Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Lectures de Véronique Elfakir

mercredi 4 décembre 2024, par Cécile Guivarch

 

Jean-Pierre Siméon – Avenirs suivi de Le peintre au coquelicot - Gallimard - 2024
 

Ce recueil tout entier placé sous le signe de l’avenir est une ode au désir, à la vie vibrante et libre placée sous le signe de la lumière : « Réveillez le soleil qui dort/sous la peau usée de votre existence/marchez dansez riez/ne jetez plus votre amour par les fenêtres/donnez-vous le temps/donnez-vous un ciel/donnez-vous un visage/je vous en prie/donnez-vous un soleil. » L’amour si essentiel au poète et souvent source d’inspiration apparaît comme une fraicheur d’eau où se ressourcer, une infinie vibration portant l’onde des mots : « La parole des amants est un ruisseau caché dans l’herbe/C’est la meilleure ruse de la vie dit Lao Zi/ (…) nous serons le nuage du poème et le vent de la parole. »
Cependant il y a aussi des jours « de ciel tombé au caniveau/aux gestes usés qu’il faut combattre ». Si « nul n’est libre de sa douleur », on peut choisir de ne pas en être le miroir. Comme une vague, la beauté nous ramène à l’existence car elle est « le vrai corps de la vie », un feu pour écarter la nuit, l’or perdu de chaque instant. Ainsi certains jours limpides à l’ombre des oliviers, à la tombée du soir dans sa sérénité, le pas, le geste, la parole « donnent raison au bleu violent du ciel ». A l’instar du désir qui « submerge de moins d’ici/De plus d’ailleurs dans l’ici » et redensifie la vie.
Pour Jean-Pierre Simon, le poème est ce coquillage où on entend la mer. Porteur de grand large, il ouvre l’espace et nous rend « contemporain des roses » selon l’expression de Rilke. A travers cette ivresse de l’instant pleinement vécu, nous nous donnons une âme quand d’autres sont absents à eux-mêmes. De sorte que la poésie est une forme de révolte contre « la vie humiliée », réduite à des semelles de plomb : « Dès l’enfance on nous a chaussé de sérieux, de bon sens, d’obéissances en tout genre. Se déchausser l’âme, le cœur et la pensée pour que les pieds retrouvent leur destin d’oiseau sur la terre, c’est l’insolence du poète. Sa liberté non négociable. Soyez poète, choisissez l’envol. »
Il ne nous reste plus alors que de laisser retentir ce chant de la mer qui nous ouvre à l’infini et nous délivre du poids de nos inquiétudes ou servitudes en nous dotant d’un supplément d’âme : « Je crois que tout poème cache l’évidence d’un verger – ou d’un étang, ou d’une pente pierreuse, ou d’un vieil olivier ou d’un visage, qu’importe ! Du lieu où chacun est affranchi de sa peur. »

Extraits

Quand comprendra-t-on dans ce monde à la vue courte que nous autres poètes nous n’écrivons pas des poèmes, nous cherchons des tempêtes de beauté, fussent-elles infimes, dans le calme plat de l’existence ?

« Le jour qui est toujours une surprise
Pour qui ne le voit pas qu’à sa fenêtre
On ne l’éprouve qu’en montant
C’est l’air pur qui monte à la tête
C’est boire la patience avec les oliviers
Dans la transparence du soir
C’est la rivière qui ne vieillit pas
Je dis jour limpide
Appelez cela comme vous voulez
C’est ce qui court dans les veines
Quand au mépris de la mort
Le pas le geste la parole
Donnent raison au bleu violent du ciel »

« Chaque homme est une syllabe
Dans la phrase du vivant
L’humanité est une phrase
Dans le texte du monde »

Laetitia Gaudefroy Colombot – Lance et La musique du vent – Editions des Lisières – 2019 et 2024

