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Jean-Pierre Siméon – Levez-vous du tombeau, par Véronique El Fakir

jeudi 9 janvier 2020, par Cécile Guivarch

Jean-Pierre Siméon – Levez-vous du tombeau – Paris, Gallimard, 2019

Dans ce recueil, Jean-Pierre Siméon interroge la fragile frontière entre vie et mort. S’il est vain de nier, à ses yeux, cette limite ultime qui borne notre horizon, il y a cependant différentes façons de l’aborder : « Se laisser tomber dans l’abîme ou se dresser dans son vertige ». Quand certains semblent plus habiles que d’autres « à mourir de leur vivant » en renonçant aux chemins aventureux de la liberté, d’autres ne demandent « que l’élan d’un ciel nouveau chaque matin ». Si l’homme est à la fois du « plein et du gouffre », un « bref ourlet dans l’infini » et « l’avers et envers de la beauté », il n’y a sans doute pas de pire fin, pour Simeon, « que de mourir à soi-même » en empruntant la voie de la trahison, du mensonge ou du renoncement. Il faut alors se tenir en plein centre du désir pour tout parcourir et tout traverser « mers foules vents et soleils (…) Toutes les profusions les clameurs les émeutes mais aussi les solitudes ».

Considérer la mort revient alors en définitive à exalter la vie, à retrouver en soi « la saveur d’un ciel immense sur une mer déployée ». Cette proximité de l’abîme doit donc nous inciter non pas à « mourir au monde/mais renaître à soi-même /pour se donner raison », à ne pas passer à côté de son existence et ressentir chaque matin la brûlure et la saveur intense d’un jour nouveau. Car pour le poète, au-delà de toute clôture ou limite, la parole et la vie ne s’origine que de l’altérité : « On ne naît de la vie que de l’autre/fut-il le contraire/comme l’eau naît du rocher/comme l’oiseau de la branche ». Ainsi la poésie dépasse les frontières en parcourant l’envers et l’ailleurs, en déplaçant les contraires et les oppositions. D’une certaine façon, nous ne mourrons vraiment que lorsqu’il n’y a plus que de l’identique, du même. Seul l’Ouvert est porteur de création. De ce vacillement constant de la limite, naît un incertain savoir et un éloge de la fragilité car « la fragilité qui ne s’ignore pas/comme des lèvres vont à des lèvres étrangères/elle seule accueille la beauté/qui n’est – bref éclair – que ce qui tient haut l’instant dans la perte (…) tout ce qui vaut est fragile/ mais c’est là que s’éprouve jusqu’à l’ivresse/la force d’être vivant. » Le mot devient alors un pas de danse sur le parquet du monde, un chant qui « rend à l’arbre son feuillage ». Ainsi cette méditation sur la mort conduit paradoxalement à une exaltation de notre être au monde rendu à sa plénitude la plus haute.

Extrait

Nous aurons tant aimé la mort des soleils glissants
Sur la pente des toits
Ou parmi les ombres basses du soir
Au bord des paysages

Quelque chose alors doucement nous parlait à l’oreille
Qui disait :
Vous serez bientôt des oiseaux perdus dans la nuit
Pensez donc au feu mourant
La beauté qu’il faut pour traverser le noir

Voici la leçon simple :
La lumière qui tombe sera la lumière qui monte
Nous sommes contemporains du matin dans le soir

Et puis l’or épars du crépuscule sur la mer :
Si le cœur le plus usé
En bat plus fort
N’est-ce pas que non l’idée mais sa chair
Fait l’immense intelligible à l’homme ?

C’est l’heure ah étrange des solitudes
Où l’âme à fleur de peau fait alliance
Avec tout ce qui dans l’air s’énonce
Le tremblé clair des lucioles
Le dernier vol ivre des abeilles
Et la brume visage déjà de leur sommeil

(…) Voyez que les beaux soirs sont un chemin
dans le temps arrêté
le projet d’un jour qui consent à sa nuit
et fait l’âme franchir sa peur
de l’inconnu
pour rejoindre tombant dans l’obscur
l’évidence d’un mati qui a toujours raison

Véronique El Fakir


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