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Chevalier / Montre-moi tes seins ! Bruno Normand (Février 2022)

mardi 8 février 2022, par Cécile Guivarch

Trois feux de langue. Thierry Romagné. Éditions Réhauts. 2021

Ahh, ahh, brr ! / Ahh, ahh, brr ! / une branche craque autour de toi / tu lèves la tête dans ton sommeil [...]un sabot broie le noir / d’un bois mort / [...]tu retiens ton souffle / [...] tu redresses ton corps tordu|/ […] malade, maladroit / […] / en plein rêve / entortillé dans les draps de soie / [...]des arbres la futaie en face de toi / […]Des ombres bougent dans les arbres[…] la harde                     Cela s’amorce ainsi, dans un fourré, par des grognements / dans un lit par une fièvre, un dé-
lire… / un homme atterré dans l’humidité du sol dans l’humus / fiévreusement ému[…] / la bête noire au-dessus de lui, survolé ainsi d’un quintal de poil et de bave, un homme s’éveille à la vue d’une sous-préfète,
une petite personne […] serrant fort le grand col / de son manteau / de fourrure / en peau de lapin grise […] / découvrant des dents blanches tranchantes / un pied finement chaussé / sur le marchepied de son quatquat
/ Chasser certes, les pieds dans la boue, soit ! Et que souliers au moins rappellent les cothurnes.

Trois feux de langue de Thierry Romagné / inutile de chercher dans ce livre l’Aigle visible ou la Rose invisible pour Porte d’une véritable présence au monde / ni même en offrande : un cœur chaud juste arraché d’un corps / pour l’invoquer la descente d’une conscience débarrassée d’un mental et qui pourrait nous éclairer sur notre condition. /   Rien ne se voit de ces lentes transformations qui opèrent en sourdine, pourtant c’est là, suggéré dans, entre ces lignes : la Matière, les matières pesée(s) par une présence sensible interrogeant la réalité, les contours / la, les confrontant à un processus d’individuation / la, les rapprochant d’une expérience, celle d’un intime / d’une vision : un regard posé sur le cœur.

