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Les livres d’artiste de Michel Remaud, suivi d’un entretien avec Isabelle Lévesque

samedi 30 octobre 2021, par Cécile Guivarch

Photographie de Mina Thevenin

Le peintre Michel Remaud a réalisé, depuis 2008, plus de soixante-dix livres d’artistes avec des poètes et écrivains d’une grande diversité : Daniel Kay, Pierre Tanguy, Jean-Pierre Boulic, Déborah Heissler, Lorand Gaspar, Gilles Plazy, Émilienne Kerhoas, Jean-Michel Maulpoix, Marie-Hélène Prouteau, Gérard Le Gouic, Dominique Sampiero, Jean-Pierre Nedellec et bien d’autres dont on peut trouver la liste complète sur le site internet de l’artiste.
La plupart de ses livres d’artiste et « livres pauvres » sont présents dans le « fonds Michel Remaud » récemment créé à la médiathèque de Quimper.
Nous présentons ici quelques-uns des livres d’artiste réalisés depuis 2018.

Isabelle Lévesque

Adeline Baldacchino, L’heure absolue (2020)

 

32 cm x 16 cm
4 planches sous coffret

 

l’heure absolue
s’ouvrait comme une fleur
A.B.

 

***

Alain-Gabriel Monot, Un voile léger (2021)

 

30,5 cm x 16,5 cm
3 planches et 1 peinture

 

Place au vide,

           au blanc,

                    à l’énigme.

A.-G. M.

 

***

Alain Le Beuze, Impatience de la nuit (2020)

 

29 cm x 16 cm
4 planches et 1 peinture

 

Le crépuscule lègue à la nuit le blason d’une noblesse déchue.
Les arbres tanguent dans les branchages d’une brise marine.

A.LB.

 

***

Daniel Leuwers, 6 Villes (et quelques ailleurs) (2021)

 

23 cm x 23 cm
6 planches

 

Lisboa
comme un boa qui se lisse
et le Tage pour accéder
à l’étage de l’amour.

D.L.

 

***

Gilles Plazy, La nuit étend ses ailes (2021)

 

6 ex. sur BFK 250 g. – 31 cm x 17 cm
3 planches et 1 peinture sous coffret

 

La nuit étend ses ailes
sur les épaules du jour
dans la cathédrale effondrée
sous le pont des artifices

G.P.

 

***

Daniel Kay, Dans la nuit aveuglante et sans fin (2018)

 

24,5 cm x 29 cm
6 planches sous coffret

 

Dans la nuit sans fin
vous frappez de nouveau aux portes.
Vous savez qu’on ne vous attend plus.

D.K.

 

***

Erwann Rougé, Cormoran (2020)

 

25,5 cm x 28,5 cm
3 planches et 1 peinture

 

Tout reprendre vider son eau
refaire l’étendue du territoire

plus encore ouvrir l’air
le peu de phrases
déplie ses ailes

E.R.

 

***

Gilles Baudry, À mots couverts (2020)

 

28 cm x 18 cm
6 planches et 1 peinture

 

À l’appel des lisières
les étoiles s’allument sur la mer

G.B.

 

***

Guy Goffette, Evenaissance (2019)

 

30 cm x 15 cm
3 planches et 1 peinture « hors-texte »

 

Mystère des courbes que l’âme lie et délie
sans que le secret se répande.

G.G.

 

***

Jean Gabriel Cosculluela, Debaxo (2018)

 

30 cm x 15 cm
4 planches sous coffret

 

Nous marchons
et le chemin,
au plus bas,
est gorgé d’eau,
avec des mots,
le silence,
des images,
tout contre l’oubli.

JG.C.

 

***

texte de Laurent Grison, musique de Jean-Yves Bosseur
Magnétique Magma Même (2020)

 

26,5 cm x 19 cm
3 planches sous coffret

 

des vies retrouvées
au tréfonds d’une œuvre
dont les stries écrivent
l’espace infini du poème
dans le langage inouï
de l’art et du désir

L.G.

 

***

Nicolas Morvan, Bruxelles, fragments (2021)

 

23,5 cm x 19,5 cm
8 planches

 

Une goutte de pluie
Aléatoire dessine une trace
Éphémère et distante
Sur une vitre translucide

N.M.

