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Cinq lectures, par Véronique Elfakir

samedi 30 mars 2019, par Cécile Guivarch

Eric Poindron – Comment vivre en poète – Castor Astral - 2019

Ce livre inclassable, aussi iconoclaste que son auteur, collectionneur passionné de l’insolite, se déroule comme un étrange catalogue de la singularité poétique. Il se présente comme une sorte d’anthologie aléatoire déroulant le fil incessant de multiples interrogations dont les seules réponses, à supposer que l’on puisse les considérer comme telle, sont fournies par une citation. Ce qui nous est donc proposé est une sorte de promenade littéraire en dehors de tout circuit linéaire, un voyage passionné où chaque lecture vient ensemencer un nouveau chemin d’écriture potentiel sans jamais venir clôturer cet amour de la question que porte le texte mais sans cesse le relancer : «  A la fois livre de citations, keepsake, atlas, fragments, poèmes et fragments poétiques, didascalies, recueil de fleurs – antho-logie-, pistes à suivre, cut-up, scholies, correspondances, auteur à découvrir ou à redécouvrir, lecture et relecture, chemin d’écriture, guide sans guide, monologue, réflexions et confidences, aveux, écho, questions sans réponses, questions aux allures de réponses, réponses sans question  »

Par une sorte de mise en abyme, chaque fragment rapporté suscite une nouvelle interrogation et fait écho à un autre par un effet miroir : « Je ne suis que la question qui suis-je errant en ses réponses.  » Le seul conseil que l’on pourrait donc prodiguer à un jeune poète à la manière de la célèbre lettre de R.M. Rilke serait de lire et relire encore de la poésie, de s’en imprégner puis de s’en démarquer pour trouver sa propre voix… : « Le poète collectionne les écrits des autres afin d’y puiser parfois ses propres écritures. Comme ce poète qui entasse les bouts de folie encrées, raturées, qui lui serviront à écrire d’autres mots plus sages. Celui qui écrit en poète est un archiviste sans fin.  » Cette version moderne de « la lettre au jeune poète » fourmille donc de références à travers lesquelles se lit cette passion poétique qui engage toute l’existence dans cette collecte incessante de sensations et d’images. Il n’y a donc pas une définition de la poésie à découvrir mais autant de définitions car «  Il n’y a pas de poète en général, il n’y a que des cas particuliers » et « vivre en poète, c’est peut-être suivre le ballon rouge comme un nénuphar, dérivant vers les enfances fragiles, les bouts de vie ratée, et qui fait floc, comme la neige discrète ; ou les regrets. Vivre en poète, c’est peut-être/être toujours quelque part au milieu de nulle part égaré au cœur des chahuts et des chaos ; être seulement ici ou là, là où je ne m’attends jamais.  »

René Le Corre – Un monde de rosée – Monde en poésie, 2017

René Le Corre, poète breton, est né en 1923. L’introduction du recueil nous indique qu’après des études de philosophie et de théologie, il devient prêtre puis enseignant. Dans ce recueil qui rassemble un choix de textes parmi les écrits datant des 30/40 dernières années de production se déploie le récit d’un parcours de vie et d’écriture. Le liminaire du texte nous fraie un passage vers ce qui a nourri l’œuvre et l’homme en son parcours, en l’occurrence cette phrase de Saint Augustin : « Aime et fais ce que tu veux  ». Le titre du recueil est également emprunté au poète Kobayashi Issa qui après la perte de sa fille, écrit ceci : « Monde de rosée/C’est un monde de rosée/Et pourtant pourtant. » Dans ce « pourtant » réside toute la question d’une possible résistance dont chaque poème se fait l’écho : « Nous marchons sur le toit de l’enfer, parmi les roses. »

Pour le poète inlassablement, il s’agit également de dire « ce qui ne peut être dit », ce mystère de l’existence que nous saisissons à travers l’épiphanie d’une présence : « Dire comme font les êtres sans parole – la maison, l’arbre, la mer, le sentier, la pierre levée ». L’émerveillement est non dans la signification mais dans ce simple fait qu’il y ait une voix qui se lève pour énoncer comme l’écrivait déjà R.M. Rilke, pour qui la fonction du poète n’est autre que de célébrer : « Ce qui est magnifique, ce n’est pas ce que dit la voix, mais qu’il y ait une voix. Ce qui est magnifique, ce qui ne peut être détruit – sinon c’est la fin – c’est la voix, pas encore la parole, pas encore le langage, mais le silence enveloppé de son. » Ce qu’il s’agit de dire, c’est « ce sens insensé de la vie » qui toujours nous échappe. Chaque être a sa partition qui lui est propre comme une signature et sa place dans le monde y compris le ciel « qui chante » parfois.

