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Est un arbre de cristal, (je) l’ai vu, Bruno Normand, Oct Nov 2015

mercredi 6 avril 2016, par Cécile Guivarch

ce 21 octobre
[…]
conversation avec Esther / [...] Nous a besoin de nous, dis-je / (le dernier SMS de Félicia me traverse alors, il disait sa peine aussi, la mélancolie suite à la disparition de Leny Escud […] un semestre à la con, ça chie la mort / dis-je encore et pour ne pas rester sur un ressenti négatif, nous échangeons encore un peu / [...] en ce moment, elle prévoit son déménagement, elle est dans les cartons, dans une grosse enveloppe, elle a retrouvé toutes mes lettres, dit les avoir rel[...]aintenant il est question que nous reprenions notre correspondance, lui fait part de la lecture du moment / Une vie surréaliste / Joyce Mansour, complice d’André Breton

[...]je découvre l’excellent travail de Marie Francine Mansour, belle-fille de la poétesse, qui raconte un peu plus que l’écriture, la vie de Joyce Mansour, l’atmosphère d’une époque, la nature de Mansour. Tu m’écris la suite ? tu m’écriras d’accord demande - t’elle / - mieux, si j’ai un moment, je vais souligner l’existence de ce bouquin par une petite note [...]

D’elle jusqu’a présent, je ne connaissais que peu de choses, cela remonte [...] ce qu’en livrait Jacques Josse dans sa revue Foldaan, pour ma part elle ne m’emmenait nulle part. Depuis j’avais oui, bien dû tenter à une ou deux reprises de la relire mais toujours avec autant de difficultés à goûter ses phrases là où d’aucuns semblaient y réussir [...] jusqu’à ce livre aimant qui l’éclaire / Joyce Mansour a le don de la beauté [...] Femme du monde, mère accomplie [...] son œuvre, essentiellement biographique, montre un théâtre de la cruauté, une attraction pour la laideur et la douleur. Sous sa plume, la pulsion de mort se métamorphose en geste créateur et encore son impudeur séduit [...] En elle j’entrevois une nature, une nuit distribuée aux jours / elle(s’)offre une résonance onirique à sa vie, aux événements qui pleuvent, qui grondent, comme aux plus anodins, elle rêve tout haut, s’écrit une mémoire : d’une escapade lorsqu’elle n’était qu’une enfant au Mexique, son amoureux grave leurs deux noms sur la pierre, puis ouvre sa braguette et pisse dessus, elle écrira plus tard dans le poème / La calcédoine d’Islande

« [...]Pierre grava mon nom sur le ciel du désert
Sur ma paupière
Il urina dessus... »

En 1944, Joyce Mansour en pleine adolescence perd sa mère, elle est inconsolable. Elle se console avec un premier mari, Henri Naggar qui, lui aussi disparait subitement emporté par la maladie 6 mois après leur mariage. Très vite, elle conjure, elle rencontre et se marie avec Samir Mansour qui lui donne son nom, des poèmes / Cris / [...] j’ai croqué tes yeux / Pour goûter ta vue / j’ai bu ton sang / Pour connaitre ton désir / Et de ton corps frissonnant /J’ai fait mon aliment [...] Toute ma beauté noyée dans tes yeux sur ces mêmes poèmes Jean-Louis Bédouin dans un article de la revue Médium (mai 1954) commentera :

« une femme rappelle ainsi que l’amour est une expérience tragique, vitale comme la faim »

puis
ce sera l’exil, elle devra quitter Le Caire, elle n’oubliera pas / [...] les pelouses éclataient de rire sous mes pieds [...] l’horizon brûlant et impie [...]
ce sera L’Europe, la France pour « l’étrange demoiselle » chère à Breton, qu’elle accompagne, qu’elle écoute, qu’elle entend. Lui, qui à l’époque parcourt les ruisseaux, le long du Lot (St-Cirq-Lapopie) TROUVANT DES AGATES NOIRES VEINEES DE BLANC évoquant de mystérieux échanges et s’essayant à « La langue des pierres ». Des lignes comme toutes sorties (serties) de l’imaginaire de demoiselle Mansour. Une amitié complice, une Joyce devenue / médium peut-être aussi avec les autres / une écriture au couteau, avec de la matière, elle tente de traduire par aplats de mots, de phrases, l’énergie d’un corps qu’elle souhaite partager, le sien, sans doute elle cède aux images qui portent lyre, elle s’étale et s’enroule, se crosse, s’enfougère, elle est vivante. De nombreux témoignages veinent ce travail d’universitaire. Femme / orchidée, on le voit, muse pour certains, confidente pour d’autres, Jean-Jacques Lebel, Henri Michaux, Matta, Alechinsky, André-Pierre de Mandiargues, elle provoque, reçoit, tient salon dans son appartement de l’avenue du Maréchal-Maunoury.
S’offre fleur, mots, nuit dans le jour, elle offre à ses débordements, ses crues, un lit suffisamment ouvert et généreux pour les contenir tous, Elle possède ce luxe de tenir le mors du fleuve qu’elle monte, qui l’habite / et si elle pose, appuie, presse un peu trop fort parfois son loup sur ses phrases, sur la vie, la mort en elle, en nous / c’est selon les moments pour en masquer ou pour en imprimer le vertige en de furtives révélations.
Parlons d’elle, au présent, ses lignes amoureuses le permettent, lui offre cela, de continuer d’exister absente. Ce livre la déborde, la prolonge.