Cet ensemble en trois parties présenté ainsi par l’éditeur : « Trois feux de langue comme trois tentatives d’élucidation de l’être, pour le réchauffer, pour le ranimer dans la nuit environnante, à trois étapes de l’existence : au sortir d’une adolescence pleine de sève et de fièvres, quand on est un homme fait et refait par l’existence, au moment où la vie s’achève et que l’on s’éteint ».
Flammes et flammes et flammes donc jusqu’à ce qu’une incarnation enfin les rassemble toutes ces pérégrinations, ces explorations dans l’Être… aussi probablement la tentation d’un livre pour les réunir ces disparités, les chanter quand même les heurts, les transmuer peut-être. On pourrait se croire dans le Bardo, un homme flottant dans ce qu’aurait été une vie, ce qu’est une vie,     ce que serait / sera une vie à venir si nous pouvions la choisir au plus près de ce que nous sommes et / ou de ce que nous souhaitons devenir. /
Dans la première partie, Singularis (porcus) le récit pourrait être celui d’un mauvais rêve, d’une mauvaise nuit / L’animal, la part animale dans le manifesté se rêvant-révélant là, s’offrant place dans / homme râle groin voix dans sanglier gorge râle dans / on ne sait plus qui est qui / qui est quoi vraiment /     tant homme et porc semblent s’habiter à tour de rôle / tant une femme semble se plaire     à les confondre / à aimer les haïr il faut l’abattre     / avant qu’il ne prenne la poudre / d’escampette / ce gros porc qui m’a saillie / et m’assaille encore / [...] plaisante la femelle, la notable elle explique :
Ça a vraiment tapé / cette fois là / portière côté conducteur enfoncée / mon mari est corpulent / il a eu du mal à s‘extraire / il en a perdu sa casquette / sa superbe / feuille de chêne à terre / oh l’ornement, l’Or, la, les feuille(s) retournée(s) à la terre / oh l’homme retourné, le retournement à défaut d’un retour. Aussi elle a le désir bavard la juchée, la toute retournée devant verrat     / J ‘aime ces porcs, ces gros sangliers solitaires […] avoue la sous-préfète / l’œil allumé, les cils soyeux [...] /
Entre les fantasmes d’une sous-préfète et les poils, les sangs collés à ses mots / sont livrés là, les frottements d’une nature sauvage et d’une autre à inventer, plus en connexion avec le cosmos en nous / [...]dans les breuils dans les bois / dans la fièvre le deuil et les cauchemars / de l’homme écarté / de la femme ravie
entre ces jeux de rôles c’est toute une mémoire qui s’entrouvre,     c’est Souffle dans, Énergie en /     qui se découvre un Corps, un seul     débarrassé de faux-semblants /     et entre les mailles d’une trame vibrante, la liberté pour outil et matériau d’une performance / la Vie, le Temps pour matériaux / le sexe, les égarements pour matériaux /
entortillés dans de beaux draps de soie noire[…] quand le lit brûle [...] Laissons le narrateur narrer, œuvrer :
Et la femme à la fourrure / je l’ai eue / envers / et tout contre / un tronc le capot la table de la cuisine où l’on dépèce les bêtes[…] je l’ai prise / au sous-préfet corpulent / […] elle pousse des petits cris perçants / au moment de l’hallali[...] Et c’est combat alors à l’intérieur d’un homme et face à lui, avec du grand vieux sanglier qui va le charger, Ahh, ahh,brr ! Je suis ce sanglier ça se termine ainsi /
Thierry Romagné est habile, il réussit à entrebâiller la porte des sens, des présences, des corps juste ce qu’il faut afin que la vision du vaste monde se réduise à la seule percée d’un trou de serrure dans un quotidien / en l’occurrence là :
/ à rapprocher dans un taillis, la mort et un désir
/ à tendre à nos faces dans un lit, une agonie et une saillie dans le parce que

Thierry Romagné inspire sillage, j’entends / Aux Âmes si elles existent, vous avez beau faire : Sangler, sangler singularités… Serrer, serrer les robes et les effets,     à un moment voyez ce que Conscience voit de, dans votre propre nature ! Entendez comme elle vous guide. Déboutonnez ceinture, débarrassez-vous de l’Or, des feuilles dorées / Préférez, préférez leur celles du, d’un vrai Dehors,     d’un nous à venir avec le corps, avec le cœur,     aimez, aimantez là cette nudité à venir /     Étendez-vous     / déjà dans un sans corps / dans un sans le corps enfouissez forme     Respirez, c’est là !

La seconde partie Fruits fendus s’annonce par une citation : « Le temps est un grand maître, il règle bien des choses » Pierre Corneille. / À un moment Cela arrive Des pommes[…] des abricots […] des poires / cela si l’on souhaite le voir le Temps dans les choses là / les entendre les sons là     ce qu’on a planté /     les fruits comme ils sont, la récolte d’une vie, le maintenant comme il est / en lui, pour extrémité et commencement : le soi s’il existe,
en soi, le silence     s’il existe une source au langage / en soi, l’Océan     s’il existe une source au langage /
[…] et qui étaient cachés là / à portée de main / demain est un présent / pour qui prend son temps / un don un fruit mûr que l’on ne cueille pas tout seul / mais que l’on se voit offrir / parfois[...] cet arrière goût de lucre / qu’appréciait quelque rousse que j’ai connue / l’espace d’un instant      puis puis puis Thierry Romagné         le raconte le Temps sur            l’Am- our la peau, la chair sous les caresses / la raconte cette peau qui perd de son éclat      il ne triche pas le raconte ce / qui s’est ou / vert à l’autre / à l’air à l’or / du temps

