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Toutes les formes de la vie de Claudia Azzola par Silvio Aman

mercredi 13 janvier 2021, par Cécile Guivarch

SUIVONS LE CHAT !

Dans la postface du recueil poétique Toutes les formes de la vie (Milano, La Vita Felice, 2020), Claudia Azzola écrit :

Parlare e scrivere fanno emergere lo strato profondo
della conoscenza, la vox di un’innocenza originaria, pur
nell’accettazione di una consuntiva learned helplessness.

Parler et écrire font émerger les couches profondes de la
connaissance, voix de l’innocence originaire, même en se
remettant à une espèce de learned helplessness.

L’entrelacement continu entre parler et écrire nous éloigne du risque d’appauvrir la langue. De plus, la poésie de l’Auteur maintient le niveau qu’elle a atteint grâce à la tradition [1]], comme en témoigne le choix des lemmes, les multiples références aux poètes grecs et latins, à l’histoire, aux enlumineurs médiévaux. Ces références, apparemment sans rapport, révèlent plutôt qu’une relation est en cours entre elles et la totalité, dont l’expression « speranza in fior del verde » [2]] indiquerait la synthèse espérée de la beauté et du droit au bonheur.

C’est précisément pour cette raison que nous n’avons pas ici la forme fermée et la domination du style comme garanties contre la souffrance, pas plus que la présence de l’hendécasyllable, déclarée dans la postface, qui suit constamment la métrique, d’ailleurs avec de nombreux accents sur la cinquième syllabe. En première lecture, les textes, avec leur démarche paratactique et les rares signes de ponctuation, ne permettent pas de relier les pensées entre elles, sauf à travers un travail « archéologique » de couche en couche.

En effet c’est le flux qui les domine, même au sens des associations libres auxquelles se réfère la psychanalyse, bien que de temps en temps des références indicatrices émergent, non pas en termes de supersens, mais en référence à notre culture millénaire dont les millennials de p. 58 (notez la transition ironique de « millenaria » à millennials), c’est-à-dire les clients passifs de l’industrie, savent très peu ou ignorent. A cet égard, on pourrait penser à une route sans prédétermination, le long de laquelle pourtant apparaissent des « panneaux de signalisation ». À cet égard, l’Auteur m’a écrit :

Quello che è in ombra in questa recente produzione è
la soggettività. Certo, la poetica è mia, ma il fatto di
navigare con un senso di instabilità di questi anni,
tende ad affogare i concetti a favore dello stream.

Ce qui demeure dans l’ombre dans ce recueil-ci est la subjectivité. Certes, la poétique est la mienne, mais naviguer avec un sentiment d’instabilité de ces années tend à noyer les concepts à faveur du stream.

Avec la subjectivité, il y a aussi le renoncement déclaré à la beauté attendue, un concept pourtant difficile à définir, à tel point que certains esthéticiens ont même proposé de ne pas la prendre en considération [3]]. Dans Un discorso che stiamo facendo (p. 18) nous lisons : « je renonce à crée beauté en ce temps » aussi parce que les questions soulevées ici ne semblent pas le favoriser. Une clarification de cette direction, où le barde est remplacé par une démarche réfléchie, me semble être identifiable dans le deuxième poème du recueil (p. 9) :

Attendono il bardo, il suo clamore.
Nel frattempo umore è mutato
del gatto che svolta la stradina
sinuosamente,
come l’ermellino bianco,
che piuttosto muore che insozzare
il candido manto.

Ils attendent le barde faire sensation,
Entretemps les humeurs ont changé
du chat tournant la ruelle
sinueusement
à la façon de l’hermine blanche
qui meurt plutôt que souiller
son manteau blanc.

La « clameur » attendue est, en fait, contredite par le « changement d’humeur », c’est-à-dire par les tournures imprévisibles du chat, explorateur sinueux, donc étranger aux directions prédéterminées. Cependant, cette technique doit être séparée du « savoir gérer le langage » de la part de ceux qui, dépourvus de désir ardent et s’opposant à l’expression comme résidu romantique, construisent des bijoux poétiques abstraits.
Le poème d’ouverture commence par une déclaration très ferme :

Questa è la legge di verità,
tra lo stantio e il rinnovarsi :
hai una forma, falla sbocciare,
come la rosa mundi, rosa gallica,
versicolοr, e speranza fior del verde,
le cose si formano da sole,
come l’insetto giallo sotto il sole,
esaltiamo i momenti della gloria,
e il bombo e la bombarda terra.