Ainsi l’incomplétude, l’alternance de l’ombre et de la lumière, du plaisir et de la douleur rythment nos pas : «  Qu’est-ce que la douleur sinon la joie qui nous habite ?  », à l’image de l’océan parfois lumineux, immense ou blanc « de fureur tranquille » dont l’image revient régulièrement tout au long du recueil. Il nous faut donc apprendre à vivre de nos fragilités : « Nous vivons convalescents, tressaillant à la moindre blessure, apprenant la légèreté dans le souci, main dans la main par les sentiers et les rues, nous traversons la vie, le monde, attentifs au moindre souffle, nous allons cœur à cœur, fragiles et durs.  » Si tout nous échappe car « la rose des vents ne résout pas l’énigme du sens  », il reste l’attention au quotidien, au présent, la contemplation de ce qui nous est offert.

Au-delà de toute illusion, «  l’œil lavé » « la valeur du monde croît vers l’infini, la beauté devient insoutenable de ce qui naguère était négligé.  » Car seul demeure l’éblouissement de cet être-au-monde que l’imminence du dénouement rend plus précieux encore : « Aussi nous faut-il vivre plus intensément la levée des orages, avant que vienne la nuit. La musique accompagne ce temps. Le regard s’attarde sur le détail, laissant l’horizon à sa fuite. » L’intensité presque douloureuse de l’instant remplace l’insouciance disparue. Quand l’immensité du temps « aussi grand que le ciel », « inépuisable comme l’été » rempli de voyages, de lectures, de visages et de mains, se rétrécit et que l’horizon ne recule plus face à nos pas, il ne reste plus qu’à inscrire sa propre disparition : « Je compte, j’évalue. Combien ? J’efface et je cesse d’écrire. » L’azur devient alors l’unique recours face à cette nuit rampante du compte à rebours : « Eloigne l’aile, l’ange noir. Le bleu encore ce matin/Le bleu jour après jour. Ce jour/Le bleu encore. (…) L’aile passe, intermittente, voilant l’eau, le, le grain. Eloigne – ta main – éloigne l’épaisseur jusqu’à la fin. L’œil vit le bleu/Voit le jour.  » Absorbés par l’objet, «  l’abondance tourbillonnante des marchandises », nous restons cependant des enfants ignorants : « Le temps passe, vite, silencieux. Bientôt la nuit. Qu’aurai-je appris ? Si peu, et sans doute l’essentiel : ce que déjà savait l’enfance dans son ignorance, le trésor que dissipe l’arrogance de ceux qui savent. » Seul reste alors l’ici et le maintenant comme unique viatique : « Le chemin est là, il ne manquera pas de lumière tout ce temps que nous serons en route. »

Peut-être alors faudrait-il mettre fin à toute dualité dedans/dehors car « je suis dans le monde, le monde est moi », pour que s’efface alors toute différence et que nous nous perdions dans l’immensité de l’azur ou de la mer : « L’infime lueur qui joue le drame de la séparation-fusion, c’est elle qui s’étend, s’espace, fait lieu, fait monde quand l’œil se fait regard et l’oreille entend, et alors les choses, les êtres se détachent : « je vois les hommes comme des arbres qui marchent. » Peut-être faudrait-il retrouver le goût inimitable de l’enfance ou l’innocence perdue : « Cet oubli de notre naissance ! Fuite sans fin dans l’artifice. Quel goût a le fruit, quelle odeur le goémon, et quelle couleur le ciel. (…) Quel oubli, lui-même oublié, recouvert par la peur et les trop courts désirs. » Peut-être faudrait-il simplement contempler cette « terre qui médite, tranquille, ce qui se produit en elle. »

