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Alexia Atmouni

lundi 4 décembre 2023, par Cécile Guivarch

Chère Alexia, j’ai eu le plaisir de collaborer avec toi à un petit livre qui vient tout juste de paraître à L’Atelier des Noyers, ce mois d’octobre 2023, Partir. Naturellement, j’ai envie de faire connaître ton travail d’artiste aux lecteurs de Terre à ciel. Alors pour commencer, peux-tu nous parler de toi, de ton parcours de plasticienne ? Qu’est-ce qui t’anime plus particulièrement dans l’art ?

Bonjour Cécile et merci d’offrir au sein de Terre à ciel un tel espace de partages !

D’aussi loin que je m’en souvienne j’ai toujours été fascinée par le dessin, c’est encore aujourd’hui ma zone privilégiée de découvertes et de confort. Après des études aux écoles supérieures d’art de Tours et Dijon, je suis revenue m’ancrer dans mon port natal, à La Rochelle et j’ai intégré un collectif d’artistes, l’Atelier Bletterie. En son sein, nous nous entraidons et co-gérons une galerie associative, ce qui est pour moi riche d’enseignements et de rencontres.

Je crois que je continue dans cette voie, parce que je n’ai pour l’heure pas trouvé de métier dans lequel je ressens autant de joie, que l’art est un vaste territoire, l’un des piliers de ce qui fait notre humanité, mais pourtant continuellement menacé.

Tes travaux sont divers et semblent s’articuler autour de différents projets : Coupures de presse, Dessins méditatifs, Rencontres fortuites au sein d’un scanner, Inventaires, etc. Quelles sont les particularités de ces projets et peut-être leur point commun ?

Les Coupures de presse, Rencontres fortuites au sein d’un scanner et les Inventaires sont intrinsèquement liés. Ce sont en fait plusieurs étapes d’un même projet sériel qui prend la forme finale de collages représentant des foules. Je collecte depuis une dizaine d’année des milliers de personnages que je découpe dans toute sorte de presse papier. Avec cette matière accumulée, je crée de petites narrations, je classe, je trie, et enfin, je compose des foules paysages. C’est un projet assez joyeux et enfantin.

Les Dessins Méditatifs n’ont à première vue pas grand chose à voir avec les autres projets mentionnés. C’est un travail très protocolaire de dessins de grands formats réalisés au stylo bille. Ils ne sont pas aussi « bavards » que mes découpages. Ils sont réalisés dans le silence de l’atelier, dans l’hyper concentration, à l’écoute des moindres sensations corporelles. Au cours du processus, à travers les contraintes de geste, d’usage de l’outil, de déploiement dans l’espace, de durée et de constance, j’interroge les liens entre l’acte de dessiner et l’acte de méditer.

Peut-être peut on trouver des similitudes entre ces deux projets au long cours dans le rapport au temps qu’ils impliquent. L’un et l’autre nécessitent une telle somme de gestes et de crampes qu’ils avancent très lentement. Il y a également une exigence de méticulosité, une simplicité des matériaux et outils, et une production en série.

En parallèle de ces deux grands axes de travail, je continue à explorer le dessin à travers d’autres projets d’illustrations, de wall-drawings, de gravure, etc...

Avec Coupures de presse, j’ai comme l’impression que tu relies les hommes et femmes entre eux, que tu souhaites donner à voir ta vision du monde, une certaine énergie, un rassemblement. Comment peux-tu nous en parler plus particulièrement de ce projet ? En quoi est-il important selon toi ? Quel accueil en fait le public ?

Coupures de presse est né d’un intérêt pour les foules et leur façon d’occuper l’espace, de faire paysage. Parfois j’ai le sentiment que dans nos déplacements nous ne sommes pas si éloignés des bancs de poissons ou des murmurations d’étourneaux.

Tout ce qui dissout notre individualité et influence nos comportements de masse m’interroge aussi.

Comme je le disais plus haut, ce travail m’apporte une certaine joie. La récolte des personnages est source de ravissements. Comme dans toute collection, il y a des éléments qui sont de vraies pépites et transportent un réel potentiel narratif. Lorsque je suis en phase de composition, je ris beaucoup. Je ris spontanément de ce que le hasard des rencontres me fait faire de corrosif et d’absurde.

