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Sabine Dewulf, Florence Saint-Roch, Tu dis délivrer la lumière, extraits

vendredi 15 janvier 2021, par Florence Saint Roch

Tu dis délivrer la lumière est un travail en poésie et en amitié, à quatre yeux et quatre mains. Pour éclairer ce projet commun, quelques préalables extraits d’une note d’intention que nous avons conçue, comme l’ensemble du recueil, selon un principe d’alternance :
Là où « l’autre côté s’invite », nous voici prêts à tenter l’expérience alchimique : le je étroit où nous enferment les habitudes commence à se dissoudre, à ouvrir son regard vers une autre lumière. Lorsque Florence m’a offert la première photographie, je me suis sentie délicieusement entraînée dans une démarche inédite : me mettre à mon tour à l’affût de parcelles singulières du réel, afin d’en partager l’image.
Que voient les yeux de l’Autre ? Comment accéder à ce qu’il perçoit ? Comment le rejoindre aussi dans sa traversée de l’image, dans son élan vers un invisible outre-là ? Ces questions ont soufflé le protocole que nous avons suivi, Sabine et moi, semaine après semaine, pendant environ cinq mois. Alternativement, chacune de nous deux proposait à l’autre une photo qu’elle avait prise, à charge d’écrire l’une et l’autre un poème en regard, Sabine adoptant les italiques, moi les romaines. Puis, après avoir partagé nos poèmes, nous en écrivions un second en répons. Nous passions ainsi une double porte : celle de l’image, et celle des mots.

Voici donc trois échantillons de cette menée partagée.

Semaines 1 et 2, photo de Florence

Ce sont feuilles mortes entassées
Vieux papiers végétaux
Le feuilletage des jours
Quand tout est consommé

On ne peut pas toucher
Si on effleure seulement
Le temps lui-même va s’effondrer

Les mots se sont tus
Pourtant quelque chose encore appelle
Retient notre attention
La vérité des cendres
Les couleurs que feu a emportées
De l’autre côté

*

Je jette au feu
ma paperasse de pensées

l’arbre dépose dans la cendre
son offrande
ordre de la saison

encourager l’automne
lâcher déchiqueter encore
l’éteint nourrit la vague de poussière

ce qui brûle demeure

***

L’autre côté s’invite
sillage auquel tout est promis

la danse s’est donnée
vibrante
demeure l’air grisé de cendres
berceau d’argent

un souffle-lien formant le pont
du temps cueilli

désir perpétué sans naissance ni mort
en son oscillation

*

On croyait nos jours plus solides
Lames lamines schistes-carton
À tous les étages des promesses
Des rêves des intentions

Tu dis je jette
Et la puissance de l’annonce
Secoue les embarras

Vite oser le geste
Quand le feu est passé par-là
Éventer la poussière
Disperser les reliquats

Semaines 3 et 4, photo de Sabine

Un œil cherche à s’ouvrir
à l’aveuglante
calligraphie des branches

je trace un sens hésitant
qui me ressemble
tissant d’autres toiles
où s’accroche le jour

je pousse enfin la porte

vers cet arbre qui sait
m’enseigne la fraîcheur

*

Collé à la vitre
Dehors se tait immobile

D’autres voudraient un vent bleu
Un ciel rendu à lui-même
Foisonnement dru tapage d’oiseaux

En pays indécis on se sent chez nous
Nos yeux préparés au flou

Qu’importe si le jardin s’est dissout

On décrète les branches
Une longue patience d’arbre
Dans la lumière blanche

***

Les branches rêvent

Derrière la vitre
Cordages et haubans se tendent
L’arbre peut-être veut changer d’horizon

En nous aussi des idées se dessinent

Trop d’images se condensent
Estompent la valeur du trait

Cela ne nous mènera pas loin
On le sait

Opportunément tu dis
Je pousse enfin la porte

Enfin commence bien

*

C’est un éveil à la blancheur
au silence habité

nous restons au-dedans
dans ce qui monte enfin
une attente sans fruit

serions-nous déjà l’arbre
enraciné dans la grande mémoire

aurions-nous comme lui
pleine confiance en ce jour

au miroir de ses branches
notre étreinte sans nom

Semaines 25 et 26, photo de Florence

Au cœur de l’espace
Dans les courbes du temps
Des foyers d’énergie des cristallisations

Quand l’immensément lointain
Trouve un écho dans le très proche
Certaines parentés deviennent évidentes

Entre l’étoile et l’arbre
Des fréquences partagées
Un même goût pour l’expansion

Pour mesurer leur rayonnement
On n’a qu’un seul recours
S’accrocher aux branches

*

L’étoile est née du cœur de l’arbre
rompu sans larmes

il était prêt à découvrir
en lui les ondes élargies
autour du feu possible

de toute son empreinte
le sceau de l’astre
se confie au regard

et sa gravure
noyée dans l’épaisseur
appelle son rayonnement

***

S’esquisse aux branches de l’étoile
le pointillé de flamme où tente de se dire
l’effort simultané de l’arbre
pour briller dans la mort

ensemble ils accomplissent
l’épreuve de lumière

en deçà du bois et du ciel
l’énergie impassible se tient
seulement solidaire
de la courbe des cœurs

*

Tu dis le sceau de l’astre
Ses invisibles palpitations
L’étoile rouge au cœur
Comme d’autres l’ont au front

On est des têtes de bois
Densité d’être instants superposés
Notre histoire s’épaissit
Inscrit ses rubriques au plus profond

En lettres pourpres l’invite permanente
Faire reculer nos nuits ne pas ternir l’éclat


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