Les recueils de Laetitia Gaudefroy sont une ode à la nature aux odeurs de garrigue et de thym… Sous la blancheur des amandiers en fleurs se déploie une sorte d’envolée sereine et majestueuse comme un éventail déployé reflétant quelques paysages peints. Il s’agit alors de « s’enmontagner/s’engarriguer/s’enmaquiser/s’encolliner/s’enforester/s’ensauvagir » comme pour mieux retrouver la part la plus essentielle de nous-mêmes. Loin de toute trace de technicité dévastatrice, dans le silence et la simplicité : « pas de route de train de bus d’avion/de gare de changement de métro de goudron de/béton de panneaux bandes blanches/sens interdit enbouteillages voie sans/issue interdit embouteillage voie sans / issue pierres couleuvres sauterelles / lézardes fauvettes hirondelles sauterelles / lézardes fauvettes hirondelles limaces/fourmis abeilles ». Dans le plus infime insecte contemplé réside sans doute la clé de nos délivrances comme un retour à la source même de nos émotions : « fuir l’homme/les ruisseaux asséchés/rejoindre la source/parler à la montagne/au plantain au chardon (…) ». La poétesse aime à énumérer plantes et herbes comme un chaudron magique où il conviendrait de retrouver la vertu des simples et de « distiller l’essentielle » : « herbes aux anges/coiffe des poétesses/genévrier connu des temps nomades/mets des papillons de nuit/un nuage s’accroche à la colline/humer l’air/glaner baies graines ombelles ». Quand l’envol des oiseaux nous rappelle à nos rêves, comparativement l’homme se sent en cage : « au pays des oiseaux/s’engager pour les rêves/loin de la surface/sur la cime des chênes/tutoyer les étoiles ». Dans La musique du vent, elle nous rappelle que le calme nous invite à nous saisir de l’instant . Sous la clarté de l’aube, il convient alors de devenir jardin : « pas à pas/dans l’herbe/graminées/ombelles/épillets/ne rien oublier. » Mais pour retrouver cette lumière fondatrice il convient d’accepter « de rester sauvage », de fuir la saturation d’ondes et de connexions inutiles, toutes ces « bourrasque d’égo », « artifices du trop » et de sortir s’échapper « retrouver l’aphyllante/l’angélique/l’hellébore/prendre l’air/folle avoine ». Dans des effluves d’herbes coupées, pieds nus sur la terre simplement et lentement contempler quelques corolles fragiles, le passage des sauterelles, l’ombre du saule et ainsi s’éloigner du fracas du monde. Alors peu à peu ce vide naissant laisse place à l’imaginaire, à une création généreuse qui se fait don aussi gracieuse et intense qu’un souvenir d’enfance « ta création est ton empreinte/retenir/garder/précieux grains de poussière/particules/échantillons de don/traces d’espoir. »

Extraits

« Ramasser une pierre continent
sur l’épine du mont
voir des têtes d’arbres
dans le ciel saphir
avancer
noir humus
prendre un peu de bruine
les feuilles safranées
accompagnent tes pas
silencieuse sereine
s’éloigner du monde »

« Feuille de pierre
livre de peau
intrigue d’herbes folles
empreinte de terre
mémoire du temps
révérence à l’ancien
espoir en la sève »

« Prêle sculpurale
Rose pois de senteur
Ramasser les pierres bleues
Faire des ricochets sous la cascade

Se remplir d’enfance »

 