Ces foules artificielles que je crée sont un espace de rassemblement oui, où des personnes médiatiques de tous types sont mélangées avec des personnes anonymes, où la frontière entre défilé de mode et cortège de manifestation n’est pas évidente, où des danseurs/danseuses se déhanchent avec des joueurs de foot. Les échelles de grandeur et codes sociaux sont bouleversés. Et de la multitude de petites histoires qui se racontent au sein de ces foules émergent parfois des clins d’œil à l’actualité. C’est aussi un espace où ma conscience politique et mon rapport aux médias s’expriment librement.

Les collages et inventaires ont une durée de vie très limitée. Ils sont pensés et assumés comme tel. C’est un aspect difficile à digérer pour une partie du public, habituée à la matérialité et à la pérennité des œuvres. C’est pourtant le même sort qui est réservé aux images et sujets d’actualité qui déferlent dans notre quotidien, tout finit par disparaître. Il en va de même avec la presse papier. Qui passe progressivement de presse papier à presse numérique, et du temps que l’on veut bien encore accorder à l’actualité.

C’est pourquoi j’invite les gens à profiter physiquement des temps d’expositions, à faire l’expériences de ces œuvres in situ. À les appréhender de loin ou de très près, à accorder du temps à l’observation et au décryptage des images. Parfois de belles surprises ont lieu, comme ce jour où un visiteur est tombé par hasard sur l’image de son frère jumeau, preneur de son, devenu obstacle à perchiste dans mon collage. Quelque jours plus tard, il est revenu voir l’exposition accompagné de ce frère, à qui il a lancé le défi de « se trouver » dans la foule. Jouer à une sorte d’Où est Charlie ? avec sa propre image, rendez-vous compte !

Tu as réalisé plusieurs livres en collaboration avec des poètes à L’Atelier des Noyers. Peux-tu nous en parler ? Comment ces projets se mettent-ils en place ? Qu’est-ce qui t’anime dans ce genre de collaboration ?

L’Atelier des Noyers m’a donné l’occasion de collaborer avec trois poétesses et un poète. Comme je n’ai pas vraiment le profil ni la formation d’illustratrice, cela a été à chaque fois un nouveau challenge pour moi.

Carnet de bleus [1] était ma première commande d’illustration et également un des premiers titres de cette maison d’édition. C’était déjà en soi assez vertigineux. J’avais à la fois une approche assez méthodique du texte de Claire Delbard [2] et en même temps l’intuition que beaucoup de choses étaient possibles.

Pour Tu seras toujours plus qu’un million de battements de cils [3],il m’a été proposé de faire des illustrations en lien avec une couleur pour qu’elles soient soumises ensuite à un auteur. Cette inversion des rôles en quelque sorte était un exercice peu aisé mais très intéressant et j’aime la route, parallèle à mes images, que Pierre Soletti a tracé avec son texte.

Les illustrations pour Empreintes [4], le texte de Floriane Durey, ont quant à elles été réalisées en linogravure, aussi je tenais à ce que les lecteurs et lectrices puissent avoir l’occasion de retrouver le noir velouté que j’avais initialement utilisé. C’est pourquoi j’ai proposé en plus du livre, des tirages originaux et en exemplaires limités de ces gravures.

Et enfin, tu es venue me chercher, à travers Claire, pour mettre des images sur ton superbe texte Partir...

Le fait de produire des images en lien avec des écrits et des univers toujours différents me pousse à me bousculer dans les techniques artistiques utilisées, m’ouvre de nouveaux territoires graphiques à explorer, qui résonnent avec mes projets de plasticienne.

Je ne remercierai jamais assez Claire pour cette confiance renouvelée.

Quels liens réunissent poésie et arts plastiques selon toi ? Se nourrissent-ils l’un et l’autre ?

Je ne sais pas si les arts plastiques nourrissent la poésie, mais il me semble que la poésie, qu’elle soit de mots, visuelle ou sonore, est un levier puissant qui permet aux œuvres de toucher les consciences autrement. Tout est beaucoup plus digeste avec un soupçon de poésie : les arts, la cuisine, les luttes sociales... !

Plus particulièrement, pourrais-tu nous parler de Partir ? Comment as-tu travaillé à partir de ce poème ? De quelle(s) manières a-t-il trouvé résonance avec ton travail ?

Pour illustrer Partir, j’ai procédé un peu comme je le fais avec Coupures de presse. Je n’ai pas voulu me restreindre à mon ressenti du poème et je l’ai « déplumé » si je puis dire, en isolant et classant l’ensemble des mots et expressions. Cela m’a aidée à comprendre que pour traiter un texte au champs lexical aussi « mouillé » il fallait que ma technique plastique le soit également.

J’ai alors produit une centaine de dessins à l’encre très diluée, en lien direct avec les mots extirpés du texte. À partir de cette collection d’images que j’ai détouré une à une, j’ai ensuite crée des compositions. Celles-ci n’illustrent pas des passages spécifiques du texte mais en donnent une impression générale.

Certains éléments se démarquent des autres, comme ces mains noires qui manipulent des fragments d’images, ces personnages qui se consument littéralement de désir, cette représentation d’hirondelle qui tente d’échapper à sa condition de dessin...

Et de ton côté Cécile, comment cela s’est passé ? Comment est né ce texte ? Est-il biographique ? Et qu’est-ce qui t’a donné l’envie de cette collaboration ?

Ce texte, Partir est en fait le condensé d’un journal que j’ai tenu pendant toute la période où j’ai été confinée. Travaillant dans une grande entreprise, de mars 2020 jusqu’à octobre 2021, je n’ai pas pu me rendre au bureau pour travailler. Mais cette période a été l’occasion de faire de longues marches autour de chez moi ou bien lorsque je suis partie en vacances, notamment à la montagne. De ces marches, je revenais nourrie par le chemin et avec des mots plein les mains, plein la tête, plein le corps. J’ai donc écrit, écrit, au jour le jour toutes ces sensations données par la marche. Ces marches ont été l’occasion d’expérimenter l’effet que la nature peut avoir sur le corps. Comment en marchant le corps devient lui-même la nature. Et comment on se sent alors incroyablement en vie et avec un désir de vivre s’intensifiant. Je n’en ai pas eu conscience de suite que ce que j’écrivais m’ouvrais ainsi à la vie, comme les oiseaux ouvrent leurs ailes, cela s’est fait petit à petit, comme un chemin, où le sens même du mot partir revenait en réalité en emporter avec soi tout ce que nous sommes, jusque dans le détail des souvenirs. Il s’agit donc d’une expérience intime dont j’ai extrait l’essence pour proposer Partir à Claire Delbard qui a de suite aimé ce projet.

J’ai envoyé ce texte à L’Atelier des Noyers car j’avais particulièrement aimé Carnets de bleus que tu avais illustré d’après le texte de Claire Delbard, et dont j’avais acheté une série de cartes postales. Je me suis sentie très proche de tes illustrations. J’ai entrevu une relation avec mes propres marches, ce petit côté mouillé que tu as relevé dans Partir, cette relation des corps et de la nature. Aussi, pour moi c’était une évidence que si Claire décidait de publier Partir, que ce serait à toi que je demanderai de l’illustrer. L’intuition que tu saisirais l’essence même de ce petit livre. Pari gagné ! Je suis vraiment très fière de cette collaboration ! De la façon dont tu t’es appropriée le texte !

Alexia Atmouni, Coupures de presse n°7, 2020, Chapelle des Dames Blanches, La Rochelle

Alexia Atmouni, Coupures de presse n°7, 2020 (détail)

Alexia Atmouni, Coupures de presse n°7, 2020 (détail)

Alexia Atmouni, Inventaire n°2, 2022 (détail)

Alexia Atmouni, Effleurements, 2021.

Alexia Atmouni, Epingles II, 2020

Alexia Atmouni, illustration pour Partir, 2023


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Notes

[1Paru en 2017

[2Autrice et éditrice à l’Atelier des Noyers

[3Paru en 2018

[4Paru en 2021



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