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Notes de Ghislaine Lejard (février 2022)

samedi 5 février 2022, par Cécile Guivarch

Le parfum de Marie de Magdala, Patrick Navaï, Editions Voix Tissées

Il y a des rencontres qui bouleversent une vie, le poète et artiste Patrick Navaï nous livre en ce recueil Le Parfum de Marie de Magdalena sa fulgurante rencontre avec celle qui est venue le chercher, une rencontre charnelle et mystique qui a su en touchant ses sens, lui révéler cet immense amour qui l’habitait. Elle est celle qui lui permet de dire en cet édifice de Vézelay qui lui est consacré : « Je suis là âme, esprit, chair, enfin réunis / rien que pour toi… »
Avec elle, tout un chemin de retour s’accomplit, le passé prend tout son sens, alors, les yeux se dessillent. Le poète reconnaît celle qui à trois reprises était déjà venue le visiter ; mais pour une telle rencontre, il faut être prêt et il a fallu presque toute une vie pour refaire ce qu’elle avait fait : « verser des larmes et du parfum… » et pour lui tomber amoureux d’elle, l’Apôtre des apôtres, et avec Marie Madeleine se faire pèlerin de l’Amour pour que s’ouvrent autant de chemins de lumière.
De la Galilée au lac de Tibériade, elle ne cesse de conduire à travers les siècles d’Orient en Occident, à celui qu’elle a su reconnaître et aimer. Elle est celle qui a revêtu un habit de lumière et qui a inspiré tant d’artistes et illuminer tant d’œuvres d’art. Pour Patrick Navaï, elle est : « la rosace éternelle / qui éclaire le cœur du monde » car elle est « voie dans les ténèbres ».
De cette rencontre naît une interrogation sur le rôle accordé par l’Eglise à la femme, aux femmes ; car pour lui, sans les femmes « point d’évangiles, point de Nouveau Testament ». Grâce à elle, avec elle, il médite sur ses origines orientales, sur le peuple iranien, sur le rôle qu’y avaient les femmes « un statut égal aux hommes » ! Elle est celle qui lui permet de relier son Orient et son Occident, elle lui permet d’honorer le prophète iranien Zarathoustra ; de méditer sur des vies comme celle de Saint François d’Assise, une vie bousculée, retournée par la Rencontre, le plus grand des miracles celui qui permet que l’on « revienne à soi, à sa liberté. »
Comment dire l’inexplicable, comment oser en parler, comment « un païen qui n’est même pas baptisé » peut-il témoigner de sa rencontre amoureuse et mystique après « soixante ans de cheminement ».
En sa compagnie, le poète évoque tous les illustres chantres de la non violence et se souvient de Mani le philosophe de la Perse du quatrième siècle. Mais depuis la croix du supplicié se dresse, encore et toujours des crucifixions nouvelles : « Ô Marie, combien de siècles faudra-t-il encore aux humains/ pour renoncer à leurs penchants funestes ? ».
Marie depuis le tombeau du matin de Pâques ne cesse de porter le message de son Bien Aimé.
Ce recueil est une déclaration d’amour à toutes les femmes messagères de l’Amour à l’image de ce que fut la plus grande, Marie de Magdalena, à Thérèse de Lisieux, son « enfant spirituelle », à sœur Christiane, à Louise Michel… Ces femmes qui furent comme autant de chemin de lumière qui ont su prendre sous leurs ailes celui ou celle qui a soif d’amour, de justice et de paix.
Ce recueil est aussi une louange et une prière universelle qui rejoint chacun pour témoigner de la Présence et dire que sa lumière ne cesse d’éclairer toute existence. L’offrande de Marie, il y a plus de deux mille ans ne cesse de répandre le parfum de cet Amour révélé.

Le Rouge - Gorge Laura et autres poèmes, Philippe Leuckx, éditions Henry

Une nouvelle pépite dans la collection la main aux poètes est sortie en octobre 2021.
41 poèmes comme autant de tableaux quotidiens pour dire la mélancolie, les souvenirs et la lumière de l’instant. Entre aujourd’hui et hier le poète dans la lumière de la poésie au creux des mots, laisse surgir des instants de fraîcheur qui apaisent.
Si le chagrin ne disparaît pas, entre les mots des éclats de beauté. Le rouge-gorge comme l’enfant, c’est toujours l’inattendu qui entre dans nos vies, ils ouvrent le ciel.
Le jardin et la terre que l’on cultive, la maison que le poète revisite au hasard de ses souvenirs et de son quotidien, il en nourrit sa poésie. En ce recueil, des poèmes intimistes pour scruter la beauté la plus simple et mettre un baume sur la mélancolie.