Ainsi René Le Corre écrit-il inlassablement, sachant toutefois « que c‘est inutile », que les mots ne sont pas à la hauteur de la vie pour tenter de nommer ce qu’il appelle « la merveille et l’effroi de l’existence  », «  la beauté du monde en son inconsistance, la poudrerie scintillante, multicolore, fragilité qui traverse les siècles. » Au fur et à mesure que les forces vitales déclinent, surgit un étrange et ineffable bonheur face à cet incompréhensible qui surgit à chaque détour de phrase comme le ressac de la vague, apportant tout, effaçant tout, dans un même mouvement : « Les jours vont, viennent, nos amis passent, s’en vont, reviennent, et les marées… Tout ce temps à rire, à chanter, à parler ensemble, à marcher sur la grande plage, tout ce temps du monde pour nous sous le soleil, dans le vent de la mer. Ou dans l’ombre des sentiers parmi les pins, les hêtres, les chênes, près des rivières chantant et ces lieux vénérés pierres, moulins, chapelles, les jours vont, viennent… Qu’est-ce que le monde ? »

Cet étourdissant « monde de rosée » aura donc su susciter ces textes uniques et irremplaçable où chaque mot semble être mûri par le passage du temps et de l’expérience. Il s’agit donc d’une « œuvre-vie », dense et essentielle, existentielle, où se déploie toute la profondeur de René Le Corre dans son exigeante et inoubliable lucidité : « Nous savions qu’il fallait que le grain meure pour que lève le blé. De quoi est fait ce monde sinon d’une incessante métamorphose ? La brève lueur individuelle qui intègre un instant le tourbillon gigantesque, s’y abîme et renaît sous d’autres formes. Le temps est-il ligne, ronde, spirale ? Ou décharges spasmodiques de quanta ? La noblesse poussiéreuse qui nous habite se tait et se rehausse de sa complexité fragile. »

Le poème-jardin d’Heather Dollohau

Sur son île de Bréhat balayée par les vents, Heather Dollohau écrivait des poèmes comme autant de jardins ouverts sur l’horizon. A l’abri de ses murs, le jardin est pour elle déjà un ailleurs « où la mort se visite comme la vie/tout est à deux pas » et devient le paradigme de cette existence toujours « entre-deux », entre ombre et lumière, joie et douleur, manque et plénitude. C’est cette faille ontologique ou cette déchirure originaire qu’interrogent ces textes, inlassablement. Comme la vie, ce petit lopin de terre à contempler, qui nous est imparti, constitue en fait une sorte de miracle quotidien :

Mais si tout n’était que perte
Par le passage des glaives
Et en chaque être se courbait
L’eau lisse de sa chute
Il y avait aussi les jardins
Avec la bénédiction des murs
Où le vent, de ses lèvres
Soufflait l’heure
Par l’horloge des graines
 [1]

La floraison du texte s’oppose à cette perte où chaque être se courbe vers l’inévitable chute. Le poème se fait alors demeure ou abris où tenter de sauver quelques fragments de lumière. Il devient ainsi la maison de l’être :

Un poème est une forme d’habitation
Un abri sommaire
Contre les intempéries de l’oubli
Perpétuant l’ombre tressé d’une clarté
Près d’un chemin au bord de son effacement
Sous le seuil de l’herbe

Cette écriture insulaire où chaque texte forme comme une sorte d’enclos protecteur tente de capter ce mystère de l’épiphanie de l’être à travers la grâce de l’instant, espace ouvert par une porte d’absence. Cette ouverture où surgit le manque vient fracturer cet espace plein du jardin en inscrivant un vide, rompant ainsi l’illusion de la totalité :

Un jardin dans une île
En clos oblique y pénétrer
Pour être défait de soi
Ici dans le royaume de la rose

Les parfums ont des voix
Chacune unique un concert
Pour les aveugles prêtant vue

Les sons révèlent le multiple
D’un monde son infini
Où tout se trouve si l’absence
Est une porte
 [2]

Le monde ne nous est donné qu’à l’ombre de nos fêlures et pour Heather Dollohau, c’est ce manque qu’il nous faut inlassablement interroger : « c’est dans l’entre-deux que le monde est réel  » A travers la contemplation de la nature se déploient laconiquement les aphorismes tranchants de l’existence :

La vie est une barque
Le tracé d’un passage entre deux eaux
Un mur des absents pour les marins du miroir
Dans un lieu de rien pour la poursuite de tout
 [3]

