Paul BERGÈSE : Les chemins de la poésie (Gros Textes éd., 2023), 54 pages, 7 euros – Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes ou gros.textes@laposte.net
Qui a déjà participé ou animé des ateliers d’écriture poétique connaît les risques et les surprises des anaphores. Ce piège a été habilement déjoué par Paul Bergèse qui fréquente Les chemins de la poésie depuis quelques décennies. En variant les voies d’accès et les voix en écho de fertiles lectures, il déroule de brefs quatrains qui s’ouvrent sur l’amorce suivante : « Parfois, lire la poésie / c’est… », amorce suivie d’un verbe d’action. Oui, d’action car la poésie, contrairement à pas mal d’idées reçus, c’est l’action à l’état brut. C’est aussi « faire / le plein d’espoir / pour tenir debout » ou bien encore « entendre / l’assourdissant / silence des mots ». On aura plaisir à suivre Paul Bergèse sur des sentiers où le réel et l’imaginaire se voilent et se dévoilent. Ce sont aussi des chemins de traverse qui nous éloignent d’un univers mercantile car il est nécessaire de « prendre / une dose de rappel / contre le virus de la bêtise ». Grâce au poète, on se sent soudain plus léger et plus fort. Quant à la brève préface de Patrick Joquel, elle est une belle porte d’entrée qui permet de savourer à leur juste valeur ces quatrains anaphoriques.
Jacques IBANÈS, Catherine HILAIRE et Mireille RUDELLE : Hiroshige, 119 éclats d’Edo (Germes de barbarie éd., 2023), non-paginé (256 pages), 13 euros – 619, rue Henri de Navarre -24130 Le Fleix ou bdeson@yahoo.fr
Durant les périodes obscures et tourmentées comme celle que nous traversons, quoi de plus apaisant que la lecture lente de poèmes hors du temps. C’est ce que l’on fera en parcourant, double page après double page, cet épais recueil qui nous entraîne au Japon sur les traces d’Hiroshige, cet immense artiste-peintre du 19° siècle, créateur de remarquables estampes. L’originalité de ce triptyque artistique réside dans la complémentarité de chacune des trois démarches. Pas de place ici pour la redondance ou la facilité. Si, au premier abord, le dépaysement est total, ce n’est que peu à peu que les éléments trouvent leur place, arbres et ponts, fleurs et bateaux par exemple. Ce « mont Fuji qui trône immortel » inquiète et rassure même si « Le canal triste / menant à la baie d’Edo / parle d’espérance ». Les haïkus de Catherine Hilaire s’ajustent parfaitement aux déclinaisons visuelles minimalistes de Mireille Rudelle. Quant aux poèmes de Jacques Ibanès, ils nous rappellent que « joies et douleurs sont inscrites / dans la trame du temps ». Avec délicatesse, le poète nous guide et nous conseille : « N’oublions jamais ce prodige / qu’est la vie ». Ici, chacun et chacune reste dans son couloir créatif et le résultat est à la hauteur des espérances, à savoir un ouvrage dense et très original auquel on reviendra souvent.
Thomas VINAU : Debout dans les fleurs sales (Le Castor Astral éd., 2023), 496 pages, 18 euros – 47, avenue Pasteur – 93100 Montreuil ou castor.astral@wanadoo.fr
Assurément qu’avec un tel titre, Thomas Vinau était sûr d’attirer l’attention des lecteurs. Le sous-titre, « 365 poèmes à déployer », fait penser à un éphéméride poétique qui se déroulerait jour après jour en écho aux fameux Radis bleus de Pierre Autin-Grenier, son ami disparu. Pour ce qui est des références, Vinau n’est jamais en manque ; qu’ils soient poètes (Rimbaud, Apollinaire,…), chanteurs (Jul, Miossec,…) ou artistes (Chaissac, Ronan Barrot,…), il cherche à s’entourer comme pour se rassurer. Il parvient à s’infiltrer habilement entre le proche et l’universel pour apaiser « nos petites douleurs humaines » et repousser la banalité. Au fil des pages et des jours, on croise furtivement sa patiente compagne ainsi que ses deux lascars qui grandissent trop vite sur le chemin de l’école. L’âge venant, il se laisse parfois déborder par une vague de spleen ou de mélancolie : « ça sert à cela aussi la poésie / à faire que ce qui n’est pas possible / ne soit pas grave ». On relèvera également quelques moments volés à la tendresse : « il fait si doux / pour aller enterrer sa grand-mère » et surtout pour « dire merci / et au revoir / à son enfance ». Avec Thomas Vinau, on a toujours affaire à une poésie du quotidien bourrée de références évocatrices telles ces nuances de gris : « votez pour le gris / vous serez jamais déçu ». En attendant des jours meilleurs, il va planter des pierres car il est sûr qu’elles sont immortelles.