 

***

Olivier Barbarant, Le pavillon de l’aurore (2021)

 

24 cm x 24 cm
5 planches

 

C’est d’abord un instant dans une aube d’été où traînent en écharpe
Les débris d’une brume fraîche
Mais où l’on sent vibrer déjà sous les nuées la tôle brûlée du soleil
Comme une eau d’avant l’incendie

O.B.

 

***

Philippe Le Guillou, Grèves (2021)

 

21 cm x 21,5cm
5 planches et 1 peinture

 

Ici je demeurais immobile, fasciné par le silence, la surface sans ride de la mer, la lumière filtrée par l’écran des arbres.

P.LG.

 

***

Pierre Bergounioux, Saisons (2021)

 

28,5 cm x 18,5 cm
4 planches

 

Conformément au premier principe de la philosophie de l’histoire, qui veut que le passé soit présent dans nos instants, il n’est pas de tableau qui ne présuppose, pour la révoquer, toute la tradition picturale.

P.B.

 

***

Sylvestre Clancier, Les mots de l’estuaire (2020)

 

23 cm x 27 cm
6 planches

 

Chairs de vases agglutinées
Sables d’or du temps passé
Basses terres
témoins des marées
des basses et hautes mers

Linceul de la baie

S.C.

Quelques mots sur mon travail

Je pense le livre d’artiste comme un « lieu unique » de dialogue et de liberté où chaque artiste se révèle à lui-même par la rencontre avec l’autre et l’exploration de nouveaux territoires sensibles. Par la mise en présence toujours renouvelée de deux modes d’expression, voire davantage, il s’agit de donner corps à un nouveau questionnement sur le monde et d’aboutir à cet objet à voix multiples qu’est le livre d’artiste.
Les auteurs avec lesquels j’ai le bonheur de travailler sont tous des artistes qui interrogent avec force le monde, l’art, l’être humain et c’est en eux que je puise l’essentiel de ce que je cherche.
Chacun des ouvrages issus d’un texte doit être un nouveau lieu unique où le verbe et l’image se partagent le même espace. C’est la raison pour laquelle je ne réalise que des tirages limités en nombre. Les peintures sont toutes originales, et la mise en page de l’ensemble demande autant de soin que les emboîtages confiés depuis les tout débuts de mon activité à Jeanne Frère, installée à Nantes.
Mon travail de peintre est lui aussi pour une grande part lié au livre. Mes toiles et mes papiers sont le plus souvent nés de planches de mes livres, celles-ci constituant une sorte de matrice où s’exercent ma liberté et un imaginaire renouvelé par la présence de chaque texte, chaque poète. Bien entendu, entre le livre et la toile la différence majeure est celle du passage au grand format qui détermine un autre geste, une autre ampleur et in fine une œuvre avec une singularité propre ancrée dans un travail nourri par le mot et le monde.

Michel Remaud, juillet 2021

Entretien
et quelques peintures récentes

Isabelle Lévesque : Comment es-tu venu à la peinture ? Quels peintres ou quelles œuvres t’ont aidé à trouver ton chemin dans ce domaine ?

Michel Remaud : Je ne suis pas venu à la peinture ; j’en ai toujours fait… Mais j’ai eu des périodes d’interruption durant lesquelles les priorités étaient ailleurs. Je me suis aussi tourné vers la photographie durant mes deux années de coopération en Afrique du Nord. A notre retour en France, j’ai continué la pratique de la photo, noir et blanc, parce que je me suis vite aperçu que, sur un plan graphique, le noir et blanc était une école exigeante de composition d’une image. Cela m’a beaucoup servi plus tard dans ma peinture.
C’est au début des années 80 que j’ai repris le crayon, les pinceaux et que je m’y suis remis, timidement et maladroitement. Je n’ai jamais suivi de cours en dehors de ceux du collège et du lycée et j’ai donc toujours été un artiste autodidacte, largement nourri des peintres impressionnistes, notamment Monet pour lequel je continue à avoir une profonde admiration.
Puis j’ai découvert Bonnard et c’est lui, son œuvre, qui m’a montré un chemin, le mien, que j’ai d’ailleurs mis quelques années à trouver…

I.L. : Quel est ton parcours de lecteur de poésie ? A-t-il toujours été associé à ta découverte de la peinture ?