Voici la loi de vérité
entre le suranné et le renouveau :
ta forme à toi, fais qu’elle s’épanouisse,
comme la rosa mundi, rosa gallica,
versicolor, et speranza fior del verde,
les choses prennent leur forme,
comme l’insecte jaune en plein soleil,
élevons donc les temps de la gloire,
et le bourdon et la bombarde terre.

L’espoir du printemps, entre stase tombale et renouveau, consiste précisément à faire fleurir la forme comme la rosa mundi, une fleur présente sur la tombe de Rosamund, maîtresse d’Henry Plantagenet. La référence à la rose, cependant, est bien plus que la forme fleurie, car elle apporte avec elle les couleurs et le parfum capables d’attirer les abeilles butineuses (les signifiants ?) pour former le miel dans la maison-ruche... et la rosa gallica (rose de France), comme toute fleur, ne pourrait certainement pas exister sans le vol de l’hyménoptère (fertilisant) fécondateur, « insecte jaune en plein soleil » [4]]. L’exaltation de la « gloire » est liée à la fleur « versicolor », signe de variation, et à la fleur verte, « fior del verde », comme l’espoir, al « bombo », bourdon (insecte : bumbus terrestris) mais aussi à la bombarde, à double valeur sémantique, comme instrument à vent et instrument de guerre.
Ce n’est donc pas la clameur attendue du barde, mais le bourdonnement naturel des insectes, le bruit de la bombarde et soudain l’éclat de l’arme, comme s’il ne pouvait pas y avoir nature, production et culture sans le reflet de la guerre.
Dans la postface, Azzola éclaire son écriture :

Il senso scorre incessante, pur nei salti di percezione,
precipitati, ellissi, allitterazioni che trattengono
il respiro, slittamenti semantici, l’obliquità.

Le flux continu du texte surpasse les sursauts, les précipités, ellipses, allitérations qui coupent le souffle, et l’obliquité du sens.

Un exemple de lien dû à l’effet de pseudo-paronomasie se situe entre « bourdon », « bombarde » et « bombicina », c’est-à-dire du bourdonnement du bourdon aux notes de l’instrument de musique (ainsi appelé pour sa puissance sonore) jusqu’à la pièce d’artillerie, dans un plan acoustique commun : bourdonnement, grondement et bruissement de la toile « bombicina » faisant référence au bombix qui produit le fil dont le tissu de soie délicat est formé. Suite à ces passages liés aux phonèmes, Claudia Azzola peut aussi passer au calembour, mettant en jeu « l’est » de « j’ai allongé les mains vers l’est » (p. 20) avec le ciel céleste « cel-est-e » à l’est (un signifiant contenu dans un autre) ou bien « est » avec « temps est-ival » au point de produire des comptines comme des moments ludiques avec lula / allo / ella / ulle :

C’est le vert au lac, verte la libellule,
flottant entre les bouleaux,
libellule au bal est plus belle
rend-moi plus vert le lemme liquide,
la pêche à la ligne tu lançais
à l’insecte que saisissait au vol le faucon.
Étais-tu mon père vagabond.

Ou encore (p. 27)

Piuma pensosa, chi la sposa ?
chi si prenderà in seno questa rosa ?

La plume pensive, à qui sera l’épouse ?
Qui va prendre dans son sein cette rose ?

Ubu Roi (p. 50) contient d’autres références autour de la technique compositionnelle d’Azzola et de ses buts, mais aussi l’adjectif « combinatoria » auquel « ars » serait lié, c’est-à-dire l’ars combinatoria ou magna de Raymond Lulle.