Sabine PÉGLION : Cet au-delà de l’ombre (L’ail des ours éd., 2023), 66 pages, 8 euros – 24, rue Marcel Gavelle – 02200 Mercin-et-Vaux ou aildesours@orange.fr
C’est dans l’impeccable collection Grand ours que paraît ce 21° fascicule d’une série exigeante et solide où l’on a déjà pu lire Max Alhau, Marilyse Leroux ou Christian Viguié. Ces ombres que l’on devine dès la première découverte de ces poèmes peuvent être perçues comme celles de l’absence de proches. Le talent de Sabine Péglion consistera à prouver que l’on peut franchir cette invisible frontière par une ferme détermination qui permettra d’aller au-delà de l’ombre. Quand les nuages se déchirent, apparaissent des fragments d’une fragile lumière, c’est là qu’il faut aller chercher « l’espérance de demain » puisque courageusement, « on ne sait pas pourquoi / un jour on recommence ». Que ce soit au bord d’une « mer minérale figée » ou sur les montagnes « où les sommets se dispersent », on fait en sorte que le bleu du ciel ne s’estompe pas. Tout paraîtra soudain si simple « quand tu reviendras ». Ce dernier voeu revient à plusieurs reprises dans les poèmes de Sabine Péglion. Cette dernière indique même comment s’y prendre : « Derrière le mimosa / tout au bout de l’allée / tu trouveras la clef / de ces heures dispersées / quand tu reviendras ».
Colette KLEIN : Après la fin du monde, nuages – Requiem (Henry éd., 2023), 80 pages, 12 euros – La rumeur libre – Vareilles – 42540 Sainte-Colombe-sur-Gand ou andrea.iacovella@larumeurlibre.fr
Grande lectrice et revuiste, Colette Klein est aussi une personne généreuse attentive aux autres. Elle écrit une poésie dense et lyrique, très diverse suivant les sujets abordés. Elle se consacre ici à la reconnaissance amicale et filiale de quelques dizaines de proches disparus, « prisonniers de ma mémoire » écrit-elle, depuis le demi-frère de sa mère disparu en 1962 jusqu’à sa sœur Huguette disparue en 2013. La force évocatrice de Colette Klein est un acte de résistance face à l’oubli et à la volonté de ne rien perdre en conservant le plus possible de traces de ces passages terrestres. Elle conserve aussi un certain détachement vis-à-vis des choses bassement matérielles car « la sidération viendrait après ». Ce livre se place forcément sous un exergue de Baudelaire dans une évocation des nuages, la néphélomancie, cette science qui consiste à lire les nuages, n’étant pas à la portée de tout le monde. Comme eux, « l’horizon est tout aussi éphémère » et l’on en est réduit à souhaiter que « les nuages nous emportent / aux confins de l’Histoire ». On admet difficilement « que la perte des vivants ne peut se réparer » et qu’en réponse à l’absurde de l’existence, « toute mort est solitaire / Toute vie est solitaire ». En « luttant contre la folie », on cherche les mots qui pourraient consoler et les images qui pourraient nous élever. « Les poètes qui construisent l’impossible / ne savent pas qu’ils laissent derrière eux un sillon ». Avec Colette Klein, nous avons la preuve vivante que les poètes laissent de profonds sillons.
