Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > Paysages > Je suis ce que je vois, Alexandre Hollan, par Cécile Guivarch

Je suis ce que je vois, Alexandre Hollan, par Cécile Guivarch

mardi 31 mars 2020, par Cécile Guivarch

Je suis ce que je vois, Alexandre Hollan, po&psy, collection a parte
Notes et réflexions sur la peinture et le dessin - 1975-2020

Nouvelle édition augmentée d’un livre essentiel. A garder près de soi, à feuilleter, à méditer. Corner les pages, les user à force de lectures et relectures. Je suis ce que je vois est existentiel.

Outre, à l’arbre, omniprésent dans ces notes, je suis sensible à la célébration de la vie, son mouvement, ses vibrations,... telle que déclinée par Alexandre Hollan. Je ne crois pas y avoir lu le mot « mort », en tous les cas, celui-ci est très discret s’il y figure et l’ombre est présente pour mieux ressentir la lumière de la vie. Je m’apprête donc ici à rendre compte d’un GRAND LIVRE.

Dans chacune des parties du livre - chacune représentant une période - le peintre pose les éléments fondateurs de sa réflexion, de sa recherche, en délivre une pensée au plus près des sensations. Sans être exhaustive, chaque partie approfondit différents thèmes, en propose variations et enrichissements : Commencer le travail - regard - la surface du visible - forme - l’espace - profondeur -souffle - vastitude - l’élan - vibrations - mouvement - couleur - espace intérieur - énergie - trait - sensation - silence - présence - respiration… Hollan peint, donne de la profondeur à son œuvre. Il trouve modèle, inspiration, essentiellement dans les arbres qu’il retrouve chaque année dans son mazet de l’Hérault, les considérant comme de vieux amis, avec lesquels le courant passe.

« Être l’arbre ? Être naturel. L’arbre regarde, vient vers nous. Depuis cinquante ans, depuis toujours, je me tiens devant l’arbre et je le regarde. Est-ce que je le vois ? Est-ce qu’il me regarde ? Quelque chose se passe en tout cas, dans notre nature, naturellement. Nous sommes vivants tous les deux à ce moment ».

Si je reprends quelques idées essentielles et auxquelles j’ai été sensible, en tant que lectrice, poète, mais aussi amie des arbres, peut-être parviendrai-je à vous dresser un portrait de ce livre. Je ne suis néanmoins pas si sûre d’y parvenir, par crainte de ne pas être à la hauteur. Je le répète, et le répéterai encore à qui voudra bien l’entendre, il s’agit ici d’un GRAND LIVRE.

Ainsi, tentons… En reportant les idées que j’ai notées au fur-et-à mesure de ma lecture.

  • Peindre, c’est commencer par voir et prendre ce temps de se mettre au travail, de commencer.

« Voir, c’est aussi reconnaître le moment où une perception résonne dans le corps »
« La nature chaque année renouvelle complètement ma manière de voir. C’est probablement ce que j’aime le plus en elle. »

Il s’agit de regarder « le monde qui nous entoure, le monde visible, il y a tellement de choses que nous ne voyons pas. »

  • La question du regard si elle semble essentielle pour peindre, n’est pas suffisante. Hollan s’intéresse autant au visible qu’à l’invisible. Mais aussi à l’ombre qui permet de rencontrer la lumière.

« L’art nous travaille dans la profondeur. Être sensible à son action est un renoncement à ce que nous croyons être, voir, comprendre, sentir. Aimer l’inconnu, aimer ce qui n’a pas de forme, qui n’est pas encore né mais qui existe, comme un enfant dans sa mère, parce que conçu dans l’esprit. »
« L’art n’est que l’expression de la vie intérieure. Tout comme de l’invisible […] Voir prend corps dans la peinture pour retourner à cette origine. »

  • L’artiste observe ce qui change dans le mouvement, celui de peindre, comme celui de la nature, du balancement dans les arbres à la vibration sur la feuille. Il observe cette nature frémissante et se fond avec elle, parfois avec une touche de sensualité.