In un fotogramma lo scuro teatro
delle crudeltà e Artaud, Jarry,
un osceno Ubu Roi, vivere è atto,
nel tremulo discorso tremano
sotto pergamena forze del testo,
la sirena minerale, neanche
il nesso, ma tutto in memoria,
come nel paniere l’erba matta,
combinatoria…

En un photogramme le théâtre obscur
des cruautés, et Artaud, Jarry,
un obscène Ubu Roi, vivre est un acte,
dans le discours tremblotant
sous le parchemin la vigueur du texte tremble,
la sirène minérale, pas même un lien,
mais tout est gravé en mémoire,
comme dans le panier l’herbe misère
combinatoire

« Combinatoire » uniquement au sens de ce qui émerge librement de l’atelier intérieur, car sous la feuille - « conscience » élevée à la dignité du « parchemin » étant donné le recours à la « civilisation de l’Europe au fil des siècles, au fil des millénaires » (p. 61 ) « les forces du texte tremblent » pour que la sirène puisse parfois émerger des abîmes de la stratification minéralisée, donc non plus un événement du seuil mais de l’histoire : « Conservo i vostri volti per non/ estirpare il gusto della storia » (« Je garde de vous la figure pour ne pas/ extirper le goût de l’histoire ».) (p. 10) artistement ordonnée dans les livres historiques après le tamisage, histoire qui dans le présent redevient chaotique (p. 24).

… credevo la storia sapere
ma ora svoltano eventi
nuovi o di già vissuto riconoscilo
odore di violenza bestiale.

je croyais connaître l’histoire
mais des événements arrivent
nouveaux ou déjà vécus reconnais
l’odeur d’une violence bestiale

« O di già vissuto » ...bien sûr ! dans l’histoire, qui se répète en variant. Puisque la civilisation représente la dégradation qui a eu lieu dans la version américaine à laquelle on pourrait référer le chaos et l’homologation, le terme « culture » dans Le Nazioni concerne le passé de ces civilisations. [5]]

Le vers « je me suis jeté à corps perdu » [6]] suivi de la péroration, indiqueraient le rejet – avec le ton dimidiate – de la continuité verbale harmonique dans un monde dont elle a disparu (évident dans les failles continues du discours « brisé » pour utiliser le mot de l’Auteur) optant, avec une sorte de somnambulisme mnémonique, pour des références multiples et ponctuelles. D’ailleurs, les références à Jarry et surtout à Antonin Artaud, pour exclure des relations serviles avec un texte qui se prétend valable pour tout le monde, me paraissent en harmonie avec la diction débordante de ces poèmes.

Quelles sont les références inhérentes, tout en gardant à l’esprit leur aspect d’insulae dans lequel la pensée s’arrête (et revient variée) le long d’un itinéraire aventureux, parfois ludique, mais toujours méditatif ? En résumant, pour composer une liste des ponts principaux sur lesquels passe le discours de Toutes les formes de la vie, nous aurions le monde animal en relation avec l’élément aérien et la terre (avec les oiseaux et les serpents, sans perdre de vue la raréfaction des abeilles précitée), l’historique.

ridefinirsi in un nome perché ?
Il nostro patrimonio è legge, cultura,
fuori, i nati non ispirati,
millennials,
caduti nelle spire
sono aspirati.

se donnant
une nouvelle définition,
pourquoi ? notre patrimoine est loi,
culture, hors de ça, ceux qui sont nés
sans qu’il y ait d’inspiration
millennials,
sont tombés dans les spires
sont aspirés.

Il est significatif, outre le passage de « qu’il ait d’ispiration » à « spire » et « aspirée » c’est-à-dire annulés), le recours aux aspects sociaux avec les poèmes de dénonciation, assez nombreux (pas quelques-uns) : la « lignée du fast-food e slow-food » dont la nourriture est opposée à l’« hostie » transparente, probablement dérivée des Mystères Orphiques (avec la dévoration du dieu) où le dieu est dévoré sous forme animale, afin de s’en identifier par objet interposé.

Ici, l’identification négative se produit par rapport à la « profession » plutôt qu’à « l’esprit du travail » ou à la pratique homologuée visant à préparer les aliments en série, peut-être aussi une métaphore à l’égard des nombreux livres ciblés, et en tout cas opposée les bonnes choses (p. 28).

Risveglio, un mangiare buono, il
caffè, qualcosa di buono. Età
del caos è manducare grezzo ingozzo.

Réveil, une nourriture bonne,
du café, de bonnes choses. Âge
du chaos n’est qu’engloutissement

Ici, le poète condamne la situation actuelle, comparant l’hostie, que les dents ne peuvent toucher, à l’irreligieux « engloutissement ». Je trouve très intéressante la référence au Livre enluminé qui révèle son amour pour le Moyen Âge (p. 48)...

Libro d’ore alluminato celesti
della distanza, in filigrana, azzurri
inverno d’Orione gelato,
itineraria picta, alluminata
da artisti in metrica e semantica.
Parole della semina, del cantare
naturale, alzando la coppa nomade

voce che splende nella bocca.

