Depuis les années 70, la poésie constitue l’essentiel de mon parcours d’écrivain jalonné par la création, avec un groupe d’amis, de la revue artistique et littéraire FAIX (1979-1982), la collaboration ensuite à d’autres revues poétiques, Parterre Verbal, Sapriphage, CCP, Diérèse, le site Poézibao. Cette collaboration, pour les revues citées, se fera principalement par des « notes de lectures ». Je poursuivrai cette activité critique jusqu’en 2010 environ. En 2007, j’inaugure avec Vincent Wahl et le partenariat de la médiathèque Verlaine à Metz, un cycle de rencontres poétiques trimestrielles qui dure toujours.
Ces dernières années, l’activité qui me mobilise le plus, c’est la création de livres et carnets d’artiste, seul ou en duo avec des ami(e)s plasticien(ne)s. La peinture personnelle y fait des apparitions timides, toujours dans la proximité du poème. Mais ce sont surtout les collages qui investissent mes carnets, pièces uniques données à voir par extraits successifs sur les réseaux sociaux ainsi que sur mon blog avant d’être proposés à la vente. Quelques livres-objets, exécutés surtout à partir de cartons recyclés, viennent se mêler aux formes plus conventionnelles de mes livres d’artiste.
Entretien avec Alain Hellissen, par Cécile Guivarch
Cher Alain Helissen, et si nous revenions sur votre parcours, mêlant poésie et arts graphiques... Je crois que vous n’avez jamais pu dissocier les deux. Soit en tant que poète, soit en tant qu’artiste. Aussi qu’est-ce qui fait que pour vous poésie et peinture / collage ou photo, sont ainsi si intimement liés ?
C’est peut-être, depuis mes premiers pas en poésie dans les années 70, le fait d’avoir d’abord publié dans des revues qui m’a mis en présence, pour la majorité d’entre elles, avec des dessins, peintures ou photos venus s’intercaler entre les poèmes et textes. Cette proximité de l’image s’est encore accentuée, à partir de 1979, quand j’ai participé à la création de la revue FAIX. La majorité des membres du comité de rédaction était composée d’étudiants et d’un professeur de l’école des Beaux-Arts de Metz. C’est dire que les arts plastiques occupaient une place aussi importante que les textes. Ceux que je publiais étaient d’ailleurs souvent accompagnés d’images de ma composition. Dans les années 80 j’ai commencé aussi à pratiquer le collage en participant à de nombreuses expositions de « mail art ». J’en ai d’ailleurs organisées deux moi-même (Bibliothèque de Sarrebourg, 2012 et 2014).Plus tard et jusqu’à aujourd’hui, j’ai rempli de très nombreux carnets de collages en y associant toujours textes ou poèmes. Le collage, tel que je le conçois, contient sa propre émotion poétique.
Aperçu Carnet de collage Intrusions
Vous avez réalisé beaucoup de travaux avec des artistes plasticiens, participé à des revues, notamment FAIX, revue artistique et littéraire. Comment se produit cette émulation collective ? Le désir de créer ensemble ?
Si j’ai publié dans une soixantaine de revues, j’ai participé « de plus près » à quelques unes d’entre elles. Outre FAIX, évoquée précédemment, j’étais très investi dans Sapriphage , Diérèse, CCP (par des notes de lectures régulières). Quand on rejoint le comité de rédaction d’une revue, on se sent entraîné par une dynamique de groupe très positive. Elle permet de proposer différents projets, individuels ou collectifs. S’il m’arrive encore de publier en revue, j’ai renoncé depuis quelques années à m’impliquer aussi activement que je viens de l’évoquer. Je privilégie plutôt le travail en duo avec des artistes que j’apprécie. Ecrire un texte poétique directement inspiré par une peinture posée devant moi m’est un exercice des plus agréables. Cela peut aller du « livre pauvre » (une simple feuille pliée sur laquelle viennent cohabiter peinture et poème) à des livres plus importants, toujours tirés à très peu d’exemplaires.
Vous dites que votre peinture personnelle fait des apparitions timides... Et pourtant, de mon côté, avec vos carnets de collages j’avais plutôt l’image de vous comme un plasticien sans aucun doute. Alors ces carnets de collage, je crois occupe beaucoup votre temps... Comment l’image vient convoquer l’écriture ? Ou comment l’écriture vient convoquer l’image ? Quel est votre manière de travailler autour de ces objets ?
