Devant nous une sterne vole au-dessus des nuages
Et déjà je vois plus qu’un oiseau – si vite investir
Le réel, d’où vient la faim de mes yeux ?Le paysage a ici qualité d’offrande
Je ne parle pas d’accueillir ou contempler,
Juste avoir regard nu pour cet animal sur la mer
…/…
A nos mains il faut aussi un éveil
…/…
Que trouver dans tes mots ? Une introspection vide…
Cet extrait (poème p 65) est assez représentatif des poèmes qui composent LAPIDAIRES de Gabriel Zimmermann. Nombre de mots font leitmotiv dans ce livre (plutôt épais : 174 p).
- yeux (voir, regard, contempler, etc.)
- mains (toucher, saisir, serrer, etc.)
- éveil (ouvrir un regard intérieur)
- mots (paroles, poèmes, voix, bouches, p 98 : que fais-tu des voix surgies / Dans l’ombre, elles / Ne racontent pas moins / Les bouches invisibles / En couvrant nos lèvres… », etc.)
- introspection (pensée, réflexion, philosophie, écrire, etc.)
Ces mots et leurs déclinaisons sont à la fois l’expression d’une attitude « bienveillante » envers les autres, d’une communion avec le monde et l’expression d’une interrogation, d’un creusement inquiet, d’un « qu’y a-t-il sous la surface, les apparences de vivre ? ». S’en suit un balancement de la pensée qui traduit une volonté d’objectivité (enfin autant que possible).
De très nombreux poèmes sont construits sur le modèle de l’extrait donné au début de cette note : un détail, un événement d’un réel (pour décrire un mégot / ou tourteau bavant des bulles…) plutôt rural, campagnard (de nature), plutôt que citadin (mais bien-sûr, il y a des exceptions : La fin du soir fait apparaitre une rade / Où entre un chalutier vide, il rue sur la ville / Comme impatient de la fendre).
Les événements ordinaires, triviaux deviennent la matière d’une sorte de parabole conduisant à une réflexion qui dit l’état (mental et physique) de vivre actuel ; la précarité de toute vie ; pour rendre compte de notre bref passage.
Cette réflexion se construit parfois sur un dialogue entre soi (je) et un autre invisible, pas défini, qui semble n’avoir pas de réalité physique (un tu qui est interpellé) (un être cher disparu).
Les poèmes de Gabriel Zimmermann font penser à cette phrase de René Char : « Au centre de la poésie, un contradicteur t’attend. C’est ton souverain. Lutte loyalement contre lui. » (A une Sérénité crispée, dans Recherche de la Base et du Sommet). C’est ce corps à corps auquel nous assistons en lisant ces textes plutôt denses, amples et diserts, en tout cas dont la forme ne fait pas penser au mot LAPIDAIRES qui sert de titre à l’ouvrage ; ce titre illustre peut-être l’attitude objective (je me répète : aussi objective que possible) que souhaite adopter Gabriel Zimmermann (mais ce n’est que mon interprétation).
Le vocabulaire est généreux, à la fois concret et sensible : les choses sont nommées sans prendre des pincettes.
Râpeux, âpre, un peu rude, libre mais plutôt long, d’une tendance prosaïque, le vers s’élève rarement vers le chant, mais bien-sûr parfois oui et alors il s’alexandrine : Au passé invaincu, à ces plaies maintenues…
Et dans l’aile un désir qui restera désir.
Christian Degoutte