujourd’hui. Éditions la tête à l’envers. 2020

Cécile Guivarch nous livre un second recueil en ce début d’année / celui là est une relecture de courriers qui lui ont été confiés par des proches, des amies, des inconnu(e)(s). Chacun évoquant une époque révolue, celle des échanges par lettres et cartes postales En quatrième de couverture il est indiqué :
« A travers elles, se concrétise la vie des grands parents, leurs joies, leurs souffrances, une vie quotidienne banale sans doute mais à laquelle la poète accorde une grande attention.[…] »

/ [...]le banal, le banal oui mais le banal subtil ! / c’est ce que j’introduisais ces jours en réponse à l’auteure toujours prompte à conserver une trace de ce qui va et s’enfuit / et qui m’écrivait : / [...]
des adolescents qui rentrent de l’école. Oh ma fille avec son manteau rouge /
je la trouve belle cette ligne, ce n’est pas banal, dans ces mois où tout est gris, d’un coup ce rouge là la disant la fierté d’une mère là   /   la disant l’Apparition.

Le banal n’est pas banal, il est contour / du Mystère,   d’un secret parfois, il épouse chaque geste, entoure chaque transformation, chaque vie en cours / Se pencher à un moment dans son être et ses ruisseaux, cela revient à se rencontrer soi, le Soi pareil à l’ Océan   matière pareille à lui, à un moment   à se rencontrer   matière-Mémoire / de le conter avec le cœur ce qui a été ce qui a traversé chair et souffle, corps
/ de memoria en espagnol se traduit par cœur ce n’est pas tout a fait par hasard comme si ce qui restait d’un corps se disait par l’Amour, ne pouvait se dire que par lui, l’Or d’une présence
être ce Présent là   et cet autre là / le Temps d’une vie avec cela en nous, cette conscience,   cet Or qui n’en semble pas, qui est juste dans le Geste d’aller vers   les gestes qu’on a parfois, qu’on a pas, jusqu’à ce que corps approche Vide pour conscience   le Vide comme s’il était de l’Or en lui le Corps / ce n’est pas banal un corps se devinant ciel en eux les défunts, les défuntes /   un corps les devinant en nous les feu (x) d’eux   ce n’est pas banal écrire les femmes, les hommes de passage.   Cécile Guivarch s’adresse à eux, entre les lignes, elle capte onde(s), une conversation s’amorce,
page 9 / Vous bougez, me donnez envie de vous aimer, vous entourer de mes bras […] vous me poussez dans le sang pour fleurir au bout de mes doigts[…] Je poursuis[…] quelque chose qui bat tout près au loin / page 11 / [...]ce sont des mots, ce sont les vôtres. Je les répète longtemps après,[…] vous devenez aussi présents que vous l’étiez hier.

une respiration se fait, l’auteure s’inspire à la lecture de ces courriers, l’auteure expire à l’écriture de ses poèmes et commentaires, c’est souffle par le cœur, par l’Amour / de memoria secrète corps ainsi corps
C’est tout pour aujourd’hui,
c’est air du temps, c’est de l’hier aux tempes / entendre battre ce qu’ont été des vies, des amours / c’est Chère Henriette la partager un peu avec vous ma vie, c’est faire chemin vers vous / c’est ce que j’entends en la lisant Cécile Guivarch, page 15 / Je descends les années comme j’irai au jardin.[…] Je m’approche à moins que ce soit vous qui veniez à moi / page 16 / [...]Oh si vous saviez ces petits moment me ravissent.

Écrire lire le lien, le Ravissement / lire les jours, les états de santé, le travail qui ne manque pas, page 37 / [...]vous leur disiez aussi combien l’âne était « sage et gras » / vous parliez des animaux avec autant de bienveillance […] /
Écrire le Ravissement, c’est lire, l’hier, lire l’onde d’Henriette et son monde / c’est lire l’eau bonne et l’air bon.
C’est touchant de vous lire les aimer,
ces Eugène, ces Rose ces Amélie, ces Gabrielle   ces plusieurs encres en une seule encre
ce sang d hier en plusieurs corps   ces chants d’eux ces chants d’elles, les petites choses entremêlés à ces( leurs) prières,   page 53 / « Je suis heureuse de te féliciter ainsi que notre chère Gabrielle de la naissance d’une jolie fillette / J’espérais que tout se passe bien parce ce que je l’avais recommandé au bon Dieu.[...] / » page 54 / Naissance comme pain béni. [..] L’homme retenait sa respiration pour ne pas dire le vide là / de ce qui pouvait recommencer / Les fleurs sur un carré de terre /
c’est air du temps / […] Je vois que les bombes ne sont pas tombées dans votre coin. / Là on ne sait quoi penser [...] Cela finira bien […] / Enfin nous voilà dans cette année 1943 […] /

