Ce livre est une célébration d’un art spontané, involontaire et gratuit, une utopie peut-être d’un art tout en élan et gratuité. Et un éloge de l’attention, et une évocation de ce qui nous relie tous dans la rue infinie du temps et de l’espace.
Depuis longtemps je fais des photographies dans les rues de ce que j’appelle des peintures perdues. De cette activité ludique et continue, j’ai réalisé en faisant ce livre qu’elle portait une vision profonde de la vie, où le sursaut créatif nous est commun et naturel : depuis la main posée sur le mur d’une caverne, les hommes et les femmes s’envoient des signes dans l’espace partagé.
J’ai écrit à partir des images, celles-ci me donnant des indices pour parler de mon rapport à la vie : à Gozo, une planche criblée d’agrafes me permet de parler de la colère qui me traverse parfois. À La Valette, une madone tavelée me fait évoquer mon rapport à la prière. À Sefrou, des ailes dessinées sur un mur posent un peu d’ironie sur mes envies d’élévation. À Bologne, une trace sur un mur me fait parler de la volupté de voir, de ce que l’on parle et de ce que l’on tait, etc.
J.-M. B.
Extraits de la postface :
« [... ] Le charme qu’exercent sur moi les traces, les interventions de l’homme dans la rue infinie, je ne saurais l’expliquer ni le commenter. Il est puissant. Je veux dire que je jubile quand m’apparaît un spectacle sinon infinitésimal, disons humble, lors de mes passages dans les rues ou les chemins. Il a une valeur à mes yeux, j’ai envie de le garder, j’ai envie de le montrer aux autres.
Ce que j’aime, ce n’est pas le détail, c’est le signe mis en espace. Car le signe, la trace du geste, ou l’intervention, je le cadre dans un espace dont il est indissociable. Et c’est là mon plaisir le plus grand. Le signe y respire, porte une intériorité. L’espace qui se crée est l’image même de l’espace intérieur de la personne qui a créé l’événement graphique, de sa prise de liberté, de son passage à l’acte qui invente un fait pictural. Et sans doute l’écho de l’espace intérieur de celui qui aimera garder son regard sur l’image. Dans le cadre le signe se met à vivre dans une tension dynamique. Formes et contreformes inventent cette spatialité qui transforment le détail en opéra de signes. »
« [... ] Un jour, j’ai senti que certaines d’entre ces images me donnaient un angle pour dire quelque chose qui tournait en moi. Elles m’ont donné envie d’écrire. Ce qui est venu (comme le dit Marguerite Duras, « j’écris pour savoir ce que j’écrirais si j’écrivais » ), ce qui est venu était joueur. Je suppose que l’origine du geste graphique est joueuse, et le texte en écho ou en prolongement devait l’être. »
« [... ] J’aime rêver à l’auteur de ce signe, la main qui a marqué cet enduit, l’enfant qui a tracé un trait à la craie en riant, imaginer quel être a laissé cette trace. J’aime lire dans mes textes l’insu de moi-même, cette énergie latente soulevée par un spectacle modeste dans l’espace commun. Tout cela célèbre la vie en vie sur la terre, comme dit Le Clézio, et ce que nous avons en partage. Des saillies nous le rappellent. Des signaux d’individu à individu, des messages discrets posés là, adressés à qui saura les lire. En être le passeur me rend heureux. »
112 pages, 43 photographies couleurs de l’auteur, 43 textes inédits et une postface : entretien de l’auteur avec Lara Dopff
Couverture rigide, reliure cousue-collée avec élastique. 15 x 22 cm
ISBN 979 10 96199 35 8 | collection Lumière écrite