Et pour la troisième et dernière partie Pêche miraculeuse, l‘auteur a choisi Gérard Macé pour la chanter l’extrémité là où elle est / comme elle est l’extrémité /     comme ils sont les deux bouts de sa vie à ce moment /     en lui, le soi s’il existe :     « La pensée dont la ligne s’enfonce / en attendant que la vérité / morde à l’hameçon »
Que la nudité morde à l’âmeçon
A terme il s’agira / de vivre de sa pêche      / de vivre de sa vérité [...] de respirer debout / d’attendre le soir cela s’apprend Cela et c’est un poteau qui s’en charge Dédé ses cheveux roux […] / et bouclés comme un incendie qui couve / [...] le lait épais de son épiderme / et ses lèvres orange, / [..]humer l’humus humer l’humain / humer l’eau et l’odeur de l’hère / telle est la devise [...]pour traverser les lignes / et aborder des berges inconnues
il le conte l’apprentissage avec lui autre, avec l’autre     /     l’horizontalité, la verticalité ce point-là de partage     où il(s) se tient, se tiennent,     / / […] Un barouf dans les buissons / des épines une poule / d’eau s’envole ventre / blanc ventre à ciel     // un trait vif / argent avant que la trui / te ne re / tombe dans le courant // et tout redevient / calme infini / te si maladresse /
     comme un terme nu vieil homme l’hiver au bout du champ / je me trouve / je me trouve à nouveau / à l’intersection de ce qui se passe / et de ce qui tré / passe
/
puis il le conte l’après-ami la lumière, sa demeure désormais le corps qui s’en va et ce qui demeure      // [...]dans l’air éteint par l’hiver / qui vient grand cerf dix-huit cors surgissant / de la brume et s’arrêtant net // Dédé n’est plus / désormais /sur le fil m’a transmis / ce qu’il savait / et ce qu’il ignorait
il le continue, continue à le tramer l’ami      La ligne droite de l’étendue d’eau / le fil qui tranche le paysage à la verticale / le pêcheur est toujours à l‘intersection / exacte
parfois à l’extrémité d’une vie,     il est une Nudité un silence dressé,     c’est croix invisible dans la Lumière /     debout Être     jusqu’à ce que
Un terme fantasque / et forcément solitaire / entortillé dans ses torts / rongés par les remords / et perpétuellement pris / par le regret des actes commis / et le chagrin des actes manqués / par l’acte de naissance / et les minutes / du procès perpétuel qu’est la vie quoi / […] devise d’or dans la bouche [...]pas un jour sans une ligne / […] mais pour transmettre / quoi / à qui
En réponse est le récit d’une voie entre / les grognements d’une chair et des mots tombés du Ciel qui ont eu ce pouvoir de révéler à une existence, sa vérité. / Transmettre quoi / parfois à l‘extrémité d’une vie, il est     un silence dressé, veillé.     /     Et à qui / peut-être à     un quidam céleste, à un / je ne sais pas en marche,     à un / je crois     en corps il y a un Soi à perte de vue     /     à un /     en soi, l’Océan     pour silence et langue pour feu     et langue.     Est un ressac, l’écrit : / [...]mais pour transmettre quoi / à qui / Peut-être à lui      qui mord à cet hameçon / qui meurt / sinon moi /     [..] qui se fond en en joie sage     En lui, pour extrémité et commencement souffle(s)     mémoire(s), / Souffle.     
D’un quotidien, de ses expériences Thierry Romagné en a extrait quelques crêtes et les a mis en scènes / a su mesurer dans chacune de ces parties ce qu’il convenait d’avouer ou de taire, c’est un équilibre à trouver / écrire (sur) le fil, tantôt choisir l’ombre, tantôt la lumière et c’est réussi. Trois feux de langue est un premier livre, Thierry Romagné s’en remet au lecteur / il lui parle, se confie / cela s’entend et se respecte. J‘avoue être assez troublé par cette lecture, car ce livre ne triche pas     /     il ne dit pas grand-chose, juste l’essentiel
il dépouille, il demande, il donne