Une vie surréaliste / Joyce Mansour, complice d’André Breton par Marie-Francine Mansour / Eds France-Empire / Paris. 2014

__
ce 1er novembre, à nouveau Esther au téléphone / […]iens d’écrire quelque chose […] / ne sais pas d’où
cela vient, c’est étrange / Elle dit : vas-y !

[...] /
crimes et fleurs
jonchent les jours
des crimes
les hommes (en) sont capables
de ça / de tout
mains pour
tuer ! ou
___ pour
aimer /
écrire
bouche, souffle
___ pour
traduire Cela, en marche

ce qu’il y a de lumière en bouche, en mains, en souffle / mains pour cela
___ ___ ___ devenir
et la source et la fleur
par le regard Cela
mots à la place des crimes
fleurs à la place des fleurs, des
___ ___ corps comme ils sont là

restitués au(x) chemin(s), au(x)
voie(s), aux rivages, corps comme
ils sont

en attendant
qu’ils / qu’elles
(s’)aiment /les Hommes avec Rien, avec ça, avec la nudité

___

ce 7 novembre,

au courrier le rose numéro de la revue nantaise Sarrazine, le /
___ ___ ___ ___ déjà quelques unes, quelques uns l’ont entendu
cela
plaçant leurs sens à l’écoute d’un autre corps
pour y entendre
le ressac le sang le souffle

ce qu’il y a de vie dans un corps / de singulier également et ce dernier numéro de Sarrazine en témoigne encore :
les quelques exemples d’un voyage, d’une traversée au pays des Mille et une fois, d’il était / une fois donc, puisque c’est le thème choisi pour ce numéro 15 :
Sereine Berlottier, poignant témoignage : notre première sortie face à la clinique / c’est au mois de mai, il fait beau […] on / souriait visage dans / (les arbres aussi) – j’ouvre / des savoirs parallèles // tout pardonné / à contretemps […]
Ecrire, continuer même sans l’autre à converser, plutôt à se verser dans
Quoi /
page 15 : regrette de n’avoir pas acheté ce beau dessus de lit rouge […] quel bordel tes dossiers quand même tu aurais pu faire un effort / et cela jusqu’à ce que l’autre devienne / et soi devenons / […] petite chèvre sauvage parmi les chardons

Il était une fois : Alexandra Kalvani. Si le rien la tente, il attendra qu’elle se vive / Demoiselle ou Princesse.
Il était une fois / Des solitudes. Il était une fois Mohammed Habibi, un baiser qui les contiendrait tous /
Toutes les fois où / la vacuité, nous a invité – Il était une fois Louise Marois, l’apprivoisement…. Il était une fois Anca Vasiliu, avouer n’avoir pas tout compris, mais cette lettre laisse dans son sillage un parfum d’antiques venues, offre un socle à : Il était une fois Olivier Appert, cet entretien mériterait une lecture plus attentive. Là à chaud, je n’ai pas été touché, embarqué. Probablement trop de mental et d’explications. Par contre du même auteur, beaucoup aimé ces lignes /
page 119, « dans la fente de la valleuse – au volant d’une Triumph TR5( modèle rouge Tiffozzi de 1969 / 2498 cm3 150 HD & overdrive » / je la connais bien cette Triumph, ses 14 chevaux au ralenti, sa caisse flottant sur le châssis à la moindre accélération, le ciel qui s’entrouvre, qui t’invite à le rejoindre vite ! vite ! à rouler de plus en plus vite, vite […] prendre le risque ne point avoir le temps de dire merci […], et dans le même temps, gorgé de prana, de ciel, le cibler le, cela / tout à l’ heure, j’ai à étreindre vulve, à étreindre corps, / également page 120 «  assis en arrière de l’Ange B --- ses ailes enserrant mes cuisses / j’inspecte d’une main gantée de rose sa chevelure mousseuse / et encore [...] route de la mer à Longueil par Ouville–la Rivière […] – la géographie ça sert à faire l’amour /  » l’homme écrit derrière un paravent, l’homme Appert se transforme / le temps de l’autre, d’une autre / change de sexe on dirait […]
Il était une fois Paul de Brancion questionnant Florence Trocmé / P de B « c’est une vue assez fréquente que de parler de la poésie comme d’une « insurrection » / […] F.T. : […] je crois que la poésie a une immense vertu […] Elle rend très sensible à la langue en général, celle des livres bien sûr […] comme on le dit pour la musique, elle forme l’oreille. Or la langue on le sait bien, est un des plus puissants instruments de manipulation des esprits. Un esprit qui par la fréquentation de la littérature et singulièrement de la poésie, devient plus à même de détecter ces manipulations et peut même les déjouer.
Il était une fois / un cœur Kouam Tawa, une présence (vient de paraitre, Elles, éditions Lanskine) et d’autres dont Zéno Bianu / […] et tu sens soudain que rien / ne se gaspille dans l’univers – […] avec une innocence héroïque / l’autoportrait d’un souffle / il était une fois Derek Munn, ce texte « souris / sans doute celui qui me touche le plus. Sa nécessaire présence.
Avec ce numéro 15, à nouveau une transversalité rare / Sarrazine reste fidèle à ses engagements en offrant un perchoir, à nos corps de passage, à nos ailes un peu trempées…par le gros temps.

