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Lectures d’Hervé Martin

vendredi 19 octobre 2018, par Cécile Guivarch

Cicatrice de l’Avant-jour , Lydia Padellec, Éditions Al Manar, 17 €

Cicatrice de l’Avant-jour est né du vif bouleversement qu’auront provoqué les tragiques et meurtriers attentats du 13 novembre 2015 dans le for intérieur de l’auteure.

Composé de cinq ensembles aux titres marqués par les mots nuit, cicatrice, brûlure ou cendre au versant inquiétant du sens qu’ils évoquent, le livre rassemble une cinquantaine de poèmes. Écrits sous l’émotion et laissés ici tels des stigmates creusés aux plis du corps, ils sont désormais indélébiles. De très belles gravures de Marie Alloy accompagnent les ensembles comme en un hommage vif, coloré pour certains du rouge d’une émotion douloureuse.

Le livre me semble marqué par une gravité singulière et intime qui s’ajoute à celle impensable des événements meurtriers. Elle focalise chez la poète les inquiétudes et les angoisses qu’auront réveillées la violence et l’horreur dans le surgissement imprévisible de la mort.

Tu graves sur la pierre /l’empreinte de l’insecte / tes peurs d’enfants / prises dans la toile / te hantent encore /...

L’ouvrage est parsemé de nombreuses citations et dédicaces, comme si la poète avait souhaité rassembler l’amitié autour d’elle et rappeler les valeurs essentielles qui guident son existence.

De l’enfance qui s’éloigne dans la proximité d’une grand-mère qui fut aimée et essentielle pour Lydia Padellec, jusqu’à la limite de la mort qui se profile au lointain dans le dernier ensemble, la poète traverse les strates de l’angoisse et cette conscience vive de vivre.

Entre parenthèses / Notre vie s’écoule / Trace des silences / Comme des cercles / dans la cendre.

Au cœur de sa réflexion elle s’interroge sur le désir profond qui conduit sa vie,

Que cherches-tu / à travers cette nuit étale

Puis inventorie dans la succession des poèmes les rives de la nuit peuplées parfois des monstres noirs de l’enfance.

.../ la nuit cogne /contre les meubles / tu ne l’entends pas / contre toi elle se glisse / dans les draps froids/...

Un univers onirique se développe alors dans les poèmes témoins de ces moments tourmentés et une mélancolie s’installe qui annexera l’humeur des jours qui suivront ce drame.

La mer écartelée geint / d’une rumeur noire - /

Il transparaît dans les pages que ces événements furent un véritable choc pour Lydia Padellec. Face à l’horreur, ces attentats entraînent la poète dans une traversée de la solitude. Une inquiétude vive naît aussi pour les proches et l’aimé.

Où es-tu mon amour/ la musique s’est tue/ étouffée par les griffes/ de la bête immonde/...

Le mot amour dans les poèmes de l’ensemble Nuit de sang est repris comme un leitmotiv dans un ressassement qui exprime une angoisse grandissante et la crainte de sa mort.

Avec cette horrible tragédie délimitant les frontières funestes et les valeurs de la vie, quelque chose de grave a surgi qui a changé le monde et l’existence même de la poète, à jamais dans sa chair.

L’hirondelle est partie / Et ne reviendra pas / Son chant s’est éteint / Et l’innocence perdue / Je regarde derrière moi / Le chemin s’est brisé

la crypte , Épaminondas Gonatas, Éditions Érès – Collection Po&psy, 12 €

En proposant en version bilingue, la crypte et autres poèmes d’Épaminondas Gonatas, la collection Po&psy poursuit la diffusion de la poésie étrangère en choisissant des auteurs à l’écriture singulière ou iconoclaste. C’est du moins la pensée qu’il me vient en lisant ses courts textes en prose aux allures de notes d’observations, étirant le réel aux frontières d’un univers inventif ou onirique.

Les oreilles du cheval derrière les buissons sont les capteurs de l’infini silence universel.

Dans son écriture, l’auteur grec disparu en 2006 se laisse happer puis conduire au gré de son imaginaire. Refusant d’être assimilé au Surréalisme, Gonatas qui n’édita que sept minces ouvrages entre 1945 et la date de sa mort préféra le titre « d’artiste » à celui de « littérateur ».