Il y a ces textes témoignant d‘un parcours, ils sont nombreux aujourd’hui ces auteur(e)s mêlant, entremêlant leur intimité, chantant tour à tour ce qui les comble ou leur manque, ce qui les rêve ou ne les rêve plus tout le long d’une existence aux aguets. Œuvres-mosaïques où les lieux, les histoires, les ressentis s’imbriquent dans, comme une succession d’auto-portraits. Des auteur(e)s enregistrant dans ce qu’ils sont, le moindre tressaillement et en capacité de le traduire, d’y trouver sens / ou à défaut d’en inventer un et de nous le donner à partager. Leurs corps-outils, ils le découvrent, l’apprennent, l’expérimentent et ils le prolongent dans une œuvre. Là où l’art contemporain parfois nous rend ces présences élargies plus évidentes, je pense à Annette Messager, à Sophie Calle et bien d’autres sœurs et frères tel Jean Le Gac, déjà en 1973 s’exprimant : « J’ai compris que si je suis capable d’inspirer une fiction, alors il y aura une preuve de mon existence » / en littérature de plus en plus souvent s’immiscent sous couverture, divers assemblages, rapprochements, déguisements, collages d’aveux, de secrets / au fil du temps, s’invitent des confessions, installations plurielles. L’ensemble porte toujours le nom de livre bien que cela devienne parfois autre chose et amène à l’approcher autrement. Faire fiction d’un vécu en y mêlant la part invisible qui le traverse, les protagonistes sont de plus en plus à s’y pencher, livrant textes hybrides, inclassables pouvant en dérouter certains. Nous avons désormais cette chance, des maisons d’éditions jouent le jeu (Nous, L’Atelier Contemporain, Rehauts, Lanskine, Lurlure, Fario, Doucet, Le Castor astral […] etc ) / elles sont plusieurs à faire preuve d’audace et à accepter dans leurs catalogues voix, voies autres… /

Féerie. Sophie Loizeau. Éditions Champ Vallon. Collection Recueil. 2020.