Revue Sarrazine, numéro 15 / A .I.C.L .A / 12, rue de l’Héronnière, 44000 Nantes

__

le / […] heureusement la lumière est souvent présente ici sur l’estuaire / petit à petit, elle devient ma chair et est aussi désormais l’abri de quelques corps amis, disparus cette année encore, c’est ainsi

ce 8 novembre, la lettre commencée

[…] ce sont dans le chant des oiseaux
de petits coups de ciseaux
sur le mur, des guêpes autour de la fenêtre
entre les pierres […]
l’une des branches du laurier
atteint presque le soleil
le café, je le bois par petites gorgées

__
c’était ces derniers jours à Netraig / encore en cette saison, certaines fois nous pouvons manger dehors, tournés vers le sud. Heureusement ces escapades possibles et le plus souvent improvisées. Depuis quelques temps, j’y amène du bois et […] déjà de grands feux en écoutant c’est selon / Mozart et rien, soit Marcello et rien, soit Porpora […]

__

ce 10 novembre, à 17h27 / la lettre en cours

[…] aucun Banquet
qu’un couchant à venir
et de plus en plus / faibles
désirs (je)
me suis promis à la lumière
et la lumière semble bien (m’)
avoir entendu

et les bleus-verts chantés
les tiges […] les plantes de bord de mer, celles qui
bordent les océans / Comme si
elles / ils étaient /
___ ___ le vide avant le vide

puis
ces phrases venues d’où,

__
Ce 11 novembre,

le / […]
avec le corps
Explosons (je) avant que le fleuve nous
pousse. Devenons
et les haies et l’absence de haies
et les rives et le toit, les toits

des chevaux […] / et de l’herbe mouillée
Devenons, ce qui n’est plus et ce qui Est
/ gorge, torse, ouvert(e)s aux

hameaux rencontrés, aux villages traversés
Acceptons le, Cela pareil aux chemins
à la boue dieu cela
___ ___ ___ Eclairant quoi et quoi, le

saignement, les saignements des corps d’un
seul Corps en marche vers /
Emplit nous déborde de ton lit
Deviens et les haies et l’absence de haies
et les rives et le toit, les toits

des chairs aimées / des écorces touchées
des crins caressés. Unis les seins et
les lieux dans un brasier là. Offre
___ ___ ___ nous
(leur) à deviner le Corps où
dans le simple fait d’être là

__

ce 12 novembre,

le / […]
chemin par chemin, rivage par rivage, amour
par amour,
accorder l’imaginaire (d’un) dans
___ ___ ___ un corps

au(x) relief(s) d’une vie

lui offrir cela d’être
___ ___ et les abois, et les aboiements
tous les cela / vécus et
superposés et
schistes maintenant et mémoire (s) et sang(s)
maintenant /
et troublant
se mélangeant jusqu’au quartz
___ ___ ___ jusqu’à atteindre le son quartz
en marchant, en marchant en corps et
/ en corps

__

/ […]
maintenant c’est le soir, mon dernier rendez-vous était sur La Baule l’invitation répétée de Jean-Louis, cette soirée, cette projection en avant-première, j’arrive tard, n’ai pas encore mangé se garer puis courir, se rendre 2 bis, avenue Albert de Mun / Salle René-Guy Cadou […] j’arrive dans les derniers et trouve une place dans les derniers rangs, suis assis juste derrière le jardinier, Yves Gillen / […] sur l’écran, Devant l’Apparue (2004) 8min / suivi de Princesse Bambino (2014) 14 min /
« Sur un chaland de Brière arrive un homme-cheval : il passe dans un jardin croisant une femme sur la berge puis une autre qui l’approche et l’aide à passer dans un autre monde. Lazare puisque c’est son nom dans ce monde, rencontre Falaise « la » femme qui le révélera, la musique aidant. Puis il se métamorphose et ôte son masque ».

Et dans la même veine Guillemette et le Picatrix (2015) 28 min / […]

parfois de bons plans, de belles scènes, une économie de moyens, Sylvestre de Monteiro me revient (je) retrouve des images, un climat, bizarrement cette sensation indéfinissable d’être entré physiquement dans un conte / le mot FIN
[…] je m’éclipse discrètement en même temps que le jardinier Gillen, probablement que nous sommes tous les deux de la rac[..]