André Frénaud – Où est mon pays ? - Le temps qu’il fait, 2023

Laurent Fassin, ouvre la préface de ce florilège des poèmes d’André Frénaud, par l’évocation de la si belle épitaphe gravée sur sa tombe à Bussy-le-Grand : « Où est mon pays ? C’est dans le poème. Il n’est pas d’autre lieu où je veux reposer. »
André Frénaud fut en effet un marcheur inlassable qui aimait à se perdre dans les villes d’Europe, Espagne, Italie, Urss, Amérique latine ainsi que l’évoque l’un de ses poèmes intitulé « Le voyageur » : « Il a mis l’habitude dans un sac, /l’a posée chez le marchand de toutes choses. Deux sols, en tout. /La peur, il l’emportait vers les autres rivages. (…) Que cherche-t-il à travers les villes en pierre, /par soleil bas, les charlatans font leur prières/au bord de l’eau ? Le secret de la terre/et de la nuit, son secret. (…) Mais il ne retrouve/la profonde image/qu’il a entrevue/dans l’étoile de neige, /au pays de l’enfance. (…) Plus il s’approche de lui, plus il s’éloigne de ce qu’il quête. Acceptera-t-il de n’être pas au-delà ? » Il semble qu’il reste sans cesse en quête du « vrai lieu », celui qui n’existera finalement que dans le poème à inventer, à l’image de cette étoile de neige entrevue dans l’enfance. En quête aussi du secret de l’existence tout en sachant qu’il restera à jamais inatteignable comme l’horizon d’un désir inapaisé.
André Frénaud se sentait à l’étroit dans son milieu d’origine de catholiques pratiquants. Après des études de philosophie et de droit, il découvre l’écriture à trente ans. Il définissait ces poèmes comme des sortes « d’épopées mythiques » et en effet ce sont toujours des textes longs qui se déroulent où parfois le temps et l’espace, le flot des générations semblent se télescoper comme dans « Le voyageur ».
A travers son œuvre se déploie également un dialogue entre vivants et morts par-delà les siècles comme dans le poème épopée intitulé « Plainte du roi mage » qui semble traverser le temps guidé par cette étoile déjà évoquée parfois vacillante sous le poids du fracas du monde : « Je marchais avec mes chameaux porteurs d’eau douce,/ Le ciel était vide de ce qui m’avait contraint,/ comme un homme libre et appelé, un homme loyal./Souffle apaisé, volcans aujourd’hui étoiles bleues,/roues nourricières qui d’elles-mêmes jouaient,/flocons bruissant d’azur. Tous les êtres gagnés par mon regard nouveau/affluaient dans mon ombre pour s’y combler de vivre, /leur rumeur mordorait les coteaux et les tours. » On pourrait également citer ce magnifique poème intitulé « Tombeau de mon père » où semble planer l’ombre d’une culpabilité d’avoir renié la foi paternelle mais dont cependant la bonté et la noblesse de cœur semble avoir été l’héritage : « Ô père, c’est ma vie qui te garde en vie/pour que tu l’éclaires. /Tu disparaîtras quand je ne serais plus./ Toujours liés, nous deux. Jusque là on ne se quitte pas. /Va. Je ne suis pas indigne d’aller te rejoindre, /là-bas où un homme n’en rencontre un autre/plus jamais. »
Sans le secours d’une possible transcendance, il trouve cependant une certaine forme de liberté de façon toute paradoxale dans l’acceptation de son destin où parfois l’amour ou le corps d’une femme offre quelques éclaircies comme « la dernière île du bonheur » : « chacun s’aime soi-même et se porte dans l’autre/afin de s’y reconnaitre en pays étranger ».
L’image du château de l’enfance revient de façon récurrente avec sa charge de nostalgie, à l’image d’un paradis perdu ou d’un regret : « Si nous savions ici découvrir le festin, quelque part où nous passons/Mais toujours s’effaçaient à mesure de l’approche/l’auberge et le jardin, tous les fruits pressentis. » Après l’élan vient la retombée dans un mouvement incessant où le sentiment de notre précarité prédomine dans le désarroi : « Parfois pourtant, échappée à l’abîme, /pour le déjouer ou pour le jouer, /la beauté se trouvait là tout d’un coup/à la lumière des collines sur un chemin d’herbes, /la lumière comme jamais vue./Pour nous rafraîchir, la lustrale lumière. Pour nous faire supporter en attendant/ô merveille, ô rémission éteinte. »
Après toutes ces pérégrinations, il n’est d’autre patrie pour le poète « que sous les nuages », ce qu’il nomme « des fables, des échappées vaines » où parfois survient la grâce d’être ici, où l’on échappe à la pesanteur terrestre. Dans le texte intitulé « Où est mon pays », ressurgit ce désir de lointain vite contredit par son contraire : « Ce n’est pas ailleurs, ce doit être ici. /Je cherche et je trouve presque, et je perds. » Ce lieu sans cesse espéré n’est peut-être qu’une question de regard posé sur ce qui nous entoure : les prairies trop vertes, l’arbre ténébreux de la maison ancienne, dans la splendeur de l’été. » En définitive nul besoin d’aller loin, pour trouver l’ailleurs… jusqu’au dernier voyage où André Frénaud n’aspire plus qu’à reposer en ces poèmes, « anéanti » dans cette unité tant espérée, dans « la grâce advenue à l’abandonné », dans « ce berceau rayonnant » où s’efface la peur. De ces poèmes divisés entre joie et douleur et déroulés comme d’immenses bannières flottantes ou des routes sans fin surgit soudain une sorte de résolution ou d’acceptation : « Tout est ma patrie, que je saurais porter : « Je connais mes blessures et j’attends d’autres peines. / J’attends d’autres joies et je salue la vie. »