Là dans les mains une publication de Champ Vallon Féerie de Sophie Loizeau, d’abord je l’ai approché ce livre en laissant défiler ses pages entre mes doigts, en le caressant et en étant caressé en retour, (parfois la nature du papier le permet cela), ce faisant ai pu remarquer que lui aussi était séquencé : Thot l’ancien,/ Thot le Jeune / Vulves vulves etc etc / tiens tiens de la divinité on dirait et même l’Origine du monde en Majuscule, en minuscule ! L’auteure a rencontré un dieu, peut-être même l’a-t-il pénétrée / me suis-je dit / puis entre le pouce et l’index ai fait glisser l’objet-livre / ai beaucoup aimé la photo de couverture qui a été prise par elle-même : dans un estran un phallus entouré de quatre moignons de quoi… eux aussi désignant le Ciel (probablement les extrémités de deux membrures d’une épave enfouie dans le sable)... L’étrangeté est au rendez-vous :
« migrer vers les zones sommitales » / se dit-elle en mangeant ses pâtes en lisant / […] / « au ressac abrasif te jeter ma petite » / Elle, c’est Vibrisse le nom qu’elle se donne lorsqu’en elle / s’ouvre Porte par les plantes : osters, ifs, fougères... Vibrisse aime les livres de magie     […] Vibrisse plonge la mandragore à l’instinct ténébreux / dans la vasque d’une fontaine pour la purifier ou si c’est la mer quarante fois / la trempe dans du lait qui la rend forte / pour la gonfler de sang dans du vin rouge / dans l’eau pour favoriser l’épanouissement […] elle applique recette, opère     / un corps joue     se joue du Temps du, d’un corps / elle voyage dans ce qu’elle fût     dans ce qu’elle devient / si au moins elle pouvait agir sur     ce qu’elle devient / l’auteure semble prise dans les phares     de la Nuit,     le noir pourrait bien à un moment l’aveugler, toutes ces sèves dehors-dedans en elle / elle le sait cela / Nuit à un moment / alors alors en attendant elle explore spores / pores cercle d’elle / elle sexe-centre / (la) cible sa spiritualité excentrique
si elle parle à Cèdre / si elle baise / ponce sa bouche à le faire
« ne bâcle pas le temps nécessaire à la coction et fais le feu qu‘il faut / soutenu-constant-égal » / elle applique recette, s’applique     transformer le sang, le souffle en sperme / pour socle, la terre l’humus, elle crée, elle évène / L‘élé-mental, et tout ce qui s’élève d’elle, de lui /
Thot bande dur pour son âge grâce à elle
jouir, fleurir     comme le font les fleurs     s’offrir, se donner      s’allonger à plat ventre sur le sol de sa chambre      par toute la surface d’un corps, le sien se sentir TERRE / Terre avec l’Être en elle, cela qui enfle, s’enfle :     elle s’enfile avec passion dans la manique – de matrice / que celle-ci ou la main de sa mère / la sienne      à un moment la rencontrer la Terre de son vivant faire corps avec cette force en elle     avec ce feu, ces cendres, avec ces corps dans la terre / faire éclore d’elle des conversations     avec les éléments / des conversations / conversions qui seraient fleurs d’elle sur     /     son corps-sexe, son corps-surface, projection(s)
comment cela lui est-il venu à Sophie Loizeau l’accès ainsi à cet autre monde et ce besoin de s’y réfugier / l’auteure semble se complaire dans ce monde végétal, elle y plonge et replonge. Des haies, des plantes, inondée, tête nue elle en ressort     des sons, des noms tous aussi magnifiques les uns que les autres     / elle les amène dans un livre /     nous les lisons et nous voyons ce qu’ ils sont ces noms / c’est / cercles sans fin s’offrir saut là et saut là / dans (une) matière-vie / c est toujours beau un livre de transformations, de sublimation / mais sublimer quoi / Ce qu’en dit l’éditeur / « Placé sous l’égide de Thot, le dieu égyptien à tête d’ibis, dieu de l’écriture et de la magie[...] On appréciera le retour d’un autre dieu du panthéon de Sophie Loizeau, Phallus [...]Phallus n’est pas le dieu gréco-romain dominateur et violent, il est tout entier dévoué au plaisir de sa maîtresse Vibrisse. Sous les traits de Thot c’est Phallus éduqué, raffiné, savant. »
dans ce recueil / on ne sait plus qui est vraiment qui / mâle et femelle s’enroulent, s’enrôlent. Dans la première partie / Cela commence comme cela / comme la préparation d’une mixture, un mixte de lecture et d’écriture, elle en connaît des recettes, des rituels /     en elle, il y a des créations / des matins des premiers matins en elle il y a des échanges de fluides / du Mystère     elle compte bien s’en servir, s’aider de ce qu’elle sait pour attirer la vie, l’Amour
/ des corps n‘en faire qu’un : elle aime le Sexe, lui donne, donnera plusieurs noms, s’adressera à lui avec plusieurs sons, elle jubilera, elle s’usera ainsi, cela semble même être un postulat : gamine avec ça elle le restera jusqu au bout / elle s’invente femme, se laisse inventer / in-ventrée elle se v-autre-ra s’ il le faut encore     / se frottera ventre au sol. / Les performances ne hantent pas que les musées, parfois cela arrive les, la solitude, les sols, les carrelages froids on de la tempe,     il suffirait d’un rien pour qu’une balle immobile la frappe immobile le mouvement ruse parfois en elle tout cela l’attend elle l’entend / le froid en elle     n’a aucun droit     elle est sang et souffle elle aussi elle peut ruser elle a appris à aimanter l’autre en elle / Lui / l’autre qui n’est qu’ elle     /     elle le sait tout cela qui l’habite elle, matin et matin elle magicienne en cela transformant ses plaisirs en désirs et vice-versa / les recyclant     ce jeu de l’amour et de l’âme-hors     de l’âme transportée dehors-dedans. Pour ailes à un moment le, ce corps devenant invisible et là par / partout là
