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« Cartographies », pour saluer Nicolas Blondel, par Florence Saint-Roch

mercredi 5 octobre 2022, par Florence Saint Roch

Les Cartographies sont nées d’une rencontre comme il s’en produit au Marché de la poésie. Hasard heureux : quand je suis arrivée sur le stand des éditions Les Lieux-dits, Nicolas Blondel était en train de montrer des échantillons de ses œuvres à Germain Roesz. Œil immédiatement happé, levée des questions. L’artiste livre des ouvrages imprimés aux éléments - et aux petits animaux qui peuplent son jardin. Le temps (celui qu’il fait et celui qui passe) agit, et l’artiste, ensuite, dessine sur les pages qu’il a récupérées. L’encre, noire ou de couleur, s’active et vibre. Je regarde, et j’entends ; je pense d’abord : c’est le chant de la Terre. Devant son urgence, je me reprends : c’est un cri.

Voici les deux premiers poèmes de la série.

Préambule

Depuis longtemps la coupe est pleine
Théorie des climats
Approches systémiques
Boucles de rétroaction

On consulte les baromètres
Taux d’hygrométrie pression atmosphérique
Tu refroidis tu chauffes tu brûles
Sûrement on s’approche
Mais de quoi

On a laissé tomber les livres
Les réalités difficiles à admettre
Trop complexes les questions

***

Les saisons font leur œuvre
Pluie gelée frimas sécheresse
Le papier comme la Terre
Connaît le feu ou prend l’eau

Coups de frais et vagues de chaleur
Alternativement sévissent
Les pages fondent se délitent
Ça s’érode sur les bords
L’encre se dissout par endroits

L’amnésie vient devant
Auréoles affadies impressions jaunâtres
(On n’est donc pas les seuls
À décomposer les mots)

***

La Terre voudrait retourner à la terre
Appelle à la rescousse
Le vent les insectes les oiseaux

Quel livre ferait des racines
Quel chant susciterait des échos
Il devient urgent d’y penser
De dessiner leurs lignes
À grands traits

Carte 1

Toujours on désire l’or et les remèdes
Alors sans vergogne
On convoque les vents rouges
Les siroccos
Leur ardeur troue la page
Disloque les mots

Le noir vibre en ses ocelles
Impatiences fièvres calcinées
Les incendies menacent
D’arbre en arbre se propage un signal
Qui réduit
Le trajet des sèves

***

Dans la profondeur des nuits
Quel accès

Prises dans l’œil du cyclone
Les choses perdent jusqu’à leur nom
À l’abord des côtes
Les hypothèses plus fluctuantes
Comment savoir
Ce qui tiendra
Ou non

***

À franchir quantités de seuils
Le continent maigrit

Au large de l’isthme (nous dit-on)
Des dauphins des baleines
En son cœur des rumeurs d’éléphants
Leur peau a la vie dure
Leurs petits yeux se plissent
Devant l’irréversible

Et si en réchapper
N’était pas un privilège

La terre s’inquiète
Guette un point de basculement
En sa fine pointe
Demande à la mer

Carte 2

Quand le monde s’étrécira
Il faudra faire avec les vestiges les reliefs
Les lettres rescapées sur un radeau

Que restera-t-il à dire
Qu’embrasseront nos bras
Et pour se baigner dans quelles eaux

Pour l’heure
Elles commandent les gouffres
Hachures bousculades leur bleu si dense
Qu’il supporte la répétition

***

Au creux des échancrures
Les courants plus sensibles
Souffles cobalt passages d’indigo
Les fleuves chantent encore
Frissons d’encre respiration

Fini le temps des longues phrases
Ici l’on préfère les rapides
Les courtes vagues ondulent
D’évidence ont trouvé
Leur lieu et leur formule
Ne pas se laisser arrêter
Abolir les gués et les passerelles

***

C’est si confortable parfois
Ne se résoudre à rien
En toute quiétude
S’affranchir des précautions

On libère les écluses
Oubliées les digues et les levées
Les mots roulent jusqu’à l’embouchure
Depuis l’amont dévalent les courbes de niveau

***

Naturellement on invoque
Les malgré les puisque

Qui parle de perdre son âme

Au diable les résistances
Pleinement on goûte
Cette fraîcheur de déluge
Ses bouillonnantes extensions

Nicolas Blondel par lui-même :

Nicolas Blondel a toujours dessiné, sur le sable, dans la marge de ses cahiers, et sur tous les supports qui s’offraient à ses doigts. Diplômé des Arts Déco, il embrasse une carrière de designer sans jamais cesser de noircir des kilomètres de papier.

La peinture est venue ajouter un pinceau à son arc et il expose au Salon de Montrouge en 2002.
D’autres expositions suivront et un retour au dessins quelques années plus tard.
Explorant inlassablement de nouveaux sentiers graphiques, son amour des mots lui ouvre des voyages à quatre mains avec poétesses et poètes :

  • Jardins de décembre, poèmes de Marie Tavera, aux Editions du Frau,
  • Bandes d’artistes, livre d’artiste, poème de Denise Desautels, aux Editions Les lieux-dits,
  • Et de nombreuses collaborations sur Instagram et Livres d’artistes, avec notamment Cécile A. Holdban, Lucien Giraudo…

Ces dessins, mis en mots par les Cartographies de Florence St-Roch, sont issus d’une série ou les traits jouent avec des traces de mots sur des pages de livres qui ont voyagé, au fil des saisons dans son jardin. La pluie, le vent, la terre, les mousses et les insectes y ont laissées leurs empreintes. L’artiste y a ensuite jeté l’encre de son vaisseau plume.

L’improvisation – il est musicien de jazz et c’est l’expression même de cette musique – a souvent guidé son travail ; sa main vagabonde du premier au dernier trait, sans préméditation, et la météo intérieure prend chair.


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