M.R. : Pendant mes études, je ne peux pas dire que la poésie m’a passionné. J’y étais même assez indifférent. Mes intérêts littéraires allaient plutôt vers le roman, la philosophie et ensuite, résolument, vers la littérature américaine. Les classiques : Hawthorne, Hemingway, Steinbeck, Faulkner, (Arthur) Miller, Tennessee Williams, Auster, que j’ai pris plaisir à transmettre à mes élèves pendant 35 ans… Mais pas de poètes…
Ma peinture, auparavant, pendant de nombreuses années a été très soutenue par la musique, baroque notamment. C’est elle qui me permettait les évasions dont j’avais besoin, les rythmes et les harmonies chromatiques que je cherchais. Mais toujours pas de poètes…
La poésie est venue presque à mon insu lorsque j’ai eu la chance en 2007 qu’un poète, dont j’ignorais tout y compris le nom même (en l’occurrence, il s’agissait de Daniel Kay) me propose, sur un texte original de lui, de faire mon tout premier livre d’artiste. Une conversation anodine à table lors du vernissage d’une expo où je montrais mes dernières peintures a suffi pour donner l’impulsion. Immense joie intérieure… et début de l’aventure !

acrylique sur toile 80 cm x 160 cm

I.L. : Qu’est-ce qui t’a amené à créer des livres d’artiste ? Avais-tu des modèles ou des exemples dans ce domaine ?

M.R. : Lorsque j’exposais de 2000 à 2009 chez Patrick Gaultier à Quimper, j’ai, bien sûr, assidument fréquenté cette galerie et les artistes qui y montraient leurs œuvres et c’est à cette époque que j’ai fait la connaissance de Thierry Le Saëc, de ses peintures et de ses livres d’artiste. Je crois que le désir est né à ces occasions : je savais que c’était cela que je voulais faire en tant qu’artiste. J’ignorais quoi et comment mais ce chemin était le bon ; la rencontre avec Daniel Kay est arrivée à point nommé !

I.L. : Pourquoi ne pas donner un nom à tes éditions ? Il semble que tu aies utilisé celui d’« Izella éditions » avant d’y renoncer…

M.R. : Je n’ai pas du tout abandonné : tous mes livres portent la mention « Izella éditions ». Sauf peut-être au tout début…

I.L. : T’occupes-tu toi-même de la fabrication des livres, à commencer par leur impression ?

M.R. : J’ai voulu très vite m’occuper de tout dans la « fabrication » de mes livres, du choix du papier aux ultimes impressions en passant par la mise en page, le format et le nombre d’exemplaires. Façon d’être pleinement libre de mes envies. La toute dernière étape du travail, et pas la moindre, l’emboîtage, est confié depuis le tout premier livre (en 2008) à Jeanne Frère dont l’atelier est à Nantes et qui fait un travail absolument remarquable. C’est avec elle que le livre devient un véritable objet d’art unique.

I.L. : Combien d’exemplaires de chaque livre réalises-tu ? Quelles techniques utilises-tu pour les peintures des livres d’artiste ? Et pour tes toiles ?

M.R. : Chaque livre est réalisé entre 5 et 9 exemplaires. Je ne suis pas fou de techniques sophistiquées et complexes dans mon travail. J’utilise toujours le même papier, un BFK de Rives 250g. pour tout un ensemble de raisons, d’ordre plastique bien sûr, mais également parce que je lui trouve une belle sensualité au toucher, ce qui me paraît essentiel quand il s’agit de travailler le papier. Pour ce qui est du medium c’est l’acrylique qui a ceci de pratique c’est qu’il autorise tous les usages et tous les effets possibles (matières, transparences, opacités, fluidités…).

acrylique sur toile 80 cm x 100 cm

I.L. : Envisages-tu une collection courante ou préfères-tu rester dans le rare et l’exceptionnel ?

