Michel Ménaché, Couleur des larmes, peintures Mylène Besson
Avec deux poèmes inédits de Michel Butor
Editions Bruno Doucey
En couverture de ce recueil, deux couleurs, le rouge et le noir et un portrait de femme dont la pose renvoie à ces portraits XIXème, la main alanguie contraste avec les yeux d’où perle le sang comme si elle avait été violemment blessée, deux traits rouges partant des yeux semblent lacérer le tableau. Que cachent ces larmes de douleur ?
Cette rencontre avec les portraits de Mylène Besson ont fait naître pour le poète Michel Ménaché : « Une émotion tout à la fois douloureuse et délicieuse. »
Michel Ménaché entre dans l’atelier de l’artiste et nous entrons avec lui, avec lui nous regardons les corps.
Regarder l’autre aux yeux fermés, est-il dans un sommeil nocturne ou les lui a-t-on fermés quand la mort est arrivée ?...
Et quand ils regardent, ils sont voilés de « deux fleurs de sang », seuls les visages d’enfants dans la dernière partie du recueil : d’enfances, regardent, alors que les adultes se cachent derrière leurs mains, ou n’ouvrent qu’un seul œil tant il semble difficile de regarder et donc de voir.
Des corps montrés dans leur nudité, celle de la naissance et de la mort, quand « à fleur de peau/ l’amour et l’art donnent vie »
Pour l’artiste, comme pour le poète, cette nudité « est le signe ultime » vers lequel on doit tendre :
« se dénuder de tout
ne garder
du passage
que parfums et caresses
peau contre peau
la voix dans le souffle
l’élan à cloche-cœur
le pas de deux
lesté de solitude »
Que nous soyons vêtus ou dénudés, la vie se donne à voir dans sa fragilité, toujours victime possible dont on veut se saisir, comme dans le tableau de Mylène Besson où des mains avides semblent enfermer la fragilité d’un corps féminin juvénile au visage triste et au regard qui interroge.
Femme abandonnée, endormie, femme vulnérable d’hier et d’aujourd’hui…
Tout aussi vulnérable, le corps de l’homme, de l’homme aimé ; un corps enseveli qui tel un gisant « demeure au plus nu » et le visage de la douleur, toujours, la vie silencieuse qui traverse la toile quand :
« Le gouffre de sa solitude
s’est ouvert dans
un chant de ruines
dos au mur
elle n’est plus
qu’un cri… »
et que :
« Le fleuve de
la douleur
dévore
son visage »
On entre avec la solitude dans une nuit profonde, quand l’être aimé n’est plus, le corps semble s’enfoncer dans un puits sans fond. Comment exorciser cette absence et la douleur qu’elle fait naître ?
De la souffrance individuelle à la souffrance universelle ; la partie 2 Triptyque sans visage évoque les violences subies par tant de femmes en Iran et en Afghanistan, visages voilés, cachés que l’artiste ne fait qu’estomper dans des portraits en pointillés où la couleur bleue domine, en contrepoint à ce ciel qui semble se taire…
La partie 3 D’enfances est introduite par un poème inédit de Michel Butor, l’enfance des siècles dédicacé à la peintre ; ce retour à l’enfance interroge sur la difficulté d’être au monde avec toutes les détresses d’hier et d’aujourd’hui, avec les inégalités qui traversent le monde, la peintre et le poète interrogent sur la maternité, donner et la vie et la mort, porter en son corps cette vie et cette mort.
Que donne-t-on à vivre, que donne-t-on à voir ?
Est-ce à l’enfance de relever « le défi/ des ailes et des cimes » quand on lui offre un monde où résonne le bruit des armes et « où l’enfance se noie/ avant d’avoir été … »
Les poèmes de Michel Ménaché en écho aux tableaux de Mylène Besson nous obligent à élever notre regard, à ne pas fermer nos yeux sur nos faiblesses, nos souffrances, nos vulnérabilité et à :
« rêver encore d’aubes
embrassées
d’enfances réconciliées
dans un monde
ravivé d’accords
au goût de cerise
aux couleurs de rires »
Ghislaine Lejard