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Ce qui vient de lumière : poèmes de Jacqueline Persini & peintures de Matt Mahlen. Lecture en mots et en images avec F. Saint-Roch.

samedi 31 octobre 2020, par Florence Saint Roch

Rougier V. éd., collection Plis urgents n°57, 2020

Faire toute la lumière – voilà une nécessité (un courage, une faveur – une urgence aussi, oui, V. Rougier a raison) qu’on aimerait de tous les instants. Aussi ce recueil de poèmes de J. Persini, dont l’esprit est capté et visuellement transposé par le plasticien-poète M. Mahlem, s’attache-t-il à rassembler « Ce qui vient de lumière ». D’emblé, nous notons l’étrangeté de la formule : « Ce qui vient de lumière », et non « Ce qui vient de la lumière », alors que nous trouverons, presque à la fin du recueil, « Ce qui vient de l’ombre ». De fait, « lumière », sans déterminant d’aucune sorte, devient une entité particulière – presque une personne. En tout état de cause, la lumière accompagne le poète et le peintre dans leur quête respective. Tous deux fabriquent (cherchent, inventent) des images. Le premier, grâce aux mots, travaille au dévoilement du sens, suscite éclairs et éclats signifiants ; le second, par le travail des formes et des couleurs, et aussi abstrait soit-il, nous engage à percevoir autrement des réalités (impressions, perceptions) pour le moins éclairantes.
 
 

 
 
La structure du recueil est lumineuse. Quatre chapitres ou ensembles le constituent : « Espace », « Jardin », «  Chemin », « Vie mort ». Chaque poème est composé de deux quatrains dont les vers forment des hexamètres. À l’amorce de chaque poème, une reprise anaphorique avec quelques variantes, qui célèbre une relation vivante, confiante et heureuse au monde. Plaisirs à être, à sentir, à se mouvoir toujours renouvelés, toujours actuels. « Ce qui vient de la terre » côtoie « Ce qui vient du grand large », « Ce qui vient d’un volcan » jouxte « Ce qui vient de l’eau vive ».
En regard, les peintures de Matt Mahlen présentent la même cohérence – la même certitude de ce qui est justement posé. Elles aussi sont lumineuses – d’une grande simplicité de moyens et d’effets, d’un équilibre évident. Le plasticien choisit une palette restreinte : noir, vert olive foncé, bleu outremer, bleu ciel, lilas, jaune, et, comme en écho aux anaphores de la poète, consacre une couleur à un motif que nous retrouvons d’œuvre en œuvre : ainsi les cercles figurant (pouvant figurer ) grains et graines ont-ils souvent la couleur lilas.
 
 

 
 
L’anaphore, dans sa simplicité-même, donne à penser. En effet, J. Persini nous invite à distinguer « Ce qui vient de » et « Ce qui vient à », « Ce qui vient à l’abeille » n’est pas « Ce qui vient d’une brouette » : dans cette double construction possible, nous entendons l’origine et destination – ce qui est donné, à chaque fois, où qu’on soit, quel qu’on soit : tous les acteurs du monde, personnes, animaux, éléments, reçoivent les uns des autres, dans une immense circulation. Chacun tire bénéfice et bienfait, source et ressource de ce que l’univers offre : « Ce qui vient de l’herbe/ Le bouton d’or le sait/ La prairie, le bleuet/ Et les petites bêtes ».
Ce recueil établit un inventaire, dénombre comme à l’envi les petits miracles dont nous disposons : «  Ce qui vient au silence / D’un arbre, la forêt/ En garde le secret. Mais tout le ciel attend// Que les pensées de l’arbre/ Comme une buée bleue/ À travers les nuages/ Se nichent dans l’oiseau ».
 
 

 
 
S’égrènent au fil des poèmes comme des enfances à redire, des évidences à répéter. « Ce qui vient de l’enfance/ Dans ses contes, ses fables/ Un amandier en fleurs/ Et le chant des étoiles ». J. Persini, qui par ailleurs écrit pour la jeunesse, écrit ici pour tous. Si Ce qui vient de lumière fait la part belle à la célébration et sonne comme un hymne à l’enchantement du monde, la poète manifeste toutefois l’émerveillement lucide de qui apprécie le prix et la fragilité des choses, de qui sait aussi ce que le jour doit à la nuit : « Ce qui vient de lumière/ En la force du blé/ Brûle toutes les ronces/ Une saison entière ». « Brûler toutes les ronces », c’est conjurer, c’est refuser aussi « Ce qui vient de la mort », « Ce qui vient du sang rouge  » et qui « Comme furie déferle ». La rébellion, la révolte se disent avec détermination. Et l’on entend, toujours aussi clairement, de profondes revendications, lesquelles défendent à l’occasion un art poétique fondé sur la limpidité et l’harmonie : « Ce qui vient du confus/ La lumière insolente/ En écarte les branches/ N’en partage les buts. // Aux feuilles dissonantes/ Qui débordent d’écrits/ D’obscures poésies/ Elle crie : Ҫa suffit. »
 
 

 
 
Nous le mesurons progressivement en découronnant l’ouvrage : connexe au désir de clarté, un immense vœu de liberté. D’où des poèmes qui parfois sortent de leurs gonds – d’autant plus intensément qu’ils sont apparemment corsetés par le mètre fixe : «  Ce qui vient de l’ombre/ Grignote nos combles/ Et frappe de son gong/ Le désir dans son bond.// Nous réclamons la crête/ Nous exigeons le cri ».
Et la poète d’ajouter : «  Ce qui vient de tes pas/ Exige l’aventure  ». Quand l’exigence se redit, rêve d’audace et d’accomplissements inattendus, elle prend le nom d’espoir, et il n’est alors il n’est qu’à l’écouter : « Ce qui vient de l’espoir/ Qui invente sa langue/ Dissipe tout d’un coup/ Le grand froid de l’attente ».

 
 

Jacqueline Persini a aussi publié, chez Vincent Rougier, Danser avec la sitelle, revue Ficelle.


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