M.R. : Non, je n’envisage pas –pour le moment en tous cas- de collection courante. C’est arrivé une fois et bien que ça se soit plutôt bien passé avec l’éditeur, j’ai quand même compris que ce n’était pas du tout dans l’idée de ce que je voulais faire. Cette idée se trouvait en quelque sorte un peu dévoyée par le recours à l’impression numérique et en nombre, même si, je le redis, l’objet réalisé n’était pas mauvais. Il était juste devenu autre chose que mon livre de départ. Je n’ai donc pas répété l’opération.
Mon propos est que le livre d’artiste doit rester rare et singulier. C’est la raison pour laquelle toutes mes planches sont des peintures ou des dessins originaux, ce qui fait que chaque livre est unique tout en appartenant à une même série. J’ajoute que le geste doit rester frais et léger et je vois mal cela possible (sauf pour les gravures, évidemment) si l’on dépasse un certain nombre.

acrylique sur toile 100 cm x 100 cm

I.L. : Comment tes livres d’artiste sont-ils présentés au public ? Peut-on les trouver dans des galeries, des salons, des institutions ? Peut-on les commander sur internet ?

M.R. : C’est une épineuse question : les galeries qui jouent pleinement leur rôle auprès des artistes disparaissent au fur et mesure… En 2000, j’en avais trois. Toutes ont fermé leurs portes… Restent les salons qui sont un puissant vecteur de contact et de rencontres avec le public ; un public qui, d’ailleurs, apprécie les découvertes et le côté, je dirais, pédagogique de ces manifestations. Parmi les visiteurs il y a des amateurs, des collectionneurs, cela s’entend ; mais il a aussi beaucoup de gens qui sont en demande d’en savoir plus sur le livre d’artiste, voire même sur le livre pauvre (mais c’est un autre sujet).
Certaines médiathèques depuis des années se sont engagées dans la constitution de fonds patrimoniaux et mènent une politique d’acquisition de pièces, anciennes ou contemporaines. La Bretagne à cet égard est fort bien équipée, tant en volume de ces fonds qu’en qualité des équipes responsables. Ils se tiennent à la disposition du public pour favoriser l’accès à ces ouvrages soit personnellement soit par des expositions ou animations thématiques. Tout ceci restant, bien sûr, soumis à des budgets qui ont une fâcheuse tendance à fondre comme les glaciers du Pôle nord…
Enfin, internet, facebook rendent bien des choses possibles. Oui, on peut contacter et commander les ouvrages qui y figurent. On peut enfin, et c’est encore le meilleur moyen de se rendre compte de la réalité de l’objet/livre, venir me rencontrer à l’atelier sur rendez-vous.

I.L. : Comment se produisent les rencontres avec les poètes ? Peuvent-ils te contacter, te faire des propositions ?

M.R. : Il n’y a pas que les amateurs collectionneurs qui peuvent me contacter via le net ; les auteurs, les poètes également ! Ils peuvent avoir découvert mon travail par plusieurs canaux différents : internet, on l’a dit, mais aussi le bouche à oreille, un salon, une lecture/signature, un ami… Et si ce qu’ils y découvrent les intéresse, ils peuvent alors me contacter et me proposer leur travail. Je connais leur travail ou pas… Je donne suite… ou pas. Mais souvent c’est moi qui vais au-devant et les sollicite pour travailler avec moi, non sans qu’ils aient fait auparavant une petite visite sur mon site ou même à l’atelier. Mais je travaille avec des auteurs parfois très éloignés de mon domicile et dans ce cas le mail est un outil fort précieux pour les échanges entre eux et moi : c’est ainsi que j’ai pu entrer en relation avec des poètes tels que Déborah Heissler, Jean-Michel Maulpoix, Marie-Hélène Prouteau, Jean Gabriel Cosculluela, Françoise Louise Demorgny, Pierre Bergounioux, Laurent Grison ou encore Isabelle Lévesque pour ne citer qu’eux.

acrylique sur toile 120 cm x 120 cm

I.L. : Le poème est-il toujours le point de départ ? T’arrive-t-il de proposer à un poète d’accompagner une peinture ?

