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Les portraits « Les Yeux Dans Les Yeux » de Véronique van der Wielen

vendredi 14 octobre 2016, par Sabine Huynh

L’artiste Véronique van der Wielen réalise des portraits particuliers : des portraits spontanés, sans lever son stylo ou son pinceau, tout en gardant les yeux plongés dans ceux de la personne qu’elle dessine, ou du moins fixés sur celle-ci, donc sans jamais regarder sa feuille. Le résultat est époustouflant d’originalité, le trait, unique, est vivant, poétique, et n’est pas sans rappeler celui des calligrammes d’Apollinaire, mais avec beaucoup plus de liberté.
En mai 2016, lors de la dixième édition du festival annuel organisé par MaelstrÖm à Bruxelles, le « FiEstival 10 - L’Arbre de Vie » (grand rassemblement annuel international qui met à l’honneur la poésie, la musique, la performance et d’autres arts), elle a « croqué » les poètes qu’elle rencontrait et qui voulaient bien se prêter au jeu. Elle nous livre quelques-uns de ces portraits et répond généreusement à nos questions (en bas de page).

« À travers le portrait « Les Yeux Dans Les Yeux », j’immortalise un mouvement invisible, une énergie, une émotion.
Au-delà de l’apparence... L’impermanence permanente.
Sans être regardée, sa feuille accueille simplement un trait, un seul.
Ces dessins sont le témoignage de rencontres authentiques entre elle et son modèle.
Ces dessins sont le témoignage de traits croisés ici et ailleurs sur son propre chemin.
 » (Véronique van der Wielen)


_______________________Véronique van der Wielen dessine le portrait du poète Tom Nisse
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_______________________Tom Nisse, par Véronique van der Wielen
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_______________________Véronique van der Wielen croquant Tom Nisse
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Au Thé des écrivains : (de gauche à droite) David Giannoni, Simona Petitto, Amir Or, Marc Delouze et Sabine Huynh, par Véronique van der Wielen
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_______________Véronique van der Wielen croquant Pierre Guéry qui lit à la Roue des poètes
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_______________________Véronique van der Wielen croquant Gilles B. Vachon
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_______________________Gilles B. Vachon, par Véronique van der Wielen
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_______________________Jack Hirschman et Véronique van der Wielen
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_______________________Jack Hirschman, par Véronique van der Wielen
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_______________________Véronique van der Wielen croquant Sabine Huynh
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_______________________Sabine Huynh, par Véronique van der Wielen
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« Au commencement était la main.

Main qui, animée d’une vie propre, caresse le papier et le griffe tout à la fois, main qui parcourt la feuille et refaçonne sa blancheur, main qui, enfin, fait le lien entre mes modèles et moi. Et ce lien est... un trait, un seul trait, comme un fil tendu sur un précipice.

Au commencement était la main, donc, mais que serait-elle sans le regard qui lui donne vie ?

C’est en dessinant le portrait d’une femme libre que j’ai découvert, il y a quelques années, cette technique de dessin qui depuis est devenue la base de mon travail. Sans regarder ceux que je suis en train de dessiner, je les regarde et les dessine. Ce sont des poètes en performance, des musiciens sur scène, des passants qui pour un instant décident de rester ; et tandis que mon regard habite l’espace qui nous sépare pour mieux l’abolir, ma main capture leur posture et leur visage, leur sensibilité et leur expression.

Ils se demandent parfois ce que je suis en train de faire. De mon côté, pour ainsi dire, je ne fais rien, sinon laisser le trait se faire. Et c’est, tout simplement, l’énergie du moment qui se dessine, en ce seul trait qui traduit la vérité d’une rencontre.  »

(Véronique van der Wielen, texte édité par Benjamin Porquier)
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_______________________Véronique van der Wielen croquant Benjamin Porquier
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_______________________Benjamin Porquier, par Véronique van der Wielen
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Entretien avec Véronique van der Wielen (mené par Sabine Huynh)

- Où et comment as-tu appris cette technique de dessin/portrait ?