__

ce 13 novembre, fin d’après-midi
dit au téléphone, c’est parfois inexplicable / […]j’
invente, j’invite […] entre
les interstices que m’offre un emploi du temps parfois chargé / (j’)
écris, par jets / souvent
ainsi ces derniers temps ce qui a été empêché, retenu se découvre, surgit […]
le /
[…] feu
aussi dans la Rose, et tour
et château et pillage de nuit, des hordes
[…] des hommes sa[…]
dans la (les) mémoire(s) des roses / […] sangs répandus
hurlements, cris
devenus des roses, devenus des roses
devenus des roses, devenus des roses

puis cela / quelques heures plus tard
sur les chaines d’info, on n’entend que cela, c’est le choc […] sur les chaines d’info, on n’entend que cela, c’est le choc […]

__

ce 14 novembre,
sur les chaines d’info, on n’entend que cela, c’est le choc […]
c’est fou / tous ces jours (je) ne me sentais pas bien en écrivant […] t’en rappelle le contenu, […] Esther entend, écoute […] sangs répandus / hurlements, cris / devenus des roses, devenus des […]

aussi voir toutes ces roses aujourd’hui
c’est pour le moins troublant de relire après coup ce brouillon, ces lignes jetées sur le recto d’une enveloppe / après ce qui s’est passé cette nuit, ces multiples attaques, ces morts […] nous sommes reliés plus qu’on ne se l’imagine, il faut croire
[…] on nous reproche Quoi au juste, notre manière d’être
nous disons maintenant : des êtres souffrent, sont humiliés, sont niés et ils n’en peuvent plus de souffrir, d’être humiliés, d’être niés, il va bien falloir qu’on l’avale le morceau, qu’on le comprenne cela, la violence ne vient pas de rien, mais quelle réponse pourront nous y app […]

/ […]

ai un très beau livre sous les yeux, face à l’horreur, il pourrait paraître déplacé et il l’est sans doute, l’Art, l’invisible s’offre balancier, n’en doutons pas, offrons lui cette place, acceptons le. […]
Philip Guston, j’apprends là son existence, le mérite en revient à ce livre / Icones Américaines /
ce même 14 novembre / (je) lis
Rachel Jans / […] En 1935, Guston s’établit à New-York sur les encouragements de son grand ami depuis les années de lycée, Jackson Pollock […] en 1947-1948 […] Guston crée sa première peinture totalement abstraite The Tormentors […] en 1970, Guston opère une transition spectaculaire en abandonnant l’abstraction lyrique […] il se tourne vers la narration […] il peuple ses toiles de membres du Ku Klux Klan encapuchonnés, […] les membres du KKK explique Gaston « me hantent depuis ma jeunesse à Los Angeles » […] ces tableaux […] les mains et les têtes coupés, les corps allongés face contre terre en travers de la toile font écho aux luttes personnelles de Guston […] mais aussi à la violence du monde extérieur […]
/ guerre du Vietnam […] émeutes, manifestations étudiantes / […] il explique : « je me sentais schizophrène […]. Quelle sorte d’homme suis-je / assis chez moi, à lire des magazines, me mettant en fureur à propos de tout, frustré puis allant dans mon atelier pour ajuster un rouge par rapport à un bleu » / / les autres protagonistes, outre Philip Guston, ce sont treize autres artistes célébrés dans ce catalogue, les noms les moins familiers ne sont pas les moins intéressants : Agnès Martin, Sol Lewitt, Richard Diebenkorn, Brice Marden / celles et ceux qui auraient raté en 2015 les expos de Paris et d’Aix en Provence peuvent ici se
rattraper […]

Icones Américaines / Chefs d’œuvres du SFMOMA et de la collection Fischer. 2015.

__

après ce qui s’est passé, tant d’incompréhension de part et d’autre, plus que jamais nous devrions nous applaudir, sans doute n’avons-nous pas suffisamment encore réussi à nous voir, nous aimer comme un seul peuple, une seule humanité, certains y travaillent. L’art, la poésie participent à leur manière à ce processus en marche
aussi, comment ne pas accorder aux lignes d’Aliocha Wald Lasowski dans Penseur des Archipels, la place qui leur reviennent :« […] pour Glissant, le tremblement imprévisible du Tout-monde passe aujourd’hui par […] la mise en relation des imaginaires » / et également « comment accueillir ce que Glissant appelle l’insondable et l’imprévisible des peuples, ou encore « l’emmêlement » la saoulerie de n’avoir plus à exclure, oui enfin ce vertige là »
Nous en sommes encore très loin et d’aucuns voudraient nous arrêter en chemin
[…]
pour comprendre le XXIème siècle où le monde des échanges globalisés est aussi celui des assignations identitaires, où la planète dominée par le système marchand se perd dans des replis idéologiques. Glissant a une explication « c’est l’inaptitude à vivre le contact et l’échange qui crée le mur identitaire […]  »

__

ce 21 novembre
le /
[…] seuil(s) / torse(s) / sente(s) / sentiers
sous une forme, sous une autre, nous
Entrons, pénétrons nous / allons / marchons vers /
quoi – nous croisons l’Un / et l’un des siens
/ […] à l’intersection / la réalité c’est-à-dire et le songe c’est-à-dire
– quel drôle de nom hippocampe
quel drôle de son pour une drôle de forme – c’est ainsi que tu réponds mystère
(lorsqu’on t’interroge)
contour de l’eau à un moment, berge ainsi / cuisses
à un autre, contour d’Elle(s), des berges / Eau,
verge ainsi – nous
nous croisons, écrivons nos intersections sens pur /
textes par l’épine / mot venu avec / la Perte
avec le monde
et vous voudriez et vous voudriez
que Tout se ressemble, oh ?
/ […]
goûter / entendez souffles et voix et ombres
et ciel s’il s’entrouvre