  • Pour que l’observation se mette en mouvement, il y a aussi la question de comment amorcer le travail, avec « le prix d’être seul », « la force vitale pour dessiner », le « recommencement », « partir des formes, circuler, tourner, s’arrêter, forcer, noircir… » Ainsi viennent la respiration, le souffle, la profondeur.

« Cette grande respiration - ce souffle puissant qui me traverse et qui traverse le dessin, le grandit, l’élargit - lui donne une profondeur, le fait exister. »

« Le regard - mon guide - trouve sa vie dans ce monde frémissant où tout vibre, se transforme, change, se déplace. »

  • Le calme n’est pas toujours ce qui convient pour créer. Il faut parfois également se servir de la violence.

« Deux approches, toujours : engager la violence dans le regard ou développer le calme ».
L’un et l’autre utiles à la création.

  • L’arbre l’inspire. Ainsi, entrer en résonance, faire écho et vibrer.

« J’ai quelque fois l’impression que, quand je suis très calme, c’est l’arbre qui respire ».
« L’arbre bouge, se tend et se relâche. C’est sa manière de toucher l’espace. »
« L’espace et la forme. L’invisible et le visible. Dans l’arbre je peux percevoir le vide en mouvement. Sensation intérieure. »

  • Les énergies sont très présentes dans les recherches d’Hollan. Notamment celle de l’arbre dont il se sert pour peindre.
  • Tout cela ne s’installe pas sans questionnements, sans la pensée en mouvement nécessaire à la création.

« Quelque chose arrive de très loin. Mouvement de l’infini. Il vient et disparaît. Reste un désir profond de le retrouver. La nostalgie respire dans le silence. Elle ne parle pas comme tout le monde. C’est une étrangère. »
« J’ai besoin de retrouver le mouvement de la pensée […] Le mouvement de la pensée apparaît comme un ralentissement, un détachement du superflu, un apaisement. »

  • C’est tout du long de ce recueil de notes, vie et mouvement. Circulation. Energie. Ce qui habite. Ce qui existe. Respiration. S’interroger. Rechercher. Rencontrer peut être un aboutissement.
    « Avec le temps, vient l’expérience de l’immensité et du très petit. Un mouvement grandit, dépasse la forme de l’arbre et résonne dans la profondeur. Cette résonance me renvoie à ma faiblesse. Repartir encore, pour découvrir cette vie qui dépasse l’arbre. »

Ou encore :

« Je sais que l’invisible est dans le visible. Que cette partie de la vie, je peux la toucher dans la nature, par exemple. Elle vient à travers le silence, à travers la sensation. Elle peut me toucher réellement. »Travailler sur le motif« est devenu pour moi un moyen de vivre cette expérience. L’arbre devient un intermédiaire. »

Le livre est bien sûr riche en photographies illustrant le cheminement du poète. Photographies des arbres, souvent les mêmes arbres, on les reconnaît, ou on a la sensation de les reconnaître, au fil des années, avec chevalet posé devant, formes, traits, spirales, lumière, ombres, réfléchis dans les notes. Photos aussi de l’atelier parisien (pour les jours d’hiver) et de natures mortes. Esquisses, fusains, aquarelles,… études. Photos montrant couleurs, mélange de couleurs.

A lire Hollan, toutes nos sensations sont en éveil. Le lecteur regarde l’invisible et le visible, l’arbre, sa surface tout comme sa profondeur. Perçoit l’espace entre l’œil et l’arbre. Suit la pensée du peintre, se laisse guider par son regard. Ressent comme cela vibre. Voit les formes respirer. Entre en résonance avec la nature. La force de réflexion de l’artiste donne à vivre sa peinture. Ainsi, l’art de créer, autant celui de peindre que d’écrire de la poésie, nous permet de voir les choses d’une manière différente, de percevoir le visible dans l’invisible, de sentir sous la surface des choses, le frémissement, les sensations et l’émotion qui alors nous atteignent et donnent forme au mouvement - place à la lumière. Ainsi Hollan vit-il l’acte de peindre, dans une forme de méditation active.