c’est à CELA, le corps des êtres, le cœur des êtres, de l’Être que ces deux livres nous convient, c’est de la commune présence (R.Char), c’est du CŒUR à la place des corps, c’est de la Vie encore / être ravi(e)

L’exercice n’est pas si aisé de rendre compte d’une écriture pure, car
c’est dressée que Cécile Guivarch vit au jour le jour, qu’elle nourrit l’aube et quand cela lui est possible de regarder la nuit, les étoiles / de, les nourrir les siens / la nourrir son âme de le regarder de nuit le Jour, de la regarder de jour la Nuit / d’unir ses présences, c’est ainsi avec eux que vit Cécile Guivarch les tendant ses mots et ses silences, les embrassant les moments avec eux / dans ces moments sans eux.

 

Victor Hugo bien sûr. Lionel Bourg. Le Réalgar. 2021. St- Etienne.

Les livres c’est bien sûr du patrimoine, de la mémoire qu’on entretient, des écritures qu’on ravive en leur offrant par la lecture notre respiration, l’air du temps. Chacun ainsi a cette possibilité de rejoindre un au-delà du corps dès lors qu’une œuvre parvient à réunir l’âme d’un auteur à ceux qui la visitent. Avec le temps, cela peut se traduire en une sorte de Présence qui demeure et donne souffle à qui la sollicite. C’est je crois ce qui arrive à Lionel Bourg avec son livre sur Victor Hugo dont les vers semblent avoir accompagné et rêvé son, ses apprentissage(s) de la vie, ses premiers écarts de route / [...]devant les jurés d’un conseil de discipline, l’indiscipliné surfant l’indicible s’imaginant trouver parade et déclamer :

« Marchands de grec ! Marchants de latin ! cuistres ! Dogues ! Philistins ! Magisters ! Je vous hais pédagogues ! Car dans votre aplomb grave, infaillible, hébété, / Vous niez l’idéal, la grâce et la beauté !
/ [...]ô cancres ! Qui mettez / Une soutane aux dieux de l’éther irrité […] »

Puis cela se fit. Le rêve trouva place.
L’espoir s’offrait espace. La marche était en lui, amorce de, d’un corps et d’un esprit, désormais si elle devait s’en trouver entravée par quelques clôtures et barrages, il chanterait passerelles. Des phrases citées et mâchonnées crevaient par endroits le ciel sombre de ses trajets sur le chemin de l’école, dont il percevait maintenant trouées. La vie était devant lui. Les mots, il leur rendrait grâce… Le pacte on l’entend, en silence et en sons, il se trempera. Seul il n’était plus seul, il avait trouvé une écriture, une direction.

Cela aurait pu être Rimbaud, l’élu, Lionel Bourg c’est Hugo qu’il choisit et qui le choisit / pour que naisse en lui un Ciel par les sols, par la marche /   c’est physiquement d’abord que se feront les rencontres avec l’ Esprit d’Hugo :

« Le soir, au crépuscule, du haut d’une falaise, à l’approche refroidissante de la marée qui monte, l’œil égaré dans tous les plis de l’obéissance au vent, en bas l’onde, en haut la nuée, le fouet de l’écume dans le visage, pendant que les goélands effarouchés par les ouvertures des vagues battent de l’aile, pendant que les flots accourent pleins du hurlement étouffé des naufrages,   regarder l’océan, qu‘est-ce auprès de ceci : regarder le possible ! »

Datée du deuxième trimestre de l’année 1965, j’ai brinquebalé l’édition populaire des Contemplations de droite à gauche, ne m’en séparant qu’au gré de quelques étourderies. Certes, le brochage en témoigne, le volume prit de satanés bols d’air à l’occasion de mes randonnées juvéniles, un peu l’eau aussi, la besace où il voisinait avec les Rêveries de Jean-Jacques ne l’ayant pas protégé des averses d’octobre ou d’avril […] /
/ [...]
tout se mariait d’une strophe à l’autre, le « ver qui rampe », l’aigle, l’alouette et le myosotis, les éperviers, les fraises mûres, le hibou, les pires chagrins et,

