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Cosmos où nous dormons, Stéphane Delecroix et Sabine Dewulf

dimanche 27 octobre 2019, par Cécile Guivarch

Photographies de Stéphane Delecroix
Poèmes de Sabine Dewulf

 

Chaos brouillon discorde
en vain nous nous habillerons
esquive de l’enfui
esquisse du labile

juste ce peu de bruit
des lignes nous émeuvent

 

Altitude du jour
la terre pointe vers l’immense
des bras se multiplient
et le ciel s’enracine

avant de naître
je suis debout

 

Bercement de linceul
puis tombe un cri abrupt
hors du ventre de neige
tes ombres primitives
arrondies se resserrent

balbutiement

 

Croissance déclarée
éloge de l’espace
où s’absente le sens
s’aventure une trace

habitant la fraîcheur
tu as cru en l’azur

 

Densité de ce rêve
sous l’éclat du désir
tu t’endors sûrement
revêtue de durée
pourchassant sur les terres

d’un domaine sans nom

 

Élan de l’herbe frêle
toute courbe s’étire
réveille ta clarté
des signes se déploient
où l’espace s’étage

ton souffle en sait l’ampleur

 

Flamboiement ou frisson
ce matin de fortune
je me lève vers toi
suis ma flèche d’errance
te remercie

pour ta clef d’abondance

 

Germination
le temps s’enfonce goutte à goutte
en gorge d’herbe avide
médite la spirale
consentement

je me suis recueillie

 

Hermétisme en chemin
hérissée la lumière
rallume notre vigilance
franchir dit-elle

le seuil enfin s’élève
de notre humanité

 

Identité profonde
dans le miroir tremblant
suis-je ce vide ici
aligné tête en bas

suspendu aux racines
d’indicibles sommets

 

Jaillissement du jour
sur la roche d’oubli
vers un visage neuf
le nom manque à la joie
sa matière est le nous

ô jumelage

 

Kyrielle en mouvement
toutes nos forces s’offrent
nous éprouvons le vent
la caresse du rythme

de l’abîme à la cime
avançons-nous

 

Lumière sans rivage
lignes multipliées
d’un langage plus simple
nous espérons relire
notre horizon blessé

largesse de l’accueil

 

Métamorphose aimée
nous mimons notre mort
une seconde source
nous sommes dans la mer
pour mûrir à genoux

infinis renversés

 

Nudité tâtonnante
sur le sable naufrage
des mémoires nouées
peut-être l’ondoiement

déposés sur l’instant
nos pas se renouvellent

 

Origine de l’œil
éclatant au-delà
je ne sais où prier
seules mes mains le peuvent

nous ouvrons cependant
l’oraison

 

Puissance amoncelée
sur le ciel amoindri
nos colères s’avancent
sous notre cri désert
se retirent nos larmes

notre attente est parole

 

Quiétude à présent
inclinaison
quelle longue question
pose en nous sa prière
sa lumière

vitale à notre âme d’humus

 

Réalité rugueuse
se rappelle à nos sens
quand nos corps se raidissent
à nos mains s’agrippant

un seul rire soudain
nous rassure

 

Sinuosité brute
dans notre labyrinthe
nous redoutons ce que nous sommes
au fond cette souplesse

cordon de ciel éteint
dénoué sur la terre

 

Totalité de l’axe
qui redresse le monde
frissonnant foisonnant
tempérance gardienne

sur le seuil
de ce temple invisible

 

Unité circulante
délivrée du contour
notre centre rayonne
l’entourage est en nous

le ciel où nous baignons
à l’unisson

 

Vitalité sans preuve
autre que la lumière
sur les feuilles vibrantes
quel que fût leur hiver

où tant de voix circulent
vous guérissez sans trêve

 

Walkyrie revenue
au volcan de la Wivre
volupté ou fureur

la nuit livre ses ailes
à tous ceux qui survolent
la distance ennemie

 