De son vivant se deviner     Espace-Energie /     trouver le ton, le style, la forme pour le dire cela     ce qu’on devient /
à un moment ce territoire en nous où plus rien n’est dissociable : le quotidien, un quotidien l’environnement, un environnement, une sensibilité, le fait d’écrire, le fait de créer / tout cela devenant une sorte de présence sphérique allant, s’élargissant…
Le second chapitre le raconte, le jardin, l’hermaphrodite tilleul(e),      la Vibrisse en culotte […] l’épilation à la pince le / Thot le jeune à qui elle dédie ses quelques poils / cela :
elle porte les doigts à son sexe s’entrelace cela sans que toujours on s’en aperçoive elle s’avoue, elle se cache elle est entre deux peaux souvent elle oublie, elle s’oublie dans un / Thot met de la passion à le lécher le sucer à y / enfouir son visage[…] elle est Vulves vulves et aime l’être cela en tenue de ce simple mot [...] / son renard roux encore cette fois elle joue le jeu de la vie, cela ne gifle pas aussi elle tend l’autre joue, s’exalte, exulte
les hommes ça toujours été par l’écriture qu’elle les a eus / les hommes mûrs par des poèmes et par des lettres il est / professeur de français ils le sont tous il a cinquante-quatre ans elle dix-neuf ans il a des cheveux blancs[…] cela commence comme cela, à Sèvres sans doute c’est banal elle le raconte le semis, la pousse lente, la récolte     c’est / à un moment Féerie elle aussi depuis que Thot est mort[…] elle a des visions voilà qu’une forme sort périodiquement / de la fumée et parfois [...]une joie sans égale c’est un ange là en elle :
Vibrisse faire remonter à l’ordinaire sa joie / la formation de la prairie date de cet instant des fleurs      c’est une prairie, une lumière désormais son corps
c’est en boucle la vie, les choses se revivent /     La page 101 amorce Cinq lais / l’auteure s’offre au Feu d’un conte Mélusinen, d’un « ne prends pas le risque de me suivre là où je vais / tu me perdrais » / d’un conte Morganien / d’un Harfang / d’un Prunus / d’un Centaure, d’un […] puis c’est le spectacle d’eux « d’un seul » - / ont-ils fusionné – au bain / de cette croupe de ce / pénis devenu queue     dans le chaudron des nuits répétées, elle en l’Homme / l’homme en Elle     //     mâle et femelle s’enroulent, s’enrôlent. C’est, ce sont Cercle(s) alors les moments parfois à l’image de ses lais elle s’apprend, apprend d’une Mue / s’en suit un petit précis de Magie : Encens, charmes, elle se transporte
/ Delta du Danube / le 18 août / […] Féerie est un aleph une pièce de nuit à elle seule / tous les mots toutes les visions / par transparence Thor assiste à son érection / jusqu’à crever l’eau
elle se transporte /      elle s’ébroue décide de marcher sur la plage elle emprunte un petit chemin     […] elle tombe dessus […] elle trouve un phallus      / elle s’émerveille
[…] plus tard sur la terrasse il fait froid des cygnes et des huitriers-pies passent au-dessus d‘elle Thot pourrait être ce genre de passager dans le ciel elle repense au grand phallus de mer / [ …]un objet cruel et beau le cadeau d’adieu d’un roi de l’ancien temps à sa maîtresse
Pouvons-nous imaginer (la) / une flamme écrire le feu d une vie / une flamme, l‘auteure dont je viens de vous rés-humer le livre, l’a tenté… Pouvons-nous imaginer une femme-flamme écrire les flammes d’une vie, d’une femme-feu se répéter et se répéter par et dans le Désir là encore et encore jusqu’à en perdre contours / jusqu’à
ne point craindre de s’entrelacer à ce qui s’invite à sa bouche, sa couche / dieux, hommes. Que ce soit l’amorce d’un jour, d’une nuit / d’une Nuit beaucoup plus grande,     c’est à cheval sur le Ciel et les choses     dehors dedans     c’est là qu elle se tient Sophie Loizeau, à cheval sur le sang qui la parcourt depuis qu’elle le raconte ce corps dedans-dehors ce corps de femme / d’elle on pourrait dire qu’elle est une Amante, juste cela une amante qu’elle sent en elle ce qui en elle est matière autre, ce qui est autre, (son) autre.     /     et à quoi elle s’accouple     le Mystère (le mâle) en elle /     La chair en mots, les mots en sa chair pour les écrire les jours dépareillés,     le débusquer le Sens par les sens, le corps ainsi écrit, une direction, c’est là maintenant qu il faut vivre, le vivre l’expérimenter le corps / lui offrir quand c’est possible / territoire(s) extraordinaire(s) et vierge(s) dont chaque individu dispose et cela arrive parfois alors / au fil du Temps une œuvre, s’invitent l’intime quoi et ses ailes, le temps d’une vie. / Féerie invite à la regarder peut-être l’immortalité là, de notre vivant, à la chevaucher / elle, mouvement.

