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Raymond Farina, La Gloire des poussières, par Sabine Dewulf

mardi 13 avril 2021, par Cécile Guivarch

Voici un titre en forme d’oxymore, qui dissimule un étrange projet : celui de rendre aux poussières la gloire qui leur est déniée. Un tel dessein puise en la mémoire : celle de l’Humanité. En effet, le livre s’ouvre sur un hommage aux rois mages et à ces « temps gothiques / où roi signifiait quelque chose ». Le mot latin rex était à la fois lié au pouvoir et à la spiritualité : la gouvernance d’un territoire et de ses habitants impliquait le fait de les conduire selon une certaine droiture, loin des « intrigues de cour », tout près des « bouffons » et des « clowns ». Du reste, le personnage qui suit immédiatement le roi, dans ce livre, est « l’artiste », dont le « pouvoir » est parallèlement placé en évidence. Celui-ci se résume au « privilège / de l’extrême légèreté / que Dieu n’accorde qu’aux oiseaux » et ne se conjugue qu’à un seul temps : le « futur simple ». Etre roi ou poète, c’est donc s’inscrire dans un élan qui mène hors de soi-même et de toute vanité.

Un tel élan ne saurait être confondu avec ces « voyages » futiles « qui vont quelque part ». Il bénéficie de la « brève lucidité » qui « nous fait rire de nos délires » et qui relie « deux nuances du bleu ». Traçant les mots de son poème comme un « éclair calligraphique », le poète ressemble à l’enfant : celui-ci « pose son oreille » dans l’herbe et accueille au plus près les aveux d’une terre qui « envie / la légèreté des nuages ». De même que le « bleuet » nous raconte « une histoire du ciel », Raymond Farina recueille les plus menues, les plus aériennes de nos poussières, abandonnées aux marges de l’Histoire, pourtant auréolées de « soleils virtuoses ». Ce sont les résidus de rêves inaccomplis, de désirs en suspens, de ces hallucinations saisissantes portées par les mythes : des « possibles éteints »… Ce poète possède le « sens du détail », au point d’espérer trouver un jour « le temps d’être dans le présent », avec la conscience aiguë que l’histoire de notre vie est une « fable sans fin », une « légende » plus légère que la vaine obsession de « perfection ». L’homme moderne n’a appris qu’à exercer son pouvoir de « destruction méthodique » ; en regard, la guerre que mènent les oiseaux est un « tourbillon d’ailes légères » ! Le poète s’interroge sur les fondements d’une telle absurdité : ne viendrait-elle pas de notre propension à « imposer une place aux choses », à quadriller l’espace pour mieux le conquérir ? En oiseleur averti, il nous propose une tout autre approche, à l’écoute d’un monde perçu comme « partition aérienne »…

De fait, pour ce poète-musicien, seule demeure la mélodie des vers, épris de l’enjambement. Cette musique s’enlace par exemple à la « douce, / douce spirale cachemire » des fumées de cheminées, dans l’ici incertain d’où le moi se déploie pour mieux s’effacer, tel un fantôme en sursis : « parti d’où tu n’étais pas, / tu t’éloignes d’où tu n’es pas ». Ses « graffiti orphelins » se tissent au « vent », à « l’ombre à ses côtés, / d’un ange familier », aux « confidences des morts », aux « cendres », aux « brindilles », aux « lucioles » et jusqu’à cette « miette fatale » d’une « fourmi sisyphéenne »… Il s’agit de s’extraire d’un temps étroit où les repères s’affolent (« les villes suffoquent », « l’hiver s’égare dans l’août », « les ponts séparent des hommes »), où chacun est trop certain d’exister comme une entité séparée des autres, et d’ouvrir le rêve d’un « Orient » « où l’on ne tue pas les enfants / avec la permission de Dieu ». Tour à tour le « sourire », l’humour, l’ironie, ou bien la gravité du dire, font éclater la bulle noire de notre monde, en ses actualités les plus visibles, ouvrant « dans l’impasse l’issue » d’un « silence » ou d’un « oiseau ».

Cette effusion de « poussières lointaines » nous mène ainsi jusqu’aux étoiles. Mais le poète sait rester humble et souriant : le « ménage du ciel » lui permet de philosopher en poésie, de trouer un instant notre cage mentale d’un « sublime » bien oublié, pour ensuite rendre simplement « à chaque bibelot céleste / son éclat et sa place / dans le bazar de l’Univers ». Si cette absurdité demeure, la confidence que Raymond Farina nous dépose au creux de l’oreille n’en est pas moins précieuse : « ne sois sensible qu’à la vie / qui murmure en ce qui s’esquisse ».

Sabine Dewulf

 

Raymond Farina, La Gloire des poussières, coll. Surya, éditions Alcyone, 2020, 16 €.


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