Xénos étrange
tu es l’autre à jamais
qui danses sur l’énigme
et ton ombre aveuglante
consume nos œillères

un jour nous t’aimerons

 

Yin yang intarissable
un seul monde tissé
dans la vague du jour
et l’aval de la nuit
dessous nos langues raisonnables

ce silence nous sommes

 

Zénith de quelle étoile
au bout de notre marche
à quelle autre zébrure
nos yeux s’embrasent-ils

laisserons-nous l’éclair
nous unir à la terre

 

Cosmos où nous dormons
profondément le cercle
est sanguine promesse
parfaite éclaboussure
en cette nuit couronne

seule veille

 
 

 
 

COSMOS OÙ NOUS DORMONS

Ce projet inédit, qui allie photographie et poésie, est né de mon étonnement, mêlé d’émerveillement, face aux images singulières de Stéphane Delecroix : souvent proches de l’abstraction, toujours inspirées par le monde naturel, ses photographies traduisent une présence au monde à la fois intense et respectueuse. De loin ou de près, qu’importe : c’est toujours dans le respect – l’amitié – des éléments naturels que s’accomplit le geste photographique, sans jamais venir déranger l’harmonie pressentie. Le regard, ici, se fait contemplation et acceptation.
Il se trouve que depuis quelques années, je m’étais plongée dans l’étude de l’histoire des lettres de notre alphabet. Une étude à la fois attentive, documentée, et sensible : je cherchais à éprouver, au plus près de leur histoire, l’évolution des lettres (depuis l’écriture protosinaïtique jusqu’à notre alphabet latin), dans leur graphisme, leur signification, leur sonorité et l’empreinte qu’y avait déposée l’usage linguistique, celui de notre langue française, notamment.
La découverte des belles photographies de Stéphane Delecroix a suscité mon envie d’écrire, dans le sillage de mes recherches sur l’alphabet et ses origines, des poèmes suffisamment brefs pour permettre à ses images de continuer à rayonner à leur manière propre, et cependant assez denses pour proposer un véritable cheminement. Chaque lettre, liée à un mot qui a cherché à en dégager l’essence, constituait une étape, parmi 25 autres, d’un parcours que je ressentais comme initiatique et cyclique : de l’Altitude du A et de l’arbre perçu d’en bas jusqu’au Zénith du Z et d’une étoile végétale reliant, elle aussi, le ciel à la terre.
Un tel cycle, puisant son inspiration dans les ressources multiformes de la nature, venait épouser, à mon sens, celui de l’être humain, depuis la grande force primitive qui préside à sa naissance jusqu’à sa tentative d’accomplissement. En introduction et en conclusion sont venues s’ajouter deux photographies, accompagnées de leur poème, de la perception du Chaos à celui du Cosmos, sans dogmatisme, dans la quête tâtonnante qui me semble propre au cheminement poétique.

Sabine Dewulf


Stéphane Delecroix, né en 1972, est professeur de philosophie et passionné de photographie. Il s’intéresse à tous types de paysages naturels. Il n’utilise pas de technique particulière : hormis parfois pour l’intensité de la couleur, ses photographies ne sont pas retouchées et frôlent souvent l’abstraction.

Sabine Dewulf, née en 1966, vit dans le nord de la France. Elle enseigne, écrit et anime des ateliers où la poésie s’allie à la connaissance de soi, à partir des jeux qu’elle a créés et publiés aux éditions du Souffle d’Or. Cocréatrice, en 2003, de l’association des Amis de Jules Supervielle, elle a écrit des articles pour plusieurs revues littéraires et a consacré des essais, parus chez différents éditeurs, à Colette, Jules Supervielle, Pierre Dhainaut et Raymond Farina. Son premier recueil de poèmes paraîtra au printemps 2020, aux éditions L’Herbe qui tremble.

 
 
Merci à Marie Dewulf pour les recadrages et les retouches de luminosité.


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