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Jours d’Excideuil de Gérard Bayo par Philippe Fumery

mercredi 4 octobre 2017, par Cécile Guivarch

Gérard BAYO : Jours d’Excideuil, Editions L’Herbe qui tremble, mai 2017.

Ouvrir ce recueil, feuilleter ces pages au gré des Jours d’Excideuil, c’est s’engager dès les premières pages dans un livre envoûtant.

Le lecteur est d’abord frappé par la beauté des notations : Le vent a fait tomber / à terre la ruche des flocons (9) ; parfois la neige / aveugle cherche la terre (9). Ensuite, il est saisi par des évocations de haut vol : Voix / haut perchée dans l’écho (11) ; Ce soir la louange (12) ; Vous qui connaissez / la lumineuse solitude. (13)

Le poète nous emmène dans une dimension presque religieuse, voire mystique ; sans doute aussi convoque-t-il quelques poètes ardents, à l’image de ces « fraternels » : leur lumière / vers la nuit t’accompagne (40) ; des trouvères, dont les lieux de vie apparaissent au fil des poèmes et dont les noms sont repris dans les « Notes » en fin de volume. Il en est d’autres, plus lointains, dont la vie s’est trouvée enfouie, à Dachau, ou qu’on enterre en Roumanie. D’autres qui sont venus en France achever leur existence, comme Khodassevitch à Billancourt, ou Celan à Paris : Aimes-tu toujours / depuis ta mort / Paul Celan ? (159)

Il est possible que le rêve soit le lit de ces évocations, tant elles foisonnent, s’appellent, se relancent. Ici, des morts nous rêvons de jour / et de nuit / des vivants. (154)

Il est aussi question, dans ce rêve sans fin, d’aube, de crépuscule, étroitement mêlés. Leur rapport n’est pas antagoniste, ni frontal, comme si l’une pouvait s’adosser à l’autre. Plusieurs vers reviennent sur ce rapport fécondant. L’aube se lève ici la nuit, tripote / les robinets, / éteint (95) ; Au fond de la pénombre debout se tient / la clarté du jour (114) ; Et la nuit / de quel jour et l’aube de quel / crépuscule ? (119). L’aube et le crépuscule ne s’opposent pas, ils sont les deux termes du jour : Des deux côtés du jour le silence a commencé (10). Et ces limites sont liées : et de l’aube à la nuit les nuages. (80)

La vie ne finit pas, nous dit Gérard Bayo. Même s’il nous rappelle dès le départ que la roue tourne pour chacun (9), que Pas même une heure / de la mort n’avons douté (79), ou même qu’il se trouve tant de vies à recommencer. (24)

Le livre parle de la mort, et nous avons à l’oreille la dernière partie du nom choisi en titre, le deuil. La mort n’est ni solution ni issue, et l’on frôle ici le religieux évoqué plus haut : Lui, attend / ta naissance (35) ; Celui qui fit la mort / sut faire aussi la vie. (57)

La mort venue, l’amour ne sait / plus finir. Et la vie / nuit et jour dans l’absence l’accompagne. / Ne sait / plus finir (39). Elle ne serait rien sans la naissance, et la renaissance. Le jour / tombe de sommeil. Et plus vivante que jamais la nuit interroge : / « veux-tu naître » ? (131)

Le recueil se noue sur cette tension du jour et de la nuit, de la mort et de la vie. Mais, plutôt que de tension, Gérard Bayo espère la rencontre, pour difficile et éphémère qu’elle puisse être : Aujourd’hui peine à rejoindre aujourd’hui (106). « Rencontre » est le titre donné à deux poèmes (31 et 98) : Les crépuscules ne se ressemblent pas / Même celui du soir est un matin (31). C’est à un « Carrefour de Roche » que quelque chose se produit : Tu es venu trop tôt / ou moi trop tard ; Ailleurs nous nous sommes rencontrés (110). La rencontre est essentielle à la vie : Jusqu’à cette heure / de la rencontre dont seule l’absente s’est souvenue, tout / est vie. (31)

A aimer la vie, le réel, la naissance, il se pourrait que la mort soit vaincue, ou qu’elle peut-être n’existe pas (88). D’ailleurs, chacun commence à se demander quand viendra le jour de la mort (100), à se demander si celui-ci est passé inaperçu : c’était hier la mort (77). La mort cède, chaque jour davantage : Puis à minuit la mort de la vie se retire (83). Avec l’expérience acquise, elle est intégrée au quotidien : Avec vous / soir après soir je meurs, et ressuscite (132). La mort n’emportera rien, car : De ta vie, ce qui peut / en être connu, toi seul le sais. (79)

Quelque chose doit venir, et si ce n’est pas la mort, il faut être vigilant car ce qui viendra tôt ou tard, des signes l’annoncent, dans les premières pages : Femme est le printemps / qui pourtant vient vers nous (17) ; Regarde la nuit venir / et parle-lui enfin de toi (21) ; quelque chose vient / de toi à moi. (29)

Autre aspect de la rencontre, mais comme inversé, Gérard Bayo évoque la notion d’ « étranger », que ce soit la rive : Une rive est à nous, disais-tu / et l’autre est étrangère  ; ou le pays : On aperçoit entre les troncs, dans la plaine, un pays étranger (87) ; la langue (titre du poème page 104) ; ou la parole : Etait presque chez elle / alors / la parole étrangère (123) – voire d’ « apatride » : Devint pour une heure / comme apatride la terre (123). Notions qui ne peuvent s’opposer, car celle enfin d’ « hospitalier » balaie les peurs : d’autres en toi s’avancent, / hospitalières, / qui parfois sont les mêmes (135). C’est ici Rimbaud qui est évoqué, furtif passant sur les rives de la Scarpe, vers Douai.

La mort ou l’exil sont souvent envisagés comme le passage sur l’autre rive. Il n’y a plus à craindre le pays qui s’ouvre alors. La vie triomphe, comme « ce chant avant l’aube » : Son chant, ce n’est pas à toi qu’il le destine / quand tu meurs / il loue pour toi la vie (105). Le poème intitulé « Naître » le proclame : Au loin le réel appelle à vivre – à l’aimer. (84)

Le rêve ne finit pas, mais parfois il marque une pause : Mère, je t’ai revue en rêve : tu te ressembles de plus en plus (105). Ce vers résonne en écho à cet autre : Ami, combien tarde à te ressembler ta mort ! (112)

Le livre nous a mené d’Excideuil jusqu’en des lieux retirés en Pologne, près d’une petite gare ; en Roumanie, au pied d’une montagne où l’on enterre un poète. Il nous a conduit jusque Ségovie, dont le nom sonne la vie plutôt que le glas, et que Gérard Bayo se plaît à évoquer, nous rappelant qu’y vécut Machado. Le livre ne se fixe nulle part, « Sans lieu ni date », ce titre de la page 95 nous le confirme. Habiter un lieu est éphémère : Habitaient là au jour / du recensementTu dis habiter là, / tout près (116). Il est une autre démarche, presque un idéal : Où habiter serait / s’éloigner sans fin. / Ou libre voudrait dire / commencer. (127)

Pour conclure cette présentation, il n’est sans doute pas de plus beau vers que celui-ci :
Souviens-toi :
au sortir d’Excideuil s’ajoutait la vie
. (129)

Philippe Fumery


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