M.R. : Il m’arrive parfois de proposer d’emblée une série de peintures sur un thème donné afin qu’ils accompagnent ces œuvres de textes. Certains auteurs préfèrent procéder de cette manière. Ils sont minoritaires : la plupart du temps ce sont eux qui m’adressent un texte et qui me laissent travailler à ma guise ensuite. J’avoue préférer cette façon de faire car le nouveau poème va inévitablement faire naître des images, des sensations nouvelles pour moi et mon travail, de la sorte, s’en trouvera renouvelé et enrichi. C’est aussi ce que je cherchais lorsque j’ai commencé ce type de travail il y a 12 ans ! J’attends d’un texte, qu’il vienne d’un auteur avec lequel j’ai déjà travaillé ou d’un auteur tout nouveau pour moi, qu’il me propulse en dehors de ma zone de confort et me pousse à rechercher en moi des formes, des harmonies, des rythmes dont j’ignorais encore leur existence latente en moi. Le poème que je reçois augmente mon imaginaire pour entrer en écho avec lui, m’ajuster à lui sans pour autant tomber dans une illustration redondante. Il s’agira alors d’en exprimer, d’en approcher le ressenti qu’il fait naître à la lecture. On est ici très loin d’un travail assujetti au texte mais plutôt dans une distance prise afin de faire vibrer la résonnance entre le texte et la peinture qui l’accompagne.

I.L. : Les poèmes sont-ils également importants pour ta peinture hors livres ? Peuvent-ils être à l’origine d’une série ? Quelle est donc l’importance des mots pour ton activité de peintre dont les toiles sont le plus souvent « sans titre » ?

M.R. : Il y a, je crois, un lien de plus en plus étroit entre mes peintures issues des textes et ma peinture sur grand format. Et je pense que cela vient du fait que je considère les livres comme des expériences picturales, des laboratoires créatifs où la main se libère. Je trouve fréquemment dans ces planches des motifs, des sujets susceptibles de passer à une plus grande échelle. Cela ne vaut pas pour tous les ouvrages, loin s’en faut, mais ça arrive ; en revanche il est très rare que cela débouche sur une vraie série de toiles. Disons qu’il y a des tendances qui se dégagent petit à petit mais qui ne constituent pas des intentions affichées.

acrylique sur toile 120 cm x 120 cm

I.L. : Pour l’un des livres ici présentés, tu as travaillé avec un poète, Laurent Grison, et un compositeur, Jean-Yves Bosseur. Comment s’est construit ce projet rare ?

M.R. : Pour parler de ce projet il faut peut-être remonter un peu en arrière dans le temps. En 2012 j’ai fait la rencontre du compositeur Jean-Yves Bosseur. Je connaissais sa musique et ses écrits sur les conjonctions entre musique et arts plastiques. Nous nous sommes découvert une admiration commune pour le poète Edmond Jabès (décédé à l’époque) et très vite l’idée de faire un livre d’artiste autour de quelques fragments de l’œuvre du poète est née : conjuguer poésie, peinture et musique. Je souhaitais une partition pour violoncelle –le son de cet instrument me bouleverse- et c’est ainsi qu’est né « Le silence et le cri » en 2013. L’œuvre fut créée le 1er décembre 2013 au LAAC (lieu d’activités artistiques contemporaines) de Dunkerque et ce fut pour moi une profonde émotion d’entendre une musique née de mes peintures… Nous avons fait un deuxième livre ensemble « A distance » en adoptant un processus inverse : je suis parti d’une pièce musicale déjà créée et enregistrée, cette fois, pour 5 cornemuses.
Puis, plus récemment, le poète Laurent Grison m’a sollicité pour faire un livre ensemble : « Souffle de coton ». En 2019, nous nous sommes rencontrés au Salon Page(s à Paris auquel je participais et, heureux hasards de la vie, mon ami Bosseur était justement là en visite. L’idée m’est spontanément venue de renouveler l’opération du 1er livre mais avec un auteur bien vivant, lui. Et cela a donné ce livre « Magnétique Magma Même » dont la partition pour violon seul vient tout juste d’être créée à Montpellier en juillet dernier. Voilà la genèse de ce projet qui porte en lui l’essence même de ce qu’est le livre d’artiste selon moi : une rencontre, des artistes qui s’agrègent pour travailler en partage et donner naissance à un objet singulier, un espace sensible de liberté.

acrylique sur toile 150 cm x 150 cm - triptyque

I.L. : La Bretagne, ses paysages et sa culture, joue-t-elle un rôle dans ton inspiration de peintre ? Selon toi, est-ce une terre favorable à la poésie, à la musique et aux arts plastiques ?