__

ce 23 novembre,
le / […]auvaise nouvelle / Elle rit. Dites-moi ? / c’est à nouveau comme samedi, la porte ne ferme pas / - oui, je vous écoute, elle ne ferme pas ?? / non ! et je ne peux pas laisser l’appartement ouvert […]/ vous ne craignez rien dans cette résidence, c’est ultra sécurisé […] allez en cours et je vois ça / elle me coupe – non, je préfère rest […] / écoutez je me réveille à l’instant, me suis couché vers 4 h ce matin, j’ai un peu de mal à réfléchir, je vous rappelle dès que j’ai les idées en place / […] – c’était qui ? / Mlle Rivière, (je) regarde l’heure : 9 h 32 / je vais devoir me déplacer je pense, tu m’accompagnes ? / […] 11 h 20 Mlle Rivière,
je serai chez vous entre 12 h 30 et 13 h 30, cela vous va ?

[…]13 h 15 / tu as réussi ? / oui, j’avais apporté du graphite, un crayon de bois et du papier de verre, j’ai frotté la clé avec, cela a fonctionné immédiatement, en quelques secondes […] et l’autre blaireau samedi qui a pris 150 euros pour rien, le pire c’est qu’elle le défendait l’escroc

17 h 15 / […] avec nous elle démarre au quart de tour
Ah bon ! c’est étonnant
le garagiste explique, on n’a pas voulu vérifier les bougies de préchauffage, on a peur de casser la tête, ce serait dommage si cela ne vient pas d’elles […] je le coupe / au pire on en trouve / lui explique / à l’origine ce sont des bougies en serpentins, des Marchal, mais après le changement du moteur, elles ne tenaient pas 2 jours […]ai trouvé un kit en Angleterre permettant la pose de bougies crayons et jusqu’à maintenant, elles ont tenu […]

ce 25 novembre,
/ […]ce jour

(je) découvre le travail de JR, d’abord avec une bande dessinée de Joseph Remnant. JR commence adolescent à taguer avec ses amis. Sur les murs, partout où ils le peuvent ils laissent leurs noms, leurs marques. Un jour, station Charles de Gaulle, il trouve un appareil photo oublié. Son œuvre commence, il abandonne les tags et commence à photographier les autres graffeurs […] photos qu’il transforme en photocopies A4 et qu’il colle dans tous les lieux de Paris. Afin qu’on ne prenne pas ses affiches pour de la pub, il entoure celles-ci d’un coup de bombe, ce sont ses premières expositions. Rome, New York ont droit au même traitement. Au fil du temps ses collages finissent par disparaitre, seuls les contours subsistent et son sigle JR. En 2004, un tournant dans son travail / Cité Les Bosquets, Clichy –
Montfermeil, JR et un ami, photographient leurs copains et les exposent en grand format sur un mur /

Octobre 2005 dans cette même banlieue / deux jeunes poursuivis par des policiers se réfugient dans un transformateur, ils meurent / novembre 2005 – des émeutes s’en suivent. JR se positionne afin d’aider ces jeunes souvent mal représentés. En 2006 le conflit israélo-palestinien s’exporte jusque dans cette cité. JR se rend à Bethléem, demande à un coiffeur palestinien et un coiffeur israélien de poser pour lui, et colle les 2 photos l’une à côté de l’autre. Il récidive cette fois avec différentes professions, de l’épicier à l’écolier, au sculpteur, au professeur, agent de sécurité et autres. Chacun d’entre eux pose en faisant la grimace de chaque côté du mur. Puis ce sera le tour du Libéria, puis de La Havane en 2012. En 2014 JR et son équipe se rendent au Havre afin de faire voyager des histoires de femmes (Women Are Heroes) aux quatre coins du monde, en collant 2 600 bandes de papier sur des conteneurs. JR colle des yeux sur des conteneurs empilés sur un porte-conteneurs / Celui-ci secourt des réfugiés syriens. De la Chine à l’Espagne, à l’Inde, du Mexique à l’Afghanistan, à la Colombie, au Kenya, à la Sierra Léone, J.R est sur tous les fronts. Au Brésil, des favelas se parent de visages, à New York à la Flatiron Plazza, « Toute la journée, les gens marchaient sur ce collage », l’image mesurait 50m et représentait « Elmar, un immigré venu d’Azerbaïdjan », cela a fait la couverture du New-York Times. En novembre 2014, il est touché également par les premières arrivées de migrants à Lampedusa (Italie). Plébiscité de Genève à Arles, ainsi qu’à la Biennale de Venise où il est exposé. C’est une œuvre remarquable que je vous invite à rencontrer, elle est si forte qu’on peine à la croire réelle, elle est une sorte d’exploit ! C’est un œil, J.R, une conscience qu’il projette sur les murs qui séparent les hommes. J.R nous considère, nous provoque, tend des visages, des regards, des silhouettes, tente des passerelles…C’est l’humanité qu’il nous tend. J.R fait ce qu’il peut avec ce qu’il est, avec ce que nous sommes. L’Art peut-il changer le monde ? Je le crois, oui par rayonnement, déjà J.R s’essaie à changer notre rapport au monde, à l’autre.

