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Parenthèse(s) par Frédérique Germanaud

mercredi 13 janvier 2021, par Cécile Guivarch

Les textes sont accompagnés d’œuvres réalisées au pastel sec et feutre.
(Merci à Sophie Rousteau pour la prise de vue)

 

L’apparition du monde ne trouve sa justification
ni dans l’absolue raison de Newton
ni dans les divagations hasardeuses d’Epicure.
Mon existence, pas davantage.
Le géranium est mort.
Il pleut. (Les dimanches la pluie plus pluie que les autres jours)

Dans la vie, une seule porte d’entrée.
Les portes de sortie sont infinies.

 

J’habite « au premier par l’escalier, au deuxième par l’ascenseur ».
C’est ma vie mal située.
C’est aussi un pari sur chaque visiteur.
Je tire au sort le numéro que je délivre dans l’interphone.
Fortuna déesse du hasard était représentée ailée (l’ascenseur) ou aveugle (l’escalier).
Il y a si peu de certitudes dans une vie.

Les choix impossibles font de puissants ressorts dramatiques.
Vouloir ne rien garder, puis tout.
Naître ou ne pas naître.
Mourir ou vivre.
Nulle nécessité à rien.

 

6 heures 15 sur zone.
Visibilité nulle.
Température 16 degrés.
J’heurte un obstacle non identifié.
Marche arrière et manœuvre de contournement. J’atteins un îlot (Terre ! Terre !) puis une source chaude.
Le café.
Les fleuves sont habités par des nymphes, les rivières par des dieux barbus.
Le café est une rivière.
Une demi-heure plus tard, sans rencontrer âme qui vive, je m’enfonce dans le chenal qui mène aux confins du territoire. Le terme du voyage : un cul-de sac obscur dans lequel se devine à peine, luisant faiblement, un corps blanchâtre monté sur un pied trapu.
Étrange animal.

 

Cartographier mon foyer.
Ses reliefs, ses dépressions, ses cours d’eau, son climat, sa faune et sa flore. (Ses dépressions surtout)
Reporter les relevés sur une page arrachée au cahier.
Plier la feuille en huit (le mythique et mystérieux et incompréhensible huitième pli).
Mettre la maison dans ma poche et la quitter.
La déplier en attendant mon tour à la boulangerie.
Y envelopper un croissant.
La tâcher de gras.
Marie-Salope ne sait tenir sa maison.

 

Cent vies et plus dans cinquante mètres carrés.
Je vogue sur un navire de papier, rame, rame.
Croise un avion sur un tarmac poussiéreux, une cocotte crevée dans une couverture à carreaux (l’étendue de mes compétences origamistiques).
J’ai un rapport difficile avec la réalité.
Oh mon bateau chante Éric Morena en chemise à jabot et moustache de Zorro qui faisait si fort battre le cœur et briller les yeux de ma grand-mère.
Une tortue à dos de mosaïque surveille mon bain.
L’eau monte.
Je regarde les photographies de l’album de Marie Morel.
C’est bientôt marée haute.
Puis raz-de-marée.
Je sauve le livre et la tortue (ainsi Noé).
Marcel et Tintin sèchent dans un rayon de soleil, leur fourrure si élimée qu’on voit le crin dont ils sont farcis.

 

Mas a Terra
Six-cents kilomètres des côtes chiliennes.
Alexander Selkirk y fut débarqué.
Il passa seul quatre ans et quatre jours (et quatre heures pour la beauté du geste). Nourri de crustacés et d’algues en salade.
La solitude, la misère et le remords furent ses seuls compagnons.
Ne lui fut même pas accordée la joie de savoir que le navire qui l’abandonna coula, noyant tout l’équipage.
Il construisit deux cabanes en bois de poivrier.
J’attends sur une chaise que vienne un secours.
Que passe un bateau.
Un bout de jambon coincé entre les dents et des miettes à mes pieds.

Il y a des îles qu’on abandonne, d’autres où l’on est abandonné.
Peu où l’on s’abandonne (ça s’appelle alors des baignoires ou des lits)

Le temps d’incubation de la mort est variable (somme toute).

 

Le naufrage est la perte accidentelle d’un navire.
Il peut être maritime, fluvial ou lacustre. (Un autre mot désigne l’effondrement sur terre)
Il peut être dû à une avarie, une erreur de navigation, une météorologie défavorable.
Les débris d’un naufrage appartiennent au seigneur des lieux où ils se sont échoués.
C’est le droit de bris.
(Et je n’en dirai pas plus)

 

Il ne faudrait mourir que temporairement.
Pour le seul bonheur de ressusciter
Et de téléphoner à nouveau à ses amis
En espérant n’être pas déjà loin de leur mémoire.
J’imagine la joie de mon chien.
L’étonnement de la voisine.
Nous ouvrirons une bouteille pour fêter mon retour ( la voisine aime ouvrir des bouteilles)

Je m’éveille au matin épuisée d’avoir passé la nuit à manigancer de tels stratagèmes. (Et la gueule de bois)

Le bonheur est un mot grave.

 

Page réalisée avec la complicité de Clara Regy


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