Au jardin, Jacqueline Persini / Patrick Navaï, ed Voix Tissées

2 poètes, 16 poèmes, 8 encres pour ce recueil paru en octobre 2021
Les poèmes de Jacqueline Persini en écho aux poèmes de Patrick Navaï, rehaussés des encres en noir et blanc du poète qui est aussi peintre, pour nous dire le jardin, métaphore du monde que nous habitons, les mots pour chasser les ombres de la nuit, pour un retour au jardin d’Eden et panser nos failles.
De courts poèmes, tous des quintils, comme des palpitations, comme un vol de papillon. Entre les mots et les blancs du poème comme des respirations pour accueillir les rêves. Le noir et le blanc des encres que chacun peut colorer de ses propres couleurs et faire de ce jardin nocturne, un jardin rêvé.
Le dernier dessin, un couple au pied d’un arbre, nous renvoie bien à ce paradis perdu, Adam et Eve avant la chute mais, le chant de l’aède en écho au cœur qui palpite au rythme des épousailles du ciel et de la terre.

La Craquelure, Domi Bergougnoux, dessins Jean-Denis Bonan, Al Manar

Des fêlures à l’envol

Le titre claque comme une voile prête à se déchirer, craque comme un os qui se brise. En ce titre déjà la blessure primordiale que manifeste l’emploi de l’article défini la.
Le dessin de Jean-Denis Bonan en couverture de l’ouvrage se présente comme une tache de sang qui s’étale, s’étend sur un sol.
Le premier poème dont le titre est homme blessé confirme bien l’impression première. L’écriture est pour Domi Bergougnoux, comme dans son premier recueil Où sont les pas dansants, un baume posé sur les blessures. Ecrire, aimer pour déjouer la souffrance et la mort : « Oser le décalage/d’écrire encore/ sur le versant intime du chagrin/ toute la force de mon amour/ pour que la vie déjoue la mort ».
Son chant de poète comme un baume apaisant sur les blessures de l’autre, surtout lorsqu’il est la chair de sa chair et est devenu l’enfant-pierre. La maternité douloureuse et aimante dépeint avec une infinie justesse la souffrance de l’enfant et malgré la folie, elle le fait grandir en humanité, elle le relève, quoiqu’il arrive. La poète nous fait entrer au cœur de la douleur et de l’un et de l’autre, elle dresse un portrait au plus près, de cet homme muré, enfermé, froissé, de cet homme éprouvé mais aussi et là est le paradoxe de la vie et de l’amour, un homme ébloui, un homme dont « Le cri est muré » et qui « dit une prière/ d’étoiles à tout va. »
Magnifique de réalisme ce portrait : « là/ devant elle/ il n’était qu’une forme tremblante/ à peine visible/ une poussière d’amour/dans le jour douloureux. »
Pour tenter d’échapper à la douleur, l’alcool, pour essayer de la noyer, pour essayer de s’oublier.
En perspective aussi , en contre-jour, le portrait de cette mère aimante dont tout le recueil crie sa douleur et celle de l’enfant.
En ce recueil cohabitent deux champs lexicaux qui sont les deux faces de cette médaille de douleur que l’un et l’autre portent.
D’un côté le champ lexical de la souffrance et de l’enfermement : souffrance, blessé, terrifié, décapitées, menacé, désespoir, cendre, barbelés… de l’autre celui de l’amour lumineux : battement de cœur, poussière d’amour, illuminés, la paume ouverte à la lumière…
En ce recueil, deux parties qui emportent le lecteur des fêlures à l’envol.
Si la souffrance ne disparaît pas, la vie toujours comme dans un sablier s’écoule pour en définitive s’ouvrir à la lumière, ce dont témoigne la dernière strophe du dernier poème : « Un désir de doux/ de caresse d’âme/ de presque rien qui dirait tout/ de rejoindre/ la paume ouverte de la lumière ».
Le recueil témoigne aussi d’un combat mené par tous ceux qui souffrent, qui se battent, qui luttent corps à corps, cœur à cœur pour être survivants plus que vivants pour « porter beau le monde » et malgré tout le poids de la douleur, « déterrer le soleil ».

Ghislaine Lejard


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