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Tout contre rien de Michel Bourçon par Calou Semin

mercredi 15 juillet 2020, par Cécile Guivarch

Tout contre rien, Michel Bourçon (VIBRATION Editions 2018)

« Là, la vie semble être passée plusieurs fois sans trouver personne » . Dans un univers de gris-doute, « C’est un homme qui … » (pour reprendre la formule qui initie nombre de poèmes) s’observe avec une acuité extrême. « Comme tout un chacun, il est seul face à lui-même » cet « homme las qu’un peu de ciel infuse », et si la troisième personne du singulier introduit une certaine distance, elle facilite ici l’empathie.
« Son rêve serait de vivre hors de lui-même, dans un ailleurs où il n’aurait plus cette faculté de voir ce qui lui apparaît en dedans et dont la vision serait insoutenable à quiconque. ». Car l’observation n’a rien de confortable, elle se vit comme une faculté douloureuse, pour cet étranger à lui-même en quelque sorte, en proie à ses doutes et parfois à ses failles les plus intimes et profondes. Il lui faut lutter presque en permanence contre un fort sentiment de décalage et d’inadéquation par rapport au monde : « En lui, pas de paysage, seulement une existence qui se broie elle-même, avec détermination, se perd en son for intérieur, sans rien peser au regard du monde ».
A l’extérieur , l’indifférence des autres peut être redoutable : « Certains jours, il est à la démesure de son étroite enveloppe et se demande si ce qu’il laisse apparaître de lui le préserve vraiment des autres, devenus inaudibles à force de se remplir de leurs manques et que, d’eux-mêmes, déborde leur douleur obscène. » Même l’amour, « la paume des mains de celle qui l’accompagne » ne le sauve pas de sa solitude radicale. Il ne sauve pas, mais on peut penser qu’il donne du sens, même si ce n’est que par instants : « Pauvre homme vêtu de celle qui, belle sous la pluie, est l’aurore s’allongeant sur la rosée, lui fait désirer être l’eau qui la désaltère, à chaque coin de rue qui voit naître son visage, cependant qu’en lui s’épanouit celui horrible, de l’ennui ».
En son for intérieur, son étrange faculté d’observation met à vif la perte des proches, le sentiment de finitude, un certain désespoir aussi (« En lui il reflue jusqu’à son fond de vase qui nourrit quel monstre à peau visqueuse et glissante ? »), et peut-être surtout une mémoire à laquelle il semble très difficile d’échapper : « Sa mémoire tournoie avec les feuilles d’automne et au soir il rentre en sachant qu’on ne s’échappe de rien ».
Lorsque la chape est trop lourde, ce sont parfois les menus objets et les humbles tâches du quotidien qui permettent de reprendre un ancrage salutaire dans le réel, quand « tout paraît, s’étire et disparaît, sauf la vaisselle sale dans l’évier de cette cuisine où tout reste à faire ».
Néanmoins, même au plus extrême du sentiment d’impasse, il importe que rien ne pèse à l’excès. Il y a dans ce bref recueil comme une esthétique de la mesure et de la modestie. Ainsi que nombre de fulgurances. Parce que malgré tout restent très ancrés le désir et la possibilité d’entrevoir et de saisir des trouées de lumière : « Tandis que le soleil d’octobre entreprend de tout rajeunir, en lui s’ébroue ce qui ne demande qu’à respirer, bondir, cavaler après tout ce qu’il a perdu. (…) vivre devient une possibilité au-delà de cette fenêtre qui encadre les feuilles d’un bouleau ».
Dans cette traversée, des mots surgissent, « mots qui s’échappent par la fêlure ». L’écriture pourtant n’échappe pas au sentiment de vide et au doute, car « Qu’y a-t-il à rejoindre si le rêve d’atteindre n’est qu’un point de fuite ? ». Cependant « Peut-être aime-t-il simplement errer à cette lisière où les cimes se ceignent d’un diadème de brume (…) ou encore s’enfoncer dans l’inextricable, en quête d’une clairière où ne se poserait plus la question de ce que les mots libèrent. »
Nul doute qu’il se dégage une grande douceur de toutes ces images extrêmement délicates et souvent lumineuses. « Tout bien considéré, seuls les arbres et les oiseaux trouvent grâce à ses yeux dans la suite des jours qui ne pèse pas plus que feuilles d’automne dispersées au vent. ».On pourrait ajouter le ciel, le bruissement des feuilles et les nuages. A la réflexion, le titre un peu énigmatique de Tout contre rien me semble porteur d’une belle ambivalence.
Ainsi, « à l’étroit du monde et de soi » , un homme s’observe mais il est important d’ajouter qu’« entre ses yeux et le monde, un nuage brûle ».

Calou Semin


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