J.R / l’Art peut-il changer le monde ? / Phaidon Paris. 2015

__

Jean-Louis me rend visite, lui parle de ses films, lui confie avoir été agréablement surpris et parfois un peu gêné à certains endroits, quelques faibless[…] retrouvé dans une ou deux scènes l’esprit du « Le fantôme de la liberté » […]tu t’autorises beaucoup, c’est bien […] lui fait part également de récentes découvertes,
en ouvrant ce livre au hasard en attendant son arrivée, ces quelques pages trouvées, lui dit : c’est tiré de Spike Lee, c’est autour de la vie et le travail de ce cinéaste, un urbain lui aussi comme JR, et écrit par un certain Karim Madani, je ne le connaissais pas, un journaliste mais je trouve qu’il a quelque chose, il restitue assez bien le climat d’une Amérique / d’américains qui s’inventent, qui se racontent en histoire(s) qui se heurtent ainsi certes, mais où le vivant semble encore promettre malgré tout d’autres victoires à des minorités qui les attendent

bien évidemment, on n’échappe pas aux constats, / « […] en 1995, il y avait plus de Noirs en prison que sur les bancs de la fac / […] le système judiciaire a broyé des centaines de milliers de vie » (David Simon, entretien avec Bill Moyers).C’est dans ce contexte que Farrakhan appelle les Noirs à venir en masse à Washington pour la « One Million Men March » - parce que c’est le nombre de manifestants attendus dans le district de Columbia
Un an plus tard Spike Lee tourne Get on the Bus. Le film débute par (porte) ce postulat : une dizaine d’hommes prend le car à Los Angeles pour rejoindre la manif historique, à l’autre bout du pays […] les hommes noirs qui vont monter dans le bus sous tous différents. D’abord il y a Xavier, tout frais émoulu de l’école de cinéma d’Ucla […] Xavier va interviewer tous les hommes du bus. Flip, un acteur narcissique sexiste et raciste, Tyle et Randall, un couple d’hommes progressistes, Gary, flic « bi-racial » la notion de métis n’existe pas aux Etats-Unis […] Jamal un héritier de Malcom X, converti à l’Islam après une vie passée dans les gangs […]. Il y a aussi Evan Junior, une petite frappe de la zone multirécidiviste qui bénéficie d’une liberté conditionnelle de soixante douze heures pour se rendre à la marche. Les flics lui ont proposé un curieux deal : s’il accepte d’être menotté à son père, Evan senior […] Joremiah, ex-alcoolique à l’âge canonique et spécialiste de la culture et de l’histoire noires, […] Gorge, l’organisateur […] chauffeur de bus […]

Et ce n’est plus un voyage mais une odyssée initiatique […] le film se passe en plein procès O. J. Simpson, cette star noire du football accusée d’avoir assassiné Nicole, sa femme et l’amant de cette dernière […] Pour Flip, c’est toujours la faute des Blancs, des Juifs, Nicole Simpson l’a bien cherché […] c’était la même vieille rengaine […] Tout au long du film, Lee tord le cou à des clichés sur les Noirs, les Blancs, les Juifs, les gays […] Dans le bus on trouve Mike, un type obsédé par la théorie du complot […] quelques types qui dirigent le monde dans une pièce […] des Illuminati responsables de tous les maux de la planète […] Flip est persuadé que les pédés sont des sodomites dégénérés et tatati et tatata Karim Madani lui aussi en soufflant sur les braises de Spike Lee, nous livre un exaltant témoignage sur les trente dernières années d’une Amérique qui cicatrise lentement.

Spike Lee, par Karim Madani / Don Quichotte éditions. Paris, 2015

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« […] non pas le chemin tracé par la marche, mais le mouvement même qui trace le chemin tout en faisant progresser sur la Voie » Jean Levi / (in Propos intempestifs sur le Tchouang-Tseu, éditions Allia 2003) / […]

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des esprits s’échauffent, des impatients se libèrent, des phrases et pas les plus belles sont dites (me suis réveillé d’un coup / l’ai-je rêvé ? / ai entendu cela / ils veulent renverser le régime ! / […] je dis / s’il s’agit de révolution, autant qu’elle soit efficace, intérieure / […] d’autres en sont revenus,

me suis levé d’un coup, maintenant ai entre les mains Serguei Essenine / Journal d’un poète / la 4e de couverture : (1895-1925) […] Très vite il déchante au spectacle des tueries et des ravages[…] jusque dans les campagnes de son enfance. Ecartelé […] il a trente ans, il se suicide dans sa présentation Christiane Pighetti / « […] la Révolution dont il attend tant, tire ses charrettes de famine, mort et désolation […] Essenine ne trouve pas de mots assez forts pour exprimer l’amertume d’une génération vouée, dit-il à être « le fumier du temps »

Dans le poème, Retour au pays / ces lignes si pures :

« Un vieillard appuyé sur son gourdin / s’avance dans l’allée, balayant l’herbe folle. / Eh ! Passant ! / Pourrais-tu m’indiquer, brave homme / ou habite ici Tatiana Essenine ? / Tatiana ? Hum… / C’est là, derrière l’isba. / Mais qui es-tu pour elle ? / Un parent ? / Ou peu être… le fils perdu ? / -Oui, le fils / Mais qu’as-tu vieillard ? / Pourquoi, dis-moi / cet air désolé ? /
C’est bon, mon enfant, c’est bon… / tu n’as donc pas reconnu ton grand-père ?[…] Et la conversation de rouler tristement / pailletant de chaudes larmes, les fleurs pleines de poussière »

ou encore celles-ci : « Hier c’était les icones qu’on virait des étagères, / puis c’est la croix de l’église que le commissaire a fait ôter… / Pas un coin ou prier Dieu ! / Que faire ? Moi, je vais en forêt / invoquer le tremble en secret… »
A un degré de silence
A un degré de l’être, les poètes deviennent là, des voix pour d’autres hommes, là des trembles, le temps leur sert de corps, le vide de contour