En évoquant de « timides apparitions » de ma peinture je voulais signifier que j’ai réalisé assez peu de carnets ou livres d’artiste comportant exclusivement des peintures personnelles. Cela s’explique par le fait que je n’ai pas la moindre formation artistique. Quand je peins je m’appuie souvent sur la technique de « l’empreinte » à partir d’images prélevées dans des magazines. Ces empreintes sont la plupart du temps retravaillées au pinceau. Le résultat tient plus du hasard que de la maîtrise technique. Mais heureusement, mes expérimentations dans ce domaine me plaisent bien. Les carnets de collages, ces dernières années, me monopolisent beaucoup. J’aime confectionner de nouvelles images à partir de plusieurs fragments assemblés d’images existantes, pour la plupart découpées dans des magazines d’art ,ce qui m’amène à refaire de l’art avec de l’art, par des assemblages improvisés en fonction du volume d’images stockées. Ma manière de procéder varie peu : je réalise d’abord les images pour le carnet entier. Parfois, je décide en amont d’un sujet général comme par exemple « les mains », « les têtes »...ou bien j’opère en improvisant. Les textes viennent ensuite commenter à leur façon les collages. Certaines images appellent une écriture poétique, d’autres des commentaires humoristiques ou critiques. Le titre du carnet peut se décider avant ou après l’inscription des textes.
Aperçu Carnet de collage jeux de mains
De vos collaborations avec des plasticiens, pouvez-vous me parler un peu de Périmètres réalisé avec Germain Roesz ? Comment avez-vous procédé pour ce travail ensemble et que pourriez-vous dire de ce que cela vous a apporté à chacun, le regard de l’autre ? Avez-vous réalisé d’autres projets avec Germain ou allez-vous en réaliser d’autres ?
Nous nous étions promis depuis longtemps, Germain Roesz et moi-même, de faire un livre ensemble et les années passaient, chacun de nous s’activant de son côté. C’est Germain qui me proposa, courant 2020, de « passer à l’acte ». Il m’envoya 33 peintures originales sur papier de format A4, à charge pour moi d’y ajouter des poèmes écrits à la main et s’inscrivant dans chacune des peintures, là où des espaces le permettaient. Quinze de ces peintures reproduites composeraient les 50 exemplaires courants et les 33 exemplaires de tête comporteraient chacun une peinture originale signée par l’artiste et moi-même. La totalité des exemplaires intégrerait l’ensemble de mes poèmes. Le titre Périmètres m’est venu très vite après l’examen des peintures où dominaient des cercles. L’ouvrage s’ouvre sur une préface de Germain et se referme sur ma postface. Dans la mesure où les peintures sont nées dans l’atelier de l’artiste, je ne sais si Germain a tenu compte des ouvrages qu’il avait pu lire de moi depuis notre longue amitié et s’il s’en est inspiré . Nous n’en avons pas parlé. Bien sûr, l’écriture de mes poèmes sur les 33 peintures s’en inspirent directement. Les mots sont apparus très vite. Nous n’avons, pour l’instant, pas d’autres projets de livre en commun mais sans doute , si une opportunité se présentait, serait-ce moi qui proposerait des poèmes à Germain pour qu’ils déclenchent ses peintures.
Aperçu de Périmètres, livre d’artiste - textes Alain Helissen / peintures Germain Roesz)
Est-ce qu’il y a des plasticiens avec lesquels vous aimez particulièrement travailler et pour quelles raisons ?
J’ai un faible pour la peinture abstraite parce que je pense , cela n’engage que moi, que sa proximité avec le poème est plus évidente. C’est pourquoi j’ai aimé travailler à plusieurs reprises avec Maria Desmée. Sa peinture possède une force d’expression très proche de ma sensibilité poétique. D’autres artistes m’ont attiré à travers leurs œuvres : Alexandra Fontaine, Geneviève Guiguet, Véronique Arnault. Mais j’apprécie aussi de pouvoir changer radicalement d’univers, comme cela m’est arrivé avec ceux de Stéphane Dussel ou Max Partezana... J’ai un projet de leporello avec des photos d’Arnaud Quaranta. Je suis toujours en recherche de nouvelles collaborations et pour cela visite de nombreuses expositions. Les rencontres peuvent se faire très rapidement.