Le livre d’heures enluminé, du céleste
de la distance, en filigrane, des azurs
Hiver d’Orion gélé,
itineraria picta, enluminés
par des artistes, en métrique et sémantique.
Paroles des semailles, du chant
naturel, en levant la coupe nomade

voix qui brille dans la bouche.

J’ajouterais, si je comprends bien, la nostalgie du livre enluminé en tant qu’œuvre complète, dans laquelle les heures de la journée voient côte à côte le mot et l’image, l’aspect symbolique du langage et ses précieux accessoires. Nous rappelons que dans certains manuscrits l’appareil figuratif, au lieu de constituer tout simplement le cadre de l’écriture, déborde avec des feuillages et des figures dans sa portée. « Orion gélé » car il constitue le sommet du triangle hivernal, en référence aux saisons des miniatures.

La série des loci continue avec des références à Pan e à Core (p. 49) :

Il nostro cammino pesa immane
è esposto al tempo, sull’ellisse
terrestre, dove ogni antro è Ade,
è soglia,
dove ogni bianco d’onda è conchiglia,
sei Afrodite che corre davanti,
sei la Core che Demetra cerca,
perciò grave è il tuo passo, figlia,
l’ombra non prevarrà, e chiedi realtà,
linfa amorosa, non un cuore di sasso.

C’est énorme le poids sur notre chemin
exposé au temps, sur l’ellipse de la terre,
où chaque antre est Hadès,
est seuil,
où tout blanc de vague est coquille,
tu es Aphrodite qui court en avant,
tu es la Core que cherche Démetra,
c’est donc lourd ton pas, fille,
l’ombre ne va pas dominer, tu demandes
la réalité, la sève d’amour, pas un cœur de pierre.

Le poème, parmi ceux qui m’ont le plus attiré, met en jeu des figures en opposition apparente, tels que Hadès et le seuil. Le premier, auquel le poète lie la grotte, et par extension les lieux fermés au renouvellement, donc mortels, est aussi le seuil entre deux mondes : dans la mythologie Kore-Proserpina le traverse pour réactiver le cycle de la végétation après les mois de la trêve hivernale et pour favoriser chez les plantes la montée de la sève, et « linfa amorosa » pourrait renvoyer à la floraison déjà rencontrée dans ces poèmes, principe de vie opposé aux cœurs de pierre, de bon augure par rapport au poids initial du « chemin ».

Le bassin formé par le mouvement des vagues avec ses crêtes est semblable au véhicule pélagique de Vénus, la coquille appartenant aux venerideae comme on peut le voir dans le célèbre tableau de Botticelli. En relation avec le temps, nous avons également l’obscurité des cavernes et la lumière avec le « blanc de la vague » et la coquille porteuse de vie, c’est-à-dire la naissance de la déesse de l’écume de la mer. Il serait en tout cas contraire à la poésie de Claudia Azzola de limiter ces allusions à la connaissance, sans en saisir la signification affective et poétique.

Pour reprendre le discours autour de certains loci, nous avons des souvenirs familiers : dans Giotto, e l’Angelico (p. 51) et dans Liberty (p. 52) avec l’histoire de la maison abandonnée, du Grund protecteur, et des loci psychologiques, par exemple en ce qui concerne le rire (Il riso, p. 31) saisi dans son aspect multiple, en référence à Hobbes, mais aussi en biais à Freud, en ce qui concerne le Witz et l’économie d’énergie. Dans le poème de la p. 20 nous avons : « forse è senso del teatro, qualcosa/ del teatrale ci ripara » (Peut-être c’est le sens du theâtre/ le “théâtral” nous protège ».) qui semblerait faire allusion de loin à Lacan : nous sommes protégés par l’imagination, sinon nous ne verrions, brutalement, les choses telles qu’elles sont.

Quant au rire, il y a un poème, justement indiqué au dos de la pochette, dans lequel identifier une sorte de « Le gai savoir » aussi pour la succession rythmique et ludique des vers-mots...

Non c’è un “io” più fragile di quello
che non dice mai un witz, fragile
alga rossa in un vaso di vetro,
non sappiamo quanto la struttura
del corpo reggerà l’onda d’urto
sulla spina dorsale e negli organi
interni
ostacolo
miracolo
euforia
nevrosi
naturale abitacolo
voce dallo s-profondo,
non v’ha arte senza il riso,
il vero che per poco si afferra,
vena rossa di terra, anima :
atomo che ci precede e sfugge.