J’étais indifférent aux fleurs – ces mauves voraces – dont les gueules béantes aboyaient sur mon passage. Je ne leur ai jamais donné mon doigt à mordre.

Entre le récit bref et le poème court en prose son écriture se déplace du réel vers un univers imaginaire ou absurde. Sa poétique semble guidée par les images à partir desquelles il suit ses élans et instincts créatifs en nous donnant du monde une vision insolite.

Les nuages se sont écartés, laissant poindre une demi-lune jaune. Une grande oreille de cire s’est tendue en plein milieu du ciel pour écouter.

Regards sur l’enfant Jésus, Roland Nadaus, Editions Olivétan, 14€

Le livre est né de la rencontre de Roland Nadaus avec la pianiste Marielle Le Monnier et de ses interprétations de Vingt Regards sur l’enfant Jésus d’Olivier Messiaen.

En adhésion au thème et à l’interprétation de la musicienne, ainsi qu’en écho à l’œuvre d’un des musiciens les plus important du vingtième siècle, Roland Nadaus à écrit ces vingt poèmes éponymes. Une représentation fut donnée à la Ferme du bel Ebat de Guyancourt (78) en présence du poète lisant ses poèmes. De prochaines rencontres sont prévues en d’autres lieux.

La foi chrétienne de Roland Nadaus est tournée vers la fraternité et la vie de la communauté humaine. L’espérance qu’il a nourrit à leur égard a pu parfois se traduire en réalités pragmatiques et concrètes au cours des différents mandats de l’homme politique qu’il a été. Des convictions humanistes qui guidèrent aussi le poète que toujours il fut. A cet égard, l’œuvre d’Olivier Messiaen agglomère me semble-t-il beaucoup de ses espérances intimes au premières desquelles la primauté de la vie.

Dans les hauteurs du Silence / ce chant proclame : / la Vie ! la Vie ! la Vie !

Pour Roland Nadaus « l’enfant-Jésus » est d’abord un enfant. Il est le fruit d’un amour de chair et de désirs autour duquel la vie se renouvelle et se poursuit. Et comment un croyant ne verrait-il pas dans le renouvellement infini de la naissance un parallèle avec la vie éternelle promise par la religion chrétienne ?

un enfant naît / et vous renaissez à vous-même

Avec Regards sur l’enfant Jésus Roland Nadaus interroge la genèse de l’être humain au point de sa naissance. Quand un être naît-il vraiment ? Dès l’heure de ses premiers cris ? Dans le regard que ses parents posent sur lui ou dans ceux de la communauté des hommes qui l’accueille ?

Quels regards d’Amour se posèrent /de l’Un à l’autre / et du Tout-Autre à l’Enfant / - du Tout-Grand à ce Tout-Petit - ?/// Dans la fourmilière des humains / chaque fourmi vit la vie de Dieu / quand elle donne naissance / à cette autre qui lui ressemble et n’est pas la même -

Et c’est peut-être parce que l’enfant dans sa permanence est d’abord celui de tous les hommes, qu’il détient en puissance toutes les langues possibles du monde au seuil de sa vie.

Oui tout enfant à sa naissance/ parle en puissance / - toutes les langues du monde -

Roland Nadaus accompagne au fil des poèmes l’œuvre d’Olivier Messiaen et l’histoire singulière de Jésus de Nazareth enfant. Et propose que cet enfant né au sein de la famille d’un charpentier soit aussi celui putatif de tous les hommes.

Oui les vrais parents / en vérité /sont ceux qui adoptent en le reconnaissant / leur enfant / - né de leur chair ou pas -

Le poète fait ainsi de chaque homme et de chaque femme les parents de tout enfant sur terre. Et de tout enfant, l’espoir vivant du monde. Roland Nadaus réunit ainsi par la poésie, la parole chrétienne et le réalisme de son interprétation des textes religieux.

Enfin, il relie ces Regards du l’Enfant Jésus à l’expression très vivante de sa foi et s’adresse dans un dernier poème à Marielle Le Monnier :

Car c’est une histoire ordinaire /dans le chaos du quotidien / une histoire « chaotidienne » comme l’est le divin lorsqu’il s’incarne en une histoire humaine / - et que des sons / des vitraux de sons le célèbrent -.

Hervé Martin


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