Quelle est votre démarche pour vos deux livres : En regard sur Bertrand Créac’h et En regard sur Lino de Giuli ? Quelle est votre idée de l’écriture par rapport à l’art ? Qu’est-ce qui les rapproche dans vos livres ?
J’ai écrit à chaque fois d’une manière très instinctive. Il y faut évidemment une forte attirance au préalable. Mais il y a quand même une différence entre les deux écritures, celle sur les œuvres de Bertrand Créac’h et celle sur celles de Lino de Giuli : autant pour les premières j’ai voulu écrire sur toute l’œuvre, en me servant aussi d’écrits de critiques sur son travail, autant pour les deuxièmes il y eut des poèmes écrits en simple déambulation lors de la première visite d’une exposition. Je m’autorise la venue d’une idée qui me paraît même à sa venue saugrenue et n’hésite pas à l’incorporer dans le poème. Ce qui compte est la déconnexion totale afin d’être en capacité maximum d’appropriation et d’imprégnation de l’œuvre visuelle qui est devant moi.
Ce qui m’a surpris, déjà lors de l’écriture en regard des œuvres de Bertrand Créac’h, c’est que j’ai dû me confronter à la nomination : comment incorporer des mots banals de l’ordre de la description et en « faire » du poétique, que cela apporte quelque chose. La phrase en exergue du premier livre le nomme très bien. Mais la légère appréhension passée, je me suis vite aperçu que cela n’était absolument pas un problème. En fin de compte : plus je me libérais des entraves et plus le poème arrivait naturellement.
Et avec les œuvres de Lino cela a évidemment été encore plus « crucial », si je puis dire, puisqu’il fallait oser faire un poème avec les simples mots de « ligne », « droite », « triangle » ou « point ».
Avez-vous eu d’autres collaborations avec des artistes ?
J’ai écrit à ce jour des poèmes « en regard » sur vingt trois artistes, peintres, sculpteurs et même jongleur, performeurs, musiciens ou collectifs d’artistes *. Sept appartiennent à ce que j’ai appelé le « groupe de Beauvais et alentours » que le collectif Artis Facta regroupe **. Tous ne réagissent pas de la même façon : certains me disent un petit « merci » et le texte pourtant bon je le sais, disparaît de la circulation. Un ne m’a même pas répondu malgré plusieurs « relances »… Avec quelques uns qui n’ont pu être montrés à leur destinataire soit pour cause de décès soit pour une autre raison. D’autres au contraire sont tellement enthousiastes qu’ils désirent arriver à un projet concret. Ce fut le cas pour ces deux livres. Ce fut aussi le cas pour les quatre poèmes écris sur et autour du spectacle de jonglerie musicale Paï Saï de Vincent de Lavenère sauf que là, ce fut en quelque sorte une commande lancée une fin de décembre lors d’une rencontre de famille… Un troisième projet de livre est en cours mais butte sur le montage financier car il y faut évidemment le concours de l’artiste sans quoi rien n’est possible. Je ne recherche rien, mets le poème sur la table et attends de voir s’il se passe quelque chose chez la personne à qui le poème est dédié. Il y a eu deux livres, mais aussi un livre audio diffusé sous forme numérique par Book d’oreille qui a pris la suite d’une exposition photographie et sonore qui a tourné dans une vingtaine de théâtres et centres culturels en France de 2007 à 2011, et trois vidéos-poèmes sur une idée de Philippe Guénin.
Il y eut aussi cette expérience de spectacles pluridisciplinaires avec le projet dénommé Les Cohortes improbables de la compagnie amiénoise Instinct tubulaire basé sur l’improvisation totale des participants où j’ai lu à plusieurs reprises des poèmes seuls sans aucun support visuel d’aucune sorte permettant de distinguer et de se faire à l’idée de quelles œuvres picturales il était question. Je me suis alors aperçu, à ma grande surprise, que tous ces poèmes passaient très bien seuls et qu’ils parlaient aussi du monde…
Si je recherche d’où est partie toute cette histoire, il semblerait que le premier poème « en regard » soit bien celui écrit le 1er janvier 2006 enfermé dans ma salle de bains sur la musique du spectacle de Vincent de Lavenère, suivi de peu par le premier poème sur les sculptures de Bertrand Créac’h.
Quels sont vos projets ?
Je n’en ai aucun autre que celui d’attendre qu’un artiste ait l’énergie d’aller plus loin et de rendre les mots concrets par un projet commun, ainsi que de rencontrer d’autres œuvres qui soient suffisamment fortes pour me déclencher l’envie de prendre le stylo et de noter, fixer, ce qui me passe alors par la tête… Ce projet d’écriture est quand même né un peu par hasard et se trouve en périphérie de mon travail, de mon expression et buts habituels…
* tous les projets ayant abouti soit à une publication soit à une lecture en public sont consultables sur la page des poèmes en regard du site d’Alain Marc
** voir le site d’Artis Facta
En regard, sur Lino de Giuli, poèmes & photographies de peintures et installations de l’artiste, Bernard Dumerchez, 2014/2015
En regard, sur Bertrand Créac’h, poèmes & photographies de sculptures et lavis de l’artiste, Bernard Dumerchez, 2007/2008
Livre audio Alain Marc - Laurent Maza, En regard, sur et autour de Paï saï, bande son de l’exposition itinérante ayant tourné en parallèle du spectacle de Vincent de Lavenère, production Première impression, diffusion Book d’oreille, 2015
Bertrand Créac’h est un sculpteur né le 27 novembre 1947 à Poissy. Il vit près de la Neuville-Garnier dans l’Oise et produit également des lavis.
Lino de Giuli est un peintre et plasticien né le 26 avril 1951 à Saint-Maur-des-Fossés. Il vit depuis 1985 à Vienne-en-Arthies dans le Val d’Oise où il a installé son atelier. Son travail peut se ranger au sein de l’abstraction géométrique.
Vincent de Lavenère est un jongleur originaire de Pau qui pratique la jonglerie musicale. Il fonde sa compagnie Chant de balles en 1999 créant notamment les spectacles Le Chant des balles avec Éric Bellocq, Paï saï, Bach en balles avec Éric Bellocq et B’alla capella. Il tourne dans le monde entier.
Alain Marc a publié par ailleurs :
Regards hallucinés, poésies & notes, préface de Bernard Noël, Lanore, 2005
Livre audio Alain Marc – André Véchot, Regards hallucinés, improvisations musicales d’André Véchot, production Première impression, diffusion Book d’oreille, 2015
Chroniques pour une poésie publique précédé de « Mais où est la poésie ? », présentation de Sébastien Doubinsky, les Éditions du Zaporogue, 2014
Toute une vie, nouvelles et autres textes, lettre de Pierre Garnier, Engelaere éditions, 2008/2009
Bernard Noël, le Monde à vif, essai, le Temps des cerises, 2010
ainsi que d’autres livres, CD et livres audio.