« Vivez ! Aimez ! Le reste c’est mon ombre ! »

Lionel Bourg a ses rendez-vous avec l’œuvre, si l’auteur est clé, il s’en fait contour /

Les Contemplations m’indiquèrent la voie. D’étape en étape, j’y confrontai çà et là mes inquiétudes à une apparition :

« Je vis un ange blanc qui passait sur ma tête ; / Son vol éblouissant apaisait la tempête, / Et faisait taire au loin la mer pleine de bruit. / - Qu’est-ce que tu viens faire, ange, dans cette nuit ? / Lui dis-je. - Il répondit : - Je viens prendre ton âme, - / Et j’eus peur, car je vis que c’était une femme / […]
Es-tu la mort ? Lui dis-je ou bien es-tu la vie [...]sur mon âme ravie, / Et l’ange devint noir , et dit : Je suis l’amour[…] »

si l’auteur est porte vers l’amour du Ciel, l’azur et la limpidité, le calme après l’incendie / Lionel Bourg un temps en sera le portier si femme et absolu se présentent en même temps il en sera le seul amant, l’aimanté lecteur / « [...]Il suffit que tu paraisses / Pour que le ciel, t’adorant, te contemple ; et nos caresses, / Toute l’ombre nous les rend […] » et encore   « Que ferai-je […] sans ton sourire, Que ferai-je du matin ? […] » si femme et absolu arrive(nt) à se confondre en lui, Lionel Bourg un temps en sera le passeur dans un monde qui de plus en plus trahit le passé / [...]amputer l’homme de l’infini, énucléer le futur ou, mutilant tout régime d’historicité, l’aveugler d’un présent imprescriptible, quel programme !
Lui, la Voyance, la Vision, il les donnerait à entrevoir les étoiles entre les choses. Il sera écrivain et gardien de cette porte vers   /   à son tour il écrira Voyez :    on se couche sur une dune à son tour il éprouvera dans rien, l’approche de la Certitude,

d’un / « Être abîme, c’est être source » il offrira l’écrin de quelques pas, pas plus / à quoi servirait de sertir le souffle, les mots ne sont vrais qu’ habités, que dans le mouvement /
tout au long de / son Victor Hugo, bien sûr, Lionel Bourg n’a de cesse de servir le respirable / de le remercier, je crois. / […] L’entendant, l’écoutant[...]j’ai ramassé l’une des « clés du vent » éparpillées à dessein par l’exceptionnel donateur ? / Sans doute… . Hugo descellait l’interdit. / […] Portier du Ciel, héritier un peu, beaucoup... il le découvre, se découvre pareillement mortel et libre / immortel s’il le souhaite, dedans chevauché en lui et le chevauchant le dehors semblable corps / sa nudité, son double dehors / […] je n’avais plus qu’à tourner son passe-partout dans la serrure, et m’élancer, voler avec les cormorans, me consumer dans les flammes de ses bûchers de fête.
« Regarde c’est la terre » intimait-il en vue de son nouveau monde /
et cela, au crépuscule.. C’est un vibrant hommage que rend là, Lionel Bourg au vertige d’Hugo, en s’approchant ainsi au plus près de ses textes et en nous dévoilant un touchant compagnonnage.

Tu dis délivrer la lumière. Sabine Dewulf et Florence Saint-Roch. Éditions Pourquoi viens-tu si tard ? / 2021. Nice.

Et pour terminer, ce livre reçu ce midi, Tu dis délivrer la lumière de Sabine Dewulf et Florence Saint-Roch qui s’offrent là, à écrire le lien, ce qui passe d‘un corps à un autre, d’une présence à une autre et ce, avec le support de photos qu’à tour de rôle elles s’échangent. Remonter Matière, matières diverses, remonter des lumières, remonter Lumière jusqu’à s’atteindre peut-être, se toucher peut-être. / Si l’écriture est Corps, si le corps est Écriture, un rapprochement possible, une tentative. Dans leur présentation les protagonistes semblent le souhaiter « Là où l’autre côté s’invite, nous voici prêts à tenter l’expérience alchimique :
le je étroit où nous enferment les habitudes commence à se dissoudre[...] » une tentation, celle de confondre, de superposer la vibration d’une image et celle des forces qui la constituent.