M.R. : Il est évident que la Bretagne est une terre qui contient en son sein la poésie. Ses paysages, ses ciels, ses écrivains, sa musique, son histoire, son peuple, la mer, ses peintres (la liste est longue !), tout concourt à faire de cette région une terre poétique et à s’en nourrir à l’envi. Il faut la parcourir, la contempler et aimer toutes ses lumières et toute son énergie.
J’ai travaillé, et je continue à le faire, avec des écrivains bretons dont les écrits, romans, essais, poèmes, sur ce pays sont bien connus et c’est un pur privilège de côtoyer des artistes tels que Gérard Le Gouic, Jean-Albert Guénégan, Alain Le Beuze, Emilienne Kerhoas, Olivier Cousin, Daniel Kay, Alain-Gabriel Monot, Pierre Tanguy, Erwann Rougé, Jean-Pierre Sellin, Jean-Pierre Boulic, Gilles Baudry ou Philippe Le Guillou, en y mêlant mes propres travaux. C’est aussi éminemment stimulant pour l’inspiration du peintre que je suis !
Cela dit, mes rencontres ont depuis quelques années franchi les limites de notre belle Bretagne et une collaboration tout aussi fructueuse s’est développée avec des poètes du pays tout entier, riches de leur imaginaire propre qu’ils m’offrent en partage. Outre certains noms évoqués plus haut, je ne résiste pas au plaisir de citer Adeline Baldacchino, Dominique Sampiero, Gilles Plazy, Lorand Gaspar, Sylvestre Clancier, Nicolas Morvan, Olivier Barbarant, Guy Goffette, Daniel Leuwers.

I.L. : Qu’est-ce qu’une collaboration idéale pour la réalisation d’un livre d’artiste ?

M.R. : La question est vaste et peut-être même sans réponse ferme et définitive car, en fait, elle dépend de chaque rencontre. Il faut quand même bien répondre… Je crois qu’une collaboration idéale se doit d’obéir à certaines contraintes ; ce qui, bien entendu, n’est pas incompatible avec cet espace de liberté qu’est le livre d’artiste. Il y a liberté(s) parce qu’il y a contrainte(s) en même temps. Parmi elles, et en tout premier lieu, respect et confiance. Sans elles, aucun travail digne de ce nom n’est possible, sauf à tricher, et ça se verra inévitablement. Est-il bien nécessaire d’insister sur l’admiration pour l’écriture, les émotions qu’elle véhicule, la connivence non réfléchie par le langage et le monde intérieur qui me paraissent être in fine les piliers d’un travail commun fécond ?
J’attends enfin que le texte ne dise pas tout, ménage une part d’énigme et me laisse une place appropriée, là où je me plais à être sur cette ligne de crête entre abstraction totale et ébauche de figuration du monde.
Je dirais, pour conclure, que tout ceci est de la matière humaine, vivante, en renouvellement constant et qu’elle doit se pérenniser en ayant en permanence des projets, des perspectives, des idées nouvelles, d’autres auteurs possibles à solliciter. Certains déjà sont en marche vers 2022…

Brève présentation de l’artiste :

Photo de Mina Thevenin

Michel Remaud est né à Rennes en 1948.
Il s’installe à Quimper et enseigne de 1971 à 2008 dans un grand lycée de cette ville.
Parallèlement, il reprend la peinture dans les années 80 en autodidacte et c’est en 1999 que Patrick Gaultier lui offre sa première exposition personnelle dans sa galerie d’art contemporain à Quimper. Ses œuvres, peintures ou livres d’artiste, ont été régulièrement présentées dans de nombreux lieux, galeries et salons de la petite édition, en particulier de Bretagne.
Son atelier est à Plomelin, près de Quimper.

À lire, deux articles de la revue Hopala : n°42 (p.74 à 78) et n°43 (p.64 à 69).

Liens :
Le blog de Michel Remaud :
http://www.michelremaud.com
Sur Facebook :
https://www.facebook.com/michel.remaud.75

Page établie avec la complicité d’Isabelle Lévesque.


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