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Un soleil déjà oblique : variations sur 40 poèmes de Misuzu Kaneko par Jacqueline Salmon, photographe

mardi 8 janvier 2019, par Roselyne Sibille

Poèmes traduits du japonais par Brigitte Allioux.
Essai « un destin de femme » de Christine Buci-Glucksmann.
Introduction, annexes et journal de voyage de Jacqueline Salmon.
100 photographies de Jacqueline Salmon, dont 60 reproductions en quadrichromie.

La poésie de Misuzu Kaneko s’inscrit dans le mouvement de littérature pour enfants qui débuta en 1911 avec l’œuvre d’Ogawa puis avec la revue Akatori (« L’oiseau rouge »), même si elle se différencie de celle des auteurs considérés comme majeurs dans ce mouvement. Ses poèmes s’éloignent des comptines stricto sensu. Bien que souvent très courts, ils développent une trame narrative présentant une ouverture métaphysique et un regard intimiste sur la nature. Le vocabulaire est simple et les poèmes sont écrits dans un style facilement mémorisable. La réaction à la lecture est quasi instantanée : réflexion, retour sur soi, émotion. Cette poésie s’adresse, certes, tout d’abord aux enfants mais on ne saurait la réduire à de la simple littérature enfantine. (D’après B. Allioux)

Editions érès, collection po&psy a parte, 2018
17 x 21 - 240 pages -30.00 €


Extraits

La Boue

Dans la boue
De ce quartier pauvre
Il y avait
Le ciel bleu

Haut, très haut,
Très beau
Il y avait
Le ciel limpide

Mais dans ce quartier délaissé
La boue
Était
La profondeur du ciel

Là où il y a de la lumière

Là où il y a de la lumière
Là où il y a de la lumière

Même une feuille
Va à l’endroit où filtre le soleil

Et l’herbe aussi cachée dans les broussailles

Là où il y a de la lumière
Là où il y a de la lumière

Au risque de se brûler les ailes
Vont vers les lampes

Les insectes qui volent dans la nuit

Vers la lumière
Vers la lumière

Vers un endroit où ne serait-ce qu’un instant
Coule à flots le soleil

Vont les enfants qui habitent les villes

Début d’automne

Le vent frais du soir s’est mis à souffler.

Si j’étais au village maintenant ce serait le moment
Où on verrait au loin le soleil couchant sur la mer,
Le moment où attaché à la longe qui le tire,
Rentrerait le bœuf noir

Ce serait le moment où rentreraient les corbeaux freux
En criant à travers un ciel encore bleu

Les aubergines du champ, auront-elles été ramassées ?
Est-ce le moment où le riz lui aussi est en fleurs ?

Triste, triste est cette ville !
Rien que maisons… poussière… et ciel…

Pêche miraculeuse

Premières lueurs de l’aube
Au retour d’une grande pêche
D’une grande pêche de sardines

Jour de fête sur le rivage
On dirait
Mais dans la mer
Ce sont peut-être
Les funérailles
De milliers et milliers de sardines

La Lampe

J’étais venue
À la fête du village
Mais déjà le bref jour d’automne
Déclinait

Alors que les cris des porteurs du palanquin sacré
Se faisaient plus lointains
Dans la faible clarté des lampes
Si incertaines...

Qui fouillaient l’obscurité
Çà et là se devinaient
Des insectes qui doucement
Grésillaient

L’Invisible

Qu’est-ce qui se passe pendant qu’on dort ?

Des pétales couleur pêche
S’amoncellent sur le lit
Mais dès qu’on ouvre les yeux, plus rien, tout disparaît

De ce que personne n’a jamais vu
Qui peut dire que ce soit un mensonge ?

Qu’y a-t-il dans un battement de paupières ?

Un cheval blanc déploie ses ailes
Plus rapide encore que la flèche aux plumes immaculées
Il passe et disparaît dans le bleu du ciel

Des choses que personne n’a jamais vues
Qui peut dire qu’elles n’existent pas ?

Les Couleurs du ciel

La mer, la mer, pourquoi ce bleu ?
Mais parce que le ciel s’y reflète

Se couvre-t-il de nuages ?
Et la mer aussi semble s’obscurcir

Le couchant, le couchant, pourquoi rougeoie-t-il ?
Mais parce que le soleil du soir est rouge

Pourtant… le soleil dans la journée n’est pas bleu
Alors pourquoi le ciel est-il bleu ?

Le ciel, le ciel, pourquoi est-il bleu ?

Le Coquillage « Lune-Soleil »

Dans le ciel de l’ouest
Couleur garance
Un soleil écarlate
Va dans la mer

Dans le ciel de l’est
Couleur de perle
Ronde et jaune
La lune

Le soleil
Tombé dans le soir
Et la lune noyée
Dans l’aube
Se sont rencontrés au fin fond
Du fond de la mer

Coquillage Lune-Soleil
Rouge et jaune pâle
Recueilli un jour
Par un pêcheur

La Neige

La neige qui tombe sur la mer devient mer
La neige qui tombe sur la ville devient boue
La neige qui tombe sur la montagne reste neige

La neige qui est encore dans le ciel,
Que va-t-elle aimer devenir ?

La Chasse à la baleine

C’était par les nuits où gronde la mer
Les nuits d’hiver
J’écoutais les crépitements
Des châtaignes grillées

Autrefois bien autrefois des chasses à la baleine
Avaient lieu ici sur cette mer, dans la baie de Shizugaura
« La Baie Violacée »

La mer, une mer démontée, la saison, l’hiver
Et ce qui tourbillonnait follement dans le vent, c’étaient de gros flocons
La corde du harpon s’entremêlait à la neige

Les rochers, les galets, tout était violet
Même l’eau en permanence était violette
Et jusqu’au rivage de la baie qui s’ensanglantait, dit-on

Vêtus de plusieurs couches de leurs surtouts ouatés,
Debout en vigie sur la proue
Dès que la baleine s’affaiblissait
Ils se dévêtaient d’un coup et complètement nus

Se précipitaient dans la furie des vagues.
Oh ces pêcheurs de jadis, de jadis…
À l’entendre cette histoire
Me fait battre le cœur

De nos jours les baleines ne s’approchent plus d’ici
Et notre baie est devenue très pauvre

La mer gronde
Par les nuits d’hiver
Lorsque l’histoire s’achève
Et que l’on y prend garde…


Misuzu Kaneko
<

Jacqueline Salmon
>

(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)


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