Serguei Essenine / Journal d’un poète traduit présenté et annoté par Christiane Pighetti / (édition la Différence) collection le fleuve et l’écho / Paris 2014

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le 26 novembre,
/ c’est cette fois l’ami Michel qui va me rendre visite d’ici un petit quart d’heure peut-être plus […], j’ouvre /
« Toute personne qui tombe a des ailes » /
En 1938, le 5 avril exactement, lorsque les troupes allemandes entrent dans sa ville, qu’elle commence à tomber, elle n’a que douze ans.
page 321, tombe sur cela / « Qui te demande un jugement sur cet étranger ? / Et si tu l’émets sans y être invité, alors va de nuit en / nuit […] Mot, sois de nous / tolérant, clair, beau / Sans aucun doute, il faut / que la défiance cesse […] Viens, grâce faite de son et de souffle / fortife cette bouche […] viens et ne fais
pas défaut / puisque nous luttons contre tant de mal. / Avant que le sang du dragon ne protège l’adversaire
[…] page 323 / « […] comme ancrés dans ta chair, chaque douleur portant / conseil […]
page 325 / tu es prisonnier du monde, de chaines encombré, / mais ce qui est vrai trace des fissures dans le mur / Tu veilles et […] »

c’est sans réserve que je la bois, et au hasard des pages que je la lis, que je m’aimante / comme Joyce Mansour, Ingeborg Bachman je la redécouvre là,
voix pour énoncer, dénoncer, pour dire, écrire le / substrat arraché, sol(s), terroir(s), pays dévasté(s)], dévalant les pentes. Boue, boue, boue / venues d’où,
conscience(s) violente(s) / violant, violentant les histoires en cours, les singularités en chemins, le monde. Ingeborg (je l’appelle elle aussi par son prénom tant elle me touche) je connaissais d’elle la sensualité qui l’accompagnera dans ses épreuves, probablement elle y trouvera même un début de chemin vers la résilience, son territoire, son espace, son ciel /
page 469 / […] dépouillée / […] ne pas lui résister/ d’une clarté d’étoile la chair / dans la bouche / le goût tiède / une érection, un membre bandé […] Sur ta poitrine j’ai / lu ta messe, / dans tes yeux / je me suis métamorphosée, une / colombe, je m’y suis introduite / en volant / l’hostie était un / membre raide ». Je connaissais d’elle, la romancière, l’Amoureuse, celle de Malina, celle capable d’aimer un homme et un autre, les deux n’en formant qu’un. D’elle ? deux ou trois poèmes dont celui qui l’aide à se relever, le célèbre « La Bohème est au bord de la mer » écrit en 1964, mais j’étais loin de me douter de la somme contenue dans ce livre, la force de ses lignes. Elle oscille entre la lucidité d’une mystique et la naïveté d’une adolescente capable entre les doutes d’entrevoir un monde meilleur. Ce grand écart donnant ce genre de phrases : page 115 « / […] Et la bouche du monde était vaste et pleine de voix à / mon oreille / elle prescrivait, de nuit encore, les chants de la diversité / […] le voyage est fini, pourtant je n’en ai fini de rien »
Dans son introduction Françoise Rétif commente page 34 « / Bachmann le concevait […] une communauté de pensée et d’expérience dans un espace continu où chacun « touche à « l’autre […] » et encore page 35, Pour Bachmann : « Penser, penser de façon historique et surtout utopique »
Les événements récents donnent à ces lignes plus d’échos encore page 139 / « Paris. Sur la roue de la nuit tressés / dorment les perdus / dans les couloirs tonitruants en bas / mais où nous sommes est la lumière / Nous avons les bras chargés de fleurs […]

Ingeborg Bachmann / Toute personne qui tombe à des ailes (poèmes 1942-1967) Edition bilingue / coll. Poésie / Gallimard. Paris, 2015

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/ […] les bras, les corps, les sangs et les cœurs chargés d’utopies, ce pourrait être cela, notre viatique. Offrir à chaque silence, à chaque acte, dont celui de lire, dont celui d’écrire, la forme d’une semence, une force, une présence à venir / un amour à venir capable de mettre un terme à tous nos contours ignorants, à nos angoisses
meurtrières. Nos vies comme autant de terrains de jeu / d’expérimentations à un projet qui révolutionnerait notre manière d être au monde, rapprocher nos solitudes, s’accepter solaire

ce 27 novembre,
[…] M. réchauffe des galettes, elle demande / tu en veux une à quoi ?
(je) réponds : confiotte !
« / […] nous aurons dans nos mains, amis, le monde entier » c’est de terrible manger pendant que
c’est maintenant / […] cérémonie bouleversante, cette chanson de Jacques Brel, la vie , le souffle chaud dans Nolwen Leroy, puis […] suis pour les forêts profondes […] la féminité de Nathalie Dessay, le froid, son visage […] ou l’aube aurait sa chance / puis les noms[...] Maxime Bouffart […] enfants, ils étaient 130
[…] Hélène […] Estelle 25 ans, chaque un / les prénoms et les noms de chacune des victimes sont prononcés puis le silence