D’une certaine économie de moyens naît ainsi la générosité du poème qui déploie ses incessants paradoxes entre le Tout et le Rien. La prodigalité surgit d’un regard qui sait contempler cette abondance offerte à travers l’humilité de quelques insignes quotidiens dont le poète se fait le porte-voix :

Le goût de l’impossible
Dans le possible – ou est-ce
Le contraire ? Le sentiment
Intense que peu suffit car
Tout déborde. Un feu tournant
Qui illumine les composantes
D’une vie pour les loger

Le poème devient ainsi une sorte de « prière vers le dehors », la contemplation d’un horizon où toute chose ne semble exister que pour être contemplée et dite à travers la fracture du mot qui nous laisse toujours cependant toujours dans l’éloignement de la distance. Cherchant l’ailleurs, seul l’indicible nous est ainsi offert :

La vie est-elle une volonté de poème
Quelque chose que nous n’avions pu rejoindre
Mais qui reste toujours à l’horizon des mots
Leurre ou promesse
Une illusion d’entrée là où nous sommes

Cette promesse jamais atteinte d’unité semble flotter sur le poème comme un ciel inatteignable. La beauté cependant se déploie et fait rempart à la peur à travers le calice vibrant de couleurs d’une simple fleur s’opposant à la perte par la plénitude insolente de sa présence :

Dans le jardin échevelé
Les roses fleurissent
En haut d’un poirier
La beauté est un bien
La peur crée des lieux
Mémorables
Habités par des absents
Comme la mort elle donne
Le profil des choses
Et le havre de leur substance
Reste le rire de roses
Leurs volutes ardentes

En cette demeure du texte, surgit donc ce pur étonnement d’exister où poésie et peinture décrivent les couleurs du réel quand la déchirure se fait chemin. Le recours à ce que Heather nomme le « vrai imaginaire » offre la chaleur d’un âtre de mots flamboyants où se réchauffer l’âme face aux assauts du réel :

« Par les eaux d’oubli la terre est miracle
Et parfum perpétuel
Soudain au cœur de la rose
En marchant à travers champ
Nous sommes le paysage
Et sur la page les mots
Bercés de blanc »

Ainsi le poème porte l’amour de la question et de désir d’être à la fois « dehors et dedans » pour que toute chose nous traverse et nous transperce de son chant éclatant :

Un poème naît des pressions de la lumière et de
L’ombre pour devenir un espace que l’on traverse :
En même temps une mouvance et un lieu. Les mots
Sont les meubles de cette chambre invisible, on les
Place devant le feu ou près d’une fenêtre à contre-jour.
Pour habiter il faut sentir les distances et regarder
Dans les miroirs où le dehors est aussi dedans.
Le travail se fait entre le noir d’une écoute et la
Clarté d’un appel dans la nécessité absolue d’approcher
Les réponses qui révèlent les questions. Quand
Le poème est fermé ouvert, quelque chose respire
 [4]

De sorte que « l’autre poème » serait à l’unisson de l’herbe courbée par le vent et du vol de l’oiseau qu’Hetaher, en son nom de lande et de bruyère aura su mieux que quiconque capter dans le frémissement du texte comme un flamboyant coucher de soleil :

L’autre poésie celle qui n’est pas écrite mais que
L’écriture projette. L’herbe transparente d’un semis
D’encre.
[[La Terre âgée, p. 101]]

Les mots deviennent alors ces galets « que la transparence de la mer dote d’existence », dans un perpétuel présent où se lit la saveur de l’instant, en cette poésie de la présence où se lit « la mise au clair du monde dans son resplendissement d’or » selon les mots d’Heidegger cités par Heather :

Le vol d’une rose
Dont le voyage bref
En berceau d’ombre
Prépare une renaissance
Sur la table des mots
(…)
La joie du don
De ce qui n’est pas à soi
Où seulement un peu de temps
En charge les doigts
La geste du matin
D’une fleur unique
D’une rose rose
Qui n’est pas futur
Mais présent parfait
Soudain sans bord
 [5]

