La seconde augmentée , « minute du trèfle » ?
Quel est le temps que nous vivons lisant, écrivant, vivant ?
« L’image mobile d’une éternité immobile », pourrait être la réponse donnée par Denise Le Dantec dans son recueil, La seconde augmentée, paru chez Tarabuste.
Le temps harcèle les hommes et avec lui, l’Ange de l’histoire, celui que Klee a dessiné et que Walter Benjamin a possédé. L’espace aussi que la poète franchit avec les mots :
« la frontière du langage
est jaune soleil ».
Nous sommes devant ce livre-énigme que les mots de Denise Le Dantec traversent de toute leur vitesse. Le regard est rapide, vif, il court sur la page comme une musique d’herbes et de vent. « La mauvaise herbe du temps », il faut lui redonner le mouvement, s’arracher avec elle à l’immobilité, courir, « hennir dans les haies », se faire cheval, mouettes, bouquets, vent, poèmes. Derrière le « corps terrestre exténué » de la femme qui écrit, se dévoile une vitalité nourrie d’une connaissance précise de la nature, de paysages et de forêts mais surtout de poésie, opérant transmutations verbales et visuelles, sonores et odorantes dans une énergie puissante et surtout libératrice de formes et de forces renouvelées.
Celle qui écrit :
« J’ai cassé le mot
Comme on casse une noix
3 souhaits
3 roses… »
n’a pas peur du désordre, au contraire. Elle sait s’en faire un allié. Le monde « grand comme une noix » s’ouvre et délivre de toute pesanteur celle qui écrit en ouvrant des livres et la porte de son jardin.
Denise Le Dantec se fait magicienne et nous croisons avec elle la gabarre qu’a vue Hölderlin à Bordeaux, la rose de Celan, les inventions de Stein, les vergers de Rilke et nous allons de jardin en forêt, foulons les fleurs des prés pour apercevoir au loin « la lampe (qui) brille dans le salon de la Reine ». Brest côtoie Naxos, le Nord et le Sud se réinventent une géographie et une histoire.
« J’offre tropes et visions ».
Denise invente, colle, rafistole, fait des listes (ce qu’il ne faut pas oublier quand on part en voyage ?) et dresse un monde pour celui, celle qui entrent dans ce livre, dont la vigoureuse existence surprend par son évidence en même temps que son étrangeté. N’hésitant pas à emprunter différents chemins dont ceux du conte, pour donner à voir une géographie poétique et personnelle :
« Mon nuage avait changé d’épaule. J’allai à prêle et à fougère.
Nous regardions le bleu. »
On pense à Maïakovski, et on poursuit la route avec l’immobilité, le silence de la musique et de l’absence.
Devant tant de force, on est saisi. Joyeusement entraîné.
On prend le livre, on le reprend.
Un livre-monde, un livre-bibliothèque, un livre-voyage.
« Quand tu ressusciteras
Je ressusciterai avec toi »
Sylvie Durbec
Extraits de La Seconde augmentée, édition Tarabuste, 2019
« J’emprunte le couloir de l’abeille. Le jour bourdonne.
L’automne urbain.
Un pétunia fleurit près d’une enseigne.
Une étoile est tombée du nid. Une poitrine d’oiseau.
Un arbre porte une dentelle. Éparpille les plumes –
fait flotter les rubans.
Il fait beau. »
*
« j’estompe
je désécris
le dire n’est pas le dit
les marronniers sont jaune abeille
les lauriers vers Barbour
un chariot déverse les ordures du siècle
un chat chantonne sous la pluie
je me faufile
le ciel est encore bleu
Archiloque écrit : Apprends à connaître quelle sorte de rapport
porte les hommes »
je confonds les dangers
ce qui tombe et ce qui s’élève
le monde et la destruction du monde
mon passé est présent
mon futur est présent
mes gestes sont les variations de courants atmosphériques
mes volées, irrégulières, parfois planées, souvent stationnaires
je laisse passer le souffle du vent
le poème est ici
SALUT AUX TRAVAILLEURS
*
« Dernier rêve. T’en souviens-tu ? J’avais semé passe-roses
berceuses et songes. Mon nuage avait changé
d’épaule. J’allais à prêle et à fougère.
Nous regardions le bleu.