Photographies de Stéphane Delecroix
Poèmes de Sabine Dewulf
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Chaos brouillon discorde juste ce peu de bruit |
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Altitude du jour avant de naître |
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Bercement de linceul balbutiement |
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Croissance déclarée habitant la fraîcheur |
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Densité de ce rêve d’un domaine sans nom |
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Élan de l’herbe frêle ton souffle en sait l’ampleur |
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Flamboiement ou frisson pour ta clef d’abondance |
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Germination je me suis recueillie |
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Hermétisme en chemin le seuil enfin s’élève |
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Identité profonde suspendu aux racines |
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Jaillissement du jour ô jumelage |
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Kyrielle en mouvement de l’abîme à la cime |
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Lumière sans rivage largesse de l’accueil |
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Métamorphose aimée infinis renversés |
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Nudité tâtonnante déposés sur l’instant |
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Origine de l’œil nous ouvrons cependant |
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Puissance amoncelée notre attente est parole |
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Quiétude à présent vitale à notre âme d’humus |
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Réalité rugueuse un seul rire soudain |
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Sinuosité brute cordon de ciel éteint |
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Totalité de l’axe sur le seuil |
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Unité circulante le ciel où nous baignons |
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Vitalité sans preuve où tant de voix circulent |
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Walkyrie revenue la nuit livre ses ailes |
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Xénos étrange un jour nous t’aimerons |
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Yin yang intarissable ce silence nous sommes |
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Zénith de quelle étoile laisserons-nous l’éclair |
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Cosmos où nous dormons seule veille |
COSMOS OÙ NOUS DORMONS
Ce projet inédit, qui allie photographie et poésie, est né de mon étonnement, mêlé d’émerveillement, face aux images singulières de Stéphane Delecroix : souvent proches de l’abstraction, toujours inspirées par le monde naturel, ses photographies traduisent une présence au monde à la fois intense et respectueuse. De loin ou de près, qu’importe : c’est toujours dans le respect – l’amitié – des éléments naturels que s’accomplit le geste photographique, sans jamais venir déranger l’harmonie pressentie. Le regard, ici, se fait contemplation et acceptation.
Il se trouve que depuis quelques années, je m’étais plongée dans l’étude de l’histoire des lettres de notre alphabet. Une étude à la fois attentive, documentée, et sensible : je cherchais à éprouver, au plus près de leur histoire, l’évolution des lettres (depuis l’écriture protosinaïtique jusqu’à notre alphabet latin), dans leur graphisme, leur signification, leur sonorité et l’empreinte qu’y avait déposée l’usage linguistique, celui de notre langue française, notamment.
La découverte des belles photographies de Stéphane Delecroix a suscité mon envie d’écrire, dans le sillage de mes recherches sur l’alphabet et ses origines, des poèmes suffisamment brefs pour permettre à ses images de continuer à rayonner à leur manière propre, et cependant assez denses pour proposer un véritable cheminement. Chaque lettre, liée à un mot qui a cherché à en dégager l’essence, constituait une étape, parmi 25 autres, d’un parcours que je ressentais comme initiatique et cyclique : de l’Altitude du A et de l’arbre perçu d’en bas jusqu’au Zénith du Z et d’une étoile végétale reliant, elle aussi, le ciel à la terre.
Un tel cycle, puisant son inspiration dans les ressources multiformes de la nature, venait épouser, à mon sens, celui de l’être humain, depuis la grande force primitive qui préside à sa naissance jusqu’à sa tentative d’accomplissement. En introduction et en conclusion sont venues s’ajouter deux photographies, accompagnées de leur poème, de la perception du Chaos à celui du Cosmos, sans dogmatisme, dans la quête tâtonnante qui me semble propre au cheminement poétique.
Sabine Dewulf
Stéphane Delecroix, né en 1972, est professeur de philosophie et passionné de photographie. Il s’intéresse à tous types de paysages naturels. Il n’utilise pas de technique particulière : hormis parfois pour l’intensité de la couleur, ses photographies ne sont pas retouchées et frôlent souvent l’abstraction.
Sabine Dewulf, née en 1966, vit dans le nord de la France. Elle enseigne, écrit et anime des ateliers où la poésie s’allie à la connaissance de soi, à partir des jeux qu’elle a créés et publiés aux éditions du Souffle d’Or. Cocréatrice, en 2003, de l’association des Amis de Jules Supervielle, elle a écrit des articles pour plusieurs revues littéraires et a consacré des essais, parus chez différents éditeurs, à Colette, Jules Supervielle, Pierre Dhainaut et Raymond Farina. Son premier recueil de poèmes paraîtra au printemps 2020, aux éditions L’Herbe qui tremble.
Merci à Marie Dewulf pour les recadrages et les retouches de luminosité.