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L’inconnue de la Seine de Céline Walter, par Mazrim Ohrti

dimanche 8 avril 2018, par Cécile Guivarch

Qui n’a jamais observé sous toutes ses formes et toutes ses coutures, comme pour en réveiller la vie cachée, en capter l’esprit voire celui lié à l’origine de sa création, une représentation figurative humaine ? Céline Walter tente de nous faire partager son regard infini à ce sujet, au travers de son second recueil de poésie L’inconnue de la Seine. Celle-ci est à la fois la statue de pierre de la déesse Séquana et le masque mortuaire d’une jeune femme noyée dans la Seine fin 19è siècle, créant le mythe qui alimenta du début 20è jusqu’à nos jours arts et littérature.
L’inconnue veille sur le temple antique des sources de la Seine, « (ses) mains forment une corbeille / une corbeille sans fond sous (son) ventre percé » pour accueillir tous les ex-voto possibles. Celui (non propitiatoire) de Céline Walter réside dans le poème, autant ode qu’invitation au divin à se voir en miroir, se connaître vivant : « Regarde toi faire / et tu verras / dans les miroirs de l’air / la belle nature morte / de ta nuque offerte (… ) » depuis « un soleil en noir et blanc ». L’image est ainsi rehaussée « au cou des heures bleues trompeuses ». Les chromos de la vie fluctuantes s’éveillent, se libèrent pour résoudre l’équation éternité / impermanence sous l’œil de la matrice fixant « le lait de l’été (…) car tu habites une saison. » Images de pierre et du masque mortuaire ne résistent pas au poème qui leur donne un lieu, un topos innomé selon sa forme propre pour continuer, dans un au-delà de la vie, cet élan infini qui bat la mesure tout au long du recueil. On n’est pas dans la résignation, dans la perte devant l’histoire et le temps mais par exact contraire dans le mythe retrouvé au seuil de la nature et de la culture, apte à se faire chair et esprit, revitalisés, et pour la déesse de pierre quelque peu détruite par les âges et pour la femme noyée dont seul témoigne le masque mortuaire. Mais aussi par le poème, dans cet échange mutuel de vitalité entre ces deux figures. « Tu te souviens, / ce sourire d’abord / comme par hasard / intérieur au tien. / Et ses yeux, ses poignets / et rien d’autre. / / Une minute a glissé / l’éternité entre vous deux. / Une minute a suffi. » Le poème est vie, reprise de l’événement arrêté dans sa course, bien au-delà du memento mori.
La préface parle également d’une église bâtie il y a mille ans au-dessus d’où « la Seine encore toute jeune s’égare en terre ». Les trois Marie qui y figurent ne manquent pas d’évoquer par leurs yeux clos, le visage de la jeune noyée et Dea Sequana. Au fil de sa sensibilité atteinte, presque écorchée, l’auteure, une fois de plus traque l’humanité derrière ces représentations : « Vous paraissez humaines / mais si blanches. / Vous avez un visage. / Je dois me souvenir de vos yeux. »
C’est tout naturellement, chez Céline Walter, que les thèmes de l’enfance (cf précédent recueil) et de la foi trouvent leur place dans ce recueil. Ainsi dans la deuxième section, l’enfant est à la fois la source qui prend vie, l’auteur elle-même et l’ombre du christ : « l’enfant alors / n’est plus l’enfant / mais son contraire (…) il compte / l’innombrable / d’une éternité (…) cherche à voix haute / la vérité ». Dans la troisième et avant-dernière section, « sous l’enfer (…) est ce pays / où l’on ose vivre / sans toi. » Et c’est toute la symbolique spontanée et indéfectible de l’auteure qui s’exprime en force à travers de tels thèmes, en réponse au corps mouvant de la Seine dont l’origine prend source dans un paganisme mystique pour atteindre à un christianisme qui ne l’est pas moins selon l’idée de beauté que même la mort n’altère pas. En témoigne la dernière section intitulée « promesse » qui ferme la boucle de cette éternité où l’auteure après l’avoir tant et tant invoquée, finit par s’identifier à la mystérieuse noyée (la poésie a ses modes de transition que le poète ignore) : « Ma mémoire / (…) scelle définitivement tes cuisses / (…) Pour m’en aller / il me faut passer par ton nez / que j’éclate au passage. » Et encore : « tout de suite/ tu dois pousser / dehors / mon cœur / qui bat / en dedans de toi.

Mazrim Ohrti


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