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Felip Costaglioli, J’attends mes pertes, par Béatrice Machet

lundi 25 octobre 2021, par Cécile Guivarch

Couverture bleue ou couverture rose ? C’est à vous de choisir selon que vous vous sentiez rose dehors et bleu dedans, ou bien rose dedans et bleu dehors. Quoiqu’il en soit les deux formules renferment le même texte. Et le lecteur qui aurait lu le livre précédent, intitulé Nu, paru aux éditions des Lisières en 2020, reconnaîtrait le ton et l’élan d’un auteur évoquant l’enfant qu’il fut, célébrant cet esprit de l’enfance qui cherche, au-delà des blessures, une liberté : celle qu’il se promet à lui-même et si chèrement acquise, liberté d’être soi, malgré les pressions conformistes et normatives.

Le livre est dédicacé à Marc-Henri Arfeux, poète lyonnais qui soit dit en passant, porte sur lui et en lui la même douceur que Felip Costaglioli (pas étonnant que ces deux-là se soient reconnus !) Trois citations en exergue, qui évoquent la perte et l’attente (d’où le titre), chacune dans une des langues pratiquées par l’auteur, ouvrent et annoncent ce qui suit.
Le premier poème porte le titre de : En jachère (notes d’un paysan laissé à ses parents), et ce paysan comme Rimbaud a les poings dans ses poches trouées. Il se remémore son enfance entre jardin et tracteur, un temps d’avant le départ enregistré comme « quitter ». Cet enfant pour qui parler sert « à tout refaire ». Il a grandi, il est parti.
Le deuxième poème du recueil porte le titre de : Sur les tréteaux, comme pour dire avec Shakespeare que le monde entier est un théâtre. Là encore l’enfance est évoquée et l’on devine les souffrances et les frustrations d’un enfant « hypersensible » comme on a l’habitude de les qualifier.

Avec le troisième poème, Tout et partout, la question qui semble cruciale est posée : a-t-on le corps qui correspond à l’image idéale, celle à laquelle on désire ressembler, un corps qu’on voudrait non seulement habiter mais être : il ou elle, il et elle. Mon corps est un long accident confie le narrateur du livre. Entre réel et idéal, entre les lignes écrites, se joue une tragédie, ou bien une partition :

Il vit entre les lignes Il y a là il le
sait une musique. La souffrance aide à suivre.

Il faudrait pouvoir assumer, ne plus subir, être capable de métamorphose et c’est un art nous confie encore le narrateur. C’est un art de l’humilité, et du dépouillement aussi. A l’arrivée on se vivra
enfin
pauvre vibrant et confiant devenir

En effet, on ressent bien dans l’écriture de Felip Costaglioli, cette vibration de la quête, qui s’apparente à une quête spirituelle. Vibration obtenue de la tension entre centre et lointain, c’est à dire prise de distance et autoréflexivité agissant avec une immédiateté de l’être (se) vivant.

L’auteur nous fait témoin d’une force ascensionnelle, une force qui fore et qui nous projette dans son Là où je vais. Cette force vitale sait dire ilelle, il et elle, il ou elle, c’est une force qui parle, une force racinaire qui parvient à faire craquer la surface, une force qui mène vers l’explosion et l’évaporation. C’est aussi un principe de légèreté identique à celle éprouvée enfant, une force qui, dans le cas de Felip Costaglioli, incite à écrire ou à prier : « je m’agenouille ».

Avec le poème intitulé Itinérant, nous entrons dans une dimension plus mystique. Le lecteur en vient à la conclusion, s’il ne le sait pas déjà, que vivre est un plus ou moins long chemin de perte (ou de défaite comme on veut l’appeler), et perdre est ce qui fait grandir. Prendre de l’âge, enterrer ses morts, vivre en intensité, c’est avoir conscience de la perte inéluctable et pourtant indispensable pour en même temps s’enrichir, s’épanouir et gagner le titre d’humain. Il s’agit d’un chemin spirituel bien entendu, et toute épreuve est là pour nous rappeler qu’on ne naît pas humain, qu’on le devient éventuellement, ainsi que bien des peuples premiers dont les Indiens d’Amérique le savent depuis toujours.

Le volet final est intitulé Mon maître et moi. En cinq visites l’auteur (accompagné de son lecteur) se retrouve propulsé vers la connaissance de soi, là où l’on est ou il ou elle, il et elle. Cinq parce que ce chiffre symbolise et représente le souffle de vie et l’épanouissement, l’union et l’harmonie, la trinité céleste allant avec la dualité terrestre ; mais cinq est aussi le chiffre du centre, et chacun se doit d’être à soi-même un centre tout en se décentrant en permanence. Cinq parce que le pentagramme représente l’humain debout sur terre sur ses deux jambes et la tête dans les étoiles. Cinq parce que cinq doigts et cinq sens. Cinq parce qu’aux 4 éléments que sont air, eau, terre et feu, s’ajoute le cinquième élément appelé quintessence par les alchimistes, et c’est d’une sorte d’alchimie dont nous parle le maître. Et quand on a fait les cinq visites c’est pour faire l’expérience d’une forme de perte qui est l’abandon. Au cas où l’on tenterait une sixième visite, savoir : « lorsque tu reviendras / Ici il n’y aura / que du bien / il y / aura / rien ». Mais en passant du b au r, on trouve la lettre l et c’est là qu’on attrape au vol le lien, ce fil rouge qui réunit toute les parties de ce livre et conduit à son épilogue : une injonction au mouvement intérieur afin d’afficher un sourire sur ses propres pertes, ses propres ruines qui contiennent deux identités à faire cohabiter en paix, à assumer sereinement, une masculine, une féminine. Le recueil se referme sur une vacance, une ouverture, une mise en disponibilité, celle qui permet d’écrire, de méditer, de se retirer, de suspendre, d’être pleinement dans une forme d’éternité. La dernière page dit : savoir / être / arrêt, on extrapole et l’on comprend, ainsi que les philosophes l’ont dit, vivre est savoir mourir, savoir partir, et ce serait savoir atteindre une autre dimension… Des pertes pour un gain, tel est le message du livre.

Béatrice Machet


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