« Etre avec soi-même. Avec moi-même. M’arrêter, me retourner. Effacer le monde lointain. Accepter le proche. L’espace. Le vide dans la tête. Le temps du rien. »
« Trouver l’endroit où l’arbre s’ouvre, où une branche sort et touche l’extérieur. Sentir ce geste et remonter à l’intérieur de l’arbre. »

Je remercie Danièle Faugeras de m’avoir autorisée à reproduire sur cette page photographies et extraits de ce livre important.

Cécile Guivarch

Extraits

Lorsque je peins, le regard flottant, je regarde la nature comme si je voulais nier l’idée même d’un dessin linéaire.
Je commence à sentir l’espace dans lequel baigne le paysage. Arbres et collines flottent dans la lumière et leurs taches se lient, s’enchaînent selon des lignes de force.
Ces lignes vastes, amples, calmes que le regard peut suivre définissent des surfaces : des plans souples dans l’espace. Un plan m’apparaît en mouvement. Par un de ses côtés il s’affirme (bord net), par l’autre il se relâche, s’ouvre. La vision s’ouvre avec chaque plan que le regard touche.

8.75

Depuis quelque temps, je me suis intéressé à la « surface » du visible (cette surface qu’avec calme et légèreté je crois pouvoir traverser...). Je n’avais pas vraiment le choix. Le regard - mon guide - trouve sa vie dans ce monde frémissant où tout vibre, se transforme, change, se déplace. Je cherchais le calme et trouvais le mouvement.
Mais les arbres m’ont convaincu qu’un « calme à ma mesure » habite cette trame frémissante.
Il me semble que les moments qui permettent de voir deviennent de plus en plus rares, et pour créer les conditions de cette intensité intérieure, le mieux me paraît ce face à face actif où je laisse l’image extérieure s’exprimer. J’essaie ainsi de la voir. Par là j’entre dans son mouvement, ses contradictions, ses réactions. Je suis frappé par le plaisir des affirmations provisoires (par exemple des noirs de plus en plus sauvages dans le dessin, des rapports contrastés ou des ruptures dans la couleur). Ces exaltations superficielles ont une vie courte mais de leur deuil naît cette lenteur qui bouge dans l’espace, qui traverse les murs.

Extrait d’une lettre à Y. B., 6.3.96

La nature veut que les mouvements se rejoignent. Au début apparaît l’élan, une projection aveugle, un besoin de bouger. Pourtant vite apparaît un but, un besoin d’être là. Entre l’élan et ce but se produit un aller et retour. Si cette relation est suffisamment précise et fixe, ces allers et retours permettent la naissance de l’image entre une attirance extérieure et un besoin de présence. Ces allers et retours créent aussi un espace, une distance entre moi et mes perceptions. L’animer et le remplir est l’étape suivante. L’espace, entre moi et mes perceptions est une présence intermédiaire, qui peut communiquer avec le « grand espace ». Ce monde intermédiaire est plein de contradictions : voir / sentir, forme / mouvement, élan / vide, trait / effacement. Maintenir ces contradictions, par la patience, par la pensée, et l’expérience apporte la durée.

12.8.10

Ce que je cherche encore dans cette vie si bonne et patiente qui m’entoure silencieusement, c’est trouver un écho en moi-même. Quand je suis devant le chêne et que tout bouge, découvrir dans les changements, dans les transformations, le temps de la conscience renaissante. Ces moments d’une perception personnelle ont une petite durée, la mienne. Travailler à l’intérieur de ce temps.

4.8.17


Bookmark and Share


Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés