Maud BOSSER : Un cri dans le poing. Éditions Henry, Les Écrits du Nord, Janvier 2020.
S’il s’agissait de pousser un cri, faudrait-il l’envoyer dans son poing comme pour amortir la violence, ou faudrait-il encore se taire comme on serre le poing dans sa poche ?
Si l’on ne criait pas dans le poing, la plainte serait perdue dans les interstices d’un corps mal délimité : « Tu vois ton portrait / Prendre des libertés dans un miroir ». Nous n’avons que des membres malhabiles : « Les mains prennent le hasard / D’un vert ensoleillé ».
Dans le monde évoqué par Maud Bosser, les éléments se disjoignent : « un paysage défait / Fouillé jusqu’à l’os ». Les saisons glissent, le temps tourne à vide : « Octobre en exode avec son soleil languissant ».
Maud Bosser nous propose « Une double béance …/… Pour joindre l’invivable ». Il nous faut encore nous aventurer plus loin.
Les poèmes jouent entre deux horizons : « Il faisait jour et nuit / Dans l’indécision de la mélancolie » ; « à mi-chemin entre le sommeil / Et la mélancolie ». Notre place est étroite mais elle existe, essentielle. C’est à nous de la saisir : « C’était là / qu’il fallait se tenir / Entre la solitude / Et le vide ».
Le constat n’est pas pessimiste, le propos sinue dans une alternative sans cesse vivifiée : « Basculant d’un bonheur / Lent / À un bonheur / Fringant ».
Sans doute la solitude balise les jours, mais la possibilité d’un partage ou même l’amour sont entrevus : « Nous avons continué / Seuls / Nos solitudes étaient deux » ; « Et parfois sans sommeil / Nos rires sonnaient l’aurore ».
Mais ce poing-là ne rend pas les coups pour les coups. La main se détend, elle répare et coud.
« Dans une peau d’éternité / Cousue à même les sentiments ».
Plus que la justesse des mots, plus que la maîtrise de l’écriture, Maud Bosser nous retient avec la compréhension qu’elle a des mots. Elle connaît les mots qu’elle rassemble, avec les yeux ou la voix, comme le ferait un berger : « Ta présence / Voit se poser un troupeau de sourires / Sans berger sur mon épaule / Un peu vieillie ». Maud Bosser comprend les êtres et sait réparer leurs maux : « Les chèvres venaient / Goûter la sueur de mon âme ».
Ce recueil a obtenu le prix des Trouvères, en novembre 2019, un prix animé par Jean le Boël et soutenu par la ville du Touquet, dans le Pas-de-Calais. Annie Wallois, présidente du jury, souligne dans sa préface que : Tout l’enjeu sera de « Faire demeure en sa langue », de « Parvenir à passer / Entre les mots / Et la douleur » ; une aspiration accomplie de poème en poème avec magnificence.
« Un cri dans le poing » forme un recueil réussi de bout en bout, sans ostentation. Le propos est soutenu, mais il sait rester fluide. Un flot d’images roulent sans heurter. Le lecteur est convié à une sorte de cérémonie personnelle, laquelle aspire à être partagée par des chants : On dirait qu’une cérémonie / choisit déjà ses chants.
Extraits :
J’épouse tout ce que porte la terre
Et les êtres et les voix des pierres
Dans un élan qui vient du premier cri
Et se pousse jusqu’à l’envolée.***
Chez toi
Même les ombres chantaient
En se déshabillant
Pour consumer les miennes.Tu me parlais d’un feu de joie
Par la serrure
De notre secret.Et parfois sans sommeil
Nos rires sonnaient l’aurore. P. 23
Philippe Fumery