Jean-Michel BONGIRAUD : Le froid de l’étau (À l’index éd., 2024), 42 pages, 12 euros – 11, rue du Stade – 76133 Épouville ou revue.alindex@free.fr
Entre les parenthèses de Poésie 1 et Poésie 2, on lira la triple suite déployée de Là à Ailleurs en passant par Là et ailleurs. Toute cette organisation formelle permet à Jean-Michel Bongiraud de développer des chaînes de tercets et de poèmes non-ponctués. Des chaînes, oui, mais qui serviront à nous désenchaîner de pratiques banalisées et d’habitudes séculaires. Poète marginal, poète dégagé plus qu’engagé, poète « qui ne respecte pas les codes / du lyrisme béat », Bongiraud n’a jamais abandonné ses luttes ou trahi ses prises de position. Il conserve ses facultés d’indignation et de révolte d’un adolescent qui aurait mûri après moultes expériences et désillusions. Si la poésie peut avoir, espérons-le, un rôle salvateur, c’est bien celui-là : de nous tenir éveillés, vigilants, à la proue d’une embarcation dont on ignore la destination et dans laquelle se débat « une humanité qui se désagrège ». Jean-Michel Bongiraud est coutumier d’un système d’écriture qui a fait sa marque de fabrique, tout en reprise de tercets, en scansions, de déferlements en débordements. Il demande « aux poètes de reprendre la parole », lui qui écrit une poésie d’attaque et de défense, lui qui affûte ses poèmes « à petits coups de scalpel ». Sans aucune illusion, il sait bien que « même un poète n’est rien / face à la barbarie / mais il peut frapper / autant qu’il le peut avec ses mots ». C’est ce que fait Bongiraud avec force et passion.
Casimir PRAT : Cours, Antigone, cours ! (Le Taillis Pré éd., 2023), 138 pages, 17 euros – 23, rue de la Plaine – 6200 Châtelineau (B) ou yves.namur@skynet.be
Depuis Sait-on jamais paru en 2005 aux éditions L’Arpenteur-Gallimard, Casimir Prat mûrissait le livre qui vient de paraître. Cette lente gestation ne pouvait qu’aboutir à une œuvre dense, à la fois trouble et limpide, troublante et rassurante. Exception faite pour quelques écrits parus dans des revues comme Arpa ou Diérèse, nous n’entendions plus la voix si reconnaissable de Casimir Prat. Ce long, trop long silence débouche aujourd’hui sur cette publication que l’on situera d’emblée hors des normes poétiques habituelles.
En effet, la lecture de cette élégie ou de ce long choral s’effectue par paliers, de reprises en incises, au fil d’une poésie qui semble toujours s’échapper d’une meute de doutes et de questions. Quand l’auteur fait dire à son héroïne « je me cache aussi pour écrire », c’est à lui-même qu’il s’adresse. Traqué par les interrogations de tout ordre, le poète se recroqueville puis se détend, s’ouvre et se referme, s’immobilise et se débat dans « la vitesse éternelle des choses / qui restent immobiles ». Il se demande encore « pourquoi toujours devoir choisir », mais aussi pourquoi « rameuter les anciennes questions », celles qu’il aurait fallu oublier. Dans ce monde si particulier où « toute chose parle / avec sa salive, avec sa sueur ou son ombre », on découvre cet univers essentiellement féminin où sont convoquées des figures de la résistance et de la rébellion. À partir du personnage d’Antigone, symbole de la fierté et du refus des compromissions, on retrouve Emily Dickinson, Sylvia Plath, Alejandra Pizarnik, Ingeborg Bachman et Virginia Woolf. Toutes ont refusé de se soumettre aux pouvoirs autoritaires et patriarcaux. Autre personnage féminin, Elise Lopez, fille du poète, présente un frontispice en imposant l’élégance et la prestance d’Antigone, ce personnage mythologique, omniprésent tout au long du livre.
« Ô, ce grand poème épique »… Est-ce une exclamation ou une interrogation ? Est-ce un souhait ou un constat ? Pris dans le tourbillon d’écriture, on « ne sait plus faire la différence entre le regret et le remords ». Mais cependant oui, on peut le dire et l’écrire : ce grand et long poème tant attendu est là et bien là. À nous de le lire lentement et d’en apprécier à sa juste valeur l’immense étendue lyrique.
Georges CATHALO – février 2024