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Irène Dubœuf, Effacement des seuils, par Christian Degoutte

jeudi 26 mars 2020, par Cécile Guivarch

Ici, chaque ligne se courbe
Comme pour adoucir la tragédie du monde
Irène Dubœuf, Cendre lissée de vent

 
Le seuil marque l’entrée d’un lieu ; il marque l’instant d’entrer. Les seuils, c’est aussi ces petits (et souvent anciens) ouvrages de pierres ou de béton bâtis en travers du lit d’une rivière pour en retenir l’eau, un moment, puis redonner du tonus à son débit. Aujourd’hui sur les rivières devenues chiches (tiens donc !), ces barrages ont tendance à provoquer l’envasement des lits : alors on les efface, on rend la rivière à son cours dit « naturel ».

Sinon les seuils qui font le titre du nouveau livre d’Irène Dubœuf, c’est quoi ?
- des miroirs d’eau perdue / entre les bras des fleuves
- lac murmure ininterrompu d’eau brassée
- le silence bleu du jour qui se retire
- un murmure funèbre
- joignant la terre au ciel…/…une fumée

Un leurre, comme l’écrivait Yves Bonnefoy ?

Les seuils, selon Irène Dubœuf, sont donc impalpables (murmure, fumée, miroir, silence), ont quelque chose d’infranchissable pour nous humains (ombres closes, si pesants l’hiver collé à nos semelles, si peu éclairés voix …/…rudes comme la rouille).

Le seuil dans notre pensée collective dit le passage d’une réalité à une autre : comme de la maison à la rue, on change de monde, de façons d’être. Ces seuils pourtant craints et inquiétants, attisent notre curiosité. C’est notre imaginaire qui nous permettra de les franchir comme d’un pas on efface un obstacle :
- une barque immobile / chargée de silence …/…une barque sans nom / qui semblait nous attendre
- des barques endormies (assises sur les pontons / les Parques / inlassables / sans bruit tissent les voiles)
- une barque étoilée / sans passeur / et sans nom
- une barque …/…surmontée d’une voile / à la blancheur d’abîme

Contenons-nous notre propre seuil ? Sommes-nous notre propre seuil ? Après Cendre lissée du vent, paru chez le même éditeur, Irène Dubœuf nous donne un livre, certes habité par la mort, l’idée de l’effacement, du seuil toujours renouvelé de disparaître (que la vie comme l’eau franchit), un livre certes d’inquiétude et de chagrins (nous partîmes / abandonnant nos songes / au vertige de la nuit), mais d’une grande douceur. Dans nos vies, dont chaque pas marque le seuil, ce livre nous incite à viser la joie « … l’éblouissement / des prés au goût de miel / où le cœur effleure / un paradis lointain  ».

Les poèmes d’Irène Dubœuf sont écrits en vers souples, mélodiques. Même découpés en vers libres, on y entend souvent les pulsations classiques.
On remarquera aussi que c’est une poésie des paysages, des lieux (même si ceux-ci ne sont pas forcément nommés). Le vocabulaire concret lac, fleuve, été, montagnes, volcans, pontons, etc. nous permet de faire jouer notre propre imaginaire. Les « choses » nommées sont en quelque sorte la matière tangible des sentiments, des pensées. En lisant ces poèmes on a l’impression de se promener avec Irène Dubœuf : les paysages que l’on traverse sont dits (par elle, mais nos pensées y ajoutent leur grain de sel), et ces commentaires sont un écho à nos paysages intimes.

Christian Degoutte

Irène Dubœuf, EFFACEMENT DES SEUILS, éd UNICITE, 75 p, 14 €


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