C’est ainsi, l’époque est au dénigrement, aux enfermements dorés, aux communautarismes et leurs / y a qu’à faut qu’on se cognent aux grilles de leurs propres limites et manquements / Violences verbales, ping-pong d’insultes / degré zéro de la communication, du partage, nous sommes loin du rhizome cher à Deleuze, loin encore d’un rhizome aimant et tramant notre aventure commune / Des corps ont froid, le monde a froid. Des corps ont soif de quoi. D’Insaisissable, Au lieu de cela, pâles imitations, des réseaux sociaux consoleraient d’un malaise sociétal... Tatouages virtuels d’une famille toute aussi virtuelle pour des corps privés des caresses du Ciel, de l’Éros / privés d’invisibles raisins, d’invisibles grappes d’un invisible vignoble en eux / d’un lien avec le Temps-l’Espace, avec ce Grand Corps évacué de leurs vies, qu’est, qui pourrait aussi être le leur s‘ils le consentaient comme les deux écrivains dont je viens de signaler les récents ouvrages, l’acceptent eux, d’Être en voie.

Oursins, moineaux. Sjon. Editions Lanskine. Collection Ailleurs est aujourd’hui. 2017.

Les périodes de transition ne sont jamais évidentes à vivre / on le voit, certains freinant des quatre fers refusant un véritable face à face avec ce qui pourrait donner plus de fluidité, de Souffle à leurs (nos) jours. Période difficile, passage étroit et risqué où le Monde / la Nature nous demande d’être vrai, de calmer nos appétits et de trouver des solutions.     / Existent-elles là où nous en sommes, est-il trop tard     /     je ne sais pas, par contre ce que je ressens c’est qu’il fait bon d’être simple, d’exister ainsi et d’y trouver pourtant du merveilleux     / aussi qu il est bon d’être justement invité à partager expérience, période de retrait, parenthèse dans une existence / parfois ce ne sont que quelques lignes qu’un livre laisse entrevoir, une forme de naïveté, de fraîcheur /     alors souligner cet auteur islandais Sjon dont l’appartenance à un peuple et à ses traditions, à un sol le protège de dérives égotistes. Une présence écrite, une de plus penserons peut-être certains raillant son utilité… Au contraire pour ma part je veux croire à l’importance d’une conscience de plus / à se rallier à l’acte ichtien, c’est à dire / à bondir, à s’échapper de la nasse d’une enveloppe trop étroite dès qu’une occasion se présente afin de plonger et de s’ébattre dans le Soi. /L’art de vivre, la poésie pour seule pensée. / Oursins, moineaux paru chez Lanskine en 2017 / J’y ai trouvé quelques chuchotements venus d’un chant de l’âge d’argent
[…] quand nous maîtrisions la trajectoire du cygne et du saumon     /     […]quand
nous trouvions refuge dans la matrice chaude de la lave     / […]quand
nous écoutions les corbeaux blancs crier     / […]quand
nous savions prendre garde aux failles chaos et chaos     / […] quand
nous montions nos chevaux qui devançaient le vent

le passé étincelant, il l’écrit maintenant     le nous étincelant / quelques phrases les saluant, les mariant d’une même luminosité les époques, Sjon continue :
et par une chaude journée d‘été / elle me dit : / va mon unique ami / ramer le long du fjord /
rapporte moi une poignée de glaçons / prélevés sur le plus grand iceberg /
que je puisse rafraîchir mes lèvres / t’embrasser sur la bouche
sans te réduire en cendres