Sapho – Aujourd’hui : journal au bord – Editions Bruno Doucey, 2019

Vivre le temps, l’arrêter dans l’écriture, le questionner. Tel est le défi auquel semble se livrer Sapho dans son dernier recueil : « J’ai voulu emprisonner aujourd’hui dans mon poème/il m’a fait sa/ prisonnière. » A chaque heure du jour correspond un texte où résonne l’impitoyable balancier de cette horloge qui régit nos vies entre souvenir, espoir, révolté pour en définitive inscrire peut-être le seul avenir durable possible : celui de l’écriture. Toujours au bord de l’indicible, ce texte à la limite charrie une cargaison d’images parfois comme issues de la nuit sous la forme de ces pages noires encartées dans le livre où dérivent des rêves, des pensées nocturnes, l’effraction des attentats du 13 novembre au Bataclan et l’innommable violence : « dans le flux du temps/j’ai beau demeurer/je voyage ». le combat de l’écriture ne serait en définitive que la lutte contre l’oubli, l’effacement, une manière d’exister encore dans ce corps à corps où il s’agit de « toréer » avec le temps même si nous savons que nous n’aurons pas le dernier mot, celui qui n’existe pas : « d’où viennent les mots/du seul désir/de dire/le monde qui n’existe pas/pour/qu’il s’enfante ? ou bien/le serrer dans un alinéa ? impossible/quoique… » Ainsi le souhait de Sapho de Métylène rejoint celui de Sapho de Marrakech : « Que quelqu’un se souvienne plus tard  » à travers les âges. Car en définitive au temps réel se substitue le seul qui vaille la peine d’être vécu, le temps subjectif qui nous est ainsi proposé en partage à travers l’originalité d’une composition qui semble flotter sans cesse entre fiction et réalité en fonction de des heures diurnes ou nocturnes qui scandent le texte comme un gong déchirant : « Comme la vie est lente/et comme/l’espérance est violente/guillaume/le temps s’en va Madame/ Pierre/mais nous/nous nous en allons/ nous en aller ?/je dirais/nous dérivons/ne gouvernons rien/pouvons toréer la dérive. »

Zéno Bianu – Infiniment proche et le désespoir n’existe pas –Paris, Gallimard, 2015

Une note, des couleurs, des mots déchirés par le ciel, en attente de bleu, surgissent de ce recueil comme de fiévreuses notations pour dire cette épiphanie d’un quotidien qui ne cesse de susciter l’émerveillement de Zeno Bianu, cette « terre promise dans chaque seconde » : « Des poèmes animés par un pari farouche : transformer le pire en forme d’ascension. Des poèmes pour reprendre souffle et tenir parole. (…) Transmettre quelque chose d’irremplaçable : une présence ardente au monde, une subversion féerique. La poésie – ou la riposte de l’émerveillement.  » Cette parole incantatoire veut faire vibrer « la vraie chair de la parole » pour entendre soudain « la brèche qui nous saisit ». A travers la lumière de nos fêlures passe l’écrit et cette présence au monde que tente de capter le poème : « Viens dire et redire/le la/d’un corps vide et lumineux/qui marche au coin des rues/qui marche au coin des mots/capter toutes les spirales/du vertige » A la voix du poète répondent de nombreuses citations traversant les continents en cette communauté du verbe poétique où fusionne «  l’esprit avec l’espace ».
En cette caravane de signes où s’effectue le voyage d’une vie, chaque poème surgit au détour de la page comme une fulgurance : « tes poignées de mots/sont des poignées de terre/des poignées de terre et de main/Une façon de dénaître et de renaître/des sourires aérés d’angoisse/des frôlements de non-réponse/des rumeurs de pas dans la nuque.  » L’aphorisme côtoie l’idéogramme, le texte s’écrit comme un collage à la fois pictural et littéraire où il s’agit de faire résonner cette voix universelle du monde que le poète recueille en sa parole en une éternelle première fois : « Je commencerai par être/un dispositif/d’émerveillement/un voyage/au bout du possible/vers/ce qui m’apprend/à mourir/la raison/la plus silencieuse/en moi-même/le loup/chaviré/d’une langue universelle/je commencerai par être/la voix d’une résonance. »

Véronique Saint-Aubin Elfakir


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Notes

[1H. Dollohau, La Terre âgée, Folle avoine, 1996, p. 89

[2Un regard d’ambre, Folle avoine, 2008, p. 64

[3La Terre âgée, p. 89

[4Un regard d’ambre, p. 69

[5La Terre âgée, p. 101



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