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Tu dis la vie, de Cécile Guivarch et Jean-Louis Kuntzel, par Sabine Dewulf

jeudi 5 décembre 2024, par Sabine Dewulf

 

Tu dis la vie, de Cécile Guivarch et Jean-Louis Kuntzel, préface de Germain Roesz, collection Duo, éditions Les Lieux-Dits, 101 pages, 20 €.
 

D’abord – sous les doigts de Jean-Louis Kuntzel –, c’est un bouquet de couleurs, fraîches et légères, un peu comme dans les peintures de Dufy, plus abstrait cependant (non moins vivant, loin s’en faut) : il n’y a pas ici le moindre décor, le moindre indice de lieu géographique. Nous voici immergés dans la nature, à laquelle se mêle toute la clarté de l’enfance : des traits comme des herbes roses, des taches vertes, buissons ou cœurs, puis, un peu plus loin, une explosion vert tendre dans un essaim de fleurs ou de feuilles esquissées à l’encre noire, de petites taches rouges… Aucun doute : nous sommes dans la vie. Ailleurs, ce sont des roses ou des bosquets fleuris, d’un rose sang, et puis des verts encore, parcourus de fils rouges : la dentelle des songes ou des jeux fugitifs... Nous passons entre des fleurs, des prairies, des chemins en pointillés. Une profusion vitale nous emporte, nous plongeons dans des couleurs qui ressemblent à la sève, près d’un nid ou dans un ciel dont les nuages seraient faits de verdure… Partout se brodent avec délicatesse des frissons de feuillages, des promesses de fruits, une poignée d’allégresse lancée dans les airs…

 

 

Rien d’étonnant si Cécile Guivarch a ressenti le désir de se glisser dans ces peintures, d’écrire sur leurs marges comme on se pose sur les rivages qui nous apaisent et nous ravivent. La correspondance entre la poète et le peintre a duré 6 mois. Dans le titre du livre, « Tu dis » indique le dialogue (l’élan vers) et l’écoute surtout, l’entente profonde, la soif d’un vrai partage… Car ici, « la vie » est partout, elle déborde des dessins et des mots qui se font légers et discrets à souhait : en effet, « Une prairie ça ne dit mot ça fleurit ». Quelle belle entrée en matière ! Les poèmes nés des images sont à vivre, avant tout, à sentir, à laisser pousser, s’épanouir en nous : « et vous fleurissez encore et encore / de traits d’eau et de rivière de mots / dressés sur leur tige ». La symbiose est parfaite : la poète entend les murmures du pinceau ; les paysages indicibles de l’artiste ont suscité des vers qui ne recouvrent rien et laissent respirer. C’est tout l’ouvrage qui respire, qui éblouit et laisse libre la lecture : « – je rêve ce verbe d’herbe – ».

Dans les poèmes où les mots virevoltent, la nature est un corps animé, perméable, qui aspire à plus haut, à l’immense : « Ces prairies allongées vers le ciel / (du vert – du vert – s’élève) ». Les « rivières » « vont et marchent » comme les « corps » ; « arbres fleurs » sont comme « hommes femmes », « reliés traits pour traits », en l’espace grand ouvert, « souffle pour souffle ». Il n’y a plus de distance entre « Nous », la « terre » et les « feuilles »… Les mots comme les peintures rendent sa fluidité au monde, son unité sinueuse (« les boucles de nos pas / cercles dans l’eau »). Il s’agit en effet de « Tracer le vivant – ses mouvements », d’être infiniment fidèle au réel déployé. Secrètement sonores, les mots tour à tour se suspendent (« sa couleur un peu trop »), font refrain (« tout ce rose tout ce rose ») ou s’agrègent (« éclosions explosions par milliers »), tout comme les éléments de l’univers adhèrent les uns aux autres, sans frontière, dans le vertige bienheureux des découvertes : « c’est le dehors – le dedans ».

 

 

D’une manière vive et directe, le lien se tisse aussi de la poète à l’artiste : « Tu viens dans le poème / je crois j’effleure tes dessins ». Les émotions débordent comme les couleurs, à l’image de ce « pigment » peut-être « né d’un trop de vie d’un trop d’ardeur ». Le dialogue né d’une contemplation fait surgir l’angoisse près de l’émerveillement : « Puis un amas de racines / nœuds au milieu d’un canal / j’en ai la gorge serrée » – resserrement bientôt dissous dans la vie « tout autour » : « toujours la vie / puissante étonnamment ». L’osmose est ainsi totale entre peintures et poèmes, entre ce qui se dit et se vit, se touche et se respire : « ce vert nous enroule dans / ce grand tout – eau et herbe – / nous partageons le même ciel ».

C’est là un livre merveilleux, qui à la fois étreint et laisse s’écouler sans retenue, recousant le collier insouciant des saisons : « Les arbres ont appris à perdre / font renaître les feuilles ». L’énergie qui circule entre les verts, les rouge rosé, les traces envolées et les mots si fertiles nous abreuve, nous réveille, invite à l’essentiel. Nous recouvrons l’ardeur profonde de notre enfance, qui brûle le corps et afflue sur la peau : « J’écris les joues rouges ». Nous éprouvons de nouveau l’élan d’un esprit qui est souffle et rumeur, envol et consistance, envers et contre tout, parmi « les ruines » et le « vert » jaillissant :

« Les roseaux se mêlent aux cheveux
Visage mêlé d’herbes et d’eau
les oiseaux chantent en nous
un ciel plus profond »

Sabine Dewulf


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