« va mon unique ami… » je retiens cela si pur     / et cela encore, ces phrases si pures dans ce texte ( port de reykjavik) ce pourrait être le début d’un roman :
un jour quand j’étais jeune et que je vivais la nuit j’eus un rendez-vous[...]je fis un jour cette échappée avec une totale inconnue
c’est tout simplement beau / il y a dans     oursins et moineaux quelque chose qui ne s’explique pas     un équilibre maintenu grâce à une mise en texte subtile / on la croirait mûrie, méditée tant certaines associations fonctionnent sans qu’on comprenne bien pourquoi / dans matériau pour berceuse cela :
le territoire des oursins est blanc comme une orange
bleu algue, rouge d’encre / brun lune, gris pissenlit / vert sang, jaune gadoue
le territoire des oursins noie ce qu’il peut
il noie les gens, les oiseaux[…]
le territoire des oursins n’a besoin de rien hormis de lui-même     /     et du ciel qui lui donne sa couleur

rien que ce poème est une pure merveille     / vous l’aurez compris / par un jeu de rapprochements, d’espacements /     là dans un sang / un peu l’âme d’un peuple mêlée à celle d’un homme /     là dans une âme, des entités, les génies d’un sol sous un ciel,     Sjon, le paysage, le feu, il les tait / par eux ce qui de lui doit demeurer, demeure / juste cette façon à lui de l’écrire s’habiter corps et âme / où qu’il soit
A un moment de sa vie John Cooper Powys s’exprime ainsi dans Le Sens de la Culture  : « La véritable culture a été, est et sera toujours personnelle, individuelle, anarchiste. La vie est fondée sur le fait d’oublier combien elle est intolérable. Le geste de culture le plus magique que je connaisse, [...] est une démarche de tout notre être que je définirai ainsi : [...]oubliez ce que vous ne pouvez pas supporter ; laissez votre vie s’enfoncer dans les quatre éléments. » / / et j’ai envie de compléter : laissez votre vie s’enfoncer en Lumière et Vivre ainsi dans cet état amoureux, en légèreté / marcher avec quoi, avec Soi pour bagage
Oursins et moineaux, abrite une mémoire, un beau silence /     c’est avant l’homme, c’est de l’homme, un lieu avec un centre partout /     c’est un héritage à transmettre, être là     et Sjon parvient à nous le raconter en quelques tableaux, le voyage d’une vie, la vacuité juste en invoquant ce moment si doux, si fort
tu saisis une mèche /     de son front / enroulée / / sur trois doigts     et tu l’entrelaces / à tes propres cheveux /
c’est ainsi que vous conversez     / elle et toi

Sjon sait se faire petit il le faut savoir le faire cela pour la traduire avec autant de vérité la lumière d’une peau, d’une femme     /     […] elle dirige ton visage rêveur     /     /     vers ses seins en plumes de cygne /     met son petit doigt dans la bouche
un parfum / s’insinue / jusqu’à la nuque /     sur les lèvres / le son /     d’une fleur-velours en flammes
la nuit se poursuit / ta voix est couleur d’étreinte[...]
/          - la lumière
termine son livre /

C’est dans un corps, cela     le bleuté d’une marche ouverte. Lisez le nous /
Lisez vous / Commencez par un commencement, là je vous propose ces trois présences /
L‘Art plus que jamais nous est vital, nous re-lie / on dit l’age aidant : à un moment cela arrive / on est riche de quoi, on le récolte     le / tout nous est prêté.     Je crois à ce moment où chacun nous
nous applaudirons comme ça... pour rien / pour le seul fait d’exister pleinement et de parfois en témoigner. /

 

Bruno Normand


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