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La Plume d’Ange - Marilyne Bertoncini et Emily Walcker

lundi 3 juillet 2023, par Roselyne Sibille

C’était un soir blond de septembre.
La lumière vibrait comme une eau limpide dans le bassin du ciel. De minuscules éclairs d’un vert neuf brillaient dans la toison terreuse des pelouses.
Avec un frémissement de plumes, les rameaux des arbres se décrispaient dans l’air tiède.
Sur le seuil de la bibliothèque, le professeur Ange Tardini sentit immédiatement que tout dehors s’était réellement adouci – même les bruits de la ville, atténués, semblaient caresser l’air.

Il retrouva ce soir-là le banc couvert d’une dansante dentelle d’ombre, sur la placette de briques roses où une fillette jouait avec un ballon rouge, qu’elle lançait de plus en plus haut vers le ciel, comme si elle voulait le faire disparaître par-delà la cime des arbres.
On n’entendait que la rumeur de la fontaine, le ploc du ballon qui faisait jaillir une poussière d’or à chaque retombée, et les cris de joie de l’enfant répercutés par le mur de l’église dont l’ombre avançait insensiblement pour mordre la lumière.

A l’endroit où la petite fille avait joué, des éclats de reflets s’animaient dans la pénombre. Il ajusta ses lunettes - un bout de verre ? un bijou perdu par l’enfant ? Non. Quand il s’approcha, il trouva une plume, qui palpitait. Une très belle plume, malgré sa dimension - et qui ne ressemblait pas à celles des pigeons, bien qu’elle rappelât l’irisation de leur poitrine. Peut-être une plume de canard ? Il la tint un instant au creux de la main, où elle brillait de toute sa moire, comme un joyau - comme ces belles plumes qu’on ajoutait jadis aux chapeaux... davantage même. Peut-être appartenait-elle à la joueuse de ballon - et si elle l’avait cherchée ?
Il décida alors de la garder pour la lui rendre le lendemain, et la rangea soigneusement entre les pages de son carnet de notes.

... S’il avait su peindre, il aurait pu la reproduire exactement, tant il l’avait observée, mais il sentait aussi, confusément, que ses couleurs n’existaient que dans le rêve. Elle était - différente. C’était le mot qui convenait. Il n’avait jamais vu une telle intensité de tons ; rien d’aussi fascinant que le jeu de clair-obscur qui se modelait autour d’elle ; rien de plus étrange que cette fragilité aérienne, qui évoquait pourtant l’impénétrable dureté du métal. Avant de se coucher, il la posa délicatement sur la table de chevet. On aurait dit un joyau d’où jaillissaient d’imperceptibles éclairs noirs dans la pénombre.

Marilyne Bertoncini, La Plume d’ange, illustrations Emily Walcker, éditions Chemins de plume, 2022

(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)


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