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Petites notes de Ghislaine Lejard

dimanche 18 mai 2025, par Cécile Guivarch

 
Un tant soit peu de lumière, Eve Lerner, Diabase octobre 2024

Cet opus est le dernier d’une trilogie après Faites battre vos candeurs (2017) et Le chaos reste confiant (2020).
Une citation du philosophe Jean-Bertrand Pontalis ouvre ce livre : « Jusqu’au bout laisser une chance à l’humain, au langage, laisser place à l’espoir, fou, lui aussi , que nous pourrions être civilisés tout en restant sauvages. » En préface un texte sur les solitudes, la solitude aux multiples visages : « Il y en a de toutes les couleurs de toutes les saveurs, de tous les grains(…) des solitudes incandescentes dont la fulgurance nous transperce, nous illumine comme un accord parfait se prolonge de sillages, de résonances jusqu’à la toute fin (…) , des solitudes qui brisent les êtres, brisent les rêves, rendent toute chose invisible, parler, respirer, sortir et brisent les reins(…).Il y a des solitudes douces comme la soie qui imprègnent l’air d’un parfum de fleur suave et font oublier la soif de sang… »
Cette préface est la porte d’entrée dans ce journal qui dit la colère, la souffrance, le refus du mensonge mais aussi l’apaisement, la douceur et l’émerveillement quand on se tourne vers les étoiles.
Des textes pour crier la révolte dans ce « temps de l’obscur » qui fait naître le pessimisme, mais aussi le besoin de « tenir la résistance à bout de bras », car malgré les tempêtes, les mensonges, il nous faut TENIR, il nous faut prier, demander, supplier : « donnez-moi …d’être une bouée de lumière dans l’obscur des jours. »
Comme les psaumes permettent de confier à Dieu les peurs, les angoisses, les joies et la reconnaissance, les textes de Eve Lerner exprime face aux hommes des émotions, des sentiments que tout homme ressent, ils sont proches du sens étymologique du psaume, l’écriture de ce recueil « tire par secousse et fait vibrer » les lecteurs.
Le pessimisme n’a pas le dernier mot, la poète le sait et le dit, seul l’amour sauve et l’amour est partout, à portée de regard, il irradie la nature, il irradie chaque instant de notre vie qui toujours se décline « entre rire et larmes » « entre présence et absence » « entre plaisir et douleur ». Par-delà les solitudes et le silence, la vie toujours recommencée, la vie plus forte et qui comme la lumière traverse les ténèbres et les transfigure.

Extraits

Tenir jusqu’au bout. Jusqu’au bout de la solitude, de la solidarité. Jusqu’au bout de la haine, jusqu’au bout de la fraternité. Jusqu’au bout de l’écœurement, de la pourriture, jusqu’au bout de la résistance (…) Jusqu’au bout de la colère, de la révolte. Jusqu’au bout du poème et de sa musique, jusqu’au bout du sang noir, jusqu’au bout de l’injustice et de la destruction. Jusqu’au bout. (…) Jusqu’au bout, le courage de ces peuples, leur ténacité, leur capacité à organiser la résistance. Jusqu’au bout le courage des femmes. Jusqu’au bout leurs chants, leur insolence qui danse au milieu des rues. Jusqu’à l’extinction des esclavages et des carnages, jusqu’à la fin de la cruauté et de la barbarie. (p.43-45)
……………………..
Déboulonner les statues des oppresseurs, cisailler les grillages des chasseurs, ceux des camps et ceux des burkas intégrales. Faire tomber les murs.
Soigner les blessés, les arbres, les oiseaux, les chevaux, soigner la terre, la mer, soigner son style. (p.48)
………………………
Notre Mère qui êtes aux cieux, c’est avec vous que je peux vaincre injustice, mensonge, illusion. C’est là et là seulement que je peux réparer le tissé des jours et des âmes (…)
Rendez-nous la friction avec les autres, la mosaïque des diversités, les multiples facettes des rencontres plurielles, l’impromptu du mystère, la surprise de la différence.
Ne nous laissez pas loin de tout, loin des regards, loin de la cité, loin du charivari et du soleil, loin de la musique et du chant.
Donnez-nous la force de lutter contre les museleurs, les destructeurs, les voleurs, les corrompus, les violeurs, les pilleurs, les menteurs, les marchands d’illusions (…)
Accordez-nous la faculté de faire jaillir la joie pour en finir avec ces jours aussi noirs que la nuit (…)
Donnez-nous la force de sortir des sombres artères, des caves de la ville.(…)
Donnez-moi l’insolence du voyage, la force d’abolir le carnage, de couper les tentacules de la barbarie et de la mort, d’être une bouée de la lumière dans l’obscur des jours.
Délivrez-nous des caméras de surveillance, des logiciels espions, des fermes à trolls, des informations trafiquées, des reconnaissances faciales, des réseaux scélérats (…)
Donnez-nous la force de vivre de respirer, la force de chanter, ou de nous taire juste pour mieux sentir les parfums qui s’élèvent des jardins.
Ne nous laissez pas succomber à la tentation de hurler avec les loups, de laisser dire et faire en détournant le regard. (p.59-67)
………………………..
Ce matin, un lavis de ciel gris perle et cuisse de nymphe laisse parler la lumière du jour naissant.
Pour un instant, tout est amour, l’amour des autres, de soi, l’amour des ramures et des racines, des ruelles assoupies et des bateaux à l’ancrage, l’amour de la pluie, de la vie et des nuages, du vent assagi, des lacs de calme. (p.72)

 

La chanson à deux bouches, Domi Bergougnoux, éditions du Cygne

On entre en ce recueil par une porte étroite qui ouvre sur un univers énigmatique où l’être semble en apnée quand la nuit se referme sur le silence, entre ombre et lumière :

« Comme la nuit est lointainement pleine
De silencieuse infinité claire… »

La tonalité rappelle certains poèmes de Jules Laforgue comme les images faites de paradoxes et une certaine manière de dire le désarroi.

De la nuit au bleu de la mer et des poèmes plus apaisés pour dire le corps, les corps, pour dire « que l’amour jamais ne s’éloigne ». L’amour est création et l’univers en est transformé, à moins que ce ne soit l’œuvre de la nature qui nous offre de renaître :

« Tu me nuages
je t’averse de baisers
tu me vagues de chaleur
je t’aurore boréale
tu m’orages
je te coquelicot de chair entre les cuisses
tu me pistil avec délice
je te corolle outrageusement
tu m’étamines sous tes mains
je te calice de mes lèvres
je te sépale dans la nuit
tu me racines

Nous nous amarantes »

Aimer c’est ne faire qu’un avec les éléments de la nature, c’est être unifié à ce qui nous entoure pour aller à la rencontre de l’autre et enfin pouvoir dire que l’amour ouvre à l’infini.

Extraits

Faute de chair et de peau
nous sommes unis
vous et moi
dans le ciel
dans le marbre
dans l’argile
nous modelons le silence

Les cerisiers fleurissent
abandonnés

Entre nos deux rives
seul coule le printemps
(p.68)

*

L’amour est un virage
qui ouvre à l’infini
un vertige en épingle
une flamme éméchée
une femme avivée
qui se donne pour rien

Tout est déjà écrit bien avant l’amertume
inexorablement on glisse vers l’automne
et ses lumières rousses

On connaît par cœur la chanson à deux bouches
on sait encore l’été sur le bout de la langue
(P.87)

*

Ces paroles susurrées mon amour
l’heure d’aimer arrive encore

J’écris le torrent du sang
les pierres qu’il charrie
les mains ensemble pour couver la lumière

Un autre jour
il n’y a plus personne
la chambre est vide
le monde pillé
les heures mauvaises tournent sur elles-mêmes
sans musique
il a plu dans la maison

Alors j’écris encore
l’absence sous les glaces
le ciel à la fenêtre
L’eau en cage derrière les yeux
la délivrance des mots
leur parfum de fleurs tombées
dans le buvard de la nuit
(p.91)

< p align=right>Ghislaine Lejard


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