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Flora Beillouin, Extrait de Dakar, carnets de voyage...

samedi 30 mars 2019, par Cécile Guivarch

Extrait de Nos œuvres inutiles

Dakar

Je passe la lame du rasoir sur ton crâne.
Il fait chaud. Les gens fourmillent alentour
nous lancent des regards obliques
mais ne remarquent pas la mousse fraîche du savon
ni mes mains sur ta peau.
Ils sentent simplement tes yeux danser autour de mes gestes.
Un rideau rouge.
Le carrelage blanc de la terrasse
où se blottissent nos corps consumés de nuit.
Ici, dehors n’est pas vraiment dehors
et le chant des oiseaux indique
l’heure de la première prière.

Nous cherchons un désert qui n’existe pas.
Des rues ensablées entre deux bras de mer.
Un marché nocturne sous un ciel d’étoiles.
Des milliards d’étoiles
nous transpercent la peau
comme si le ciel
leur était étranger.
*
La route n’est pas une route.
Nous nous enfouissons en elle,
elle nous recouvre de ses ornières,
de ses cailloux, de sa poussière.
Aujourd’hui a ce goût étrange d’herbe amère.
Temps mort.

Le soleil et les mouches tombent sur le papier à fleurs,
se noient dans les verres d’hibiscus
d’un restaurant ordinaire.
La mer lèche les murs,
plus haute, plus haute,
érode les abris de fortune.
*
Nous traversons des ponts sous la lune.
Les chants s’élèvent depuis la mosquée,
se joignent aux gémissements des chèvres rêveuses,
étendent leurs ondes à la surface de l’eau.
Les pirogues sont des berceaux vides abandonnés au fleuve.
Le vent charrie une odeur d’étable
une chaleur de premier foyer humain.
Il ne reste que des silhouettes vêtues de blanc
pour convoquer l’esprit des marabouts défunts.
D’autres s’en reviennent d’une fête évanouie.
Nous avons dansé la séparation comme une transe.

Le soleil ne chauffe pas, il brûle.
Même aux heures où circule une brise faible, timide.
Petit-déjeuner : Nescafé, lait en poudre et pain sec.
*
Nous avons fini par trouver le désert entre les vagues.
Des ossements encore couverts de peau en putréfaction.
Nous avons bu le jus rouge des figues de barbarie
des épines plein les mains.


Flora Beillouin est née à Angers à l’automne 1986. Sans jamais cesser de peindre, de graver, de dessiner, elle devient journaliste à L’Humanité puis en freelance entre le Nord de la France, L’Argentine et le Mexique pour des titres créatifs et engagés tels qu’Article 11 ou L’Impossible.
En 2013, elle crée l’atelier d’édition collectif La Marge à Angers, avec ses livres artisanaux réalisés à partir de cartons et de tissus de récupération, peints à la main.
Aujourd’hui installée à Lille, elle coordonne le Labo 148 de la Condition Publique, un projet d’audiovisuel participatif ancré dans les quartiers populaires, tout en poursuivant son exploration de la gravure, de l’illustration, de l’écriture et du documentaire au sein du collectif La Friche.
Son univers, à la fois sombre et poétique, s’empare du réel pour mieux le questionner, l’explorer, le disséquer à coups de lignes nerveuses et spontanées. L’exil, les scènes de vie, l’aveuglement d’une société en sommeil, la présence transcendée de la nature, la sexualité et la solitude sont autant de thèmes récurrents dans ses travaux, parfois influencés par la scène artistique mexicaine.
Site web : https://florabeillouin.jimdo.com/

Bibliographie

  • La montagne aux sept couleurs, avec Luc Vidal, Le Petit Véhicule, à paraître en avril 2019.
  • Tandis qu’une petite fille, avec Thomas Suel, La Marge, à paraître en avril 2019.
  • Oscuridad, avec Jordi Garcia Rodriguez, La Marge, 2018.
  • LV1, Appelle-moi poésie, collectif, 2016.
  • Ladridos de perro absurdo, avec Antonio Reyes Carrasco, Editorial Sophia, 2015.
  • Petit voyage tout le long de mes nerfs, avec Francis Krembel, Traumfabrik, 2014.
  • Chez les oubliés du delta, Bouts du monde, 2014.
  • Le Cavalier rouge, avec Francis Krembel, La Marge, 2013.
  • Chemin de nuit, avec Vincent Delfosse, La Marge, 2013.
  • On dirait le Sud, L’Impossible, 2012.

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