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Gagner le champ profond, entretien avec Christine Brioul, photographe, par F. Saint-Roch

jeudi 1er mai 2025, par Florence Saint Roch

 
Pour avoir réalisé un recueil avec la photographe et plasticienne Christine Brioul, il m’a paru intéressant de prioriser son approche à elle, parce qu’en effet, dans la définition même du projet, son œuvre photographique précède le texte. Qu’importe que votre servante ait écrit les poèmes de Profondeur de champ, en réalité. Ce qui me retient, aujourd’hui, c’est cette question : comment le processus se met-il en place ? Qu’est-ce qui amène une photographe à réaliser un livre avec un ou une poète ?

D’où ces propos de Ch. Brioul, qui relate ainsi son expérience :

Tout a commencé par une expérience sensible. Quand j’ouvrais le volet le matin, je passais du noir à la lumière. Certains jours, j’étais surprise par le paysage, alors qu’il m’était familier. Les transformations subtiles, le passage des nuages, le brouillard, le soleil, tout cela m’interpelait.

J’ai commencé à prendre des photos avec un petit appareil, puis avec mon téléphone, qui permet un intéressant format panoramique. Ensuite, j’ai eu l’envie de faire une petite vidéo enregistrant toutes ces transformations successives, d’autant plus que je m’étais familiarisée avec le stop motion. J’ai donc fait défiler une centaine de photos avec les variations du paysage, et de temps en temps, je les publiais sur Facebook. Celles qui m’intéressent le plus sont celles où l’on ne voit plus rien ! Ou pas très distinctement… J’aime les photos un peu mystérieuses.

Les gens sur Facebook me faisaient de bons retours. Et déjà, Allan Ryan, le futur éditeur des éditions Laure et Amon, et qui était un de mes amis, y voyait la matière d’un livre. Il imaginait un format horizontal pour ce type de photos.
Je continuais donc à prendre des photos régulièrement, un rituel s’est établi pendant un an, même si j’en prenais déjà auparavant, et même si j’en prends encore maintenant, quand je trouve de l’intérêt à ce que je vois.

Je suis souvent attirée par ce qui est répétitif, quand je fais de la céramique, par exemple, j’aime bien creuser, répéter les gestes. Peut-être ce goût pour la répétition me vient-il de mon enfance. Je suis fille de maraîcher, et aidais aux champs. Quand on plante des choux, on fait des trous, on fait des trous et encore des trous, on coupe, on coupe encore et encore. On répète toujours le même geste, à longueur de champ. Dans ma pratique, je fais des séries, et après, quand j’ai suffisamment exploré, j’ai envie d’autre chose.

Et voilà que l’on se rencontre, Florence et moi, alors que j’étais en dédicace sur le stand de l’Atelier des Noyers. À la date venait de sortir Cœur d’orange, le recueil de Diane Régimbald que j’avais illustré photographiquement. Florence avait fait une note de lecture pour la revue Décharge, et venait saluer l’autrice. Je suis là, et c’est la surprise, car on se rend compte qu’on se connaît. Du moins, on se connaît de vue, comme on dit, pour vivre depuis des années dans la même ville et s’y croiser de temps à autre. Deux audomaroises qui se rencontrent et se parlent réellement sur le Marché de la poésie, un comble…
Et puisqu’il était question de Saint-Omer, je lui ai montré les photos du marais que je faisais. Elle a immédiatement reconnu les lieux, le bord d’un champ, toujours le même, le long duquel elle va marcher tous les soirs pour s’aérer et se dégourdir les jambes…

Cette familiarité partagée nous a décidées à faire un livre ensemble. J’en ai parlé avec Allan Ryan, que Florence a rencontré quelque temps plus tard à Saint-Omer, lors d’une manifestation organisée par l’association L’Art’Hybride, dont je fais partie. Très vite on est tombés d’accord pour engager le projet. Florence s’est mise au diapason et au format de la collection. Parmi la somme énorme de photos que je lui ai envoyées, il lui a fallu en choisir vingt-cinq plus une (pour la double page), et écrire vingt-cinq poèmes en regard. Florence m’a tout de suite partagé le titre, Profondeur de champ, qui me semblait un beau programme pour des textes qui, tout en accompagnant des photos, prenaient la forme d’un parcours méditatif le long d’un champ cultivé. Quand elle m’a envoyé ses poèmes quelque temps plus tard, ils m’ont tout de suite plu et je me souviens les avoir fait découvrir à Allan, un matin quand il était chez moi et que nous les avions trouvé parlants... une lecture fluide comme l’eau et l’air...
Moi-même je redécouvrais mes photos avec un regard nouveau. Les mots de Florence aussi invitent à la rêverie et la contemplation, donnent une nouvelle interprétation aux éléments de la vie qui nous échappent. La profondeur de champ n’est pas le seul fait de la photographie, c’est aussi celui de la poésie, et je suis heureuse que les deux disciplines se soient ainsi rencontrées pour exprimer, chacune à leur manière, et en regard, un enjeu commun.

La réalisation du livre a été une belle expérience de travail à trois entre Allan, Florence et moi. La conception de la maquette est le fruit de concertations et réflexions menées ensemble. Allan Ryan a l’œil, comme on dit, et est très sensible à la mise en page et au rendu ; de mon côté, je tenais à ce que l’impression des photos soit de très bonne et belle qualité, ce qui est le cas. Le fait que je connaisse Allan depuis longtemps a sûrement favorisé les choses. Pour la couverture et la quatrième, nous avons travaillé de concert. En tout cas, nous étions tous les trois d’accord pour que les deux espaces, celui de la photo et celui des textes, soient visuellement en harmonie. Ainsi, nous avons veillé à ce que, par exemple, la ligne d’horizon de la photo soit prolongée par un vers. Florence et moi avons calé le texte selon cette exigence : chacune de nous a travaillé de son côté, et quand nous avons mis en commun, à deux ou trois exceptions près, nous nous sommes aperçues que nous avions réalisé la même disposition de la partie texte en regard des photos.
Je suis très sensible au travail en équipe. Pendant tout le temps d’élaboration du livre, nous étions tous les trois, Allan Ryan, Florence et moi, à des moments très difficiles de notre vie. Et pourtant, le livre s’est fait quand même. Nous avons travaillé vite et efficacement, avec un vrai plaisir de faire, et un grand désir de faire bien.

Profondeur de champ, Laure et Amon éd., 2025.


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