Poèmes traduits du japonais par Brigitte Allioux.
Essai « un destin de femme » de Christine Buci-Glucksmann.
Introduction, annexes et journal de voyage de Jacqueline Salmon.
100 photographies de Jacqueline Salmon, dont 60 reproductions en quadrichromie.
La poésie de Misuzu Kaneko s’inscrit dans le mouvement de littérature pour enfants qui débuta en 1911 avec l’œuvre d’Ogawa puis avec la revue Akatori (« L’oiseau rouge »), même si elle se différencie de celle des auteurs considérés comme majeurs dans ce mouvement. Ses poèmes s’éloignent des comptines stricto sensu. Bien que souvent très courts, ils développent une trame narrative présentant une ouverture métaphysique et un regard intimiste sur la nature. Le vocabulaire est simple et les poèmes sont écrits dans un style facilement mémorisable. La réaction à la lecture est quasi instantanée : réflexion, retour sur soi, émotion. Cette poésie s’adresse, certes, tout d’abord aux enfants mais on ne saurait la réduire à de la simple littérature enfantine. (D’après B. Allioux)
Editions érès, collection po&psy a parte, 2018
17 x 21 - 240 pages -30.00 €
Extraits
La Boue
Dans la boue
De ce quartier pauvre
Il y avait
Le ciel bleuHaut, très haut,
Très beau
Il y avait
Le ciel limpideMais dans ce quartier délaissé
La boue
Était
La profondeur du ciel
Là où il y a de la lumière
Là où il y a de la lumière
Là où il y a de la lumièreMême une feuille
Va à l’endroit où filtre le soleilEt l’herbe aussi cachée dans les broussailles
Là où il y a de la lumière
Là où il y a de la lumièreAu risque de se brûler les ailes
Vont vers les lampesLes insectes qui volent dans la nuit
Vers la lumière
Vers la lumièreVers un endroit où ne serait-ce qu’un instant
Coule à flots le soleilVont les enfants qui habitent les villes
Début d’automne
Le vent frais du soir s’est mis à souffler.
Si j’étais au village maintenant ce serait le moment
Où on verrait au loin le soleil couchant sur la mer,
Le moment où attaché à la longe qui le tire,
Rentrerait le bœuf noirCe serait le moment où rentreraient les corbeaux freux
En criant à travers un ciel encore bleuLes aubergines du champ, auront-elles été ramassées ?
Est-ce le moment où le riz lui aussi est en fleurs ?Triste, triste est cette ville !
Rien que maisons… poussière… et ciel…
Pêche miraculeuse
Premières lueurs de l’aube
Au retour d’une grande pêche
D’une grande pêche de sardinesJour de fête sur le rivage
On dirait
Mais dans la mer
Ce sont peut-être
Les funérailles
De milliers et milliers de sardines
La Lampe
J’étais venue
À la fête du village
Mais déjà le bref jour d’automne
DéclinaitAlors que les cris des porteurs du palanquin sacré
Se faisaient plus lointains
Dans la faible clarté des lampes
Si incertaines...Qui fouillaient l’obscurité
Çà et là se devinaient
Des insectes qui doucement
Grésillaient
L’Invisible
Qu’est-ce qui se passe pendant qu’on dort ?
Des pétales couleur pêche
S’amoncellent sur le lit
Mais dès qu’on ouvre les yeux, plus rien, tout disparaîtDe ce que personne n’a jamais vu
Qui peut dire que ce soit un mensonge ?Qu’y a-t-il dans un battement de paupières ?
Un cheval blanc déploie ses ailes
Plus rapide encore que la flèche aux plumes immaculées
Il passe et disparaît dans le bleu du cielDes choses que personne n’a jamais vues
Qui peut dire qu’elles n’existent pas ?
Les Couleurs du ciel
La mer, la mer, pourquoi ce bleu ?
Mais parce que le ciel s’y reflèteSe couvre-t-il de nuages ?
Et la mer aussi semble s’obscurcirLe couchant, le couchant, pourquoi rougeoie-t-il ?
Mais parce que le soleil du soir est rougePourtant… le soleil dans la journée n’est pas bleu
Alors pourquoi le ciel est-il bleu ?Le ciel, le ciel, pourquoi est-il bleu ?
Le Coquillage « Lune-Soleil »
Dans le ciel de l’ouest
Couleur garance
Un soleil écarlate
Va dans la merDans le ciel de l’est
Couleur de perle
Ronde et jaune
La luneLe soleil
Tombé dans le soir
Et la lune noyée
Dans l’aube
Se sont rencontrés au fin fond
Du fond de la merCoquillage Lune-Soleil
Rouge et jaune pâle
Recueilli un jour
Par un pêcheur
La Neige
La neige qui tombe sur la mer devient mer
La neige qui tombe sur la ville devient boue
La neige qui tombe sur la montagne reste neigeLa neige qui est encore dans le ciel,
Que va-t-elle aimer devenir ?
La Chasse à la baleine
C’était par les nuits où gronde la mer
Les nuits d’hiver
J’écoutais les crépitements
Des châtaignes grilléesAutrefois bien autrefois des chasses à la baleine
Avaient lieu ici sur cette mer, dans la baie de Shizugaura
« La Baie Violacée »La mer, une mer démontée, la saison, l’hiver
Et ce qui tourbillonnait follement dans le vent, c’étaient de gros flocons
La corde du harpon s’entremêlait à la neigeLes rochers, les galets, tout était violet
Même l’eau en permanence était violette
Et jusqu’au rivage de la baie qui s’ensanglantait, dit-onVêtus de plusieurs couches de leurs surtouts ouatés,
Debout en vigie sur la proue
Dès que la baleine s’affaiblissait
Ils se dévêtaient d’un coup et complètement nusSe précipitaient dans la furie des vagues.
Oh ces pêcheurs de jadis, de jadis…
À l’entendre cette histoire
Me fait battre le cœurDe nos jours les baleines ne s’approchent plus d’ici
Et notre baie est devenue très pauvreLa mer gronde
Par les nuits d’hiver
Lorsque l’histoire s’achève
Et que l’on y prend garde…
Misuzu Kaneko
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Jacqueline Salmon
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(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)