/

[…] au courrier ce jour, les mots d’un ami /douleur / colère / hébétude. Ils accompagnent une plaquette des Editions Phare du Cousseix, Au célibataire, retour des champs de Jacques Josse. En treize tableaux, l’art de restituer là l’atmosphère d’un bistrot, là le ciel et la boue, les boues d’un hameau, là la pluie, l’ennui qui vous apprend à lire de l’écorce au cœur / et les arbres et les souches et les lieux et les événements, les êtres en train de se vivre, de se survivre. Ces poèmes sont datés de novembre 2013 à mars 2014, Jacques Josse tout un hiver converse avec l’invisible, avec cet endroit qui un jour lui a offert toit et repère, avec ces gens des Côtes du Nord. Publication après publication ce qu’il nous livre patiemment, ce sont ces « Gens de Dublin » à lui. Dans la distance, il écrit pour eux, ces gens qui parfois frôlent la mort, qui parfois la trouvent, la vivent.

novembre, décembre, / debout sur le pas de la porte, / scrute le ciel bas, tire sur la laisse du passé, / entend rire ses morts / (ils sont dans le ruisseau d’à côté / et descendent à la rivière), / regarde le rideau des pluies / qui dilue la clarté / et ramène l’horizon / à hauteur des talus / (22.12.2013)

Il aime ces gens simples, les entoure de mots. Car si pour un capitaine, il en est plusieurs qui ne le sont point, et pour un conteur, dix ne le sont pas, ils se consument, se taisant, se taisant comme s’il s’agissait d’un savoir, d’une culture qu’on se transmet sans bruit, (être d’ici) s’aventurer à vivre, à durer. Ne les dérangeons pas trop. Jacques Josse avec pudeur parle pour eux, nous parle des siens, de son contour, de paysans, de marins. Les inconditionnels, si ce n’est pas déjà fait, commanderont Liscorno, son précédent livre paru aux Editions Apogée. 2014) ainsi que le numéro (6) spécial de la revue La Fabrique des icebergs / 52, rue Adrien Lesesne 93400 St Ouen / qui lui est consacré.
Qui mieux que lui, portant avec humilité des valeurs telles que la fidélité, l’amitié, l’élégance, des valeurs qu’on aurait perdues selon certains, pour conjurer cette période chahutée, nos idéaux malmenés ?

Au célibataire, retour des champs / Jacques Josse / Editions Phare du Cousseix, 2015

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Il aurait manqué quelqu’un, s’il ne m’avait pas envoyé un petit signe ces jours, le Tao. Daniel Giraud me fait l’amitié de m’accompagner depuis de nombreuses années et ne manque jamais de me prévenir de ses récentes parutions. Chacun de ses mots est une bouffée de hauteurs / premier coucou / dernière neige / ou encore seul le matin / au petit déjeuner / larmes dans un thé / il vit dans une ancienne bergerie en Ariège. Ils ne sont pas si nombreux les auteurs à se soustraire ainsi à une vie en société, à préférer la proximité des nuages. Les plus jeunes lecteurs de Terre à ciel n’auront peut-être pas eu la chance d’avoir entre leurs mains un numéro de la revue : Révolution Intérieure dont il a été le créateur libertaire sympathique. Pour parler familièrement, Daniel Giraud « en a de caché », car comment expliquer autrement les petits mystères qui entourent une partie de sa vie. De quelle manière il a pu devenir un traducteur éclairé du Tao Te King ? ou l’érudit commentateur de Métaphysique de l’astrologie ? Sa désinvolture cache une belle exigence, ses régulières publications en attestent. Pour ceux qui aimeraient le connaitre un peu plus, un excellent entretien sur France Culture en 2015 est toujours disponible en ligne. Il s’était rendu dans les studios avec son dernier livre : All to no-thing, son accent venu d’où et son harmonica (le bougre a tous les talents), il a fait le show.
Quelques extraits : celui-ci tiré du poème / Retour aux racines, (il est né à Marseille) […]té vé, le ciel bleu / non, c’est la mer / té vé, la mer bleue / non, c’est le ciel / cet autre, plein de tendresse sur les frangines, ces cagoles qui l’ont soutenu et aidé / alors qu’ il bégayait. La gentille Martine aux gros fruits […] et carole […] qui parfois ne me faisait pas payer […]mimi de paris […] d’un beau sourire affirmait qu’il fallait savoir pardonner. Selon vos humeurs, vous trouverez différents livres encore disponibles, parmi eux : Rem le sage (vie et paroles d’un hérésiarque / Hi K’ang (un sage taoiste) / Contes chinois du To et du Tchan / Feeling (Histoire d’un musicien « cajun » raconté en franco-louisianais) etc etc.

Daniel Giraud / All to no-ting, preface de Claude Pélieu / FAGE Editions, coll. particulière / 2014


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