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La poésie à l’école, ou l’art de transmettre selon Michel Fiévet. Propos recueillis par C. Guivarch et F. Saint-Roch

mardi 29 octobre 2019, par Florence Saint Roch

Michel Fiévet est instituteur dans l’Aisne, non loin de Soissons. Avec sa classe du cycle trois, il mène, depuis de longues années, une pédagogie inspirée et inspirante : plaçant l’expression poétique au cœur de son enseignement, il insuffle à ses élèves le goût des mots, le plaisir de lire et la joie d’écrire...

Tout au long de l’année, tu as fait travailler les enfants autour de la poésie, pourquoi cette envie d’entraîner les enfants à lire et à écrire de la poésie ? D’où est-ce que cela vient ?
Cela me vient sans doute de très loin… Un vide que je n’arrive pas à combler. Une solitude. La poésie répond à ce manque. Elle me permet de me sentir intensément plus vivant. J’ai toujours été très sensible à ce qui m’entoure. J’ai souhaité que les enfants découvrent que la poésie peut-être une manière de se rencontrer, de rencontrer l’autre. Ils doivent vivre la poésie comme une invitation à interroger le monde.
Les émotions peuvent être partagées. Les élèves apprendront à ressentir les flux et les reflux, le sang qui circule en soi.

Tu as présenté aux enfants beaucoup d’auteurs contemporains, pourquoi ce choix ?
La poésie contemporaine n’est pas présente à l’école ou très peu. Depuis de nombreuses années, j’avais l’impression que les élèves imaginaient les poètes comme des personnes mortes ayant vécu dans le passé. J’ai donc fait le choix de mettre ceux-ci en contact avec des poètes « vivants ». Les enfants étaient ébahis de pouvoir partager leurs mots avec eux. C’était magique. La poésie devenait encore plus présente dans leur vie.
Bien entendu, nous lisons aussi Prévert, Eluard, Michaux, Guillevic, Verlaine ou Baudelaire pour ne citer qu’eux.
Chaque jour, ils guettent le facteur. Les lettres de poètes sont toujours de précieux cadeaux. Ils les lisent et les relisent, se les passent de main en main.

Comment penses-tu que les enfants accueillent la poésie ? Et l’écriture ?
La bibliothèque regorge de livres de poésie. Les enfants ont l’embarras du choix. Dès que le travail est terminé, nombreux sont ceux qui vont chercher un recueil. Le coin poésie ressemble à une ruche. J’en suis heureux et profondément touché. Je ne crois pas me tromper en disant qu’ils adorent lire de la poésie. Chaque jour, des élèves proposent des lectures. L’année dernière, après la lecture d’un poème de Paul Eluard Nous n’importe où, une élève s’est exclamée : « Maître, on est bien quand on a lu ça ». Dernièrement, un élève m’a dit qu’il se sentait bien après avoir lu un poème de Bernard Friot.
Pour l’écriture, c’est évidemment plus difficile. Cela leur demande beaucoup d’efforts. Tout d’abord, l’enfant doit apprendre à s’abandonner littéralement en oubliant les attitudes scolaires et les réponses toutes faites. Je souhaite que l’écriture poétique soit pour eux une invitation au vertige d’être, une invitation à sonder le monde dans lequel ils vivent. Que l’écriture soit pour eux comme une marche sur la plage, où ils ramasseraient des mots comme des galets, des étoiles de mer, des plumes. Chaque élève laisse sur le papier un peu de lui-même, sa trace. Il se découvre. J’espère bien ainsi au fil du temps leur transmettre le plaisir d’écrire.

Peux-tu décrire une journée type dans ta classe ?
Il n’y a pas vraiment de journée type. Le matin, je commence pratiquement toujours par un poème, quelques vers de poètes. C’est la minute de poésie qui dure parfois… et qui aboutit souvent à l’écriture. L’étude de la langue (grammaire, conjugaison, orthographe) est proposée comme une vraie réflexion sur la langue et non pas comme une suite d’exercices systématiques. Nous enchaînons ensuite avec les mathématiques et dans le courant de l’après-midi histoire, géographie, sciences, sport, musique ou arts plastiques. On se réserve, en fin de journée, un tout petit temps de lecture. Les enfants choisissent un texte qu’ils ont envie d’offrir à la classe. Lire pour découvrir et partager.

Vous avez ensemble confectionné beaucoup de petits livres, cela a fait plaisir aux auteurs et bien certainement aux enfants, mais quel travail ! Que peux-tu nous en dire en quelques mots ?
Toutes les deux ou trois semaines, je propose aux élèves un(e) auteur(e). Je le/la présente succinctement : qui il/elle est, une photo, des recueils. Je leur lis des poèmes, parfois quelques vers. Nous partageons nos émotions, notre ressenti. A chacun sa sensibilité. C’est un moment très riche où je découvre chaque personnalité. Ils apprennent à découvrir l’autre pour ce qu’il est.
Ensuite vient le temps de l’écriture qui va durer plusieurs séances. Auparavant, j’ai préparé une liste de mots que le poète emploie souvent. C’est le moment où l’on enrichit son vocabulaire. Un mot est expliqué si cela est nécessaire. On explore sa polysémie. Il faut être patient. Beaucoup de mes élèves ont un vocabulaire restreint. Nous travaillons donc celui-ci en amont. Chaque semaine, je propose des mots nouveaux. Après en avoir étudié la signification, nous en sondons « les limites ». A quelle image nous renvoient-ils ? Nous prenons le temps de nous interroger. C’est un moment d’échanges très riche.
Ensuite les élèves se mettent en écriture et viennent me voir. Ce moment est très précieux. J’attire leur attention sur le poids des mots. La construction des phrases. Les échanges sont souvent riches et féconds. Ils reviennent me voir autant de fois que cela est nécessaire. On corrige ensuite les erreurs d’orthographe. Les élèves vont ensuite taper leur texte à l’ordinateur. Je vérifie une dernière fois leurs écrits. Nous les imprimons, nous composons le recueil et nous l’envoyons à l’auteur. On se donne une date limite pour confectionner celui-ci.

Comment choisis-tu les auteurs à partir desquels travailler ?
Tout simplement lors de mes lectures. Un poème, quelques vers qui se posent comme une évidence. Ils parlent du désir, de la mort, de tout ce qui fait la vie. Soudain, je me dis : « Il y a matière à écrire pour mes élèves ».
Je ne veux pas que la poésie soit un divertissement. Elle doit être un outil pour grandir. Une manière de philosopher sur notre propre existence. Ils savent, comme leur enseignant, qu’ils ne comprendront pas tout. Ce n’est pas grave. Continuons à questionner le monde.
J’essaie de leur proposer des univers très différents afin qu’ils puissent trouver un point d’équilibre.

Tu recommences l’an prochain ?
Oui bien sûr. Je n’ai aucune raison d’arrêter. C’est notre fil d’Ariane.


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