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Famille & damnation, Mathias Lair, une lecture de Jacqueline Persini

vendredi 12 juillet 2024, par Cécile Guivarch

Mathias Lair, Famille & damnation, L’atelier du grand Tetras, 96 p. 2023, 15 euros

Mathias Lair est auteur d’une œuvre importante dans le registre de la poésie, du roman, de la nouvelle, de l’essai. On trouve ses chroniques dans les revues Décharge et Rumeurs.

Le titre du livre semble signifier qu’une famille (ou toute famille ?) est vouée à l’enfer. Au-delà même d’un sens religieux, le salut serait-il exclu ?

Dans ce récit deux personnages vont explorer la question des traumatismes intergénérationnels. Tout d’abord, pour aider sa cousine Amandine en perdition, Raphaël, dans une position de savoir et d’interprétation, lui raconte sa version de l’histoire familiale. Comment échapper au destin, plus particulièrement à Thanatos ? À un érotisme destructeur, à la dévoration ? Comment se construire dans les manquements de ceux qui ont précédé ?

Repérer ce qui se répète d’une génération à l’autre va-t-il aider Amandine ou plutôt le cousin qui invente un mythe s’inscrivant dans d’autres (les grecs en particulier) après tout plus dramatiques que le sien ?

Raphaël n’est pas dupe, conscient de ne pouvoir atteindre l’origine des troubles, mais juste quelques nœuds qui condamneraient peut-être à errer sans fin.
Dans la deuxième partie, Amandine se parle à elle-même. Le lecteur respire mieux dans ses trous et sa fragilité. « Il faut toujours qu’il ramène sa science mais je le laisse faire ça lui fait plaisir » déclare-t-elle. Elle se surprend «  à aller ailleurs que dans les dires de son cousin » Même si certains de ses mots la marquent comme : « retrouver le dur désir de durer » et « la vie çà bande ». Chacun a sa façon d’être seul, conclut-elle.

Dans la dernière partie, le thème de la solitude est repris par Raphaël : « avec Amandine en se console, on est seul mais ensemble, ça fait du bien ». Finalement, la galaxie familiale n’est pas plus infernale que d’autres. Raphaël aimerait être un fauve : « il lui suffit de vivre alors que je dois faire quelque chose de ma vie ». La dette de vie exige-t-elle une œuvre ? Un espoir ? Ne serait-ce que tirer Amandine de sa dépression. Mais qui est le plus déprimé ? Comment se tenir debout après le grand lessivage de l’histoire familiale ? Que reste-t-il ? Comment les deux cousins ont-ils occupé la place qui leur était assignée ? Quel écart ont-ils pu faire ? Sont-ils parvenus à la possibilité de devenir sujet dans une solitude qui n’est après tout pas absolue ?

Dans la troisième partie, les deux cousins vont vers un bord de mer, lieu connu et aimé par Raphaël, appelé le « nombril du monde  ». Ce voyage initiatique ressourcera -t-il l’un et l’autre ? En se déplaçant de la maison à la mer, les points de vue bougeront-ils ?

Raconter, ressasser a permis à Raphaël de mettre en scène son mythe familial. Ainsi il peut le regarder au lieu d’y être collé. On ne croit pas tout à fait une simple fable. La coque voulue pour Amandine s’est-elle construite avant tout pour Raphaël ?
Et puis « n’y a-t-il pas que la poésie pour sauver quelque chose du monde ?  »

Raphaël comprend qu’il faut se taire ou inventer une langue faite de silences et de frémissements. Écouter aussi la langue des arbres, celle de la mer. Main dans la main, les deux cousins goûtent le ciel, le bruit des vagues. « L’océan se bombe comme un ventre au lieu même où il disparaît  ». Oubli des ventres maternels féconds et destructeurs ? Enfin la parole est donnée véritablement à Amandine : - «  Qu’en dis-tu ? ».

Le lecteur est passé de l’implacable d’un destin à un lâcher prise de la damnation. Il est possible de vivre le présent et de le partager.
Mathias Lair propose-t-il ce voyage pour nous inciter aussi à respirer, rester vivant dans notre propre galaxie familiale ?

Jacqueline Persini


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