J’ai été quelques années à l’Académie à Bruxelles pour apprendre à dessiner le modèle vivant. Les 3 dernières années, j’ai appris à dessiner le modèle vivant en mouvement.
J’avais un prof un peu particulier mais réputé. Il m’a appris à observer : « Ne pas à tout prix vouloir reproduire un corps parfaitement mais observer et retranscrire le mouvement des lignes ».
À la fin d’un stage artistique à l’AKDT en été 2012, j’ai eu un déclic.
J’avais ce désir assez fort de représenter une femme libre. J’avais été sur internet pour trouver une icône sympa. J’avais ensuite l’intention de le représenter sur grand format. Après avoir parlé de mon projet à mon professeur lors de ce stage, il avait gentiment rigolé de moi : « (...) C’est comme si je te donnais un manuel sur « comment nager », que tu le connaissais par cœur mais lorsqu’on te pousse dans l’eau tu te noies et tu cries « A l’aide » (...) Arrête d’intellectualiser.... vas y, plonge... »
Je comprenais ce qu’il voulait dire sans le comprendre vraiment.
Le lendemain matin, dernier jour du stage, une amie modèle vient vers moi en me disant qu’elle avait fait toute ses missions de la semaine, qu’aujourd’hui elle était libre et qu’elle était à mon entière disposition.
C’était parfait. J’avais juste besoin d’une image féminine... Ça tombait bien !
J’avais préparé un grand canevas. Je l’avais invitée à s’asseoir juste devant moi. Je n’avais besoin que de son visage.
Et c’est à ce moment là que la magie est intervenue.
Je ne sais pas pourquoi mais je me suis mise à la regarder dans les yeux. Elle, peu pudique et confiante grâce à notre amitié, maintenait le regard sans que je le lui demande. Les regards se maintenaient et mon bras dessinait. Je laissais faire les choses.
S’il y avait des mauvais traits, je ne me tracassais pas. Je savais qu’après j’allais peindre dessus.
En quelques minutes, j’ai fait son portrait, sur un format 100X120.
Je le montre à mon prof. Il me dit : « Je ne savais pas que tu dessinais comme cela !! Surtout tu n’y touches plus ». Je lui raconte comment cela s’est déroulé. Il me dit : « C’est ça une femme libre ».
D’autres personnes sont ensuite venues voir ce que je venais de faire : « C’est marrant, on dirait que c’est toi ». C’est vrai, le dessin me ressemblait un peu. Le temps d’un instant, vu que je ne cherchais pas à avoir un résultat, j’ai en fait pu lâcher mon mental. J’ai laissé faire les choses. J’étais cette femme libre que je cherchais tant à reproduire. Est-ce que c’était le modèle ou moi sur le canvas, je ne sais pas.
Vu que mon prof ne voulait pas que je mette de la peinture dessus, j’ai continué à dessiner mon amie modèle avec le même principe.
J’ai enchaîné ensuite 5-6 portraits d’elle « Les Yeux Dans Les Yeux ».
C’était toute des femmes différentes : une femme fatale un peu triste, une femme qui voit de loin, une curieuse, une chipie...
Comme si, j’avais le temps d’un instant pu percevoir quelques facettes de cette femme en face de moi.
Depuis lors, j’ai toujours un carnet dans mon sac pour dessiner des personnes que je rencontre sur mon chemin, en un trait, Les Yeux Dans Les Yeux.
Je n’avais jamais vu cette technique auparavant.

- A-t-elle un nom particulier ?

Je l’appelle « Les Yeux Dans Les Yeux », qui est désormais le nom de mon projet artistique. Mon site : www.LYDLY.be

- Depuis combien de temps la pratiques-tu ?

Cela fait 4 ans que je dessine exclusivement comme cela. J’ai à présent fait le portrait d’approximativement 350 à 400 personnes. Je dessine également des performances d’artistes (concert, poèsie,...).

- Pourquoi l’as-tu adoptée ?

Cette manière de dessiner est venue à moi... alors je l’ai accueillie.
Depuis lors, je dessine toujours sans regarder ma feuille et toujours en un trait.

- Combien de temps cela t’a-t-il pris pour la maîtriser ?

J’ai fait quelques années à l’Académie pour apprendre à dessiner, à observer. Mais pour maitriser cette technique « Les Yeux Dans Les Yeux », c’était le temps du déclic.

- Qu’est-ce que cela t’apporte de réaliser ce genre de portrait ?

Je lâche mon mental. Je ne cherche pas à intellectualiser ce que je suis en train de faire. Du coup, je me surprends chaque fois que je découvre mes dessins. J’adore !
De plus, je me sens vraiment dans une relation authentique avec la personne qui est en face de moi. Reconnaître l’autre tel qu’il est, sans attentes, sans jugements, sans demande de résultats.
C’est de plus en plus important pour moi d’être dans cette authenticité, dans cette situation où l’on laisse tomber les masques, où l’on peut simplement « être », sans jugement. Et c’est à ce moment là que de belles choses émergent.
Les dessins ensuite révèlent des choses que je n’aurais moi-même jamais pu dire. C’est assez incroyable.
C’est magique.

- Quelle est la réaction des personnes que tu dessines ?

Lors du premier ou deuxième portrait, les modèles sont un peu mal à l’aise. C’est normal. Ensuite, d’un coup, je sens une ouverture de leur part.
De mon côté, je ne pense à rien. Comme si j’étais un canal. On dit même que j’ai un regard d’aveugle.
De leur côté, j’ai eu beaucoup de retour comme quoi c’était un moment pour se « déposer », un moment méditatif. Ils ressentaient beaucoup de bienveillance et de confiance. C’était une opportunité pour eux de faire émerger des émotions/pensées un peu plus enfouies.
Lorsqu’ils découvrent les dessins, plusieurs d’entre eux voient des messages que je n’aurais jamais pu décrypter seule.

- Il t’arrive d’écrire autour des portraits, de quoi s’agiti-il ?

Justement, ce que j’écris autour des portraits, c’est le ressenti (ou le feedback) quasi mot pour mot de la personne que je viens de dessiner...
Moi de mon côté, à part le souvenir que je garde en mémoire d’un regard (peut-être plus intense), je n’écris rien...




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