Extrait

« Entre les murs de pierres sèches comme en un souterrain,
Sous le ciel couvert par l’embrun s’assombrissant,
La dernière île du bonheur dans les chambres de pierres
Par la rose trémière enclose et par l’escargot (…)
Un silence solennel rôdait
Dans le ronronnement inouï de la mer.
La dernière île du bonheur, vraiment. »

LA LUMIERE DE L’AMOUR

« Un parti de pâquerettes dans la clairière.
Un paradis frêle à l’abri des saules.
De l’eau doucement nous recouvrirait, les menues graines.
C’est ici où je voudrais m’évanouir
A l’instant où le monde est bon. »

L’ETAPE DANS LA CLAIRIERE

 

Les aurores de Françoise Serandour

A l’aube surgit parfois un afflux de souvenirs et d’images comme le scintillement d’une rivière. Dans ce recueil, Françoise Serandour nous décrit ce moment particulier de surgissement quand la clarté arrive et dont ce recueil se veut la transcription. La parole poétique est ainsi placée sous le signe d’Eurydice retrouvée et d’Orphée. L’écriture s’apparente alors certains jours à une descente aux enfers et d’autres à un flot de lumière : « elle se compose peu à peu de fragments, éclats ou lambeaux, essais, tissus de couleurs nouvelles. » De tous ces moments de vie parcourus naissent quelques waka exprimant la « mélancolie du temps » sur la route du retour, et l’éphémère beauté de nos aurores soie rose-jaune d’or. »

Poème après poème se forme « un pont et d’une rive à l’autre », ils suivent le rythme des saisons : « Aux fleurs rose et rouge/vase au camélia/-de bleu/peindre le printemps. » Le texte se métamorphose en tableau vivant, vibrant : « Ciel à la Terre/la rosée s’installe sur les nuages/file une étole broderie or et argent/tableau peint bleu de blanc ». En cette fusion avec la nature et la mer où l’âme se repose et devient « oiseau ou Esprit », l’écriture devient ivresse, communion ou célébration heureuse. Le jour, « le corps fait corps avec la vague » et la nuit devient « sœur de Lune lumineuse. » Écrire devient ainsi une sorte d’envol heureux ou une partition, cette « respiration de l’invisible » comme « une nuit tendue d’étoiles ». Il s’agit alors de capter chaque instant même le plus infime comme une minuscule coccinelle posée sur le rebord de la fenêtre. Comme une profession de foi, s’affirme cette croyance « en la beauté qui sauve » et devient ainsi une oasis où se reposer des fatigues du voyage de l’existence : « Sur la rive jaune et verte, les yeux respirent le miracle des feuillages dorés-/rideau gouttes d’eau transparentes sans fin/à la lumière d’automne-/ La, vibrent et s’animent de toutes couleurs/les paravents d’étoffes façonnées de soie, satin et/brocart ! / Est-ce un songe d’été en automne ? »

L’âme rêve alors de transmigration à travers les temps. Fulgurances et grâce ciselées nous sont ainsi livrés avec la délicatesse d’une soierie : « A la traversée du jardin/la tristesse atténuée/la mélancolie du jour/persiste/le monde et ses fureurs/ne cessant/l’après-midi à la pluie/espérant encor/les feuille d’automne/oranges et rouges - / la mélancolie demeure/au kimono de lumière. » Chaque waka comme une musique secrète correspond à une émotion, celle du jour traversé avec sa tessiture : « Cette nuit amère/la rose d’été replie/ses pétales pourpres/et le cœur languissant/y enferme son destin. »

Certaines aurores affluent également les évocations : cette violette évoquant le visage maternel, « sa voix de soprano qui ne chante plus », le manteau rouge des hivers de l’enfance douce en une sorte de complicité musicale où les mots chantent le long de la rivière. Nul doute que ce très beau recueil a su retrouver la voix japonaise du yûgen, « ce charme subtil » à l’esthétique raffiné comme un lever de soleil. Ainsi la poésie, ainsi que nous l’indique Marie-Noëlle Le Piétec si justement dans sa postface, est cette « nécessité intérieure » de dire l’essentiel de la vie, et, ce faisant, de donner au monde « un supplément d’AME. »

Véronique Elfakir


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