Par cela, l’autre le lire « […] dans son élan vers un invisible outre-là[...]protocole[...] suivi semaine après semaine. A pas de loup nous avancions, depuis notre désir, en tâtonnant dans le langage ». Bien qu’entremêlant ainsi les voix, chacun de leurs écrits facilement reconnaissables par un habile jeu d’italique offre à lire un seul texte. Entendre Lumière et s’entendre aller en quête d’un corps, plus vaste que le sien, tel semble être le postulat de / Tu dis délivrer la lumière . On le sait tous combien estomper contours, s’habiter paysage, arbre, fleur s’habiller de rencontres demande d’avancer main(s) et corps vide(s), les deux amies tentent cela s’approcher de la lointaine fleur, celle-là même à portée de main, par elle / s’approcher nue(s) présence(s) se baigner dans mots aller vers / le Soi se tendre vers lui s’y rendre / c’est donc à un voyage en je qu’elles nous convient
et ce sont lignes échangées qui la drapent un peu cette nudité amorcée, c’est Désir au loin qui s’entend c’est corps de passage / à un moment cela devient étreinte, le face-à-face devient feu / un regard et un autre pour l’écrire le feu, l’étreinte le Vide étreint / Sabine Dewulf et Florence Saint-Roch s’offrent ce mouvement d’aller l’une vers l’autre / de s’en nourrir d’échanger dans le geste / S.D : […] un souffle-lien formant le pont / du temps cueilli et là c’est porte d’un dehors qui invite rouille et l’autre à répondre / F.S-R : « On dirait / Au miroir nos contours d’Îles / Nos désirs corrodés […] » /

Nul besoin là de taches de Rorscharch, les signes sont partout / à qui sait l’entrevoir La Parole se dévoile, le Temps mord Matière, la ronge S.D : [...]le masque s’effrite / est-il nouvelle plus solaire / car le visage pur prend tout son temps / pour délivrer lumière / […] ici et là serai-je où déjà je demeure » / F.S-R : « Nos questions sont trop fortes pour se diluer[…] » / S.D : […] nous flottons / dans l’idée de la source / sans bien la reconnaître[…] /
Lorsqu’ aveu répond, il n’y a plus qu’à marcher encore, à naître et à renaître encore jusqu’à se reconnaître dans tout ce qui va / le Temps finit aussi par manger les fers et ce sont fleurs pour chevilles à un moment du, d’un Corps, de la matière d’un CORPS
F.S-R : « […] ce rêve que l’arbre est un frère » / le Temps finit même par devenir parfum, la rouille odeur pareille à celle d’une main,
c’est matière(s) en chemin que ces deux amies se parlent, s’écrivent le / sans-corps l’une avoue, S.D : la pesée d’un silence / l’autre en reçoit confidence ce sont corps qui se délivrent qui s’abreuvent dans l’écoute / c’est pudeur se sentir sœur d’arbre enlacer seuils de Soi, S.D : [...] l’immense à perte de parole […] le cœur de rose nous traverse / le cœur d’un nous s’offre une ligne, F.S-R : « […]Oser la surprise essayer l’extension / le désir s’émeut cherche l’accord [...] » s’essayer à la présence de l’autre de l’autre nue, en rose essayer d’approcher une rose quand l’autre n’est vêtue que d’un seul écho, se découvrir Lumière corps Lumière mots en lumière / pour Saint-Roch, les alphabets brillent là de ce qu’ ils empruntent au Ciel, les sons, les Mots semblent empreintes, traces de la lumière, une Parole qui serait reçue par le regard et ce sont Silences dans le ciel / muettes présences en soi, entendues / « Elle est profonde la nuit en nous /
Quand certains mots cessent de battre / Tu dis poussières d’élans / […] La lumière prend corps diversement / Grande ourse lynx lion pulsent […] tracent des alphabets brillants ».

Dans ces pages, ailes s’inventent Espace, l’imaginaire lui, souffle Cœur à tout ce qu’il traverse et le fait corps / ce qui va.
Ce que je retiens de ce livre, ce sont les infinies précautions de ces deux auteures, chacune vis à vis de l’autre. De ce lien créé, il en ressort une sorte de silence pareil à une parole qui les rencontre toutes deux , c’est un silence ami.


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