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L’empreinte du visible, Notes d’atelier, Marie Alloy

dimanche 8 avril 2018, par Cécile Guivarch

Les éditions Al Manar publient les notes d’atelier de l’artiste Marie Alloy dans la collection La Parole peinte. Rassemblées sous le titre, L’empreinte du visible, ces notes sont des « instants du regard ». Le livre contient 27 reproductions de peintures et gravures, certaines en pleine double page, ce qui permet une lecture accompagnée de créations à regarder et à méditer. Au-delà du questionnement sur l’acte de peindre lui-même, le livre est guidé par les pensées et surtout le « regard » qui accompagnent le geste. Ce qui frappe en lisant ce livre, c’est la proximité entre la peinture et la poésie. Regard et émotion du peintre et du poète se rejoignent. Marie Alloy est peintre certes mais écrit également de la poésie, ce livre en est la preuve. Elle reste humble néanmoins : « comme j’écris un poème chaque matin, cela ne fait pas de moi peintre ou poète. Juste quelqu’un qui cherche à voir, à dire, à approcher ce qui ne se laisse pas saisir. »

Réflexions sur le temps, lenteur de peindre, d’observer les choses, la nature, les couleurs, la lumière, les saisons. Notes parfois courtes, proches de la fulgurance, pensées effleurant et qu’on ne laisse échapper, parfois longues où pensées se développent. Peindre ou écrire un poème relève de l’imperceptible, de ce que l’on voudrait approcher. C’est chercher à atteindre « une forme de beauté ». On peint « sans savoir où cela va, comme pour un poème ». Ce titre L’empreinte du visible, comme pour laisser trace, immortaliser ce qui est visible, ce que l’œil voit. Mais cela peut aussi bien être « un sentiment intérieur » ou une manière de « regarder autrement ».

« L’acte de peindre est une traversée, non des apparences, mais d’un plus vaste que soi qui contient le monde, les autres, le présent, le passé, mais aussi les besoins de l’âme. »

« Regarder est le travail du peintre » écrit Marie Alloy, le peintre serait « celui qui n’a pas les mots ». Et pourtant, les pensées de Marie Alloy révèlent que ce que voit le peintre, le poète peut le voir aussi. Et inversement. Le peintre se perd, contemple, remarque chaque détail. Le peintre « aime peindre les fleurs de la lumière », le geste du pinceau « appelle, en silence, le ciel du poème ». Et se pose cette question « où habiter entre la peinture et le poème ? »

« J’aimerais tenir un journal de la lumière », cette lumière qui nous frappe dans les toiles de Marie Alloy. Ces percées de lumière. Et avec la peinture, le passé, l’enfance, qui reviennent, comme souvent avec l’écriture. « Peindre des lieux remémorés au hasard des empreintes ».

Toutefois, peinture, poésie sont bien deux arts différents selon Marie Alloy : « le poème est parfois une forme de retombée du vécu ; la peinture est davantage en amont - plus irréelle avant d’être. Du moins, je le sens ainsi, ce n’est qu’une affirmation ». « On ne pourra jamais troquer la peinture contre des mots. »

Cécile Guivarch

Attendre la peinture est déjà peindre.

Il y a de l’ombre dans l’acte de peindre.

Des questions de peinture, des questions de vie.
De survie parfois.

*

Ne pas peindre dans l’urgence. Attendre.
Le temps est patience, d’instinct.
Nécessité du recul, de la méditation, de la lenteur.
Tout ce qui est précité court le risque du précipice.
Le véritable risque est ailleurs. Laisser infuser le travail.

*

Il me semble que la peinture a une vocation poétique qui est à la fois dans sa manière d’habiter le monde et de lui résister.

Vocation tournée vers l’inexprimable, l’inachevable, l’illimité, lieux d’une expérience spirituelle qui engage autant l’artiste que celui qui regarde l’œuvre ;

Vocation intenable et issue impossible, mais appel à persévérer pour peindre « avec toutes les contradictions » comme ne cessait de le dire Vieira da Silva.

*

Le regard est impensable, il ne se voit pas lui-même. Il a la couleur de la lumière qui le traverse. Il est miroir, il se joue des formes comme des illusions et sait qu’un jour, une main fermera ses yeux.

*

Le marron sait la couleur des racines et le bleu, la transparence de l’air. Chaque couleur semble mieux connaître le monde que le peintre. Il existe peut-être un accord de couleurs qui correspond à la conscience du peintre ou quelque chose comme son âme.

*

Le givre du jardin se dépose sur les fines ramilles et sur les herbes blanches du tableau. La poésie est cette expression du silence. Elle n’a peut-être pas besoin d’être plus - elle participe.
Eclaircies, ces heures où peindre est être là, devant la toile, contemplant le présent qui bouge à peine, se transforme dans le regard et paraît surgir dans son exacte réalité.

*

La joie est simple : une palette, un livre, le ciel entre deux toits, des saisons de brique et de neige, des forêts vertes de jonquilles ou la brume à la fenêtre. ce qui est peint vient de là, comme une seconde vie. On imagine une réponse possible au passé. On regarde intensément ce qui ne fait que changer de forme, de temps, d’espace - la somme des couleurs recouvertes ou effacée. On apprend à respirer dans le lieu qui s’échappe, pour suivre des yeux les quelques traces laissées en jachère sur la toile.

Il est temps maintenant de rendre ses couleurs au présent.

*

L’atelier est le lieu où s’éclaircir. Je sens s’ouvrir des passages dans la toile, passer des émotions, des pensées parfois en rapport avec la mort - un peu comme un ruisseau d’hiver qui sortirait quelques instants d’une félure de la surface pour entraîner les scories inutiles. Mais cela, je ne peux l’expliquer ni le donner à voir.

Etrange, sentir venir, d’un embrasement de formes et de couleurs, peut-être l’habitante du tableau.

*

Petite pluie fine ce matin. C’est une vapeur, une source fine, un allégement, un baptême.

Lumière diffuse, semée de givre et de chants pétillants d’oiseaux. Les arbres nus, en dentelles noires, se découpent sur l’azur. La boue raidie par la pâleur du gel, l’étang qui brille à travers ses fêlures cristallines, le froid dessin, dans la brume, des roseaux, frêle vitrail, réveillent le désir de peindre avec minutie. Retrouver la finesse de la mesure dans la démesure de l’infini et la beauté qui l’accompagne.

Pour en savoir plus sur Marie Alloy et les livres d’artistes, lisez cet entretien sur Terre à ciel


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