Ecriture aussi... Dont votre dernier livre chez ficelles, le train ne sifflera plus... Quelle est donc la genèse de ce livre ?
Le train ne sifflera plus, fait partie du versant humoristique de mon travail d’écriture. Ce versant était très présent à l’époque de la revue FAIX. J’avais désigné Gary Cooper comme le parrain d’un mouvement qu’avec 3 autres membres de la revue FAIX, nous avions baptisé « LE SECONDARISME », un pseudo manifeste d’ailleurs réédité en 2021 chez Voix éditions. Le titre du petit livre paru chez Rougier V. éditions est un clin d’œil au film « Le train sifflera trois fois » avec G.Cooper en vedette. Mais la vraie genèse du « Train ne sifflera plus » est une rupture amoureuse que j’ai vécue il y 4 ans environ. J’avais fini par l’exorciser en réalisant, dans un premier temps, un livre unique fait main titré « Messages » et dont le contenu était un échange épistolaire fictif entre un couple venant de se séparer. Ces lettres brèves , alors illustrées par des collages , sont reprises dans la présente édition augmentée de lettres rajoutées à la demande de l’éditeur. Ce dernier a d’ailleurs ajouté, en marge, des commentaires cocasses écrits en rouge.
Je vous remercie cher Alain pour ce temps passé autour de votre œuvre... Mais avant de se quitter, peut-être avez-vous envie d’ajouter quelques mots à propos de vos projets, de vos travaux en cours...
Merci à vous, Cécile, de m’avoir invité à présenter mon travail et à répondre à vos questions. Je suis dans un processus de création permanent et les projets naissent davantage du hasard des rencontres que d’un programme établi sur une période donnée. Je me sens plus à l’aise dans des réalisations rapides que dans des travaux au long cours nécessitant une préparation rigoureuse. C’est pourquoi je ne me suis jamais senti attiré par l’écriture d’un roman et en suis venu à délaisser même la publication de nouveaux recueils poétiques.
Aperçu de Le train ne sifflera plus
Ce petit livre, qui pointe au N°146 de la collection « revue ficelle » (aux éditions Rougier V éd.), donne à lire un échange épistolaire entre deux personnages pour le moins sulfureux. Lui se dénomme Gary, elle se dénomme Gertrude. On n’en dira pas plus sur leur identité respective mais certains signes donnent à penser que c’est du côté de l’Ouest américain qu’il faut prospecter. Le train ne sifflera plus met en scène, sous la forme d’une correspondance, l’après-rupture amoureuse des deux protagonistes. Seules, les lettres de Gary apparaissent dans le livre. On se contentera de deviner les réponses de Gertrude. Si le train ne sifflera plus, il transporte en tout cas un humour trempé d’un peu de vitriol et de beaucoup de distanciation. Les extraits ci-joints donnent le ton.
Alain HELISSEN est né en 1954, en Moselle. Il vit désormais à Metz, où il anime, depuis 2007, des rencontres poétiques trimestrielles (médiathèque Verlaine). Parmi ses dernières publications : Des lettres de la Voie Lactée, Cactus Inébranlable éditions, 2016, On joue tout seul, éd. Corps Puce, 2010. Il se consacre presque exclusivement, ces dernières années, à la réalisation de livres d’artiste, seul ou en duo avec des plasticien(ne)s. Il vient de publier un livre à partir de peintures originales de Germain Roesz : Périmètres (éditions Lieux-dits, 2021). Sa dernière publication : Le train ne sifflera plus est une correspondance cinglante entre deux personnages en rupture amoureuse, un certain Gary et une certaine Gertrude. (éd.V.Rougier, collection « ficelle », 2021) L’écriture d’Alain Helissen oscille entre un lyrisme introspectif, pour le versant poétique, et l’humour décliné dans des textes courts ou sous forme d’aphorismes. Il fait aussi des lectures publiques. Toute son actualité littéraire et artistique est visible sur son blog : http://alainhelissen.over-blog.com