« Moi » plus fragile qui soit
celui qui ne dit jamais witz, fragile
algue rouge dans un vase de verre,
on ne sait pas combien la structure
du corps va soutenir le coup violent
à l’épine dorsale et aux organes
intérieurs
obstacle
miracle
euphorie
névrose
habitacle naturel
voix qui s’étouffe,
n’y a pas d’art sans le rire,
la vérité qu’à peine on saisit,
veine rouge de terre, esprit :
atome qui nous précède et fuit.

Le saut des perceptions et les détachements continus, dans le flux polyphonique de la conscience, ne nous empêchent pas de trouver des instants (je pense à Bachelard qui corrige Bergson dans L’intuition de l’instant) et des références au sein des compositions telles que, dans Nécropole de Tarquinia (p. 34), entre « pavé du sel » et « le sel gris ». La référence aux peintures étrusques m’amène à hasarder que « les plantes/ du pied de l’ancien anthropos » sont effacés (mais ici nous trouvons « estirpate ») par le salpêtre, comme cela se produit souvent dans les fresques, avec la disparition du sel comme métaphore de la sagesse « dell’uomo antico » (sel-sagesse effacé par le sel-humidité).

Ce poème est également basé sur des références continues sous forme de rime, par exemple dans hérons, les mimes du marécage (p. 37) entre « piment » et « contrainte » et dans Hamlet entre « la serré du caos », « fils » et « tilleul » peut-être parce que la griffe rappelle la nature de beaucoup d’êtres équipés de dents, et aussi, dans photogrammes (p. 42), liant « travail » à « honneur ». Dans Bain-marie (p. 53), nous avons la relation « acqua madre » avec « bagno Maria » se rapportant à une sorte de cuisson dont l’ascendant est Miriam l’alchimiste. Notation à ne pas manquer, car la poésie d’Azzola se présente également comme une pratique alchimique vers l’utopique œuf-renaissance.

La « schizophrénie de la nature », si elle existe encore (terme présent dans le deuxième poème du Serpent à sonnette en trois temps), nous rappelle le « grand théâtre de la nature » (ici « malassortie » p. 54) comprenant, pour Linné, la guerre de tous contre tous, mais aussi l’atomisme de l’Ego.

La già sperimentata frammentazione dell’io è cosa
oggi completata, grazie all’omologazione e alla
puerilità insufflata a fini consumistici.

La fragmentation déjà expérimentée du “moi” a été achevée grâce à la standardisation et à la puérilité insufflant le consumérisme.

Claudia Azzola ne se dispense pas de refléter la condition à laquelle les sujets s’adaptent, dans un climat d’anomie générale et souvent sans se saisir comme clients des structures qui insufflent le consumérisme. Reste à savoir si une réalité moins atomisée, peut-être au sein des sociétés primitives et paysannes (pas du tout mielleuses, comme les décrit Nuto Revelli [7]]) qu’aujourd’hui nous étudions et dont nous sommes « nostalgiques », à condition que nous en restions en dehors, peut nous paraître satisfaisante. En tout cas, l’Auteur s’impose, comme nous l’avons dit, de ne pas construire de la beauté « nel secolo dei diavoli » (au siècle des diables) ni même de faire un appel facile au primordial.

… nei giorni
non ci arridono più le parole,
viso che si forma sulle parole.

...le long des jours
les mots ne nous enchantent plus,
visage se formant par les mots.

Silvio Aman


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Notes

[1[Selon Theodor Adorno, l’art ne peut se passer de culture, et si pour l’amour de l’inférieur il entend être lui-même inférieur, il se dégrade en compromettant sa charge utopique.

[2[Le vers cité est de Dante.

[3[Cf. Gianluca Garelli, La question de la beauté. Dialectique et histoire d’une idée philosofique, Torino, Einaudi, 2016.

[4[A p. 11 « insecte cénobite ».

[5[Cf. Osvald Spengler, Le déclin de l’Occident (édité par Furio Jesi) Milano, Longanesi, 1981.

[6[« Je me suis jeté à corps perdu dans l’aventure ».

[7[Le monde des vaincus. Témoignages de la vie paysanne, Torino, Einaudi, 1977.



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