Comment rendre aux mots
la saveur de tes lèvres ?
Comment habiter sans trahir
ta nuit tissée de braises ?
Tu as fait danser l’aurore
aux sabots des chevaux
Tu as choisi la relève du vent
l’oiseau qui froisse le feuillage
Du silence a jailli
une cantate à deux voix
Tu m’as fait découvrir
le chemin des écluses
le chant des eaux vives
(Extraits de Feux nomades de Jacques Robinet)
Le printemps ose une fine bruine sur le murmure des mondes
À peine
Un troglodyte bruisse sur l’arbre à découvert
Je bêche quelques mots ‒ il y a au jardin une pensée profonde
Creuse
Creuse
Les murs ont la paresse de n’être que debout
Le ciel fait ce qu’il peut s’il est gris
Je range la bêche à l’étroit
Dans la langue du sol
*
Parfois mes mots ma langue
Et ces peurs étranges
Que des gamins
L’emportent
Vers des grilles trop hautes
Sous la voûte lente du cœur
(Extraits de Ce long sillage du cœur de Philippe Leuckx)
le noir
le noir s’enfuit vers le creux des monstres, ils s’embrasent avec la force des dragons – dans l’amble, l’émeraude des verts d’eau.
Ainsi s’émiette la nuit, murmurai-je
*
dune
cette oraison, à l’heure du Géant :
l’océan égruge, fouaille, brutalise ses propres entrailles,
toute sa filiation
il s’affronte en lui-même, sens, contre le sens
pour la lutte :
tout le mystère souverain d’une baderne en friche
de la dune remparée
des coquelicots pour contenir les ravages
(Extraits de À la brunante de Serge Airoldi)
Nos silhouettes se tiennent coites dans les décombres de la lumière, se fondent dans les angles. Peu à peu, nos liens avec le jour se défont. Venue de l’accumulation des heures, une voix se fait entendre, en nous, devenus transparents, l’écoutant.
Souvent, la voix qui habite en nous, laisse la place à celles de ceux que nous chérissons. Les yeux, à le fixer, semblent vouloir être le ciel à la place du ciel, la mémoire divague. Quelque chose d’invisible a lieu entre la tête et le bleu, provoque un brusque changement de lumière. Une larme qui le reflète, tombe en laissant s’enfuir le nuage.
(Extraits de Ce peu de soi de Michel Bourçon)
Césures
De ceci dériver
Le possible empêchement des choses
Le monde ne nous a pas été refusé
Il s’est coupé de nous
Voilà la sanction des herbes vacantes
Et leur désordre de silence
(Extraits de Pollens Florent Papin)
Va au plus simple
au plus léger
avec des mots nus
sans habits de fête
Des mots de source
de brise de poussière
Énonce seulement
cela qui brille encore
au fond de la rivière
où tant d’eau est passée
Une perle scintille
dans la boue du lisier
Les fleurs renaissent
au bord du chemin
Ne garde que la lumière
(Extrait de La nuit réconciliée de Jacques Robinet)
Je voudrais dire l’indicible
cette douleur sans chagrin
cette peine sans partage
le deuil impossible du père
que je ne regretterai pas.
*
Viens à la lande
sous le ciel immense
aux reflets d’argent
et cendre
chercher l’arbre d’une présence
l’eau des profondeurs.
Un rayon de soleil perce
le vent souffle la poussière rouge
saignée des pierres larme à larme
jusqu’à ta bouche.
Silence
parmi les fleurs.
(Extraits de D’Ararat de Noée Maire)
Débusquer la mort
dans ses jardins de pierre
Rendre à la rosée
son royaume éphémère
*
Il n’est pas de prison
au royaume du vent
Sur les plages désertées
le vent griffonne sur le sable
demain tout sera effacé
Ce soir une mouette
apprivoise l’orage
(Extraits de Frontières de sable de Jacques Robinet)
Elle et lui, dans un pré.
Un pré, peut-être.
Un pré sur les ruines, à la lisière du bois.
La lumière est pâle. Une lumière de lune.
Et le grondement, sourd, au loin, telle ni grave ni aiguë
une voix, immergée en elle-même.
Une voix pourtant. Sinon quoi ?
Les vagues ?
Quelles vagues ?
L’algue ou le corail ?
Quelle algue, quel corail ?
Ô eau immobile de la rivière ou l’étang
quand le vent n’est pas là
(Extraits de De la poussière sur vos cils de Julien Bosc)
(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)
