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L’esquif - Jeanne Gatard (Editions Tarabuste) par Calou Semin

samedi 14 juillet 2018, par Roselyne Sibille

A propos de L’esquif de Jeanne Gatard, publié aux éditions Tarabuste en 2012

C’est une voix extrêmement singulière qu’il nous est donné d’entendre et de percevoir dans L’esquif. Un bain de fraîcheur tendre et malicieuse où le lecteur est constamment bousculé par des dizaines de petites touches d’une grande vivacité. Un peu comme ces matins de lumière, si nombreux dans le recueil, fondamentalement paisibles mais habités par ces milliers de vies qui palpitent et guettent dans les herbes, l’air et l’eau.
Il s’agit du récit, sous forme de courtes proses, d’un voyage, à la fois réel (si le mot a un sens ici) et initiatique, au fil de l’eau pour un trio d’êtres absolument inclassables, héritiers directs, pour moi, des Transparents de René Char.
« Chant d’invraisemblable clarté », la musique, et les sons sont point de départ, et restent présents tout au long du livre. C’est comme si le récit dessinait dans l’air une partition de légèreté qui pense. En parallèle, le graphisme et la peinture accompagnent vraiment le voyage, tout d’abord dans les dessins au trait léger mais remarquablement énergique de l’auteur, plasticienne. Cependant c’est avant tout l’écriture elle-même qui peint des tableaux très précis en portant une attention extrême à la lumière et à la couleur. Celle-ci devient parfois entité à part entière tant son approche requiert d’attention : « Sa couleur ne peut être située, ni définie, blanche-bleue-verte avec une pointe de terre de sienne, fixée par une pointe de cendre de lavande rendant l’émail profond, couleur imprenable que la barque prendra au large. »
Celle-ci « porte le ciel sur la mer ». Les trois (ils seront bientôt six) voyagent vers l’estuaire et le très léger, mais aussi vers une certaine connaissance d’eux-mêmes comme de la profondeur : « L’inachevé, dure affaire, le fignoler. A force de creuser, entendre le son mat. » Elle trouvera sa mission.
On perçoit une esthétique du mouvement, allant en permanence du plus grand à l’infime, et vice-versa. L’un des personnages « a peur de perdre l’émotion de l’inquiétude, tant il est partagé entre ses deux infinis, du loin royal au petit rien qui tremble ». Mais c’est plus que cela : une manière de concevoir la vie même, qui « caracole, glisse, file, racle, râle ou lève haut. L’espace garde les lieux de ceux qui brûlent. »
« Une fragilité naît, qui seule aide à pointer haut ». Et, parce que rien n’est jamais sûr ni définitif « Iota se glisse entre la question et la réponse. »
La drôlerie est omniprésente, comme une certaine fête du lexique (« Fuligule malouin, foulque macroule, petit pouillot véloce d’isquibite ») dans une langue inventive qui bouscule, et n’hésite pas à se moquer des personnages et du lecteur : « Quelle affaire cet infini d’inachevé ! ». Mais « Allez démêler tout cela, cela danse avec les mots. »
Il serait dommage, vraiment, de ne pas rester très vigilant, car cette eau-lecture si légère se révèle aussi profondément exigeante, chaque phrase pouvant receler un concentré de poésie. Et c’est assez jubilatoire. J’irai souvent me replonger dans ce bain là.

Calou Semin

(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)


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