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Stéphane Meunier, entretien avec Clara Regy

mercredi 29 novembre 2023, par Cécile Guivarch

Vous nous avez proposé un texte « illustré », la première question portera sur cette « alliance » dans cet ensemble particulier : qu’est-ce qui prédomine, quel « art » entraîne l’autre ?

Plutôt que d’illustration, voire de dialogue, je préférerais parler, à propos de la relation entre textes et images, ici rassemblés, de résonances. Je travaille, d’une part, avec les images, d’autre part, avec les textes, sans aucune hiérarchie, ni aucune relation de cause à effet. Les images voient donc le jour tout à fait indépendamment des textes ; et pourtant, je ne pourrais pas affirmer que les deux voies (écriture gestuelle et écriture textuelle) n’entretiennent pas de mystérieuses affinités. Il se fait qu’un rapprochement peut parfois s’opérer, comme si texte et image s’éclairaient l’un l’autre.

Pouvez-vous aussi vous présenter, pourquoi l’écriture, pourquoi le dessin ? Pour l’un et l’autre avez-vous des rituels ? Des moments, des objets indispensables, nous livrer aussi quelques éclaircissements sur votre technique pour le dessin ?

L’écriture, ici, qu’elle se donne par l’entremise du geste ou du texte, est sans pourquoi : elle est ; elle naît à sa propre forme. Moi-même, je ne possède aucune « idée » du texte, ni de l’image, avant qu’ils ne surgissent, ne se déploient. Impossible, d’ailleurs, de ne pas invoquer le cosmos, à propos de l’expérience de création, qui donne lieu à ces œuvres. Cette naissance de la forme s’accompagne d’un éprouvé très particulier, sans doute spirituel, ou mystique, de participation au Tout ; cette expérience de renaissance de soi avec la forme, je l’éprouve comme une participation au cosmos. La création artistique est à mes yeux une forme de spiritualité, qui présente l’intérêt de ne nécessiter aucun spiritualisme.
En outre, et afin de répondre plus précisément à votre question, il importe de préciser que les trois images de cet ensemble ne relèvent pas, à mon sens, du dessin, mais d’une forme d’écriture – écriture qui se libère du tracé des mots : déhiscence du corps des lettres, qui découvre, à mesure qu’elle se trace, son propre tracer. Ici, l’écriture alphabétique s’ouvre au geste rythmique et à l’abstraction : la création se donne quelque part entre les lettres latines et le tableau gestuel.
Techniquement, j’utilise la plume, l’encre de Chine ; le choix du papier est crucial, car le type de grain, qui rencontre la pointe de la plume, participe du processus de création, jouant sur la temporalité du geste.

Quels sont les artistes qui vous inspirent au quotidien ? Pourquoi, comment (si vous voulez nous en faire part brièvement) ?

L’œuvre des autres me passionne ; me bouleverse même, parfois. Voici, à ce propos, quelques noms d’autrices et d’auteurs : Stéphane Mallarmé, André du Bouchet, François Cheng, Christian Dotremont, Emily Dickinson, Anne-Marie Albiach, Cristina Peri Rossi, Gabriele Münter, Hilma af Klint… Ou encore un éditeur, passionné par la typographie, qui agit au seuil de l’art et de l’artisanat, depuis Bruxelles, au tournant du XXe siècle : Edmond Deman…

Néanmoins, je ne dirais pas que ces œuvres m’inspirent. Il m’est impossible de créer sans avoir retrouvé le silence, une certaine forme de vide, de réceptivité, d’intonation à la possibilité comme telle : ce qui va de pair avec un accueil de la limite, de la lenteur, de l’éphémère : creuser l’absence en soi-même ; accueillir, même, une mort à soi – ce qui n’a rien de morbide –, afin de laisser naître le geste, à son propre tracer, de lenteur et de vitesse ; de force et de tendresse. Se laisser traverser par le Souffle…

Quels sont vos projets, « montrez-vous » vos travaux depuis longtemps ?

L’œuvre se donne, au cœur de l’existence, de manière protéiforme, et privilégiant l’Entre (« écriture gestuelle » ; « texte musical »…), et la relation au Vide (réciprocité des vides et des pleins ; importance accordée à l’absence, au cœur de la présence – à l’intervalle…). En termes de projets, j’aimerais explorer, à l’avenir, les possibilités que permet l’installation, de manière à relier des créations musicales aux textes et images ; également, peut-être, user du pli qu’offre le livre, pour rassembler des œuvres…

Montrer mes travaux n’est pas évident. Je ne me sens pas concerné par l’idée de « montrer » ; je n’adhère pas davantage à l’idée d’un « public » ; je constate bien sûr leur importance, au cœur du monde, mais je ne rencontre pas les possibilités qu’elles ouvrent. Je crois, par contre, au mot « partage » ; je crois en la possibilité d’une rencontre. Je crois en la possibilité d’accueillir le mouvement, si subtil, des résonances et dissonances : c’est le jeu de ces ombres et lumières qui, lorsqu’il advient à la conscience, nous révèle, et nous offre à voir le monde.

Et pour terminer : si vous aviez 3 mots pour qualifier cette rencontre écriture/dessin quels seraient-ils ?

Geste – Entre – Mystère


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